Protection sociale
Une composition sur un sujet se rapportant aux grands thèmes de la protection
sociale.
SUJET : Faut-il redéployer les dépenses de la protection sociale
française ?
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Dans La disqualification sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ? (2003), le sociologue Robert
Castel considère à propos des individus en difficulté qu’il convient « de ne pas les traiter
naïvement comme des assistés mais comme des personnes provisoirement privées des
prérogatives de la citoyenneté sociale, aussi l’objectif prioritaire est de leur procurer les
moyens de retrouver cette citoyenneté ». Cette analyse résume la philosophie du modèle
de protection sociale française, c’est-à-dire de l’ensemble des mécanismes collectifs de
prévoyance et de gestion des risques, qui recouvre la Sécurité Sociale (créée par
l’ordonnance du 4 octobre 1945), le régime général des salariés, les régimes spéciaux,
les mutuelles ainsi que l’aide sociale.
Dans son dernier rapport en date du 16 mai 2013, l’Observatoire national de la pauvreté
et de l’exclusion sociale (ONPES) insiste sur la nécessid’autonomiser les individus, ce
qui suppose de dégager des moyens capables de financer les interventions de la
protection sociale. Or, le contexte actuel se caractérise par des finances publiques sous
tension qui vont conduire le Gouvernement à adopter en 2014 le premier budget de
l’histoire de la Vème République en baisse, d’autant plus que la Commission européenne
lui a accordé un délai supplémentaire pour réduire sa dette publique aujourd’hui égale à
90,2 % du produit intérieur brut (PIB), à laquelle contribue la dette sociale à hauteur de
150 milliards d’euros. Dès lors, l’étroitesse des marges de manœuvre soulève la
problématique du redéploiement des dépenses de la protection sociale.
En effet, les dépenses sociales remplissent une fonction de stabilisation macro-
économique pour les ménages confrontés depuis 2007 aux conséquences d’une crise
économique et financière mondiale sans précédent. Si la philosophie du modèle français
affirme dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la
protection de la santé, la sécuridu travailleur et des moyens convenables d’existence,
la démarche de réexamen de l’efficacité des politiques publiques initiée par la Révision
générale des politiques publiques (RGPP) puis par la Modernisation de l’action publique
(MAP) suggère de rechercher l’efficience des interventions des opérateurs chargés d’une
mission de service public, parmi lesquels la Sécurité Sociale bien qu’elle demeure une
personne morale de droit privé l’exception des caisses nationales qui constituent des
établissements publics administratifs) comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans sa
décision « Caisse primaire Aide et protection » de 1938. Aussi le redéploiement des
dépenses constitue une hypothèse de rationalisation de l’action de la protection sociale.
Dès lors, il convient de s’interroger sur les évolutions du modèle social français qui
impliquent un redéploiement, ainsi que sur les conséquences de celui-ci au regard des
principes fondateurs de 1945.
Dans quelle mesure le redéploiement des dépenses permet-il d’assurer l’efficacité des
interventions de la protection sociale sans porter atteinte à la philosophie du modèle
français héritée de 1945 ?
Si les évolutions économiques et sociétales impliquent de rechercher l’efficience des
interventions de la protection sociale par un redéploiement de ses dépenses (I), le
modèle français doit parallèlement envisager de diversifier ses ressources dans une
double perspective d’efficacité et de justice sociale (II).
***
I Les évolutions économiques et sociétales impliquent de rechercher
l’efficience de la protection sociale par un redéploiement de ses dépenses.
Il convient d’adapter le modèle assurantiel français aux évolutions économiques et
professionnelles (A), ce qui implique d’envisager un redéploiement des dépenses (B).
A. L’adaptation du modèle assurantiel français aux mutations économiques,
professionnelles et sociétales.
