la formation de la pensée économique de marx

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LA FORMATION DE LA PENSÉE ÉCONOMIQUE DE MARX
Source : Ernest Mandel, La formation de la pensée économique de Karl Marx de
1843 jusqu’à la rédaction du « Capital », étude génétique, François Maspéro, 1967
<>
Pas note de synthèse, mais résumé de l'ouvrage de Mandel, qui va nous
permettre de refaire le parcours de l’année dernière – celui de l'élaboration progressive
du matérialisme historique - sous l’éclairage particulier de la pensée économique.
Autres ouvrages utilisés :
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Bottigelli Émile, Genèse du socialisme scientifique, Editions sociales, 1967
Cornu Auguste,
o Karl Marx et Friedrich Engels (4 tomes), PUF, 1955-1960
o La participation de F. Engels à l'élaboration du matérialisme historique (1842-1846), in La
Pensée, n° 153, octobre 1970.
Fondu Guillaume, Introduction et postface à Contribution à la critique de l’économie politique de
K. Marx, Editions sociales, 2014.
Garo Isabelle, Marx, Une critique de la philosophie, Points/Essais, 2000.
Heinrich Michael, Comment lire le Capital de Marx, Smolny..., 2015 (pour son annexe 1 consacrée
aux écrits économiques critiques de Marx)
Mehring Franz, Karl Marx, Histoire de sa vie, Omnia, 2009 (1ère édition : Editions sociales, 1983)
Lefebvre Henri, La pensée de Karl Marx, Bordas, 1966
Sève Lucien, Aliénation et émancipation, précédé de Urgence de communisme, suivi de Karl Marx :
82 textes du Capital sur l'aliénation, La dispute, 2012
Je vais organiser le parcours de M&E en trois périodes :
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1842-1846 – M&E passent d’abord, de fin 1842 à début 1844, de la simple critique
de la propriété privée à celle du capitalisme, puis, de 1844 à 1846, de la
condamnation du capitalisme à la justification socio-économique du communisme.
1844-1848 - théorie de la valeur et première analyse d’ensemble du mode de
production capitaliste1.
1848-1866 - brève ferveur révolutionnaire et retour prolongé, -mais contrarié, -à la
lecture et à l’étude qui va mener à ce que L. Sève appelle le « massif du Capital ».
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Lapériodedecettedeuxièmepartiesechevaucheaveccelledelapremièrepartieparceque
nousallonsconvoquerdenouveaudanslescommentaireslesManuscritsde1844.
1.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------Textes de la période :
Article de Marx sur les vols de bois dans la Rheinische Zeitung (octobre 1842),
Lettre de Marx à Ruge de septembre 1843 (publiée in AFA fév 44),
Sur la question juive (1843, publié in AFA fév 44),
Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843, publié in AFA, fév 44),
Esquisse d'une critique de l'économie politique d’Engels (fin 43, publié in AFA fév 44),
Article d’Engels dans le New Moral World de fin 43-début 44,
La situation de l’Angleterre d’Engels (janvier 44, publié in AFA fév 44),
Manuscrits de 1844 ou Manuscrits économico-philosophiques ou Manuscrits de Paris
(rédigés à partir de mars-avril 1844, publiés en 1932)
9. La Sainte Famille ou la critique de la critique critique (rédigé fin 44, paru en février 45),
10. La situation de la classe laborieuse en Angleterre d’Engels (fin 44-début 45).
11. Thèses sur Feuerbach (1845 ; première parution en 1888)
12. L’Idéologie Allemande (rédigé en 1845-1846 avec F. Engels ; première parution en 1932).
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En 1842, dans l'article sur les vols de bois, la ligne de Marx est celle de la lutte
pour un État « humain », de la lutte pour les « droits humains » contre les résidus
féodaux. L’Etat devrait être « la réalisation de la liberté ». Or, Marx constate que les
« Stände » (Etats) représentés à la Diète provinciale de la Rhénanie s’efforcent, au
contraire, de « dégrader l’Etat à l'idée de l'intérêt privé ». À ce stade, Marx voit
dans la propriété privée une appropriation privée, « monopolisatrice » d’un bien
commun. On n’est pas encore arrivé à la critique de la « société civile » et de
l'économie politique, mais on s'en approche.
