LE CONCOURS MÉDICAL
pratiques
TOME 133 [ N°9 ] NOVEMBRE 2011 721
discussion au téléphone qui amène peu d’autres éléments inquiétants
(TA 10-8 mmHg, test bandelettes d’urines normales), il demande à
l’infirmière de faire un ECG, et lui dit (un peu forcé vu l’agenda) qu’il
passera la voir le soir-même. Plus tard dans l’après-midi, nouvel ap-
pel de l’infirmière, l’ECG est fait, Mme P. va mieux « Joséphine n’est
plus nauséeuse et se repose ». Pierre décide immédiatement de ne lui
rendre visite que le lendemain matin. Mais le lendemain matin, à la
maison de retraite, il découvre une patiente apnéique et un ECG qui
montre des signes nets d’infarctus du myocarde. Il fait hospitaliser Jo-
séphine en urgence.
Pierre s’en veut sur le moment, mais se dit qu’il était bien difficile
de faire autrement.
Est-ce que cela aurait pu vous arriver ? Que dire à notre confrère
Pierre s’il raconte ce cas clinique dans un groupe de pairs?
Quelle stratégie permettrait de réduire ce risque ?
Qu’a fait notre confrère ?
Il a géré des crédits de temps ; pris sous la pression (habituelle), il
a échangé (pense-t-il raisonnablement) du temps pour Joséphine
(poursuite d’un long interrogatoire au téléphone, visite le jour même)
contre du temps donné au reste de sa patientèle. Le risque pris avec
Joséphine a été échangé contre un travail bien fait et moins de risques
pris pour les patients d’après-midi. Nous faisons tous ces choix à
chaque patient…, renoncer à faire déshabiller le patient âgé qui vient
pour un renouvellement d’ordonnance, éviter une discussion psy-
chologique incertaine qui peut faire perdre dix minutes avec cette pa-
tiente à la vie compliquée, mais on insistera peut-être plusieurs mi-
nutes au téléphone alors qu’on est mis en attente à l’autre bout du fil
devant un patient inquiétant pour lui obtenir un rendez-vous rapide.
Dans un métier aussi complexe et prenant, sous pression psycho-
logique et temporelle presque continue par le fait des patients ou par
celui de soucis plus personnels, on sait tous qu’on ne pourra pas tout
faire idéalement, on devra contrôler le temps, gagner sur certaines ac-
tions, qui seront accélérées (parfois à la limite du bâclé), remises à plus
tard pour le bénéfice d’autres actions que l’on veut vraiment assurer.
Dans le cas de Pierre, on peut accepter sa stratégie de reporter la vi-
site au lendemain comme acceptable dans son principe, mais consi-
dérer que Pierre est plus contestable sur la prescription d’un examen
(l’ECG) qu’il ne va finalement pas regarder, alors qu’il dispose du ré-
sultat. Assumer le risque de façon plus sûre aurait sans doute amené
à demander à l’infirmière de transmettre l’image de l’ECG… Il y a tel-
lement d’outils nomades pour transmettre l’information de nos
jours qu’il n’y avait que l’embarras du choix, de l’ancien fax, en pas-
sant par un document scanné sur e-mail, jusqu’aux multiples Iphone
et PDA dont chacun s’équipe de plus en plus. Auriez-vous pensé à
cette solution?
Gérer son temps professionnel, cʼest gérer des risques
pour ses patients(1,2)
Rien n’est totalement intuitif en la matière, et même si l’on apprend
par l’expérience comme Monsieur Jourdain, cette expérience est très
variable de l’un à l’autre. Apprendre à discuter un dossier de patient
en groupe de pairs avec une méthode centrée sur le contrôle du
temps est une vraie expérience pour s’interroger sur ses pratiques, et
apprendre des autres.
Nous verrons le mois prochain une méthode simple d’analyse des
incidents/accidents patients qui reprend ce concept. 416107 ■
1. Brami J, Amalberti R. Les risques en médecine générale, Springer Verlag, 2009.
2. Amalberti R, Brami J. Tempos Management in Primary Care: a Key Factor for Classifying Adverse Events,
and Improving Quality and Safety, BMJ QualSaf, in press 2011.
* René Amalberti, professeur de physiologie-physiopathologie au Val-de-Grâce, ancien titulaire de chaire,
spécialiste de la gestion des risques industriels et médicaux, partage actuellement son activité entre ses
rôles de conseiller sécurité des soins de la HAS-DAQSS et de directeur scientifique de la Prévention
médicale, www.prevention-medicale.org
Relations entre conditions
temporelles de travail en médecine
générale et qualité des soins
Lʼétude américaine MEMO (
MinimizingErrors,
MaximizingOutcomes
/réduire les erreurs, augmenter le
bénéfice clinique) a été conduite avec 449 médecins
appartenant à 119 cabinets de groupe entre 2001 et 2005 sur lʼeffet
de lʼorganisation temporelle dans le travail, ses conséquences pour
le médecin et pour la qualité de la prise en charge de ses patients.
Elle prend également en compte lʼimpact des cas cliniques
problématiques qui désorganisent la journée, et la culture et
lʼorganisation globale du cabinet médical. Les médecins devaient
rapporter le temps accordé à chaque patient au temps quʼils
auraient voulu lui accorder idéalement, en intégrant les crédits de
temps perdus et ceux qui pouvaient être sauvés (temps finalement
passé inutilement), et en isolant les cas particuliers difficiles et très
perturbants dans lʼagenda de la journée. Un questionnaire de stress
évaluait lʼimpact sur le médecin de ces régulations plus ou moins
forcées. Lʼimpact sur le patient était évalué sur une cohorte de
patients chroniques (diabétiques, hypertendus, coronariens) pour
qui on jugeait lʼeffet positif ou négatif de la stratégie du médecin,
et notamment ses possibles erreurs.
Au total, 53,1 % des médecins rapportent des difficultés avec la
gestion du temps pendant la consultation, et 30,3 % disent quʼil
leur faudrait 50 % de temps en plus dans la consultation pour
faire bien leur travail ; 48,1 % se plaignent dʼun environnement
professionnel chaotique avec des interruptions incessantes, du
temps perdu à chercher lʼinformation, et de lʼimpossibilité de
récupérer tout retard. Dans ces conditions, 48,8 % des
généralistes se sentaient stressés, 26,5 % se sentaient proches du
burn-out, et 30,1 % évoquaient lʼéventualité de quitter cette
forme dʼexercice libérale dans les deux ans.
Côté patients, les impacts étaient réels (diabétiques en particulier)
mais relativement limités dans la série observée, comme si les
médecins prenaient sur eux de compenser leur gestion erratique
du temps par une activité encore plus importante et des journées
encore plus allongées pour récupérer les erreurs commises
initialement par la mauvaise gestion temporelle, évidemment au
détriment de leur propre santé.
Linzer M, Manwell L, Williams E, Bobula J, et al. Working conditions in Primary care:
Physicians reactions and care quality, Ann. Int. Med 2009;151:28-36.
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