Sylvie Montaron
Présenté comme « l’épidémie si-
lencieuse » du XXI e siècle, le diabè-
te touche 9 % des adultes dans le
monde. Avec un taux de prévalen-
ce de 4,7 %, la France n’est pas le
pays le plus touché mais avec
3,5 millions de patients traités et
700 000 malades qui s’ignorent, le
diabète, reste, en effectifs, la pre-
mière des affections de longue du-
rée, devant le cancer. Donc un
enjeu de santé publique.
Après avoir flambé de + 5 % par an
pendant 10 ans, la progression de
la maladie s’est ralentie à 2,7 %
l’an passé, parallèlement à celle
de l’obésité.
Les Français ont-ils amélioré leur
hygiène de vie ? Il est difficile
d’identifier les causes de ce ralen-
tissement qui doit être confirmé.
« La hausse du diabète provient
pour moitié du vieillissement de la
population et pour moitié de la
malbouffe et la sédentarité », pré-
cise le Pr Philippe Moulin, organi-
sateur du Congrès annuel de la
Société francophone du diabète
qui a rassemblé 3 600 participants
à Lyon du 22 au 25 mars.
Disparités
socio-économiques
Depuis vingt ans, l’amélioration
du contrôle de la glycémie, de la
pression artérielle et des lipides
ont permis de réduire la survenue
de certaines complications, selon
l’Institut de veille sanitaire. Mais
la prise en charge reste l’objet de
controverses. « Certains médecins
généralistes estiment que l’équili-
bre du diabète est un complot de
l’industrie pharmaceutique. Cer-
tes, cet équilibre ne réduit pas le
risque d’infarctus mais il ne faut
pas oublier les autres complica-
tions », souligne le Pr Moulin.
Si l’éducation thérapeutique s’est
fortement développée, l’observan-
ce des mesures hygiéno-diététi-
ques reste décevante aux yeux de
ce chef d’un service de diabétolo-
gie au CHU de Lyon : « On obtient
de bons résultats les deux premiè-
res années mais il y a souvent un
abandon. Il faut un accompagne-
ment permanent. » Les structures
et les éducateurs sportifs man-
quent mais la motivation des pa-
tients est parfois aussi
problématique. Au sein du réseau
lyonnais Dialogs, les adhérents ne
suivent en moyenne que 1,5 con-
sultation diététique sur les 3 offer-
tes. Quant au programme Sophia
de l’Assurance-maladie, s’il « amé-
liore le suivi de l’ensemble de la
population diabétique, il n’a pas
d’impact significatif à court terme
sur la dépense totale de soins »,
selon sa dernière évaluation.
C’est dans les milieux favorisés
que le suivi clinique est le
meilleur, soulignant le poids des
disparités socio-économiques de la
maladie, tant au niveau individuel
que territorial comme le montre la
carte de France du diabète et de
ses complications avec un taux
plus élevé dans le nord et l’outre-
mer.
C’est le premier poste de dépense
de la maladie dont le coût annuel
est estimé à 10 milliards d’euros.
En 2013, 20 500 malades ont été
hospitalisés pour une plaie du pied
dont 8 000 pour une amputation,
17 000 pour un AVC et 11 700 pour
un infarctus, soit 2,2 fois plus que
la population non diabétique. La
forte augmentation des cirrhoses
non alcooliques inquiète aussi les
diabétologues et les hépatolo-
gues.
SANTÉ
Le diabète, une maladie qui pèse lourd
Mon œil !
Du côté de la malbouffe, l’étau se resserre autour du fructose,
abondamment ajouté dans les aliments transformés, et considéré
aujourd’hui comme un moteur du diabète de type 2. Très bon
marché, il a remplacé peu à peu le saccharose (glucose + fructose)
dans les aliments industriels, sous la forme de « sirop de fructose-
glucose » ou de « sirop de maïs à haute teneur en fructose ».
Les Américains dont 40 % seraient en état « pré-diabétique » en
consomment 25 kilos par an contre 0,5 pour les Français. Certains
mécanismes moléculaires du fructose provoquent une altération de
l’action de l’insuline dans les tissus de l’organisme et augmentent le
développement de la masse grasse viscérale, le « mauvais tissu
adipeux ». Par ailleurs, le fructose a un effet plus faible que le
glucose sur la sécrétion d’incrétines, hormones intestinales qui
favorisent l’action de l’insuline et la régulation de la glycémie. Il est
aussi moins efficace pour déclencher la satiété.
Toujours dans le diabète de type 2, quelques études suggèrent un
lien avec la consommation de certains acides gras et des soupçons
pèsent sur les polluants. Certains de ces polluants comme les PCB
multiplieraient également par 4 le risque de développer un diabète
gestationnel. Lié également au recul de l’âge des maternités, ce
diabète a doublé entre 2004 et 2012 pour toucher 8 % des femmes
enceintes.
Les dangers du fructose
12 C’est en moyenne le
nombre d’années de vie en
moins d’une personne atteinte
d’un diabète de type 1, par
rapport à une personne qui ne
souffre pas de cette maladie. Un
homme de 20 ans vivra en moyen-
ne 11 en de moins s’il a ce diabète
et une femme 13 ans de moins,
selon une étude de l’université de
Dundee (Ecosse), publiée en 2015.
Le diabète de type 1
Précédemment appelé « diabè-
te insulino-dépendant », la
cause du diabète dit de type 1
n’est pas connue. Il nécessite
une administration quotidien-
ne d’insuline, l’hormone qui
régule la concentration en su-
cre dans le sang, en raison
d’une production insuffisante
par le pancréas. Il est habituel-
lement découvert chez les su-
jets jeunes : enfants,
adolescents ou adultes jeunes.