Dans son premier article sur la question juive, Marx se donne pour but d'examiner
les rapports entre l'émancipation politique et l'émancipation humaine tout court.
L'argent et la propriété sont source de l'aliénation humaine. Le travail, le travailleur, le
prolétaire sont l'incarnation de cette humanite aliénée.
Marx passe ensuite à la Critique de la philosophie du droit de Hegel et se rend
compte que « l’état du travail immédiat » (ie la masse de ceux qui ne possèdent
rien, le prolétariat) constitue la précondition pour l'existence de la société bourgeoise.
Le prolétariat doit être l'auteur de son émancipation, mais sous la houlette de la
philosophie, comme l'indique la formule célèbre : « La philosophie est la tête de
l'émancipation humaine. Le prolétariat en est le coeur ». Il ne s'agit donc pas de
supprimer la philosophie, mais de la réaliser.
Tout cela se situe encore dans des limites philosophiques marquées par un
certain humanisme sentimental, c'est-à-dire l’approche anthropologique de
2
Feuerbach, qui part d’un homme abstrait, a-historique, jamais replacé dans ses
conditions sociales concrètes. La condition prolétarienne est condamnée comme
« injuste », immorale.
Il évoque cela dans sa lettre à Ruge de septembre 1843, lettre dans laquelle, pour la dernière fois, -il refuse encore de se déclarer communiste.
Il en va de même chez Engels, dont le communisme s’adresse en premier lieu à
la bourgeoisie libérale et aux intellectuels. Dans l’Esquisse d’une critique de
l’économie politique, bien des conceptions sont moralisatrices et idéalistes (ex. : le
commerce utilise « des moyens immoraux pour un but immoral »).
Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre, c’est encore l'indignation
morale qui prédomine, mais elle a déjà pris des accents révolutionnaires dans la
mesure où la lutte du prolétariat est clairement indiquée comme le seul véhicule
possible du socialisme. Ce rôle, toutefois, le prolétariat ne le doit pas tant à sa place
dans le processus de production, qu’à la misère qu'il subit.
À noter que cet ouvrage d’Engels, paru fin 44-début 45, intervient peu après le
début de la collaboration permanente entre Marx et Engels, qui date de fin août 1844,
et dont le premier fruit, fin 44, sera La sainte Famille2.
Au cours de son exil parisien, Marx s’est jeté à corps perdu (à partir de marsavril ?) dans l’étude de l’économie politique. Il prend de nombreuses notes qui ne sont
pas destinées à être publiées, que nous connaissons aujourd'hui sous le titre de
Manuscrits de 1844, et qui ont été publiés en 1932.
Ce nouveau chantier est concomitant de la première profession de foi
communiste de Marx, qui date de mars 1844. On sait par Engels que cette conversion
est liée aux lectures que Marx est en train de faire, mais aussi à l’étude des socialistes
français et de l'histoire de France.
On peut penser, ajoute Mandel, qu'ont pu aussi jouer un rôle l'observation du
climat global de la société française sous Louis Philippe, les premiers contacts de
Marx avec la classe ouvrière et la condition prolétarienne, et - enfin - les relations qu'il
noue avec Moses Hess.
Les Manuscrits de 1844 sont importants tout d’abord parce que, pour la première
fois, le concept d'aliénation y reçoit un contenu socio-économique approfondi. Marx
passe de l’homme aliéné dans un monde déshumanisé à l'homme dans une société
déshumanisée. Société déshumanisée parce que le travail y est un travail aliéné. Marx
élargit le concept feuerbachien de l’essence humaine et transpose la critique de
2
Cet ouvrage, qui n’a pas une visée économique, contient une critique très élogieuse de
Qu'est-ce que la propriété ? De Proudhon : « L’ouvrage ... a la même signification pour
l’économiepolitiquemodernequel’ouvragedeSieyès,Qu'est-cequeleTiersÉtat?,apour
lapolitiquemoderne».
3
Feuerbach de la philosophie à l’économie. « Le communisme philosophique
devient un communisme sociologique », écrit Mandel.
Marx explique que plus l'ouvrier travaille, plus il crée un monde d'objets qui lui
sont hostiles et qui l’écrasent. Deux citations. La première :
« chaque homme spécule pour créer un nouveau besoin
pour autrui, et pour l'obliger à de nouveaux sacrifices, pour
lui imposer un nouveau rapport de dépendance, et pour le
séduire à un nouveau mode de jouissance, et de ce fait à la
ruine économique ».
