Michèle Jolé Université de Paris 12 Institut d’urbanisme <[email protected]> La sociologie urbaine à Strasbourg avec Henri Lefebvre Un apprentissage du difficile rapport de la théorie à l’action C L’université est une dame mûre qui se met lentement en mouvement et elle s’attarde souvent sur des questions formelles, très détachées de la pratique sociale : c’est seulement depuis peu que les problèmes d’urbanisme sont entrés à l’université, dans les départements de géographie, de sociologie et peut-être même de psychologie. Alors peu à peu se met en place un appareil universitaire qui pourrait avoir un rôle consultatif dans tous ces problèmes1 134 omment devient-on sociologue de « l’urbain » ? Tel aurait pu être le titre de cet article, car cette interrogation sera en effet le fil conducteur de notre témoignage et de notre réflexion sur la présence, l’enseignement et l’engagement d’Henri Lefebvre à Strasbourg, des années 1961 à 19662. C’est une manière de revenir à une période charnière pour la réflexion sur « la ville et l’urbain », riche de tensions, de renouvellement des politiques et des savoirs, à laquelle ce sociologue de la praxis participa pleinement et associa ses étudiants, dont j’ai été, durant toute cette période. Les « enseignements » d’Henri Lefebvre à Strasbourg n Faire des études de sociologie au début des années 1960, c’est s’inscrire dans une nouvelle « cohorte » de sociologues, « labellisés » par un diplôme spécifique : en effet, la licence de sociologie est créée en 1958, en même temps que la thèse de troisième cycle. C’est aussi participer à une aventure sociale et intellectuelle : ce parcours universitaire était alors moins rodé qu’une licence de lettres ou de géographie, plus traditionnellement choisie par les étudiants de cette génération. Les issues professionnelles étaient plus aléatoires, plus indéterminées. De plus, cette discipline avait la réputation d’être porteuse d’un savoir subversif3. Peu d’étudiants, à l’Université de Strasbourg, ont tenté l’aventure au début. Ce petit effectif renforça le sentiment d’appartenance à un groupe singulier, avec une place à part dans la maison savante qui se démarqua rapidement des disciplines voisines – institutionnellement et géographiquement parlant4 – comme la psychologie sociale ou même l’ethnologie, avec des clivages idéologiques forts, souvent sources de malentendus. À l’inverse, les étudiants en philosophie – dont certains participèrent plus tard à l’Internationale situationniste – y trouvèrent leur place. Michèle Jolé Cette position d’« à-côté » se renforce avec l’arrivée à l’Institut de sociologie en 1961 d’Henri Lefebvre, autour duquel va se créer un véritable cercle d’échanges d’idées et d’amitié, composé principalement de ses étudiants et d’auditeurs privilégiés des séminaires publics. Différents termes reviennent dans les propos des témoins interviewés : « le petit cercle des initiés », « le milieu proche», « la clientèle »5. En effet, Henri Lefebvre est nommé en 1961, grâce au soutien du philosophe Georges Güsdorf et « malgré son passé marxiste », professeur de « Morale et sociologie » dont il obtiendra la chaire deux années plus tard et qu’il conservera jusqu’en 1966. Cette nomination lui permet pour la première fois d’enseigner à l’université, après de longues années d’enseignement secondaire, de recherche au CNRS au Centre d’Étude Sociologiques – sans compter les nombreux métiers exercés par nécessité lors des suspensions diverses dont il avait été l’objet : « C’était quelqu’un qui adorait enseigner, et avoir retrouvé des gens à qui enseigner l’a rendu extrêmement heureux... ». Cette nomination est sans conteste la reconnaissance académique qu’il attendait. Elle correspond grossièrement au moment de la suspension du Parti communiste, qu’il quitte en 1958 et qui représente, pour reprendre ses termes dans La Somme et le Reste6, « une délivrance et le bonheur retrouvé … ; dégagé de la pression politique comme on sort d’un lieu d’étouffement, quelqu’un commence à vivre. Et à penser… ». La concomitance entre une conjoncture particulière de la vie personnelle et politique d’Henri Lefebvre et l’accession de la sociologie à un nouveau statut va favoriser, à Strasbourg, l’éclosion d’un milieu riche de débats, de controverses et, surtout, laisser la place à l’invention et l’innovation dans les programmes proposés pour la licence de sociologie. Il s’agira en effet, pour ce nouveau professeur, de poursuivre la mise en place d’un enseignement initié à Strasbourg dès 1958, selon les dispositions réglementaires, mais avec de grandes marges de manœuvre. C’est ainsi qu’il fit venir Abraham Moles, rencontré au Centre d’Études Socio- La sociologie urbaine à Strasbourg avec Henri Lefebvre logiques à Paris (et qui fit d’ailleurs sa carrière à Strasbourg) pour l’assister dans les enseignements de méthodes en sciences sociales. Henri Hatzfeld, déjà en place, assurait de son côté, un enseignement en sociologie du travail et de la religion7. Les cours qu’assura Henri Lefebvre étaient de deux types. Les uns s’adressaient aux étudiants de sociologie, de psychologie et de philosophie. Leur contenu changeait d’une année sur l’autre : « Le concept de réalité sociale : de Saint-Simon à aujourd’hui », « Musique et société », « Sociologie et histoire », « Problèmes de sociologie urbaine », « Langage et société ». D’autres cours, intégrés au certificat de sociologie, intitulés « Cours public » avaient lieu au Palais universitaire, chaque vendredi à 17 heures. Ils étaient fréquentés par une population très diversifiée (étudiants de toutes disciplines, intellectuels strasbourgeois), qui remplissait l’amphithéâtre (cela pouvait aller jusqu’à trois cent personnes). Là aussi, chaque année, le cours changea de thème : « Besoin, motivation, désir : champ d’une théorie des besoins sociaux », « L’aliénation humaine », « La vie quotidienne, connaissance et critique (sexualité et société) », « De Rabelais à Martin du Gard (les grands écrivains français considérés comme sociologues) ». Un autre « Cours public », donné dans le cadre de l’Institut d’Études Politiques (Faculté de Droit), et qui connut le même succès que les précédents, constitua un cycle de trois ans sur le marxisme : « Marx philosophe », « Marx sociologue » et « Marx économiste ». Ces cours étaient des quasi-événements et ont fait dire à certains qu’« il se passait quelque chose à Strasbourg ». Ces cours publics avaient d’ailleurs leur pendant à Paris (du moins dans leur forme et leur succès) à l’École pratique des Hautes Études8. La diversité des enseignements proposés en un si court laps de temps témoigne des multiples intérêts que pouvait avoir Henri Lefebvre et des nouveaux chantiers qu’il ouvrait ou qu’il continuait à explorer. Preuve, s’il en est, de son goût pour la transdisciplinarité que la sociologie nouvellement instituée permettait d’exercer sans doute plus que les autres. Elle symbolisera et cristallisera, aussi, pendant un certain temps, le devoir de critique radicale des sciences sociales. Preuve aussi que ce penseur est inclassable comme il le dit lui-même, « ni philosophe, ni spécialiste de telle ou telle discipline… », même si ces explorations diverses ont pour dénominateur commun sa pensée marxiste, très centrée à ce moment-là sur l’aliénation et la « vie quotidienne colonisée ». Penser l’urbain : entre enseignement, théorie et action n L’hypothèse du présent article est que la sociologie urbaine va avoir, dans la pensée et la pratique d’Henri Lefebvre, un statut particulier pendant une dizaine d’années, et que Strasbourg en est un des chaînons, souvent peu connu dans l’histoire qu’on élabore de cette sous-discipline9. C’est là en effet qu’il formalise son premier enseignement sur la « problématique urbaine » à laquelle il réfléchit depuis quelques années. Mais l’originalité de cet enseignement, somme toute bref dans la durée, est à la fois de s’inscrire dans une actualité pressante et de s’ouvrir sur des expériences de terrain, en l’occurrence Strasbourg, qui mettront les étudiants au cœur des questionnements sur les politiques urbaines nationales et locales. Les jeunes étudiants, tentés initialement de préférer la sociologie rurale ou la sociologie du travail, plus familières, moins énigmatiques, furent assez vite convaincus de la possible conversion et empruntèrent pour certains, comme nous-même, une voie qu’ils ne quittèrent plus. Il serait abusif de parler d’« École de Strasbourg », mais il est certain que cette ville, parmi d’autres certes, devint un laboratoire d’expérimentation sur la place de la sociologie dans l’action urbaine, largement initié par Henri Lefebvre et ses relais nationaux. Nous avons peu de traces formelles des deux cours de sociologie urbaine : nous ne disposons que de souvenirs, les nôtres ou ceux d’autres anciens qui par définition restent fragmentaires. Il 135 nous a semblé plus opportun de nous appuyer sur les écrits de cette époque pour cerner le cœur de notre propos. La plupart des écrits qui nous intéressent ici sont rassemblés dans Du rural à l’urbain (1970)10. On peut également trouver d’autres éléments de réflexion dans Fondements d’une sociologie de la vie quotidienne (1962), La Proclamation de la Commune : 26 mars 1871, commencée dès 1960 et publiée en 1965, et Le langage et la société (1966)11. Cet ensemble d’écrits et de témoignages atteste des évolutions et des tâtonnements, voire des contradictions ou tout au moins des tensions d’une pensée qui se cherchait, qui se radicalisera progressivement pour aboutir à son premier livre sur la ville, Le droit à la ville (1968). C’est effectivement l’interprétation que nous en faisons pour comprendre le rôle de ce sociologue dans la période étudiée – plus complexe que la lecture qui en est faite traditionnellement – et notamment sa participation à un groupe de travail, « Sociologie et urbanisme », organisé et financé par le Ministère de la Construction, auquel il associera des étudiants et qui aboutira, en pleine explosion de mai 68, au Colloque de Royaumont. Nous y reviendrons. On assiste en effet comme à une mise en tension entre désir d’action, nécessité de se rapprocher des milieux professionnels de l’urbanisme, d’une part, et critique radicale d’une réalité sociale en cours de restructuration, d’autre part. Ces deux démarches sont moins exclusives l’une de l’autre que dans la pensée sur la ville des situationnistes, qu’il fréquentera un certain temps, y compris à Strasbourg12. Henri Lefebvre a toujours été préoccupé par le désir de « changer les choses » et son intérêt pour l’urbanisme, pour en comprendre le fonctionnement, le sens et les enjeux, procède à la fois d’une démarche critique, mais également pragmatique, à