Pierre Jalenques
C’est cette hypothèse qui permet de distinguer entre d’une part le sens contextuel de l’unité,
que nous appellerons ici l’acception, et le sens intrinsèque du mot, que nous appellerons
invariant sémantique, celui-ci étant par hypothèse invariable à travers la diversité des
emplois du mot.
Dans une séquence comme sa vieille voiture a du mal à monter la côte, nous
considérons que l’acception “déplacement vers le haut” correspond à une signification
déterminée par le cotexte de monter et non au sens intrinsèque de ce verbe. Sans entrer dans
la discussion ici, on peut par exemple envisager que l’idée de déplacement est induite par le
terme voiture. En l’occurrence, lorsque le sujet du verbe désigne une entité fixe, il n’y a
plus de déplacement exprimé (ces chaussettes montent jusqu’au genou).
Avant d’aller plus avant dans la discussion, considérons quelques données
supplémentaires sur le verbe monter. A la suite de Meunier (2003), on peut, en simplifiant,
répartir les principaux emplois de ce verbe en trois grandes classes, respectivement
illustrées par les séquences suivantes:
(1) la pression monte / Paul a monté le son / le prix du pétrole monte toujours
(2) Marie a monté les escaliers quatre à quatre / ces escaliers montent en colimaçon
(3) Paul a monté la tente / Alain veut monter une expédition scientifique en Antarctique
Dans les emplois de la classe (1), il est question d’accroissement quantitatif d’une
grandeur physique ou abstraite; dans la classe (2), nous avons le domaine des emplois
spatiaux; enfin, dans la classe (3), nous avons des emplois où monter est intuitivement
proche de assembler ou organiser.
Les invariants sémantiques postulés pour les mots très polysémiques sont généralement
présentés comme nécessairement sous-déterminés, contenant très peu de propriétés, pour
pouvoir être compatibles avec toute la diversité des acceptions du mot. Cette sous-
détermination sémantique, jugée inévitable, conduit à la principale critique adressée à cette
approche: les invariants sémantiques sont trop puissants. Par “trop puissants”, on entend
que leur contenu sémantique est tellement sous-déterminé qu’il peut s’appliquer à d’autres
mots que le mot considéré (cf. Kleiber, 1999: 48).
En pratique, cette critique est souvent pertinente. Desclès et al. (1998: 42) propose
l’invariant sémantique suivant pour monter: «une entité Y est située dans un espace muni
d’un certain gradient orienté vers des valeurs positives; une valeur du gradient est attribuée
à l’entité Y; cette entité Y passe d’un état à un autre état où la valeur du gradient attribuée à
Y augmente». Il convient de préciser qu’ici, le terme espace ne renvoie pas à la spatialité
mais est employé dans le sens abstrait qu’il a en topologie. Les emplois spatiaux ne sont
donc pas considérés comme premiers.
Ce sens unitaire semble en effet trop puissant car il pourrait s’appliquer à des verbes
comme augmenter, s’accroître ou progresser qui, a priori, mettent aussi en jeu un gradient
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