La seconde :
« ... avec la masse des objets se développe ainsi
l'empire des êtres étrangers auxquels l'homme est soumis,
et chaque nouveau produit est un nouvel élément potentiel
de tromperie réciproque et de pillage mutuel. L’homme
devient d'autant plus pauvre en tant qu'homme, il a besoin
d’autant plus d'argent, afin de s'approprier ces êtres
étrangers, et la puissance de son argent tombe en
proportion inverse de la masse de la production, c'est-à-dire
son état de besoin augmente dans la même mesure où la
puissance de l'argent augmente ... »
Marx analyse le salaire. Il dit que sous l’effet de la concurrence entre les ouvriers
il a tendance à tomber vers le niveau de subsistance le plus bas. Il pressent la théorie
de la « paupérisation relative » quand il affirme que même en période de haute
conjoncture « l'augmentation des salaires est plus que compensée, pour le
capitaliste, par la réduction de la quantité de temps de travail ». Comprendre : en
raison de la baisse de valeur rapide des marchandises par suite de l'accroissement
de la productivité, la contre-valeur du salaire peut être produite dans une fraction de
plus en plus réduite de la journée de travail. En attendant, il maintient encore son idée
d’une baisse inexorable (systémique) des salaires ; il n’y renoncera que bien plus tard.
Contrairement à Malthus et Ricardo, toutefois, il n’en fait pas l’effet d'une quelconque
« loi de l’accroissement de la population », mais l’effet de la séparation des ouvriers
de leurs moyens de production.
Dans les Manuscrits, le « communisme (est conçu) en tant que dépassement
positif de la propriété privée » supposant la socialisation des moyens de
production ; supposant aussi un degré de développement élevé des forces
productives.
Bien sûr, c’est un communisme encore essentiellement philosophique. Quoi qu'il
en soit, Marx et Engels sont tous les deux arrivés, fin 44, à l'idée qu'il faut supprimer
la propriété privée et le capitalisme, et que l’horizon de la société est le communisme.
4
Les choses ne vont pas en rester là.
Au printemps 45, Marx couche sur un cahier les Thèses sur Feuerbach, parmi
lesquelles la VIè nous concerne directement : « L’essence humaine n’est pas une
abstraction inhérente à l'individu pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble
des rapports sociaux ». Un an seulement a passé depuis les premières notes
afférentes aux Manuscrits de 1844, et le progrès est considérable. Exit la conception
anthropologique de l'aliénation. Lucien Sève3 fait ce commentaire : « Pour
comprendre les faits humains, il faut abandonner tout discours sur l'homme, se
mettre à l'étude scientifique concrète de la seule réalité que puisse recouvrir la
catégorie philosophique d’essence humaine : les rapports sociaux ».
Du printemps 45 à la fin 46, M&E travaillent à la rédaction de L’Idéologie
Allemande. Nous avons vu l’an dernier l'importance que revêt cet ouvrage dans
l’évolution de la pensée de M&E : c’est le premier exposé méthodique et complet du
matérialisme historique. À partir de cet ouvrage, M&E ne cherchent plus à comprendre
l'histoire à partir du travail aliéné (ie du travail comme manifestation de soi), mais à
partir de la division du travail (ie du travail comme rapport social).
Guillaume Fondu estime dans son introduction à la Contribution à la critique de
l’économie politique que c'est avec les Thèses sur Feuerbach et L’Idéologie Allemande
que l’économie remplace la philosophie comme objet spécifique de la critique,
ajoutant : « Prenant au sérieux sa thèse VI sur l'essence de l’homme, Marx rompt
avec « (son) ancienne conscience philosophique » et se tourne vers le discours
qui cherche à penser les rapports sociaux, l’économie politique ».
Mandel pointe trois apports particuliers de l’IA à la pensée économique de M&E :
1. Une vue plus dialectique du capitalisme et du commerce mondial. La
généralisation des rapports marchands entraîne, certes, d’un côté, la mutilation
généralisée des individus et la vénalité généralisée, mais, d’un autre côté, elle
est aussi leur enrichissement potentiel du fait qu'elle brise le cadre étroit de leur
existence locale. Grâce au marché mondial, les individus acquièrent « la
capacité de jouir de cette production universelle de toute la terre ». Marx
reviendra sur cette idée dans les Grundrisse en parlant « du grand aspect
historique du Capital ». Voir aussi, bien sûr, le Manifeste.