savoir tenter d’infléchir les modes cognitifs et techniques des approches professionnelles. On peut en dire autant de son rapport à la sociologie, dans laquelle il mit beaucoup d’espoirs, dans la mesure où elle permettait de concilier une démarche empirique et une approche théorique et conceptuelle de la ville, de « l’urbain » – qu’il construit précisément en concept – et de l’urbanisme. Ce long cheminement, on le sait et on l’a dit, aboutira à des prises de position radicales, « révolutionnaires » sur l’urbain : il systématisera sa pensée sur Henri Lefèbvre 136 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » la ville « comme espace social, produit social et rapport social inhérents aux rapports de propriété et aux formes productives »13 dans l’ouvrage La production de l’espace. Il en est de même de l’urbanisme : en effet, dans un article de 1967, « Mythes et réalités de l’urbanisme », Henri Lefebvre, s’adressant à des urbanistes comme Michel Écochard par exemple, affirme que « le problème urbain est un problème révolutionnaire, qui met en question les structures de la société existante ; l’urbanisme est une idéologie... ». Les constatations décevantes de la réalité ne l’ont pas aidé à garder son optimisme de départ : « Or, ici se reconnaît le trajet d’une pensée menacée, presque brisée parfois. Non sans mal, elle le fraie, puisant sa force dans une sorte d’optimisme tragique » (Préface de Du rural à l’urbain). Ces prises de position ont occulté d’une certaine manière la période de cheminement et d’interrogations qui nous intéresse à double titre aujourd’hui : elle est en effet comme un miroir pour réfléchir à nos propres interrogations d’apprentie de l’époque, mais garde aussi une pertinence pour les questions qui se posent aujourd’hui sur les relations entre étude et recherche, sur l’objet même de l’urbain, sur la pertinence de la sociologie, etc. Du rural à l’urbain mérite une attention particulière pour comprendre cette gestation, ambivalente voire contradictoire. En effet, ce livre, qui reprend des textes de 1949 à 1969, est un ensemble d’écrits sur le rural, puis l’urbain, sur la vie quotidienne, sur la civilisation urbaine. On y trouve aussi des écrits polémiques sur l’urbanisme fonctionnaliste, les grands ensembles, la disparition de la rue, ce que pourrait être un « nouvel urbanisme »14... L’intérêt de ce livre est sans doute le mélange des genres : apport de connaissances empiriques et critiques, apport épistémologique, apport de réflexion sur les pratiques professionnelles en cours. Mélange étrange, riche, « inclassable », dira-t-il, « qui n’est pas sans décalages, sans flottements, sans incertitudes ». La préface explicite le cheminement de sa pensée, les étapes de « ce long trajet, de vingt ans : l’entrée de la France dans la modernité ». Sa pensée sur l’urbain Michèle Jolé s’inscrit au départ, comme celle sur le monde rural, dans une pensée marxiste, qu’il entend, « non pas comme un modèle définitif de pensée et d’action, mais comme une voie, celle de la réalisation de la philosophie à travers sa critique radicale ». Sa sociologie est envisagée comme « l’étude de la pratique sociale et de la quotidienneté ». La vie quotidienne est en effet pour lui le lieu du changement par excellence (autant que celui de la production), où « les besoins sont programmés, mais aussi matière et résidus échappant aux puissances et aux formes qui imposent leur modèle » : un quotidien par excellence ambigu. « Donc la vie quotidienne sert le déploiement du monde de la marchandise et du monde de l’État, mais, – et c’est l’étape essentielle pour nous –, la société dans son ensemble se transforme et d’industrielle devient urbaine ». S’il y a bifurcation, dit-il, dans son parcours du rural à l’urbain, du monde de la production à celui de la consommation, à celui de la vie quotidienne, c’est qu’il y a « un objet nouveau, une modification dans la pratique ». L’urbanisation l’emporte dans la problématique – avant de l’emporter dans l’élaboration des concepts. La ville, son éclatement, « une prolifération démesurée de ce qui fut jadis la ville », la société urbaine et l’« urbain », superposent leurs contradictions (intégration et ségrégation, formes de centralité) à celles de l’ère industrielle et de l’ère agricole. Deux articles de la Revue française de sociologie sur « Les nouveaux ensembles urbains : un cas concret, LacqMourenx et les problèmes urbains de la classe ouvrière » (1960)15 et « Utopie expérimentale : pour un nouvel urbanisme » (1961)16, que d’autres articles complèteront progressivement, sont les points de départ et posent les soubassements de la pensée d’Henri Lefebvre sur l’urbain. Ils traitent des deux volets, à son avis complémentaires, d’une interrogation sur le devenir de nos sociétés, à travers son symptôme le plus nouveau et le plus traumatisant : « la ville nouvelle », « le grand ensemble », dont la référence géographique initiale est Lacq-Mourenx, ville implantée en pleine campagne, dans une région presque sous-développée, La sociologie urbaine à Strasbourg avec Henri Lefebvre à partir d’un plan-masse, décidée par l’État et, de ce point de vue, « un véritable laboratoire social ». Dans ces deux articles, Henri Lefebvre argumente sur la nécessité d’une double orientation de la recherche et de l’action : comprendre ces nouveaux espaces sociaux, en