40 |18 juillet 2003 |Le Point 1609
des quatre volontaires sur les dix du
corps professoral qui ont fait vœu de
donner leur vie à l’institution religieuse.
Pour elle, l’hindouisme doit être ac-
cepté comme la seule religion de l’Inde,
et même du monde. Musulmans et chré-
tiens du pays sont sommés de suivre
l’Hindutva, le renouveau de l’hin-
douisme, l’esprit de l’Inde, idéologie
qui n’est souvent qu’une façade pour
ceux qui œuvrent en faveur d’une Inde
exclusivement hindoue. Emanation de
l’Arya Samaj, un groupe religieux tra-
ditionaliste, l’école de Bénarès est au-
tant destinée à former des promotions
de filles aguerries à l’usage du sanskrit
qu’à engendrer des bataillons de para-
militaires. «Les vrais ennemis de l’hin-
douisme sont ici, en Inde, dit encore l’en-
seignante. Nous les combattrons… »
Ayodhia, ville symbole
Partout en Inde déferle la vague safran,
la couleur sacrée de l’hindouisme. En
1998, le BJP, le Parti du peuple indien,
en arrivant au pouvoir, n’était qu’une
fragile formation soumise au bon vou-
loir des coalitions. Cinq ans plus tard,
le parti fondamentaliste a le vent en
poupe. Il a réussi à remporter les élec-
tions dans l’Etat du Gujerat, en proie à
des émeutes entre hindous et musul-
mans au début de l’année, et mise sur
une propagation de ses idées par les
réseaux en place, telles les écoles
fondamentalistes. A la veille des
scrutins d’automne dans quatre
grands Etats et quelques mois
avant les élections générales de
2004, le BJP semble gagner du ter-
rain. Une stratégie qui n’est pas
sans risque, dans une Inde com-
posite où les musulmans, avec
140 millions d’âmes, représentent
la deuxième communauté de l’is-
lam au monde, après l’Indonésie.
«L’Inde, un milieu de révoltes »,
écrit le prix Nobel de littérature
V. S. Naipaul…
Longtemps, Ashok Pande n’a
cru être qu’un militant de l’ombre. Un
de ces dévots dévoués à la cause de
l’Hindutva. Et puis brusquement, avec
la vague safran, ce responsable de la
RSS, une formation fondamentaliste,
qui est aussi l’un des dirigeants locaux
du BJP, est propulsé sur le devant de
la scène. A Bénarès, tout le monde le
connaît. Yeux ronds et brillants, la ha-
rangue facile, entre camelots des bords
du Gange et ascètes en pagne, il est de-
venu le chantre de la nouvelle mode
fondamentaliste, la fierté d’être hindou.
Les musulmans d’Inde ? «Ils auraient
dû partir lors de la partition, en 1948,
vers le Pakistan. » La fin de la tolérance ?
«Le dieu Shiva a deux yeux pour voir,
et le troisième pour détruire. Nous
aussi… »
Sur la terrasse de sa haute maison,
devant une nuée de cerfs-volants agi-
tés par des enfants, Ashok Pande, per-
sonnage plein de faconde, figure de la
nouvelle identité sur les rives boueuses
du Gange, est intarissable sur le réveil
de la conscience hindouiste, sur la
nécessité de bouter dehors ceux qui
seraient soupçonnés de déviance ou
encore sur l’avènement d’un gouver-
nement idéal, socle du règne du dieu
Rama. Quant aux risques d’une telle
vindicte, le héraut de la rue les écarte
d’un geste preste de la main. Pour lui,
la destruction de la mosquée d’Ayod-
hia, voilà deux ans, ne fut qu’un épi-
phénomène. Et devant quelques fidèles,
il déclare que cette destruction s’est
déroulée dans le calme. Pour lui, les
2000 morts consécutifs aux émeutes
sont pur mensonge…
Ayodhia, justement. C’est le lieu de
toutes les crispations. Un lieu symbo-
lique qui inquiète tant les défenseurs
des droits de l’homme que les figures
de proue des minorités indiennes. La
bourgade sainte aux venelles tortueuses,
dans le nord de l’Uttar Pradesh, Etat le
plus peuplé d’Inde avec 170 millions
d’habitants, a des allures de ville en
guerre, dans des odeurs d’épices qui
surgissent des échoppes de bibelots
religieux. Militaires à chaque coin de
ruelle, guérites surprotégées, hautes
barrières de métal destinées à canali-
ser la foule des dévots : maintes fois
mentionnée dans le Ramayana, la
grande épopée indienne, la cité des
dieux est désormais bien éloignée de
son antique réputation de quiétude.
Quand les militants hindouistes, en dé-
cembre 1992, ont pris d’assaut la mos-
quée de Babur, lieu présumé de nais-
sance du dieu Rama, ce fut une orgie
d’émeutes qui dégénérèrent dans tout
le sous-continent. Aujourd’hui, la mos-
quée en ruine reste une blessure dans
le cœur de tous les musulmans d’Inde.
D’autant que les militants hindouistes
se disent prêts à édifier, en quelques
jours s’il le faut, un temple sur les
cendres de l’édifice. «La décision doit
venir de la Cour suprême ! Sinon,
ce sera à nouveau le feu aux
poudres », avertit un membre de
l’importante communauté mu-
sulmane de Lucknow, la grande
ville voisine d’Ayodhia.
Symbole de la nouvelle fièvre
de la ville sainte aux cent temples :
le chantier de marbres roses où
se pressent une cinquantaine de
sculpteurs et d’artisans. Entre
leurs mains jaillissent colonnes,
effigies du panthéon hindouiste,
frises taillées dans la pierre du
Rajasthan. Les pièces détachées
du temple de la discorde… «Tout
est prêt pour un montage express, si
l’ordre en était donné », assure Sharad
Sharma, l’un des responsables du VHP
(Visvha Hindu Parishad, le Conseil mon-
dial hindou), autre organisation fon-
damentaliste et d’extrême droite qui fi-
nance l’opération.
Dans un coin du chantier, un im-
mense mur de 500 000 briques défie
l’entente communautaire indienne: cha-
cune d’entre elles, à 1,25 roupie pièce,
soit 2 centimes d’euro, est un don d’un
militant désireux de construire le
Monde |Inde
Atal Behari Vajpayee, avec un hindouiste fondamentaliste ■
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singh/reuters