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TRIBUNE 14/06/2004 À 01H03
Inde: sortez les sortants
DUFLO EstherEsther Duflo est économiste, professeure au Massachusetts Institute of
Technology (MIT).
Le BJP, le parti principal de la coalition sortante en Inde,
n'est pas bon perdant. Dans les jours qui ont suivi l'annonce
des résultats, il déchaînait une campagne au vitriol contre
Sonia Gandhi, chef du
parti du Congrès, selon eux indigne de
devenir Premier ministre du fait de son origine italienne. La
ministre de la Santé, quelque peu dévote, allait jusqu'à
déclarer son intention de se raser la tête en signe de deuil si
Sonia Gandhi devait devenir Premier ministre. L'incertitude
qui s'ensuivit et la perspective d'une alliance avec le parti
communiste créaient un vent de panique dans les marchés
financiers.
Le retrait de Sonia Gandhi, et l'entrée en poste de
Manmohan Singh, architecte des réformes économiques ont
contribué à calmer le
jeu. Dans les années 1990, sur fond de
crise financière, et de négociation avec le FMI, Singh avait
entamé un processus d'ouverture au commerce
international, de libéralisation des marchés financiers et
banquiers, et de dérégulation des télécommunications et de
l'industrie. Au pouvoir, le BJP avait continué ces réformes,
qui ont contribué à la bonne performance de l'économie
indienne ces dernières années. Singh, ni italien ni
communiste, n'est pas une cible facile pour une campagne
agressive, et les caciques du BJP ont tourné leur agressivité
vers ses ministres (plusieurs d'entre eux sont accusés de
corruption) et surtout vers eux-mêmes, s'accusant
mutuellement de la défaite.
L'amertume du BJP est compréhensible : le gouvernement
avait tout mis en oeuvre pour gagner ces élections. Le
calendrier, tout d'abord, avait été bien choisi : après
plusieurs mauvaises années, la mousson 2003 fut bonne,
contribuant à un taux de croissance économique record aux
premier et deuxième trimestres 2004. Les élections avaient
été stratégiquement placées avant la mousson 2004 : en
Inde (comme en Angleterre) la date des élections est choisie
par la coalition au
pouvoir. Le gouvernement pensait pouvoir
bénéficier d'une conjoncture économique favorable, même si
elle était en partie due à la mousson, et ne voulait pas
prendre le risque d'attendre la mousson suivante. Certes, ce
n'était pas prendre
les électeurs très au sérieux : un électeur
informé devrait être capable de faire la différence entre la
part de la performance du pays due aux actions du
gouvernement, et la part due à la bonne fortune. Mais les
électeurs ne sont pas toujours complètement informés, ou
bien n'utilisent pas l'information au mieux : il a été montré
par exemple que les électeurs américains sanctionnent leur
gouverneur quand l'économie de leur Etat se porte mal,
même quand cela est entièrement dû au prix du pétrole.
Ne laissant rien au hasard, le BJP avait aussi augmenté
considérablement le budget discrétionnaire que chaque
député peut dépenser pour sa circonscription. Le simple fait
d'être en poste donne ainsi accès à des ressources qui
peuvent être dépensées à bon escient. Plusieurs études ont
montré que les dépenses publiques en Inde suivent de près
le cycle électoral : ainsi l'année précédant une élection, les
dépenses de réparation et de construction des routes
explosent, et les banques publiques prêtent soudain
davantage aux agriculteurs. De surcroît, ces dépenses sont
concentrées dans les circonscriptions les plus susceptibles de
changer de bord, ce qui montre bien qu'il s'agit d'en
maximiser l'impact électoral. En donnant aux députés un
budget discrétionnaire, le gouvernement donnait un
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avantage supplémentaire aux sortants, et augmentait les
chances de reconduire sa majorité.
Alors que s'est-il passé ? Depuis les élections, de
nombreuses explications ont été proposées, dont beaucoup
sont vraisemblables. Le décalage entre le triomphalisme du
gouvernement et la situation vécue au jour le jour dans les
régions rurales (en particulier, le dysfonctionnement des
services publics de base) a probablement contribué au recul
du BJP. Les partis locaux ont très fortement progressé aux
dépens des partis nationaux. Un autre facteur semble avoir
j
oué un rôle important : une étude de Leigh Linden montre
que depuis la fin de la domination incontestée du parti du
Congrès en 1991, les électeurs ont tendance à punir les
candidats sortants : l'étude utilise toutes les élections
nationales en Inde depuis 1991, et compare la probabilité
d'être élus de candidats qui se présentent pour la deuxième
fois, et qui ont perdu ou gagné l'élection précédente de
j
ustesse (avec moins de 5 % de différences entre leur
score). Parmi eux les députés sortants (ceux qui ont gagné
de justesse) ont 14 % moins de chance d'être élu que ceux
qui ont perdu de justesse. Ce phénomène touche tous les
partis, et s'est répété à toutes les élections. Malgré les
ressources auxquelles les députés en poste ont accès, être
au pouvoir est donc un handicap : les électeurs n'ont pas
l'air d'être
dupes des stratégies électorales. C'est le contraire
aux Etats-Unis, où être en poste donne un avantage
considérable pour l'élection suivante.