Le diabète de type 2
Appelé aussi « diabète non in-
sulino-dépendant » ou
« gras », le diabète de type 2
représente 90 % des diabètes.
Il résulte d’une mauvaise utili-
sation de l’insuline par l’orga-
nisme et peut parfois passer
inaperçu durant des années.
Les symptômes
Ils peuvent apparaître brutale-
ment : excrétion excessive
d’urine, sensation de soif et
faim constante, altération de
la vision, fatigue…
Journée de dépistage
L’association L.I.D.E.R Diabète
organise une campagne de dé-
pistage dans 70 villes le
23 avril. Liste
sur : http://liderdiabete.org/
evenements/
Repères
Cette maladie multifactorielle, au cœur d’enjeux sociétaux et économiques, progresse à un rythme moins rapide en France qu’au niveau mondial.
Questions à
Propos recueillis
par Sylvie Montaron
Pourquoi vous inquiéter de l’accès
à l’innovation en diabétologie ?
Il y a une situation propre à la diabé-
tologie : certains médicaments ont
des autorisations de mise sur le
marché mais pas de rembourse-
ment. Certains laboratoires ont
abandonné la France car ils trou-
vent qu’elle descend trop les prix.
C’est le cas pour l’empagliflozine.
Cette nouvelle molécule a montré
des résultats dans la baisse de la
mortalité cardiovasculaire. Elle est
disponible dans de nombreux pays
mais nous ne l’avons pas car l’indus-
triel et la Haute autorité de santé
n’ont pas trouvé d’accord sur le prix.
Mais si on descend trop les prix les
grossistes allemands viendront
acheter en France pour se faire des
marges…
Estimez-vous qu’il y a une perte de
chance pour les malades ?
Potentiellement. Les diabétologues
ont aussi quitté les discussions avec
la HAS sur la gliptine, une nouvelle
classe de médicaments que nous
considérons plus sûrs que les sulfa-
mides mais la HAS a fait le choix de
garder ces anciennes molécules.
Certains cancérologues jugent les
prix des industriels indécents. Ce
n’est pas votre cas ?
Pour la gliptine, on parle d’un traite-
ment qui coûte 1 à 2 € par jour pas
10 000 €. Mais il y a trois millions de
diabétiques…
Pour les médecins généralistes, les
diabétologues sont vendus à l’in-
dustrie mais il ne faut pas être angé-
lique. Les mesures hygiéno-
diététiques ne suffisent pas : on a
besoin de médicaments. Il faut que
les industriels puissent s’autofinan-
cer. La mise sur le marché coûte de
plus en plus chère car il faut prouver
que la molécule est bénéfique ou
neutre sur le plan cardio-vasculaire.
Cela veut dire des études sur
5 000 ou 10 000 malades pendant 3
ans. Cela coûte une fortune, donc le
prix des médicaments est de plus en
plus élevé.
« Certains labos ont
abandonné la France »
Philippe Moulin, professeur en médecine, organisateur
du Congrès de la SFD à Lyon
Photo Le Progrès
Capteurs de glycémie, pompes à in-
suline, antidiabétiques… Évalué à
548 milliards de dollars en 2013, le
marché du diabète est l’un des plus
compétitifs du secteur pharmaceu-
tique. Derrière le leader danois No-
vo Nordisk, le français Sanofi a
réalisé un quart de son chiffre d’af-
faires grâce au diabète en 2015
mais avec un résultat en recul de
près de 7 %. Le brevet de son insuli-
ne phare, le Lantus, est tombé dans
le domaine public alors que son suc-
cesseur, le Toujeo, a été jugé par les
autorités sans réelle amélioration.
Cinquième médicament le plus
vendu au monde, le Lantus a rap-
porté 35 milliards d’euros en dix
ans à Sanofi et coûté 236,8 millions
à la Sécu en 2014 (au 7 e rang des
médicaments qui ont lui coûté le
plus cher). Le laboratoire doit sortir
un autre traitement mais s’est aus-
si allié avec Google pour créer une
société dédiée au diabète.
Course au pancréas
artificiel
Plusieurs biotechs françaises sont
aussi sur le marché comme la lyon-
naise Adocia, introduite en bourse
en 2012, qui a signé avec l’améri-
cain Eli Lilly, 3 e leader du marché, le
plus gros partenariat entre une bio-
tech française et un grand labora-
toire, afin de développer une
formule d’insuline ultra-rapide.
Actuellement, la course se joue
autour du pancréas artificiel. Cons-
titué d’un capteur, un logiciel et
une pompe, cet ensemble doit être
autonome pour mesurer en conti-
nu la glycémie et injecter de l’insu-
line si besoin. Une étude clinique
démarre avec un dispositif français
piloté par le CHU de Montpellier.
Mais deux sociétés américaines
sont sur les rangs. Le coût devrait
s’élever à 9 500 euros par an et par
patient soit 10 % de plus qu’une
pompe à insuline seule. Comme
pour les autres dispositifs, se pose-
ra la question du remboursement.
« Il faudra sans doute des quotas »,
remarque le Pr Philippe Moulin, qui
souligne qu’après le rembourse-
ment des pompes à insuline, il y a
eu une « inflation » des forfaits.
Si associations de patients et indus-
triels demandent désormais le rem-
boursement des capteurs de
glycémie dans le diabète de type 1,
pour le diabétologue, cette mesure
continue n’est justifiée que pour
10 % des malades, qui ont un diabè-
te instable.
S.M.
Un marché lucratif pour l’industrie