Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°120 : Décembre 2009 Geron : interdiction de l’essai clinique avec des cellules embryonnaires humaines Autorisation de la FDA Début 2009 la Food and Drug administration (FDA) a accordé son autorisation à la société Geron Corporation, compagnie leader en recherche sur les cellules souches embryonnaires, pour un essai clinique pour des patients atteints de lésions de la moelle épinière à partir d’une lignée cellulaire embryonnaire humaine (GRNOPC1). Cette lignée a été créée par Geron et est dérivée de la lignée embryonnaire humaine H1 créée le 9 août 2001 et qualifiée pour une utilisation sur l’homme (caryotype normal et dénué de contaminants d’origine animale ou humaine). Il s’agissait pour Geron d’initier un essai de phase I qui visait à restaurer les fonctions de la moelle épinière par des injections, à même la lésion du patient, de cellules progénitrices oligodendrocytes (cellules du tissu entourant les cellules nerveuses) dérivées de cellules embryonnaires humaines (CSEh). Le traitement, rapidement administré (dans les quinze jours après la lésion) devait permettre de régénérer la gaine de myéline. Avant d’obtenir l’autorisation d’un essai clinique de phase I par la FDA, Geron a dû procéder à des études pré-cliniques, avec une injection de GRNOPC1 chez des populations saines animales. Cette autorisation accordée par la FDA au premier essai clinique humain à partir de cellules souches embryonnaires humaines avait suscité de l’enthousiasme chez les chercheurs enclins à travailler sur ces cellules. "Il faut se féliciter de l'accord donné par la FDA", estimait alors le Pr Peschanski, directeur du laboratoire I-Stem. "Les lignées de cellules SEh oligodendrocytaires préparées pour la réalisation de cet essai seront mises à la disposition des équipes pour conduire d'autres essais ce qui va nous faire gagner un temps considérable. Cela fait longtemps que nous sommes en discussion avec ce groupe et nous savons que ces chercheurs sont ouverts et prêts à échanger" se réjouissait-il. Il notait également que la France était "partie avec sept ans de retard". Autorisation suspendue Pourtant au mois d’août 2009 la FDA a suspendu l’autorisation délivrée à la Geron Corporation, de se livrer à ces essais cliniques et fin 2009, la FDA n’a toujours pas redonné son feu vert. La société est restée très vague sur les raisons de cette suspension. Il semblerait qu’elle soit liée au réexamen de certaines données sur les animaux. Geron s’est en effet livré à 24 études, menées séparément, sur des souris et des rats. Elle avait alors affirmé que toutes avaient donné des résultats satisfaisants. Mais certains des animaux ayant présenté des microkystes aux points d'injection des cellules souches humaines, après la soumission de ces données à la FDA, la décision a été prise de sursoir aux essais cliniques et de continuer les travaux sur l'animal. Le 28 octobre 2009 les résultats positifs de travaux sur l’animal ont été publiés dans Stem Cells, sous la signature de Hans S. Keirstead. Toutefois il faut souligner que ce travail publié dans Stem Cells n’est pas original, puisque S. Keirstead répète ces expériences sur les rats depuis des années. La société Geron a transmis ces nouvelles données à la FDA, qui n'a pas encore répondu. Pour Evan Snyder, neuroscientifique dirigeant le centre de recherche sur les cellules souches de l’Institut Burnham pour la recherche médicale à San Diego, "il y a un gros débat parmi les chercheurs sur la moelle épinière, parce que les données précliniques elles-mêmes ne justifient pas les essais cliniques". Aucun essai clinique avec des CSEh Il est utile de rappeler que les études de Geron se limitent pour l'instant à des études précliniques sur l'animal, effectuées sur des rats, car si l’annonce de l’autorisation par la FDA d’un premier essai clinique avec des cellules embryonnaires humaines a été très relayée, la suspension par la FDA de ce même essai, a fait peu de bruit... Aucun essai clinique n’est donc en cours avec des cellules embryonnaires humaines. Ce n’est pas la première fois que la société Geron bénéficie de ce type d’annonce : la compagnie avait déjà affirmé en 2004 qu'elle entendait passer aux essais cliniques avec