2. Sur le développement universel des besoins humains : la grande industrie
moderne l’a préparé, le communisme doit le réaliser.
3. Sur le mode de distribution : « la règle fausse, fondée sur nos conditions
existantes, « à chacun selon ses capacités », dans la mesure où elle se
rapporte à la jouissance dans le sens le plus étroit, doit être transformée
en la règle : « à chacun selon ses besoins » ; en d'autres termes, la
3
Aliénationetémancipation.
5
différence d'activités, de travaux, ne justifie pas d'inégalités, pas de
privilèges de propriété ou de jouissance ».
Le rapport entre ces trois éléments : le développement du commerce mondial et
de la grande industrie crée l'universalité du développement humain et l'universalité des
besoins. La société communiste, qui s'appuie sur ces prérequis, ne peut que rejeter
toute « distribution d'après le travail » ou « d'après les capacités ».
Retenons qu'à partir de L’IA M&E font clairement le lien entre l'abolition de la
production marchande et l'avènement d’une société communiste. Ils ne reviendrons
plus là-dessus.
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------Textes de la période :
1.
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3.
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Derechef Manuscrits de 1844
Critique de la politique et de l’économie politique (plan) (fin 1844 ?)
Derechef L’Idéologie Allemande (rédigé en 1845-1846)
Lettre à Annenkov du 28 décembre 1846
Misère de la philosophie (rédigé début 47)
Principes du communisme/Grundsätze des Kommunismus (rédigé fin octobre 1847)
Travail salarié et capital (série d'articles parue dans la Neue Rheinische Zeitung en 1849
qui reproduit des conférences données par Marx devant l’association ouvrière de Bruxelles
fin 1847 ; de nouveau publié en 1891 par Engels avec une terminologie alignée sur celle du
Capital)
8. Manifeste du Parti communiste (rédigé début 1848)
Dans les Manuscrits de 1844, Marx rejette la théorie de la valeur-travail. Mais,
trois ans plus tard, début 47, dans Misère de la philosophie, il l’accepte.
Marx, -qui vient de lire en 1844 Smith et Ricardo, -voit d'abord la réalité de la
valeur au niveau du monde des prix ; il polémique avec Ricardo sur sa théorie de la
valeur-travail, qu'il trouve trop abstraite, ne prenant pas en compte la réalité de la
concurrence, mais il la conçoit comme composée de l'apport du travail et de celui des
matériaux sur lesquels œuvre le travail.
En 44 toujours, il lit Say, Sismondi, J. Mill et d'autres encore. Progressivement, il
évolue par rapport à Ricardo. Il ne juge plus sa théorie de la valeur-travail abstraite, et
la considère maintenant comme « un moment du mouvement réel ». La théorie de
Ricardo fonctionne, dit Marx, lorsque l’offre et la demande s'équilibrent. Le problème
est que cette situation d'équilibre ne se produit qu'exceptionnellement, ce qui fait dire
à Marx que la théorie de la valeur-travail de Ricardo, décidément, est « abstraite »
tandis que les prix, eux, sont « concrets ».
Fin 44, Marx a couché sur le papier le plan d’un ouvrage qui constituerait une
« Critique de la politique et de l’économie politique » (dont les Manuscrits sont sans
doute une première ébauche), et pour la rédaction de laquelle il part six semaines en
Grande-Bretagne avec Engels mi-45.
Ce voyage va faire évoluer Marx sur le sujet de la valeur. Il découvre l'usage
social-révolutionnaire que des écrivains socialistes anglais font de la théorie de
4
Lapériodedecettedeuxièmepartiesechevaucheaveccelledelapremièrepartieparceque
nousallonsconvoquerdenouveaudanslescommentaireslesManuscritsde1844.