quoi ils s’opposent à ceux des villes historiques, « spontanées » et simultanément comprendre – en faire une critique si nécessaire – ces nouvelles démarches de l’urbanisme, qui consistent à créer des villes ex nihilo et tenter d’en proposer de plus pertinentes, d’où sa notion de « nouvel urbanisme ». Et l’urbanisme alors ? n Henri Lefebvre fait l’effort, au-delà des constats d’échec de l’urbanisme fonctionnaliste, d’analyser la pensée programmatique qui caractérise ce dernier et de ne pas se contenter d’en déplorer les effets, notamment dans les grands ensembles : « À nous de dégager la signification de cette énorme expérience négative ». Il renvoie ainsi dos-àdos ceux qui sont pour et ceux qui sont contre les grands ensembles. Une pensée programmatique, selon lui, doit éviter deux écueils, la simple constatation empirique et la construction à priori d’une cité idéale. La méthode doit passer entre le pur « practicisme » et la théorisation pure. En effet, pour lui, la pensée programmatique opère sur des objets virtuels et les confronte à l’expérience parce qu’elle veut faire entrer l’objet imaginé dans la pratique. Ce jeu entre une problématique donnée dans le réel et une exploration du possible avec l’aide de l’imaginaire est au cœur du nouvel urbanisme, qu’il appellera par ailleurs « urbanisme expérimental », méthode de la transduction ou utopisme. La pensée programmatique des grands ensembles n’a pas su tenir les deux bouts, pourrions-nous dire, car elle s’est fondée principalement sur « l’intelligence analytique » : « le fonctionnalisme, malgré ses mérites, et l’intelligence analytique hypertrophiée stoppaient l’imaginaire ». Henri Lefebvre ne conteste pas son efficacité, il l’envisage même comme une étape nécessaire de la connaissance, mais il s’interroge sur l’usage abusif qui en a été fait en la poussant à ses plus extrêmes conséquences, et sur son dépassement : « le temps est venu de contester la prédominance de la pensée analytique… Avant de pouvoir créer du réel, nous passons par la dissection, l’anatomie, en un mot, par l’analyse. Ensuite, seulement, nous prenons en charge une exigence des plus hautes… N’est-il pas possible de décrire les fonctions, de les classer, de les hiérarchiser, tout en cherchant à atteindre par ce biais ce qui a disparu momentanément, la spontanéité vitale ? En d’autres termes, l’analyse des fonctions étudiées en acte dans les grands ensembles, leur description et leur classement, devraient permettre de reconstituer patiemment les liaisons et les connexions, c’est-à-dire reconstituer le vivant ». Ce travail de synthèse exige un travail de clarification conceptuelle : hiérarchisation de l’unifonctionnel, du multi-fonctionnel et du trans-fonctionnel (esthétique, symbolique et ludique), distinction entre forme, structure, fonction. La pensée de cette « nouvelle démarche » contient, de façon récurrente, des propositions d’action sur des lieux stratégiques, sociaux et spatiaux, à réhabiliter pour leur dimension symbolique, signifiante et ludique : la rue, le monument, le café. Par exemple, la rue est un thème très fréquent, y compris dans La vie quotidienne dans le monde moderne17. Il en prend vigoureusement la défense : la rue pour lui est un élément fondamental et original de la ville moderne, elle est le « microcosme de la vie moderne », plus que les monuments et leurs significations. La rue, lieu de passage, de circulation, est aussi le « monde des objets », de la marchandise : « ici, dans cette oeuvre involontaire, la rue, s’accomplit la beauté propre à notre société ». La rue a une valeur sociale comme « théâtre spontané, terrain de jeux, lieu de rencontres, de sollicitations, avec une dimension esthétique et symbolique ; la rue est importante, intéressante pour les gens en tant qu’émetteurs d’informations ; elle a enfin un caractère ludique, une dimension poétique en ce qu’elle est le lieu de l’imprévu, de la surprise, du 137 plaisir du jeu perpétuel, du spectacle dramatique… ». Cette démarche réaliste, conceptuelle et imaginaire, suppose des compétences spécifiques qu’Henri Lefebvre reconnaît à la sociologie et aux sociologues. La sociologie et le sociologue ont une place stratégique dans ce dispositif. La sociologie et le sociologue au centre de la question urbaine ?n En effet, ce qui frappe à la lecture de ces différents textes, c’est la place que donne Henri Lefebvre à la sociologie face à la question de l’urbain. Il est clair pour lui que le renouvellement de la pensée sur ces questions passe par elle. Il n’en exclut ni les géographes, ni les historiens, ni les économistes, mais la sociologie, de par ses propriétés, à la fois compréhension théorique du social et exploration empirique, est la plus apte pour cette urgente mission. On l’a déjà dit – mais c’est pour nous une des découvertes de cette recherche –, si l’on pousse le raisonnement, Henri Lefebvre est venu à la sociologie pour traiter ces questions urbaines qui lui paraissent définir le devenir du monde social. L’usage de l’expression, « le » sociologue, dit bien l’espérance en ce nouvel acteur, que lui et tous les intéressés « substantialisent » : cette affirmation relève quasiment de la croyance. Pour lui, le sociologue doit être un interlocuteur des acteurs de l’urbanisme, principalement des techniciens, architectes, ingénieurs, nationaux et si possible, locaux (ce que lui-même a tenté de faire à plusieurs reprises comme nous le verrons). Le sociologue de la ville est à la fois un savant, un humaniste-utopiste, un homme de terrain, un médiateur : « il ne participe pas aux décisions, c’est regrettable, mais il peut agir en amont… Ce qui le caractérise par rapport à un chercheur traditionnel, académique, c’est que sa recherche doit devenir efficiente, pratique, opérationnelle, en ce qu’elle implique un objet virtuel, une possibilité et donc une notion de valeur, un jugement préférentiel »18. Il n’en reste pas là et il tentera de définir la demande qu’on peut lui adresser. Il distingue clairement trois apports possibles, de différents ordres : – Un apport de connaissance scientifique et conceptuelle. L’apport de la sociologie à l’urbanisme, dit-il, peut être considérable dans des champs divers : la vie urbaine, les relations de voisinage, la notion de quartier, la fonction symbolique et ludique de la rue, l’emploi du temps, les besoins sociaux… Ces apports de connaissance plutôt empirique doivent s’accompagner d’une réflexion théorique et critique sur les phénomènes étudiés. Un travail de conceptualisation que luimême a entamé et qu’il va poursuivre ultérieurement doit porter sur la ville et l’urbain, sur la ville comme totalité, sur les notions de forme, de structure, et de fonction, sur la vie quotidienne et l’aliénation, sur « l’habiter » (à distinguer de l’habitat), sur la ville comme espace/temps. – Un apport d’imaginaire, ou plutôt une libération de l’imaginaire, de l’utopie : « Le sociologue de la ville, d’une part, creuse, approfondit scientifiquement le concept de ville et d’autre part libère l’imagination et se lance délibérément dans l’utopie pour construire l’image de la ville possible, des villes possibles. Le travail conceptuel va avec la libération de l’imaginaire ». – Un apport de médiation. Le sociologue est de fait un porte-parole, par sa présence sur le terrain et ses modes de travail. Le sociologue ne semble pas pour autant avoir à jouer un rôle particulier de médiateur actif dans la participation des habitants. La participation « doit être une intervention active et perpétuelle des intéressés », à partir de comités d’usagers à la base qui auraient une existence permanente, voire seraient inscrits dans un nouveau droit de l’urbanisme. Sans cette structure, la participation est un mythe : « l’important me semble être l’intervention des intéressés, dans le sens d’une autogestion à l’échelle des communautés locales urbaines, pour dire ce qu’ils pensent, veulent, désirent ». Par contre, le sociologue, qui, par nature, a comme objet de recherche le social et donc ses acteurs, a un 138 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » rôle d’intermédiaire à jouer entre les populations étudiées et les urbanistes : « Tant qu’ils ne donneront pas un compte-rendu perpétuel de leur expérience de l’habiter à ceux qui s’estiment des experts, il nous manquera une donnée essentielle pour la résolution du problème urbain. L’État malheureusement tend toujours à se passer de l’intervention des intéressés… ». On le comprend, la position du sociologue, dans cette double triangulation, théorie, médiation et imaginaire d’une part, et urbanistes, sociologues et usagers de l’autre, est porteuse d’ambiguïtés. Comment tenir cette position, dont la construction se fonde sur une posture critique ? Est-elle tenable ? Les ancrages institutionnels, Université ou CNRS, bureau d’étude, structure opérationnelle d’urbanisme ou d’aménagement, suffisent-ils à la clarifier ? Que signifie avoir « un rôle consultatif » ? Quelle est la place du militantisme dans ces définitions ? Urbanistes et sociologues : l’expérience d’un champ de tension n À Strasbourg, comme à Paris en parallèle, Henri Lefebvre va se faire le passeur entre étudiants, thésards ou jeunes chercheurs et le milieu de la commande publique d’études de sociologie urbaine19. Il n’y eut cependant pas à Strasbourg l’équivalent de l’ISU, Institut de Sociologie Urbaine, association créée à Paris en 1963 par quelques chercheurs – dont Monique Cornaert, Nicole Haumont, Henri Raymond et présidée par Henri Lefebvre – pour recevoir et gérer les contrats d’étude. À Strasbourg en effet, les contrats d’études qu’il apportait et supervisait se géraient ponctuellement, dans le cadre des corporations d’étudiants en sociologie et en géographie. Elles étaient de diverse importance, mais toutes furent une étape de leur formation. L’expérience la plus riche fut la participation à une « étude-recherche », lancée par le Ministère de la Construction en 1964, sous la direc- Michèle Jolé tion de Jean-Paul Trystram, professeur de sociologie à l’Université de Lille et Françoise Dissard, urbaniste à la DAFU (Direction de l’aménagement, du foncier et de l’urbanisme du Ministère de l’Équipement), sous le nom de « Sociologie et urbanisme ». Cette commande avait pour objectif principal « d’instaurer un dialogue entre urbanistes et sociologues, pour retrouver une finalité culturelle et sociale à l’aménagement ». Une équipe, créée autour d’Henri Lefebvre, fut le partenaire pour Strasbourg d’un réseau qui associait des universitaires et des urbanistes de plusieurs villes de province : Toulouse (Raymond Ledrut), Aix-enProvence (Georges Granai), Montpellier, Bordeaux (François Bourricaud), Le Havre. Cette