LA FEUILLE ROUGE -
Comité de rédaction : E. Molva, J. Planès, H. Ulmer-Tufgo (DIR), P. Dalmas de Réotier (SPSMS), L. Dubois (SCIB), N. Luchier (SBT),
S. Lyonnard (SPRAM), G. Prenat (SPINTEC), P. Warin (SP2M) - Mise en page : M. Benini (DIR) tél. 04 38 78 36 33
INSTITUT NANOSCIENCES ET CRYOGÉNIE
Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives - Direction des Sciences de la Matière - Centre de Grenoble
Nous utilisons une méthode combinatoire
évitant la préparation de nombreuses molécules
différentes comme il est fait classiquement pour
les langues électroniques. Nous utilisons seule-
ment deux petites molécules (Fig. 1), que nous
mélangeons avec des proportions variables.
Imaginons par exemple que l’on fabrique onze
de ces mélanges (typiquement le premier avec
10% de molécule 1 et 90% de molécule 2, etc.)
Des gouttes de chacune de ces onze solutions
sont déposées sur un substrat. Elles créent ainsi
un réseau de plots ou capteurs par auto-assem-
blage des molécules en monocouche.
Profils et paysages
Les récepteurs combinatoires ne sont
pas spécifiques d’une cible particulière (au
contraire des biopuces classiques à ADN).
La langue artificielle produit en contact avec
un liquide à « goûter », un ensemble de onze
signaux qui constitue la signature (le goût) du
produit testé. On obtient ainsi un « profil 2D ou
3D » caractéristique (Fig. 2). Par exemple, nous
avons pu avec cette langue et ses onze plots
distinguer des chimiokines de structures très
voisines. Si plusieurs protéines sont présentes
simultanément dans le produit à tester, le
«goût» du mélange peut être décomposé en ses
composantes individuelles et chaque protéine
reconnue. Pour l’instant nous avons obtenu
avec succès la signature du vin, du lait, de la
bière. Nous avons aussi suivi le vieillissement
de certains produits comme le lait.
Nous avons vu que deux molécules pro-
duisent onze récepteurs combinatoires pour
onze signaux. En passant de 2 à 3 molécules
différentes dans la composition des plots,
on multiplie par 6 le nombre de récepteurs
combinatoires distincts et on affine d’autant la
sensibilité de la langue pour reconnaitre des
protéines très similaires.
Détection
La détection du signal est réalisée par une
technique déjà connue mais jamais utilisée
dans ce domaine, l’imagerie par résonance
de plasmons de surface (SPRi) ; le substrat est
un prisme optique recouvert d’une fine couche
d’or dans laquelle les mouvements collectifs des
électrons (plasmons) sont modifiés chaque fois
qu’une protéine s’adsorbe sur l’un des capteurs.
Cette modification est mesurée optiquement. Les
avantages de cette technique sont nombreux :
pas besoin de marqueur fluorescent ou radioac-
tif, lecture en parallèle et en temps réel de tous
les plots (Fig. 3).
Grâce à sa simplicité, cette nouvelle
approche pourrait conduire au développement
de langues artificielles fiables et peu onéreuses,
pour l’agroalimentaire, l’analyse de l’environ-
nement ou le domaine de la santé.
De la même façon que les nez électroniques sont capables d’analyser des gaz (odeurs), les langues électroniques sont dédiées à l’analyse
des liquides et trouvent de plus en plus d’applications dans l’agroalimentaire, l’environnement et la santé. Ces dispositifs s’inspirent des processus
physiologiques du goût, à partir de capteurs intégrant différents composés, souvent longs à fabriquer. Avec l’IBS et l’Université Paris-Sud, nous
avons mis au point une méthode novatrice qui simplifie grandement la conception de ces langues électroniques, en nous inspirant de la façon
dont des protéines sont reconnues par les héparanes sulfates (sucres complexes naturels) présents à la surface des cellules.
PAYSAGES DU GOÛT
biocapteurs
N° 586 octobre 2012 - inac.cea.fr/feuille_rouge
Fig. 3 : Schéma du système de détection de la
langue électronique. La solution contenant les
protéines est apportée par la cellule microfluidique
au voisinage des différents plots de la langue
(Fig. 2). Les molécules adsorbées modifient les
conditions d’absorption de la lumière produisant,
en temps réel, une image SPR.
Fig. 2 : Profil et paysage du goût. Un profil continu (en bas à droite) de la chimiokine CXCL12-a est construit
par l’évolution de la réflectivité mesurée par SPRi en fonction du % relatif des deux briques de base constituant
les plots. Grâce à la faculté de mesure en temps réel de la technique SPRi, on peut également construire un
paysage 3D (en haut à droite) qui reflète les cinétiques d’adsorption et de désorption protéine/plot. Ceci
fournit un élément de discrimination supplémentaire, utile notamment pour l’analyse des mélanges.
Fig. 1 : Les 2 briques de base BB1 et BB2 sont des
disaccharides.