7
Ricardo. Il commence à apercevoir que la théorie de la valeur-travail crée « un droit
de l'ouvrier à tout le produit de son travail », et il comprend que si l’économie
politique anglaise s'était détournée de Ricardo c’était en raison du fait qu'elle jugeait
ses thèses dangereuses. Voici ce qu'écrit John Cazenove en 1832 : « Que le travail
soit la seule source de richesse, voilà ce qui semble être une doctrine aussi
dangereuse que fausse, puisqu'elle fournit malheureusement un levier à ceux
qui cherchent à représenter toute propriété comme appartenant aux classes
laborieuses, et la part reçue par d'autres comme du vol ou une fraude à l’égard
des ouvriers ».
Marx rentrera à Bruxelles avec des vues plus favorables à l’égard de la valeurtravail. Il va finir par relier la stabilité relative de la valeur d’échange (mesurée par la
quantité de travail nécessaire à la production) et les fluctuations des prix résultant du
jeu de l'offre et de la demande. Il va avancer que les coûts de production sont l'axe
des fluctuations des prix. Si ces derniers tombent en-dessous des coûts de production,
l'entreprise est éliminée. Si, au contraire, les prix de vente sont au-dessus des coûts
de production, il y a surprofit. Cette situation attire de nouveaux opérateurs,
provoquant, du même coup, une surproduction temporaire, et, au final, une baisse des
prix.
Marx reformule ainsi les choses : le travail (abstrait) est l'essence de la valeur
d’échange parce que, dans une société fondée sur la division du travail, il constitue le
seul tissu conjonctif qui permet de comparer mutuellement et de rendre
commensurables les produits du travail d'individus séparés les uns des autres.
M&E, qui, en 45-46, sont en train de rédiger L’IA, ne commettent pas l’erreur de
voir dans ces catégories économiques des lois éternelles. La valeur d’échange est
bien définie comme un rapport social historiquement situé. Il en va de même dans
Misère de la philosophie, rédigé début 47. Dans la lettre à Annenkov du 28 décembre
46, dans laquelle il commente (éreinte) longuement Philosophie de la misère, Marx
rapporte ces catégories économiques à un « développement déterminé des forces
productives ».
Misère de la philosophie (et la lettre à Annenkov qui en est le brouillon) inaugure
une série d’ouvrages qui, de fin 46 à début 48, vont proposer une analyse d'ensemble
du mode de production capitaliste (cf. supra références 4 à 8).
Misère de la philosophie est le premier exposé correct et global de la conception
matérialiste de l'histoire et – dit Pierre Naville – « la première œuvre économique
que Marx ait toujours considérée comme partie intégrante de son œuvre
scientifique de maturité ». L'ouvrage – dans lequel on trouve des développements
sur l’origine du capitalisme, son développement, ses contradictions et sa chute future
- marque des progrès considérables par rapport aux Manuscrits de 1844. Entre ces
derniers et Misère de la philosophie est venue s'intercaler, -ne l'oublions pas, -L’IA.
8
Travail salarié et capital ne paraît qu’en 1849, dans la Neue Rheinische Zeitung,
mais a été rédigé fin 47 ou début 48 pour des conférences données devant
l'association ouvrière de Bruxelles. Marx y reprend et élargit les mêmes idées que dans
Misère de la philosophie, surtout en ce qui concerne la détermination du salaire. Pour
la première fois, il pressent l'essentiel de sa théorie de la plus-value :
« Le capital ... Se conserve et s'accroît par son échange
contre le travail immédiat, vivant... L'ouvrier reçoit des
moyens de subsistance en échange de son travail, mais le
capitaliste, en échange de ses moyens de subsistance,
reçoit du travail ; lactivité productive de l'ouvrier non
seulement restitue ce qu'il consomme, mais donne au travail
accumulé une valeur plus grande que celle qu'il possédait
auparavant ».
Les Principes du communisme et le Manifeste reprennent de manière plus
succincte les idées des deux ouvrages précédents.
L'origine du mode de production capitaliste est maintenant retracée dans des
termes qui ne varieront plus : découverte de l’Amérique > importation des métaux
précieux > facilitation de l'accumulation des capitaux > chute générale des salaires et
des rentes foncières féodales5 > hausse considérable des profits.
Simultanément, le développement du commerce maritime et colonial élargit les
débouchés et accroît le volume de la production de marchandises.
En 47, M&E admettent encore une loi générale de baisse des salaires à long
terme. Ceux-ci peuvent bien s'élever, en période de haute conjoncture, au-dessus du
niveau qui correspond à la production des moyens de subsistance strictement
nécessaires, ils repasseront en-dessous de ce niveau en période de crise et de
chômage.