des cellules gliales issues de cellules souches embryonnaires pour la préparation des lésions de la moelle épinière. Elle avait recommencé l'annonce en 2005. Ces annonces vont de paire avec la hausse de sa côte en bourse. Des essais cliniques sans CSEh Les équipes de H. Deda et S. Kocabay ont publié en octobre 2008 les résultats très encourageants d'essais cliniques de phase I portant sur la transplantation de cellules souches autologues hématopoïétiques de moelle osseuse sur neuf patients atteints de lésion chronique complète de la moelle épinière avec défaut fonctionnel de niveau A. Ce traitement s'est révélé efficace et sûr, sans complications. L'utilisation de cellules souches autologues par ces auteurs leur a permis en particulier d'éviter les réactions de rejet immunologique et de réaction du greffon contre l'hôte, ainsi que l'apparition de tumeurs aux points d'injection que n'auraient pas manqué de provoquer une transplantation de cellules souches embryonnaires humaines, selon le modèle préconisé par S. Keirstead à partir de ses travaux sur le rat. La riche expérience chinoise1 semble montrer que les cellules souches ombilicales, qui peuvent être utilisées chez les patients sans problème de rejet immunologique ni de tumeurs, seraient encore plus efficaces que les cellules de la moelle osseuse dans le traitement des lésions de la moelle épinière. Elles auraient de plus l'avantage de pouvoir être appliquées très vite après le traumatisme, grâce aux banques de cordon ombilical. Gènéthique - n°120–Décembre 2009 Il faut noter aussi d’autres résultats positifs obtenus sur des patients, dans le traitement de la sclérose en plaques par transplantation de cellules souches mésenchymateuses allogéniques2, ou de cellules souches hématopoïétiques autologues3 et par injections de cellules souches autologues de moelle osseuse4, ou de cellules souches stromales de la fraction vasculaire du tissu adipeux5. Dans tous ces cas les cellules souches n'ont provoqué aucune réaction négative chez ces patients, ont stoppé le cours de leur maladie, et ont apporté une nette amélioration de leur état. On comprend que l'essai clinique de phase I portant sur la transplantation de cellules souches embryonnaires humaines chez des patients atteints de lésions de la moelle épinière, tel que le prévoit Geron, n'ait rien d'urgent, puisque l'on dispose déjà depuis plusieurs années du traitement des lésions de la moelle épinière par les cellules souches adultes ou par les cellules souches du cordon ombilical, et que ce traitement s'est montré sans dangers et effectif chez les patients. 1 - Cao FJ, Fang SO, Chin Med J, 20 janvier 2009 2 - J.Liang, L.Subn et al., Mult Scler. mai 2009 3 - R.K.Burt, W.H.Burns, The Lancet Neurology, mars 2009 4 - N.Scolding et al., nov 2009 5-Riordan NH, B.Minev, J. Translational Medicine, 24 avril 2009 Mobilisation en faveur des soins palliatifs : l’avis 108 du CCNE L’euthanasie rejetée par les députés Fin novembre 2009, les députés ont rejeté par 326 voix contre 202, la proposition de loi défendue par le socialiste Manuel Valls sur l'euthanasie. Celui-ci voulait instaurer une "assistance médicale pour mourir dans la dignité". Concrètement, le texte proposait qu'un collège de quatre médecins puisse évaluer la recevabilité d'une demande d'euthanasie, réservée aux personnes majeures, dans un état grave et incurable. L'"aide à mourir" aurait été administrée sous surveillance médicale et après décès, chaque dossier aurait été adressé à une commission de contrôle. Le texte prévoyait la possibilité d'une clause de conscience pour les professionnels, à condition qu'ils orientent le patient vers un autre médecin. Il créait également un registre national des "directives anticipées" où toute personne majeure aurait pu s'inscrire. Mobilisation contre l’euthanasie De nombreuses personnalités ont réagi contre ce texte. "Le droit à la mort n'est pas un acte médical" a rappelé Jean Leonetti, auteur de la loi sur la fin de vie de 2005. "La démarche palliative ne peut pas se terminer par une démarche euthanasique. C'est antinomique. La philosophie médicale de l'accompagnement n'est pas celle de la rupture de vie". Pour Luc Ferry, il est inacceptable d'établir une équivalence entre "dépendance" et "indignité" : "l'idée même qu'un être humain puisse perdre sa valeur parce qu'il serait faible, malade ou vieux et, par la même, dans une situation de perte d'autonomie, me paraît à vrai dire intolérable sur le plan éthique". Il plaide dans Le Figaro1 "pour un droit absolu des êtres humains à l'hétéronomie, à la dépendance et à la faiblesse même les plus extrêmes" dénonçant des "discours visant à faire comprendre à autrui qu'il vaudrait mieux faire place nette et cesser d'importuner le monde". Alain Monnier, présidant l'Association d'accompagnement bénévole en soins palliatifs s’inquiète : "A l'heure où la fin de vie coûte de plus en plus cher, on pourrait passer d'un "droit à mourir" à un "devoir de mourir" pour des raisons économiques." Régis Aubry, qui suit le plan soins palliatifs lancé par le chef de l'Etat pour la période 2008-2012, estime que si la loi n'est pas encore assez connue, les choses sont en train de changer : "...début 2010, tous les CHU seront dotés d'une équipe de soins palliatifs. L'observatoire national de la fin de vie doit également voir le jour. Enfin, une filière universitaire dédiée à ces questions sera ouverte à la rentrée prochaine". CCNE : favoriser les soins palliatifs Interrogé, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu le 12 novembre 2009, son Avis "sur les questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs" répondant à la question suivante : "comment mettre en place un système de financement des soins, qui évite l'obstination déraisonnable par l'article L.1110-5 du Code de la santé publique et facilite les soins palliatifs ?". Le Comité a voulu répondre plus largement que sur un plan strictement financier car il estime que les "aspects comptables ne sont pas les seules causes du retard constaté, dans l'application de la loi de 2005." Le CCNE, rappelant que "l’obstination n’est pas déraisonnable en elle-même" et qu’il faut trouver la juste voie entre l’obstination et l’abandon, préconise de diffuser les connaissances sur les pratiques et favoriser la concertation pour contribuer à éviter l’obstination déraisonnable. Etudiant ensuite la complexité de la tarification des soins palliatifs puis les conditions d’un juste accès aux soins de qualité, le CCNE a constaté que "chacun des systèmes de financement successivement mis en place à l’hôpital a induit des effets pervers". Le dernier système était basé sur une tarification à l’activité : "plus les séjours étaient courts, plus ils étaient rentables" ce qui a entraîné une "sélection des entrées en fonction de la durée prévisible du séjour, une discrimination de certaines maladies à évolution lente ou de certains malades, etc." Ces effets ont été corrigés et aujourd’hui, note le CCNE, "la rémunération des séjours en soins palliatifs est devenue satisfaisante et incitative". Toutefois si moins de 10 % des situations de fin de vie justifient le recours à des unités de soins palliatifs, "l’insuffisance de lits dédiés aux soins palliatifs, de même que la pénurie de personnels soignants font que la situation actuelle n’est pas à la mesure des attentes". Le CCNE évoque le besoin de formation et se prononce pour la "création d’emplois hospitalo-universitaires en médecine interne, options soins palliatifs" pour augmenter l’attrait de cette discipline. Enfin l’avis propose de développer les unités mobiles de soins palliatifs : "loin d'être en position d'experts, ces équipes doivent apporter un complément de compétences dans un esprit de confraternité. Leur appui sur le terrain, au sein des services, a une efficacité pédagogique irremplaçable". En conclusion, le Comité rappelle que "les soins palliatifs ne sont pas un luxe que seule une société d’abondance pourrait se permettre, ils sont un potentiel novateur de l’activité soignante". 1- Le Figaro, 26 novembre 2009 Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune – 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15. Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris - www.genethique.org – Contact : [email protected] – Tél. : 01.44.49.73.39 Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Aude Dugast - Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 4989 Gènéthique - n°120–Décembre 2009 Gènéthique - n°120–Décembre 2009