recherche, qui s’étend de 1963 à 1967, se trouve de ce fait, à cheval sur deux ministères, celui de la Construction, puis celui de l’Équipement. Cette inscription dans un moment charnière de redéfinition de la politique urbaine d’avant 1968 la charge de sens : l’ambivalence dont elle est porteuse devient l’objet même de la démarche et le moteur, la condition d’une réflexibilité partagée et publicisée : un numéro spécial d’Urbanisme, « Sociologie urbaine », y est consacré20. C’est sans doute ce qui fait aussi son originalité et son intérêt. La commande publique s’affirme et la réponse se radicalise. Les termes de la commande sont intéressants en ce qu’ils se font l’écho des écrits d’Henri Lefebvre : « L’aménagement de l’espace humain n’est pas le seul fait des techniciens : il suppose des choix politiques et concerne le citoyen : il fait appel à une grande diversité de techniques et de disciplines... L’oeuvre urbanistique est affaire d’une équipe, à laquelle participent l’architecte, l’économiste, l’agronome, l’administrateur, l’ingénieur, le sociologue, car l’urbanisme consiste à offrir un cadre à une société urbaine ». De plus, le sociologue, selon l’éditorial, doit éviter de se limiter au constat des réalisations, des réussites ou des échecs ou à l’analyse des situations qui portent le poids des années... La sociologie urbaine doit être imaginative et prospective, en s’attachant à « la défi- La sociologie urbaine à Strasbourg avec Henri Lefebvre nition des besoins des hommes de la prochaine génération ». Épreuves et bénéfices des apprentis n L’expérience de Strasbourg fut à double détente, et en cela elle fut assez exemplaire de l’esprit de la recherche. Tout d’abord, celle-ci démarra sur des thèmes fixés par la commande, en collaboration cependant, comme cela était recommandé, avec le bureau d’urbanisme et son architecte en chef, Pierre Vivien. Cette collaboration se poursuivit grâce à une étude initiée, commandée et financée par nos interlocuteurs qui souhaitaient prolonger cette expérience pluridisciplinaire dans le cadre d’un travail en cours : la conception de la ZUP¨de Hautepierre, décidée en prolongation du plan d’urbanisme directeur qu’il avait élaboré avec son équipe entre 1959 et 1963 et pour lequel il avait été choisi par le maire, Pierre Pflimlin, élu en 195921. Les recherches par ailleurs étaient elles-mêmes caractéristiques de cette double commande : produire de la connaissance et s’associer au travail des urbanistes. Un premier travail fut effectué sur la croissance et le développement de Strasbourg, ses fonctions de métropole régionale, sur les acteurs, privés et publics, leurs pouvoirs, les modalités et les circuits de décision, à savoir le conseil municipal, les « grands groupes économiques », la Chambre de commerce et d’industrie, les Sociétés d’Économie Mixte, le Port autonome, etc. et la population. Cette analyse partait de l’hypothèse explicite chez les commanditaires : pour exister, une véritable société urbaine doit être consciente d’elle-même et des modes de sa propre croissance : « l’urbanisme n’est pas seulement la mise en place d’un espace organisé, mais l’expression d’une société consciente de son dynamisme. Cela supposerait donc que tous les groupes sociaux participent à son élaboration ». Il va de soi que cette hypothèse était plus de type prescriptif que théorique. Cette étude aboutit à des conclusions aujourd’hui connues et somme toute banales : peu d’intérêt des groupes économiques pour l’urbanisme, peu de poids du conseil municipal dans les décisions, grande dépendance vis à vis de l’État, peu de participation de la population. Mais plus intéressante pour notre propos est l’étude complémentaire que nous avons menée dans ce même cadre, et à laquelle j’ai participé, sur le rôle de la population dans les décisions d’urbanisme (description des circuits de l’information et des représentations par la presse et le conseil municipal de leur rôle et analyse du rôle des associations), et cela pour différentes raisons. En effet, personne n’était dupe du caractère idéologique de cette démarche de participation, mais la phase d’analyse était considérée comme une étape dans la recherche des conditions d’une politique qui viserait à la promouvoir. D’autre part, elle témoigne également des difficultés pour les jeunes sociologues-apprentis dont je faisais partie de tenir, à cette époque, une double position : celle inscrite dans un désir de compréhension globale et de distance critique, et celle engagée dans une collaboration avec des professionnels de l’urbanisme. En effet, un second travail consista à expérimenter une collaboration en direct avec les urbanistes. Travail qui avait valeur de test de la mise en œuvre de l’interdisciplinarité et de la participation de la population. L’étude commandée et financée par nos interlocuteurs locaux qui souhaitaient prolonger cette expérience pluridisciplinaire dans le cadre du projet de ZUP à Hautepierre paraissait un peu pionnière, dans la mesure où l’urbaniste, pour éviter « une démarche technocratique », demandait l’aide de sociologues et poursuivait ainsi la collaboration engagée. Cette enquête restait cependant modeste. Elle devait permettre, pour reprendre les termes de l’époque, d’apprécier les écarts existants entre les « aspirations » et les propositions, d’une part, et le « degré d’information