Dès 47, en revanche, Marx élabore une loi de l'accumulation du capital qui est
destinée à jouer un rôle particulièrement fertile dans son œuvre ultérieure :
« C’est donc une loi générale qui découle
nécessairement de la nature des rapports du Capital et du
Travail, qu’au cours de la croissance des forces productives
la partie du capital productif qui est transformée en
machines et matières premières, ie le capital en tant que tel,
croit en une proportion plus forte que la partie (du capital)
qui est destinée aux salaires, ie en d'autres termes : les
5
Lachutedelarentefoncièreféodaleobligelanoblesseàrenvoyerunebonnepartdesa
suite,cequijetteàlarue,auxXVIèetXVIIèsiècles,unemassedevagabondsetdemendiants
quelesmanufacturesmettrontautravail.
9
ouvriers doivent se partager, par rapport au capital productif
dans son ensemble, une partie toujours plus petite de celuici. Leur concurrence en devient d'autant plus violente ».
C’est là une première esquisse de la loi de l'augmentation de la composition
organique du capital, dont découle la loi de la chute tendancielle du taux moyen de
profit.
Enfin, M&E perçoivent déjà que la concentration simultanée de richesse et de
misère aux deux pôles de la société est une des causes des crises périodiques de
surproduction6.
6
Surlescrisespériodiques,cf.Chapitre5.
10
3.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------Textes de la période :
•
•
Mai 48-mai 49 : Nouvelle Gazette rhénane « de Cologne » (dont Travail salarié et Capital)
Début 50-nov 50 : Nouvelle Gazette rhénane « de Hambourg » (dont Les luttes de classes en
France, 1848-1850)
•
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (paraît en mai 52 à New-York dans le premier fascicule
de la revue La Révolution, fondée par Weydemeyer)
Introduction de 1857 (rédigée en août/septembre 57 ; ne pas confondre avec l’Introduction
aux Grundrisse rédigés peu après)
Manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse ; rédigés de mi-octobre 57 à fin mai 58 ; publiés à
Moscou en 1939 et 1941.
Traductions françaises :
o Roger Dangeville, Editions Anthropos, 1967-1968 (« des plus désinvolte » selon
Lucien Sève)
o Jean-Pierre Lefebvre, Editions sociales, 1980 (2 volumes) et 2011 (1 volume).
Version primitive de la Contribution à la critique de l’économie politique (rédigé en 1858 ;
publié pour la première fois en 1941 sous forme d'annexe des Grundrisse)
Critique de l’économie politique (rédigé en 1859)
Contribution à la critique de l’économie politique ou Manuscrits de 1861-1863 (Cahiers I à
V)
Traduction française :
o Jean-Pierre Lefebvre (coord.), Editions sociales, 1979.
Théories sur la plus-value (rédaction achevée début 63 ; devaient constituer le livre IV du
Capital) (Manuscrits de 1861-1863, Cahiers VI à XV et XVIII).
Traductions françaises :
o Costes, 1924-1925 (« dénuée de toute rigueur » selon L. Sève en plus d'être affublée
du titre injustifié d’« Histoire des doctrines économiques »)
o Gilbert Badia (coord.), Editions sociales, 3 volumes, 1974, 1975 et 1976
Chapitre VI (« inédit ») du livre I du Capital (rédigé en 1864 ; Manuscrits de 1863-1865)
Traduction française :
o Laurent Prost, Gérard Cornillet et Lucien Sève, Editions sociales/GEME, 2010.
Salaires, prix et profits (conférences données en juin 1865 devant le comité central de l’AIT ;
publiées par Eleanor Marx en 1898)
Le livre I du Capital, critique de l’économie politique paraît à Hambourg le 14 septembre
1867. Les livres II et III seront publiés par Engels après la mort de Marx.
Traduction française :
o Joseph Roy, Editions sociales, 3 volumes, 1950.
