Dossier L’aménagement du foncier à l’heure de l’économie circulaire a transition énergétique, et son corollaire « économie circulaire », impliquent une nouvelle façon de penser le territoire, de nouveaux modes de production, une nouvelle filière déchets, la création de zones à circulation restreinte, des zones d'aménagement concerté prenant mieux en compte les problématiques environnementales, et plus généralement des zones s'inscrivant dans une démarche intégrée d'écologie territoriale. Jusqu’alors perçu comme un simple enjeu territorial opérationnel, l’économie circulaire est à présent un objectif consacré par la loi. I- ENJEU TERRITORIAL OPÉRATIONNEL DE L'ÉCONOMIE CIRCULAIRE Le modèle économique actuel, dit d’économie linéaire, est de plus en plus décrit comme ne pouvant plus répondre aux besoins actuels et futurs : épuisement des ressources, appauvrissement des sols, pollution de l'air et de l'eau, multiplication des déchets, dérèglements des cycles naturels, réchauffement climatique... Les réflexions sur le devenir de ce modèle sont engagées depuis quelques temps déjà, et l'économie circulaire apparaît comme une alternative à même de palier aux limites rencontrées aujourd'hui. Il est ainsi proposé de concevoir et mettre en œuvre de nouveaux modes de production et de consommation plus sobres. Il est demandé de structurer des filières de recyclage et de valorisation des déchets pérennes. Les acteurs du territoire (entreprises et collectivités) sont invités à repenser le développement des territoires en termes de coopérations locales et de synergies, voire symbiose, entre les différentes parties prenantes. À deux mois de la tenue de la COP 21 à Paris, la volonté d'arriver à un accord juridiquement contraignant visant à limiter le réchauffement climatique global en deçà des 2°C à l'horizon 2100 prend chaque jour plus d’importance. La plupart des pays ont présenté leurs contributions nationales (INDCs), documents par lesquels ils communiquent leurs objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte international, la France s'est dotée, le 17 août 2015, d'une loi dite de transition énergétique pour la croissance verte, fixant notamment des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre1. Parmi les différentes mesures introduites par le biais d’amendements parlementaires, doit être relevée l’introduction dans le Code de l’environnement du concept dit d’économie circulaire, qui impacte fortement les démarches d’aménagement du territoire et invite à repenser différemment l’aménagement du foncier. Par Patricia Savin, avocate associée, docteur en droit, DS Avocats 1- Réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990) et division par quatre en 2050. L’économie circulaire se présente ainsi comme étant une démarche globale, systémique, multi acteurs et territoriale, qui implique de travailler sur tous les flux, tous les secteurs d'activités et tous les types de territoires. Le concept d'économie circulaire permet aujourd'hui une prise en compte plus large des champs qui y sont liés : production et offre de biens et services responsables, consommation responsable, recours au réemploi et à la réparation, recyclage, usages et besoins, gestion territoriale des matières et de l'énergie... Bien que les problématiques environnementales auxquelles répond l'économie circulaire soient globales, les solutions qu'elle apporte sont essentiellement locales et reposent sur les territoires. Fondées sur l'intelligence collective, elles œuvrent au développement de réels écosystèmes territoriaux sobres, efficients et durables. Le schéma ci-dessous révèle, à chaque étape du cycle de vie, les conditions à mettre en œuvre pour déployer l'économie circulaire à l'échelle des entreprises et des territoires. Chaque symbole représente des solutions opérationnelles pour assurer un développement soutenable, de l'approvisionnement à la fin de vie. L'Ademe définit les sept domaines d'ac- tion de l'économie circulaire par l'approvisionnement durable : l'éco-conception, l'écologie industrielle et territoriale, l'économie de la fonctionnalité, la consommation responsable, l'allongement de la durée d'usage et le recyclage 2. Le modèle d'économie circulaire vise ainsi à valoriser les potentialités et ressources locales. L'application territoriale est un maillon essentiel pour déployer localement les nouvelles solutions promues 2- Voir publication de l’association Orée, « Économie circulaire/écologie industrielle et territoriale », L'économie circulaire au service de la préservation des ressources et du climat, sept. 2015. Les solutions de l’économie circulaire à chaque étape du cycle de vie d’un produit ou service Source : L’économie circulaire au service de la préservation des ressources et du climat – Une approche flux et filières vers un écosystème 2 territorial, Orée, 2015, 52 pages. etudesfoncieres.fr - #169 - Octobre / Novembre / Décembre 2015 par l'économie circulaire, ce modèle étant un projet de territoire par essence. Les synergies de mutualisation et de substitution constituent ainsi la base de la réorganisation territoriale engendrée par l'émergence de ce nouveau paradigme. Les stratégies de mutualisation, en vert sur le schéma ci-dessous, consistent à valoriser les externalités émises par certaines entreprises par d'autres entités voisines. Elles peuvent également nécessiter la présence d'activités d'interface pour permettre la valorisation des sous-produits, le développement de produits ou de services et la gestion d'une ressource commune. suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets. (...) » (art. L. 110-1-1 nouveau du Code de l’environnement). L'objectif de la loi est de généraliser en France l’économie circulaire, en même temps que l’éco-conception des produits devra remplacer leur obsolescence programmée, dont l'article 22 ter A du texte de loi donne une définition précise. La