de la population sur le projet », d’autre part. Il va sans dire que les déceptions furent partagées, au point qu’une réflexion fut entamée entre les protagonistes sur les modalités, les mérites et les limites de la collaboration : Aymeric Zublena, l’architecte concepteur de la ZUP de Hau139 tepierre, évoque lors d’une interview par René Tabouret cette expérience dans ces termes : « Pierre Vivien a été demander conseil, un jour, à Henri Lefebvre qui présentait à l’époque les notions de sociologie urbaine. Celui-ci nous a délégué une élève à lui, mais sans résultats probants, car nous ne savions comment intégrer dans notre projet ces données-là »22. L’analyse de cette expérience peut se lire à travers une catégorisation que nous empruntons à Jean-Paul Trystram lui-même : d’un côté, les jeunes sociologues-urbanistes, qui se piquent au jeu des équipes pluridisciplinaires, et de l’autre, les sociologues-conseils, « extérieurs à la finalité de l’institution, situés au niveau conceptuel le plus haut ». Ces tandems opéraient une division du travail qui disait bien les difficultés des nouvelles missions en train de se définir : recherche théorique et critique, étude « appliquée », assistance à la décision. D’ailleurs, ces jeunes chercheurs qui, pour certains, vont intégrer progressivement les nouvelles structures que leur offre l’État (OREAM, Agences d’urbanisme, GEP, IAURP…23) ne seront pas forcément gagnés à la cause de celui-ci. Ils vont vivre certains des tiraillements décrits ci-dessus : « de nouvelles pratiques se forment à mi-chemin de la connaissance et de l’action ou plutôt dans la tension tant avec le monde académique qu’avec le monde politique ». Parallèlement, pour poursuivre le propos développé par Viviane Claude24, l’appareil d’État, qui se dote d’une expertise comme jamais elle ne l’a fait auparavant, va se trouver pris au piège et au cœur de questionnements qui vont le fragiliser. En effet, les tensions concernent autant le milieu de la sociologie urbaine, qui poursuit sa structuration, que l’appareil d’État. Conclusion n Revenir sur cette initiation, c’est une façon, certes modeste, d’assouplir les interprétations qui ont eu cours pendant longtemps, à propos de la sociologie urbaine, de son histoire, de son rapport à la commande publique et de la place d’Henri Lefebvre. La réduction qu’a opérée Michel Amiot de la sociologie urbaine à la sociologie des planificateurs lui a permis, comme l’indique Maurice Blanc, d’ignorer Henri Lefebvre, Raymond Ledrut et d’autres, plus obscurs25. Rappelons qu’en 1968 paraissaient deux livres importants pour la sociologie urbaine, Le Droit à la ville d’Henri Lefebvre et La sociologie urbaine de Raymond Ledrut. De fait, cette période est plus féconde, en production à la fois intellectuelle et opérationnelle, que ne le laissent entrevoir les divers travaux qui portent sur elle. C’est tenter également de rendre compte d’une période de tension forte, et de ce point de vue exemplaire, où se redéfinissaient conjointement les doctrines et les pratiques de l’urbanisme, le rôle de l’État, le rôle des études et des sciences sociales, y compris de l’Université, les métiers et les compétences. C’est remettre en perspective les préoccupations actuelles sur la démocratie participative en urbanisme et le rôle que les sciences sociales pourraient y jouer. Les termes politiques et sociaux ne sont plus les mêmes, mais l’exigence de l’attention aux êtres ne change pas. On a beaucoup dit qu’Henri Lefebvre était plus un « éveilleur d’idées » qu’« un formateur ». Avec le recul, nous serions tentée dire que les deux ne sont pas inconciliables à condition de préciser ce que signifie former. Confier à de tout jeunes étudiants des études et des recherches était un acte pédagogique. Sans doute ce pacte de confiance faisait-il partie de la théorie des « possibles », fondement même de sa pensée. Mais le plus formateur pour nous, sans doute, est d’avoir été au contact d’une personnalité qui, dans son enseignement, dans le milieu qu’il avait créé autour de lui, dans sa façon de penser, de vivre, de voyager, de s’engager, donnait du sens à un autre concept-clef de sa pensée, la poiësis, « acte de création, dont la restitution dans la quotidienneté serait une métamorphose, et une métamorphose révolutionnaire »26. 140 Revue des Sciences Sociales, 2008, n° 40, « Strasbourg, carrefour des sociologies » Notes 1. Henri Lefebvre, L’urbanisme aujourd’hui : mythes et réalités, in Du rural à l’urbain, Anthropos, 1970. 2. Voir Michèle Jolé, Henri Lefebvre à Strasbourg, Urbanisme, n° 319, 2001. 3. En rupture pour ma part avec la douceur conformiste d’une petite ville de province de l’Est de la France et de ma propre culture familiale. 4. La localisation du département de sociologie dans une villa bourgeoise, un peu décadente, aujourd’hui détruite, dans la rue Goethe, adjacente au Palais Universitaire, renforçait ce sentiment de singularité : la marge physique confirmait la marge sociale dont les étudiants se réclamaient. 5. Nous nous appuyons en partie sur les témoignages recueillis auprès des anciens étudiants de Strasbourg et sur des documents d’archives retrouvés à la Bibliothèque nationale de Strasbourg et dans le département de sociologie qui avait nourri le premier travail publié dans Urbanisme. n° 319. 6. Henri Lefebvre, La Somme et le Reste, Paris, Bélibaste, 1973. 