Si l’on se réfère à la typologie établie par Gøsta Esping-Andersen dans les Trois Mondes
de l’Etat-Providence (1999), le modèle français de protection sociale établi au lendemain
de la Seconde Guerre Mondiale dans l’esprit du Conseil national de la Résistance (CNR)
se caractérise par un lien étroit entre le statut de travailleur et la délivrance de
prestations sociales en nature ou en espèces. En effet, les ordonnances du 4 octobre
1945 relative à la Sécurité Sociale et du 19 octobre 1945 relative à la mutualité élaborés
dans le cadre du Plan Laroque conditionnent l’octroi de prestations (qui couvrent les
risques sociaux réduisant ou supprimant la capaci de gain du travailleur et de sa
famille) à une activité professionnelle et au versement de cotisations sociales, qui
financent la protection sociale à hauteur de 45 % jusqu’aux années 1980. Cette logique
assurantielle propre au modèle corporatiste-conservateur bismarckien d’Europe
continentale a été confirmée par les lois du 22 août 1946 et du 20 octobre 1946 relatives
à la famille et aux risques professionnels, deux nouveaux risques couverts par la Sécurité
Sociale et financés par des cotisations à la charge des employeurs.
Cependant, la crise économique ouverte dans les années 1970 par le double choc
pétrolier de 1973 et de 1979 signe la fin de l’ère prospère des « Trente Glorieuses »
(Jean Fourastié), dont le fort taux de croissance annuelle et le plein-emploi ont contrib
au bon fonctionnement du modèle assurantiel fondé sur une logique statutaire. En effet,
l’apparition du chômage de masse et la désindustrialisation, que suscite le déversement
de l’emploi vers les activités de services plus productives et en quête de travailleurs
qualifiés, questionnent le lien statutaire inhérent à l’exercice d’une activi
professionnelle dans un contexte qui voit se multiplier les carrières heurtées. Le
développement de l’emploi atypique (intérim, temps partiel) contribue également à ce
processus.
De même, les évolutions sociétales liées à l’autonomisation croissante des individus dans
les sociétés contemporaines, l’externalisation de la prise en charge des nés et
l’apparition de familles monoparentales (qui représentent aujourd’hui 15 % du total des
familles) ont soit montré les limites du financement assurantiel, soit fait naître de
nouvelles demandes sociales, notamment face à la montée en charge du vieillissement
de la population et à la progression de la précarité et de l’exclusion. Aussi l’émergence de
ces nouvelles demandes de protection inhérentes à la société du « care » (Joan Tronto,
1993) dans un contexte de diminution des rentrées fiscales (suite à la fiscalisation
progressive de la protection sociale depuis les années 1980) et de diminution des
ressources provenant des cotisations sociales (d’autant plus avec la multiplication des
exonérations de charges patronales sur les salaires amorcée par la loi quinquennale du
20 décembre 1993 pour l’emploi) ont mis en évidence la nécessité de maîtriser les
dépenses via leur redéploiement sur des publics ciblés.
B. Le redéploiement des dépenses de la protection sociale dans une optique
d’efficacité.
Le caractère atone de la croissance et la fin du plein-emploi ont contribué à fragiliser les
finances sociales alors même que se multiplient les demandes sociales. Face à la crise de
l’Etat-providence confronté à la nécessité de hiérarchiser les priorités et les demandes
sociales (Pierre Rosanvallon La crise de l’Etat-providence 1981) et aux exigences
européennes de maîtrise des finances publiques qui posent la limite d’une dette publique
inférieure à 60 % du PIB et d’un déficit public n’excédant pas 3 % du PIB sous peine de
sanctions (Pacte de stabilité et de croissance adopté par le Conseil européen des
16-17 juin 1997 et complété par les règlements communautaires 1466/97 et 1467/97),
la maîtrise des dépenses publiques s’est imposée comme une nécessité aux pouvoirs
publics.