La défaite de la coalition gouvernementale témoigne de la
vitalité de la démocratie indienne et de la maturité de son
électorat. Il faut espérer que la nouvelle coalition en tirera
les leçons.
Mardi 29 Septembre 2009, 15:39 Dernière mise à jour : 2 minutes Newsletter Libé en PDF Libé sur votre iPhone RSS
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TRIBUNE 14/06/2004 À 01H03
Inde: sortez les sortants
DUFLO EstherEsther Duflo est économiste, professeure au Massachusetts Institute of
Technology (MIT).
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Le BJP, le parti principal de la coalition sortante en Inde,
n'est pas bon perdant. Dans les jours qui ont suivi l'annonce
des résultats, il déchaînait une campagne au vitriol contre
Sonia Gandhi, chef du parti du Congrès, selon eux indigne de
devenir Premier ministre du fait de son origine italienne. La
ministre de la Santé, quelque peu dévote, allait jusqu'à
déclarer son intention de se raser la tête en signe de deuil si
Sonia Gandhi devait devenir Premier ministre. L'incertitude
qui s'ensuivit et la perspective d'une alliance avec le parti
communiste créaient un vent de panique dans les marchés
financiers.
Le retrait de Sonia Gandhi, et l'entrée en poste de
Manmohan Singh, architecte des réformes économiques ont
contribué à calmer le jeu. Dans les années 1990, sur fond de
crise financière, et de négociation avec le FMI, Singh avait
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entamé un processus d'ouverture au commerce
international, de libéralisation des marchés financiers et
banquiers, et de dérégulation des télécommunications et de
l'industrie. Au pouvoir, le BJP avait continué ces réformes,
qui ont contribué à la bonne performance de l'économie
indienne ces dernières années. Singh, ni italien ni
communiste, n'est pas une cible facile pour une campagne
agressive, et les caciques du BJP ont tourné leur agressivité
vers ses ministres (plusieurs d'entre eux sont accusés de
corruption) et surtout vers eux-mêmes, s'accusant
mutuellement de la défaite.
L'amertume du BJP est compréhensible : le gouvernement
avait tout mis en oeuvre pour gagner ces élections. Le
calendrier, tout d'abord, avait été bien choisi : après
plusieurs mauvaises années, la mousson 2003 fut bonne,
contribuant à un taux de croissance économique record aux
premier et deuxième trimestres 2004. Les élections avaient
été stratégiquement placées avant la mousson 2004 : en
Inde (comme en Angleterre) la date des élections est choisie
par la coalition au pouvoir. Le gouvernement pensait pouvoir
bénéficier d'une conjoncture économique favorable, même si
elle était en partie due à la mousson, et ne voulait pas
prendre le risque d'attendre la mousson suivante. Certes, ce
n'était pas prendre les électeurs très au sérieux : un
électeur
informé devrait être capable de faire la différence entre la
part de la performance du pays due aux actions du
gouvernement, et la part due à la bonne fortune. Mais les
électeurs ne sont pas toujours complètement informés, ou
bien n'utilisent pas l'information au mieux : il a été montré
par exemple que les électeurs américains sanctionnent leur
gouverneur quand l'économie de leur Etat se porte mal,
même quand cela est entièrement dû au prix du pétrole.
Ne laissant rien au hasard, le BJP avait aussi augmenté
considérablement le budget discrétionnaire que chaque
député peut dépenser pour sa circonscription. Le simple fait
d'être en poste donne ainsi accès à des ressources qui
peuvent être dépensées à bon escient. Plusieurs études ont
montré que les dépenses publiques en Inde suivent de près
le cycle électoral : ainsi l'année précédant une élection, les
dépenses de réparation et de construction des routes
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davantage aux agriculteurs. De surcroît, ces dépenses sont
concentrées dans les circonscriptions les plus susceptibles de
changer de bord, ce qui montre bien qu'il s'agit d'en
maximiser l'impact électoral. En donnant aux députés un
budget discrétionnaire, le gouvernement donnait un
avantage supplémentaire aux sortants, et augmentait les
chances de reconduire sa majorité.
Alors que s'est-il passé ? Depuis les élections, de
nombreuses explications ont été proposées, dont beaucoup
sont vraisemblables. Le décalage entre le triomphalisme du
gouvernement et la situation vécue au jour le jour dans les
régions rurales (en particulier, le dysfonctionnement des
services publics de base) a probablement contribué au recul
du BJP. Les partis locaux ont très fortement progressé aux
dépens des partis nationaux. Un autre facteur semble avoir
j
oué un rôle important : une étude de Leigh Linden montre
que depuis la fin de la domination incontestée du parti du
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candidats sortants : l'étude utilise toutes les élections
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d'être élus de candidats qui se présentent pour la deuxième
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l'air d'être dupes des stratégies électorales. C'est le contraire
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