•
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De 1848 à 1850, on trouve Marx et Engels successivement, ensemble ou
séparément, à Paris, à Cologne, de nouveau à Paris, et finalement à Londres. Ils
participent d’abord au mouvement révolutionnaire à Paris, puis à Cologne. Ils y lancent
11
la Nouvelle Gazette rhénane (Neue Rheinische Zeitung)7 qui, de mai 48 à mai 49, va
mobiliser leurs énergies (et leurs finances). Expulsé de Prusse en mai 49, Marx
retourne d'abord brièvement à Paris avant de partir pour Londres en août. Entretemps, en juin-juillet 49, Engels a participé au soulèvement de Bade.
En 1850, Marx (re)fonde la Nouvelle Gazette rhénane dans laquelle il publie une
série d'articles sur la révolution de 1848 en France8. Le n° de mars-avril est consacré
à la situation économique de l’Angleterre. La revue cesse de paraître en novembre.
En 1850, Marx se persuade enfin que l'effervescence révolutionnaire est passée,
et il se remet à l’étude de l’économie politique au British Museum. Engels reprend son
travail au sein de la firme paternelle à Manchester. Il aide financièrement Marx. La
correspondance des deux hommes est quasi-quotidienne.
En 1852, Marx tombe gravement malade. À la fin de l'année, il est accaparé par
le procès des communistes de Cologne.
Il pense de plus en plus qu'il y a urgence à approfondir la théorie économique et
y consacre une grande partie de son temps, bien qu'il soit obligé, pour permettre à sa
famille de survivre, de donner de nombreuses chroniques au New York Daily Tribune.
Il écrit également pour la presse anglaise, allemande, et même sud-africaine. Sa vie
de « rat de bibliothèque » et de « chroniqueur alimentaire » va se poursuivre ainsi
pendant de longues années.
Depuis fin 56, Marx ressent les effets de la crise monétaire qui débouche en 57
sur une crise économique et commerciale.
Dans une lettre à Engels du. 8 décembre 57, il écrit qu'il pense pouvoir livrer
« avant le déluge » une première synthèse de ses travaux théoriques9. Sa mauvaise
santé et son perfectionnisme l'en empêcheront. Les Grundrisse, texte inachevé,
« premier grand brouillon du Capital » selon L. Sève, seront publiés à Moscou
pendant la 2è GM.
7
LarevuepublieTravailsalariéetcapitalen1849.Parbeaucoupd'aspects,c’estaussiune
chronique économique du capitalisme du temps. À ce titre, elle participe pleinement des
progrèsultérieursdelaréflexiondeM&E.
8
ArticlesrééditésparEngelsàLondresen1895sousletitreLesluttesdeclassesenFrance,
1848-1850.
9
GuillaumeFonduindiquequ’apuaussijouerunrôledansladécisiondeMarxdeproduire
rapidementuntextelapublicationparProudhond’unManuelduspéculateuràlaBourse:
«Marxrefusede(lui)céderlemonopoledelacritiquedelafinanceetdel'économieen
général».
12
On constate dans les Grundrisse que Marx a perfectionné la théorie du travail
abstrait créateur de valeur d’échange. Le travail concret crée la valeur d’usage tandis
que le travail abstrait (= fraction du temps de travail social globalement disponible)
crée la valeur d’échange.
Mais ce n’est pas l'échange qui crée la plus-value. C’est un processus grâce
auquel le capitaliste obtient sans échange, sans équivalent, gratuitement, du temps de
travail cristallisé en valeur. Et ce processus n’est rien d'autre que la jouissance par le
capitaliste de la valeur d’usage de la force de travail, qui a la qualité de pouvoir produire
de la valeur bien au-delà de l'équivalent de sa propre valeur d’échange, de ses propres
frais d’entretien. Cette distinction subtile entre la valeur d’échange et la valeur d’usage
de la force de travail est le fondement de la théorie marxiste de la plus-value.