Néanmoins, afin de ne pas priver les dépenses sociales de leur rôle stabilisateur et pour
préserver le pacte social, la maîtrise des dépenses publiques s’est accompagnée d’un
redéploiement des interventions sociales. En effet, si les aides au logement ont constitué
un instrument efficace de la réduction des inégalités par la réduction des dépenses de
logement des ménages du fait de leur adaptation évolutive aux revenus, leur efficaci
sociale s’est progressivement dégradée à partir de 1991 en raison de l’absence de
revalorisation des loyers-plafonds et de l’envolée des prix sur le marché de l’immobilier.
Aussi la Cour des Comptes a recommandé un ciblage des aides sur les publics en
difficulté (en préconisant la suppression progressive de l’ALS et des APL aux étudiants
non boursiers) dans le sens les transferts sociaux permettent de réduire le taux de
pauvreté de 50 %.
Le ciblage des publics en difficulté a donc été généralisé ou expérimenté dans plusieurs
domaines d’intervention du champ de la protection sociale. En matière de politique du
handicap, la loi de finances pour 2009 a durci la conditionnalité de la prestation
« Allocation adulte handicapé », par ailleurs revalorisée, désormais conçue comme un
tremplin vers l’insertion professionnelle puisque conformément au rapport conjoint rendu
en 2006 par l’IGAS et l’IGF et aux conclusions de la conférence du handicap (2008), les
financements dédiés à l’AAH ont été redéployés en faveur de l’insertion professionnelle.
Le Comité interministériel des villes du 19 février 2013 a pris acte du rapport public
thématique « la politique de la ville : une décennie de réformes » rendu le 5 juillet 2012
par la Cour des Comptes et a décidé d’une réorientation des crédits sur 1 000 territoires
prioritaires, afin de ne plus pallier les crédits insuffisants de droit commun des autres
ministères. Suite au rapport « Les aides aux familles » du 9 avril 2013 étalbie par
Bertrand Fragonard, le Gouvernement a annoncé le 3 juin les orientations de la politique
familiale rénovée. Par le plafonnement du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros pour
les ménages les plus aisés appartenant aux deux déciles supérieurs, l’excédent de
1,3 milliards d’euros ainsi engagé financera la majoration du complément familial de
50 % pour les familles modestes, la création de 275 000 solutions d’accueil des jeunes
enfants via la hausse de 7,5 % par an du Fonds national d’action sociale et une meilleure
articulation entre vie familiale et professionnelle des femmes.
Cependant, si le redéploiement des dépenses permet de réorienter les financements de
manière plus efficace et juste en faveur de publics en difficulté, il questionne la
philosophie originelle du système français dans la mesure il suggère que la protection
sociale n’a pour finali que d’aider certains. Par conséquent, le modèle français doit
parallèlement à la réorientation de ses dépenses envisager de diversifier ses ressources
dans une double perspective d’efficacité et de justice sociale.
II Le modèle français de protection sociale doit parallèlement envisager de
diversifier ses ressources dans une double perspective d’efficacité et de justice
sociale.
La protection sociale française doit engager un processus de diversification de ses
ressources (A) et dépasser la logique du « care » au profit du développement social (B).
A. Un processus de diversification des ressources de la protection sociale en cours.
Si le ciblage des publics en difficulté recommandé par les magistrats financiers permet de
redéployer les dépenses au profit des plus précaires tout en stabilisant le cadre
d’intervention à volume constant, il questionne toutefois les principes fondateurs du
système de protection sociale mis en place en France en 1945. Outre l’effet de
stigmatisation que peut induire le ciblage de certains dispositifs (plan de réussite
éducative des "cordets de la réussite" en matière de politique de la ville), il remet en
cause l’universali de la protection sociale et fragilise la cohésion sociale et nationale
dans un contexte de crise qui voit se multiplier les cas de désaffiliation sociale et
d’isolement. En effet, la suppression des aides au logement pour les étudiants induit de
fragiliser les individus qui ne sont pas boursiers alors qu’il n’existe pas de statut de
l’étudiant en France, comme l’idée avait été lancée lors de la campagne présidentielle de
2007 via un financement par le produit de la taxation des successions. De plus,
redéployer les dépenses en faveur de publics cibles peut susciter des effets de seuil, à
l’instar de la modulation des allocations familiales dans le cadre de la mise sous
conditions de ressources qu’avait initiée en 1997 le Gouvernement Jospin pour
finalement l’abandonner l’année suivante. Au risque de menacer « l’égalité des citoyens
devant les charges qui résultent des calamités nationales » énoncée par le Préambule de
la Constitution du 27 octobre 1946, la réorientation des dépenses ne peut être le seul
volet actionné mais doit être complété par une diversification des ressources.