promotion des circuits courts et de l'économie locale, exprimés par la formule « coopération entre acteurs produits pour augmenter leur durée de vie : pénalisation de l’obsolescence programmée. Des actions transverses prévoient le principe de proximité entre la production des déchets et leur traitement, l'amélioration de la valorisation des déchets, ou encore la division par deux des volumes mis en décharge en 2025. Ces actions doivent être concrétisées, notamment par la création d'un réseau de déchetteries professionnelles du BTP d’ici le 1er janvier 2017, la mise en place par les collectivités d'un tri à la source des déchets alimentaires, l'obligation pour les collectivités et les L’écologie industrielle et territoriale La loi est ambitieuse et pose un jalon important dans la lutte contre le changement climatique. Certaines mesures de la loi – telles que la rénovation énergétique des bâtiments et le développement des transports propres – sont applicables immédiatement. D'autres entreront en vigueur au 1er janvier 2016 et d'autres, enfin, nécessitent la publication de décrets ou d'ordonnances. S'agissant de ces derniers, la ministre de l’Écologie et du Développement durable a annoncé le jour de la publication du texte que 50 % des textes d'application sont prêts et seraient publiés avant la fin de l'année 2015, échéance aujourd’hui décalée au premier trimestre 2016. Afin de suivre les progrès de la France dans la mise en place des démarches d’économie circulaire, l’article 69 de la loi prévoit que le gouvernement doit soumettre au Parlement, tous les cinq ans, une stratégie nationale de transition vers l’économie circulaire. Ce plan devra notamment inclure « un plan de programmation des ressources nécessaires aux principaux secteurs d’activités économiques qui permet d’identifier les potentiels de prévention de Orée, 2015, 52 pages. et du climat – Une approche flux et filières vers un écosystème territorial, l’utilisation de matières premières, Source : L’économie circulaire au service de la préservation des ressources primaires et secondaires, afin d’utiD’opérationnelle, l’économie circulaire économiques à l'échelle territoriale administrations de s'approvisionner en liser plus efficacement les ressources, devient juridique. pertinente dans le respect du principe papier recyclé à hauteur de 25 % à partir ainsi que les ressources stratégiques de proximité », est centrale dans l'éco- du 1er janvier 2017 et 40 % à partir du 1er en volume ou en valeur et de dégager nomie circulaire, notion large invitant janvier 2020, et de trier séparément leurs les actions nécessaires pour protéger l’économie française ». à repenser l'aménagement du territoire déchets. II- ENJEU JURIDIQUE DE Preuve de l'actualité de la notion, s'il en est, l'article 70 de la loi de transition énergétique du 17 août 2015 crée un nouvel article L 110-1-1 du Code de l'environnement portant définition de l’économie circulaire. La loi oppose l'économie circulaire à l'économie linéaire, qui était jusqu'à présent le modèle. Entre autres éléments, cette transition d'un modèle à un autre impliquera une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires, une hiérarchisation des modes de gestion des déchets par ordre de priorité (prévention de leur production, réutilisation, recyclage, valorisation), ainsi qu'une promotion de l'écologie industrielle et territoriale : « La transition vers une économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires ainsi que, par ordre de priorité, à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits, et, de manière profonde. De même, l'utilisation de matériaux issus de ressources naturelles renouvelables gérées durablement et provenant du recyclage, l'allongement de la durée du cycle de vie des produits, la prévention, la réduction ou le contrôle du rejet, du dégagement, de l'écoulement ou de l'émission des polluants et des substances toxiques, sont autant d'éléments intégrés dans la définition légale de l'économie circulaire, qui impliqueront de repenser différemment l'aménagement des territoires. Des mesures importantes tendant à réduire la production de déchets, et à réutiliser ou à recycler les déchets produits sont introduites par la loi. Sont ainsi prévus le réemploi ou l'orientation vers le recyclage à hauteur d'au moins 70 % des déchets produits sur les chantiers à l'horizon 2020, l'interdiction de la mise à disposition de sacs plastiques à usage unique par les grandes surfaces mais aussi par les petits commerçants à compter du 1er janvier 2016, l'interdiction des gobelets, verres et assiettes jetables de cuisine en matière plastique dès 2020, la lutte contre le gaspillage alimentaire, l’amélioration de la conception des etudesfoncieres.fr - #169 - Octobre / Novembre / Décembre 2015 PATRICIA SAVIN [email protected] AVOCATE ASSOCIÉE, DOCTEUR EN DROIT, DS AVOCATS Diplômée de l’Institut de Droit Public des Affaires (IDPA) du Barreau de Paris et de l’IHEDN (34e cycle de sensibilisation à l’intelligence économique et stratégique), Patricia Savin est Docteur en droit privé. Sa signature est respectée sur la place, tant au conseil qu’au contentieux, notamment chez les opérateurs privés de l’industrie, de la logistique et de l’immobilier. Elle préside l’association Orée, l’une des principales associations françaises multi-acteurs (entreprises/collectivités publiques) du développement durable et anime la Commission Environnement et Développement durable de l’Ordre des Avocats de Paris. Elle co-anime la commission Prévention des risques d’Afilog et participe régulièrement à des commissions interministérielles très structurantes du droit de l’environnement (à titre d’exemples, Commission Coppens sur la Charte constitutionnelle de l’environnement, Commission Taubira sur le préjudice écologique, Commission Hedary sur la modernisation du droit de l’environnement…). © DR L'ÉCONOMIE CIRCULAIRE 3