était-il génial a qui profit le requiem? était-il vulgaire

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LETTRES ARTS SPECTACLES
LE SCANDALE MOZART
ÉTAIT-IL GÉNIAL
On raconte toujours que Mozart, assistant à une
exécution du « IVIiserere » d'Allegri, le nota de
mémoire une fois rentré chez lui. Mais ce qu'on ne
dit pas, etc'est dommage, c'est qu'il retourna écouter
le « Miserere »le lendemain, avec .son manuscrit dans
sa poche... pour vérifïer. Il n'y avaitpas de faute.
L'histoire illustre assez bien l'espèce de talent
monstrueux, mentalement parlant, qui était le sien.
Tel ce « Trio des quilles » qui fut surnommé ainsi
parce que Mozart le composa tout en jouant aux
quilles... Et quel trio !
Tel ce prélude et fugue dont il dit, dans une lettre
à sa soeur : « Pendant que je jetais sur le papier le
prélude que j'avais entête, je composais la fugue... »
Telle l'ouverture de « pon Giovanni », qu'il dut
écrire très vite : n'ayant pas le temps de rédiger la
partition d'orchestre, il commença par ecrire les
Parties séparées de tous les Instruments, avec toutes
les indications, les silences, etc. Ensuite seulement, il
mit les parties ensemble...
JACQUES DRIL LON
Suite de la page 107
C'est à partir de ce fond culturel que Shaffer
avait construit sa pièce. Il lui a emprunté le
personnage du Messager masqué (à la vénitienne) qui commande à Mozart le « Requiem »
dont il mourra. Forman renchérit sur cette symbolique énorme et forte. Salieri enfant joue du
clavecin les yeux bandés. Mozart enfant s'amuse
à colin-maillard avec ses camarades, les yeux
bandés. Les destins sont tracés, comme dans une
tragédie grecque.
UN FESTIVAL D'IMPERTINENCES
Sauf qu'on n'a jamais vu de tragédie aussi
cocasse. On trouve tout dans « Amadeus ».
Même les insolences des enfants terribles : face
aux grands de ce monde, les archevêques, les
princes, Mozart se comporte comme le Victor de
Vitrac ou Zazie. Il joue d'ailleurs avec le langage, usant de la contrepèterie et du verlan pour
sortir quelque gaillardise. Avant d'atteindre au
pathétique pur dans les dernières scènes, Mozart
offre un festival d'impertinences. La plus jolie
— qui pourra servir à chacun de nous quand un
•quidam l'assommera . de_ sa médiocrité — est
décochée - avec • un, sourire charmeur à Salieri,
tout lier de sa dernière création : J'ignorais
-
autrement dit, le marquis de Sade — s'est permis qu'une telle musique fût possible. »
D'autres traits sont par avance destinés par
autrefois d'étriller avec vigueur la divinité du
Forman
et Shaffer à leurs critiques- éventuels..
Christ, au nom de cette interrogation élémenQui ne rougirait de faire des reproches après
taire.
Forman et Shaffer ne se placent .pas sur le avoir vu l'empereur d'Autriche, ignare notoire,
terrain de l'athéisme militant. Ils laissent Mozart Se plaindre que Mozart ait mis « trop de norépondre : « Je suis, vulgaire, niais ma musique tes» ? Et si « Amadeus » est jugé par certains
trop classique, la risposte ne figure-t-elle pas
ne l'est pas. » L'interrogation de l'Homme face
à la divinité, à l'incarnation dérisoire de la divi- dans cette scène délicieuse où, par suite d'une
nité, ils la placent dans la bouche du rival de intrigue de Salieri, la troupe de Mozart est obliMozart, son double, le seul à avoir compris gée de répéter un ballet sans musique ? L'emped'emblée son génie : le compositeur Antonio reur — toujours lui, mais op ne s'en lasse pas,
Salieri. Ce musicien à succès, comblé de privilè- car Jeffrey Jones joue le rôle avec beaucoup de
ges par l'empereur d'Autriche, savait qu'il finesse -- s'inquiète devant ces gesticulations
n'était rien en comparaison de Mozart. Très silencieuses : « Est-ce moderne ? »
« Amadeus » ne doit pas causer un tel souci. Il
pieux, ayant fait voeu de chasteté pour se vouer à
son art, il représente le volontarisme de la appartient à cette race de films qui se situent en
« vertu », qui n'entend rien à la grâce. Et qui -deçà ou audelà du moderne. Milos Forman y
réussit le traitement du sujet le plus profond
proteste contre la facilité du génie. Il crie
l'injustice devant ce fêtard qui compose en
jouant au billard. Il apostrophe Dieu : «Pourquoi avoir choisi cet être obscène ? » Il lui dé-.
clare la guerre. On sait d'entrée que si Mozart
fut un Christ, Salieri devait être son Judas,
-
ÉTAIT-IL
VULGAIRE .