L’émergence de nouvelles demandes sociales liées aux évolutions sociétales a mis en
exergue les limites du redéploiement des dépenses et la nécessité de disposer de
ressources, diversifiées depuis les années 1980 au regard de la problématique du coût du
travail dans le cadre d’une économie ouverte et soumise à la concurrence internationale.
Avec une progression de l’ordre de 60 % de la proportion de personnes de plus de 65 ans
d’ici 2060, la dépendance est devenue un enjeu majeur dont les financements ne sont
pas à la hauteur, à l’instar de l’abandon en 2011 des Etats généraux de la dépendance et
des groupes de travail animés par M.A. Montchamp et R. Bachelot. Face au vieillissement
de la population et à l’asphyxie financière des départements confrontés à une montée en
charge nette totale des dépenses d’action sociale de 11 % pour la seule année 2011
(4,95 milliards d’euros) liée aux transferts de compétences organisés par la loi du
13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, le rapport Gisserot (2005)
recommandait de poursuivre le processus de diversification des ressources de la
protection sociale.
Institué par le décret du 20 septembre 2012, le Haut Conseil pour le financement de la
protection sociale (HCFiPS) a été chargé par le Premier ministre de réfléchir à la
clarification et à la diversification des ressources de la protection sociale dont les travaux
ont été publiés par un rapport de synthèse (octobre 2012) puis par un rapport d’étape
(mai 2013). Le Haut Conseil recommande de poursuivre la taxation du patrimoine,
opérée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui créé la constitution
additionnelle de solidarité autonomie (CASA) à partir de 2014. Prélevée à hauteur de
0,3 % sur les revenus de remplacement et du patrimoine, elle s’ajoutera à la contribution
de solidarité autonomie prélevée sur les revenus d’activité depuis sa création par la loi du
30 juin 2004 de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et handicapées. De
plus, une fois le rattrapage achevé sur la fiscalité du patrimoine (et afin d’éviter l’évasion
fiscale au sein d’un espace européen peu harmonisé), les économistes Henri Sterdyniak
et Jacques Le Cacheux –à l’instar du HCFiPS- se sont prononcés en faveur de la fiscalité
environnementale (dont le double dividende permet de réduire le coût du travail et la
dette sociale), et comportementale, dans une logique incitative qui vise à infléchir
durablement les comportements de consommation. En revanche, le financement de la
protection sociale par le consommateur n’est pas souhaitable (TVA sociale, Contribution
sur la valeur ajoutée, d’autant plus dans le contexte actuel de crise qui fragilise la
demande intérieure (Rapport Lagarde Besson 2007). Par ailleurs, l’impact positif en
termes de création d’emplois (qui soulageraient les dépenses sociales) ne s’est pas
statistiquement vérifié suite à son expérimentation dans les DOM-TOM par la loi du
24 juillet 1994 tendant à améliorer l’emploi et les activités économiques.
Cependant, si la diversification des ressources a permis de dégager de nouvelles recettes
pour financer des dépenses sociales incompressibles, la tendance naturelle à la hausse
des dépenses de santé, la progression inquiétante des maladies professionnelles et
l’asphyxie financière des départements pose la question de la sortie du "care" au profit du
développement social, qui s’inscrit davantage dans une logique préventive et incitative.
B. Dépasser la logique du "care" au profit du développement sociale.
Si la diversification des ressources de la protection sociale est souhaitable et
envisageable, elle se heurte néanmoins au contexte actuel de crise et au poids des
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