7. Nous ne voudrions pas à notre tour faire preuve d’amnésie. Abraham Moles a eu une place importante dans notre formation de sociologues, en particulier en ce qui concerne l’enseignement sur les méthodes en sciences sociales. Il est sûr aussi que la radicalisation des positions des situationnistes, très actifs dans la vie étudiante strasbourgeoise, a marginalisé son enseignement et ses apports, alors qu’à contre-courant et malgré ses ouvertures à la cybernétique, il tentait d’initier les étudiants à la sociologie interactionniste méconnue en France. 8. Professeur-navette pendant les deux premières années de son enseignement à Strasbourg, il s’installe dans cette ville jusqu’à sa nomination à Nanterre. 9. Y compris dans sa tentative d‘amener à la reconnaissance ce champ de savoir et d’action dans le milieu professionnel de l’urbanisme. 10.Textes rassemblés par Mario Gaviria, luimême étudiant à l’Institut de sociologie de Strasbourg et publiés en 1970. 11.Henri Lefebvre tenait à l’amitié qu’il avait avec Roland Barthes, béarnais comme lui-même, qu’il mentionne dans un des articles du recueil Du rural à l’urbain. Nous même avons suivi une fois à Paris, sur les conseils d’Henri Lefebvre, mais aussi par goût personnel de la littérature, le séminaire S/Z que donnait Roland Barthes à l’EHESS, et notre première tentative de thèse ancienne formule portait sur la lecture sémiologique d’une ville. Michèle Jolé 12.Nous ne reconstituerons pas ici l’histoire des rapports entre les situationnistes et Henri Lefebvre. Rappelons simplement quelques faits. La ville et l‘urbain ont été un des objets de débat entre eux. Guy Debord et Henri Lefebvre s’étaient rencontrés en 1958 à Paris. Les écrits des situationnistes sur la ville et l’urbanisme et ceux d’Henri Lefebvre couvrent à peu près la même période. C’est d’ailleurs l’écrit d’Henri Lefebvre sur la Commune de Paris et son hypothèse sur la Fête qui a été l’occasion pour eux de rompre avec lui (voir L’Internationale Situationniste n° 9, 1965). Les situationnistes de Strasbourg comme Théo Frey, Jean Paul Garnaud, et Mustafa Khayati ont été en effet ses étudiants. Ce sont eux qui, plus tard, ont été les acteurs de la première manifestation publique situationniste en novembre 1966, avec la publication du pamphlet de la Misère en milieu étudiant et la prise de pouvoir surprise au sein de l’Association générale des étudiants de Strasbourg. Henri Lefebvre n’était plus à Strasbourg à ce moment-là. 13.Maïté Clavel, La ville comme oeuvre, Urbanisme n° 319, 2001. 14.Ce texte date de 1961 : dans la préface du recueil qui date de 1969, Henri Lefebvre dit à son propos : « il ne serait plus question aujourd’hui de rêver en proposant un nouvel urbanisme ; ce serait plutôt d’aller La sociologie urbaine à Strasbourg avec Henri Lefebvre jusqu’au bout de la critique radicale des projets dits urbanistiques… ». 15.Revue française de sociologie, I, n° 2. 16.Regroupés dans Du rural à l’urbain, Paris, Anthropos, 1970. 17.Henri Lefebvre, La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, Gallimard, Idées, 1968. 18.Henri Lefebvre, Les nouveaux ensembles urbains, 1960 in Du rural à l’urbain. 19.Après avoir déjà été saisie par Paul Chombart de Lauwe et son équipe qui, d’une certaine façon, restaient le concurrent objectif d’Henri Lefebvre dans la structuration de ce nouveau milieu, par ailleurs enrichi de celui qui s’organisait en géographie autour de Pierre Georges, Michel Rochefort, Henri Nonn, Jean Tricart. 20.Urbanisme n° 93, 1966. 21.Pierre Pflimlin, dès le début de son mandat, décide de lancer la procédure de création d’un plan d’urbanisme directeur, prévue par les décrets de 1958. Il s’adresse pour cela à Pierre Randet, le directeur de l’aménagement du territoire (qui deviendra DAFU) du Ministère de la Construction pour le mettre en contact avec un archietcte-urbaniste parisien, qui sera Pierre Vivien, architecte en chef des bâtiments civils des palais nationaux, nommé membre de la Commission nationale des plans d’urbanisme en 1960. À son arrivée à Strasbourg , Pierre Vivien, à qui on confie le PUD, puis la ZUP de Hautepierre, demande au maire de remplacer le service de l’architecture existant par un bureau d’urbanisme à la tête duquel il place Jean Dick, architecte-urbaniste parisien, qui exercera cette fonction jusqu’en 1969. Pierre Vivien gardera son poste de conseiller jusqu’en 1968. Les deux ont reçu une formation en urbanisme à l’Institut d’urbanisme de Paris. 22.R. Tabouret et I. Mallet, L’urbanisme à Strasbourg : l’intervention de P. Vivien, 1959-65, Bureau de la recherche architecturale, Ministère de l’Équipement, 1989. 23.OREAM : Organisation régionale d’étude d’aménagement d’aire métropolitaine. GEP : Groupe d’études et de programmation (dans les DDE, Direction départementale de l’équipement). IAURP : Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (devenu IAURIF). 24.Viviane Claude, Faire la ville. Les métiers de l’urbanisme au XXe siècle, Marseille, Parenthèses, 2006. 25.Maurice Blanc, Commande publique et sociologie urbaine, Espaces et sociétés, n°48-49, 1987. Michel Amiot, Contre l’État, les sociologues, Paris, Éd. des Hautes Etudes en Sciences sociales, 1986. 26.H. Lefebvre, L’homme moderne et la quotidienneté, Polycopié, Corporation des étudiants de philosophie, psychologie et sociologie, 1963/1964, Strasbourg. 141