UNE SYMBOLIQUE ÉNORME
L'idée s'impose d'autant plus vite que Forman
a choisi de bâtir « Amadeus » sur un gigantesque
retour en arrière de deux heures et demie. Dès la
première scène, le perfide Salieri, devenu un
vieillard hirsute et malpropre, tente de se suicider en s'accusant d'avoir, plus de trente ans
auparavant (en 1791, donc) assassiné Mozart.
Acte vrai ou ultime essai pour ne pas disparaître
de la mémoire des hommes, le « crime » de
Salieri fit sensation au xtx siècle. Pouchkine le
décrivit en deux « scènes dramatiques », dont
Rimski-Korsakov tira, plus de soixante ans
après, un opéra de chambre. On oublie de signaler qu'Edgar Poe, lui aussi, en fit une nouvelle.
108 Vendredi 26 octobre 1984
Extrait d'une lettre du divin Mozart
« ... Comment Mannheiin me niait ? Autant
qu'un endroit peut me plaire sans ma petite cousine.
Pardonnez ma mauvaise écriture, la plume est déjà
vieille ; je chie en vérité depuis bientôt vingt-deux ans
par le trou que vous savez, et il n'est pourtant pas
encore déchiré ! Et j'ai déjà chié si souvent, et détache
la crotte avec mes dents !
<, J'espère que de votre côté, comme il se doit, vous
avez bien reçu mes lettres, en particulier une de
Hohenalthenn et deux de Marnihelip ; celle-ci,
comme il se doit, est la troisièmeidè'Mannheim, et la
quatrième, comme il se doit, antotai..A.présent, il
faut que je termine, car je ne suis pas, encore habillé,
comme il se doit, et nous allons totit desujtemanger,
afin de recommencer à chier, coi rune il se doit_ »
-
J.Dr.
dans le cadre et avec le style des superproductions. Sans que l'intelligence du thème s'en
trouve une seconde altérée (au rebours de ce que
prétendraient certains cinéastes d'avant-garde et
« minimalistes »), le xvitP siècle revit sur l'écran
avec un faste gourmand et une sorte d'amertume
masquée dont Luchino Visconti ou mieux encore
Max Ophuls n'auraient pas :renié le luxe et le
A QUI PROFIT
LE REQUIEM?
Il faut bien s'y résoudre : le « mystérietut homme en
gris venu commander à Mozart, pendant l'été de
1791, une messe des morts, ce mystérieux homme qui
s'inquiète des délais, du prix qu'en demande le
compositeur, et qui vient le relancer plusieurs fois,
n'était pas l'envoyé de la Mort. Mais bien celui du
comte Walsegg-Stuppach. Ledit comte avait perdu
sa femme et se piquait deinusique Il voulaitlui dédier
un requiem mais lefaire écrirepar quelqu'un d'autre.
Pour pouvoir signer une oeuvre qui ne fût pas de lui,
un minimum de précautions devaient être prises
ainsi s'explique, malheureusement, l'anonymat de la
commande...
p'ailleurs, Mozart n'est pas très mquret ; il a
d'autres chats à fouetter, particulièrement un opéra
à écrire en quinze jours (« la Clémence de Titus »),
le concerto pour clarinette, etc. Chaque fois, la
composition du « Requiem » est interrompue. C'etit
ét é prendre bien des libertés avecles ordres dela Mort,
qui, d'ailleurs, a interrompu son travail. Sussmayr,
un élève qu'Il n'estimait pas beaucoup, l'a terminé à
sa place.
Le comte Walsegg n'a pas vraiment réussi son coup : Van Seeten, pour qui Mozart avait souvent
travaillé, fit donner à Viennele « Requiem », sous le
nom de son véritable auteur, avant Walsegg luimême
Il semble que toute l'affaire — le mystère — ait été
menée par Constance, la femme de Mozart : celui-ci
est mort sans avoir reçu les derniers sacrements, sans
même avoir vu un prêtre, et criblé de dettes par-dessus
Je marché. Il fallait le blanchir : le « Requiem >4
devenu subitement pieux, tombait à point nommé.
-
Dr.
mouvement. On y voit naître les représentations
d'époque, avec leurs machineries ingénieuses et
naïves. On y apprend que « la Flûte enchantée »
fut écrite pour un théâtre populaire, « comme un
vaudeville ou un rock-Opéra », précise Forman
(au passage, on se demande pourcp.toi Mozart
attrait truffé cette pochade pour cabaret de sym 7
boles maçonniques, comme les savants nous le
certifient). On se rassasie l'oeil de magnifiques
architectures (trouvées à Prague) et l'on finit;
comme -les interprètes,. par se sentir à l'aise avec
une perruque et un habit de soie. On oublie le
didactisme astucieux de la mise en scène qui,
sans avoir l'air d'y toucher, affine l'oreille au
point dé permettre à chacun de partager l'incommunicable. C'est aussi cela, l'art du cinéma : une manière dg tout dire, comme s'il
s'agissait de la plus banale chose qui fût au
monde. Et d'atteindre le tréfonds de l'être sans
donner l'impression d'avoir « chié du marbre ».
Comme dirait Mozart. •
-
• MICHEL MARDORE
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