Ici, un passage remarquable des Grundrisse :
« Valeur d’usage pour le capital, le travail n’est que
valeur d’échange pour l’ouvrier, seule valeur d’échange
disponible... La valeur d’usage d’une chose ne concerne pas
son vendeur en tant que tel, mais ne concerne que son
acheteur (...) le travail que l'ouvrier vend au capitaliste en
tant que valeur d’usage (...) est pour l'ouvrier une valeur
d’échange qu'il désire réaliser, mais qui est déjà
prédéterminée avant l'acte d’échange (...) La valeur
d’échange du travail est donc aussi prédéterminée (...) Elle
ne dépend pas de la valeur d'usage du travail. Pour l'ouvrier,
elle n'a de valeur d'usage que dans la mesure où elle
constitue une valeur d’échange, et non pas dans la mesure
où elle produit des valeurs d’échange. Mais pour le capital,
elle n'a de valeur d’échange que dans la mesure où elle a
valeur d'usage (...) Que l'ouvrier ne puisse pas s'enrichir
dans cet échange, dans la mesure où il (...) aliène sa
capacité de travail en tant que force créatrice, cela est
évident (...) Il aliène le travail en tant que force capable de
produire la richesse ; et c’est le capital qui s'approprie cette
force. La séparation du travail et de la propriété du produit
du travail, du travail et de la richesse, est donc déjà posée
dans cet acte d’échange lui-même ».
Et pour comprendre qu'on ait pu en arriver là, il faut faire appel à l'histoire ; à
l'histoire de la formation d'une classe obligée par son état de dénuement et son
insécurité d'existence à accepter la vente de sa force de travail « au prix du marché »,
déterminé par la loi de la valeur.
La compréhension de la citation que je viens de donner est importante. Pour nous
en faire une idée, je vous cite ce passage d'une lettre de Marx à Engels du 24 août
13
1867, alors que le livre I du Capital vient de paraître, dix ans plus tard donc, dans
laquelle il dit ceci :
« ce qu'il y a de meilleur dans mon livre, c’est : 1. (et
c’est là-dessus que repose toute la compréhension des
faits) la mise en relief, dès le premier chapitre, du caractère
double du travail, selon qu'il s'exprime en valeur d'usage ou
en valeur d'échange ; 2. L'analyse de la plus-value,
indépendamment de ses formes particulières : profit,
intérêt, rente foncière, etc. »10
Il y revient en janvier 1868, toujours dans une lettre à Engels :
« ... une chose bien simple a échappé à tous les
économistes sans exception : c’est que, si la marchandise a
le double caractère de valeur d'usage et de valeur
d'échange, il faut bien que le travail représenté dans cette
marchandise possède lui aussi ce double caractère, tandis
que la simple analyse du travail sans phrase* telle qu'on la
rencontre chez Smith, Ricardo, etc., bute forcément partout
sur des problèmes inexplicables. Voilà en fait tout le secret
de la conception critique... »11
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On trouve aussi dans les Grundrisse :
La distinction exacte du capital constant et du capital variable
La représentation de la valeur d'une marchandise comme la somme de trois
éléments : capital constant (c), capital variable (v) et plus-value (pl).
La théorie de l'accroissement de la masse annuelle de la plus-value par le
raccourcissement du cycle de circulation du capital.
La distinction temps de travail nécessaire/temps de travail excédentaire12
La division de la plus-value en plus-value absolue et plus-value relative.
Toute la théorie de la péréquation du taux de profit.
Des considérations sur le mode de production asiatique (« Formes qui précèdent
la production capitaliste »)13
Ne manque que la théorie de la baisse tendancielle du taux moyen de profit.
Au cours de la même période, Marx perfectionne aussi sa théorie de la monnaie,
qui est largement contenue dans le 2è chapitre de la Contribution à la critique de
l’économie politique14.
10
Correspondance,tomeIX,p.12.
11
Ibid.,p.141.
12
Cf.Mandel,pages103etsuiv.
13
Cf.Mandel,chapitre8.
14
Cf.Mandel,pages87etsuiv.
14
La dernière grande avancée théorique que réalise Marx avant Le Capital est le
perfectionnement de sa théorie des salaires.
Dans Travail salarié et capital, Misère de la philosophie et le Manifeste, Marx
reste influencé, sans toutefois l'admettre, par l'approche ricardienne du sujet : les
salaires évoluent sous l'influence des variations de l'offre et de la demande de maind'œuvre qui renvoient elles-mêmes aux processus démographiques (soit la chaîne de
conséquences : hausse des salaires ==> hausse des naissances ou baisse de la
mortalité ==> accroissement de l’offre de bras ==> chute des salaires).
Grâce à l’Esquisse d’une critique de l’économie politique15 d’Engels, en 1843,
Marx commence à évoluer. Engels, en effet, déduit les salaires non de la démographie
mais de la concurrence universelle dans laquelle les ouvriers sont plus faibles que les
capitalistes, et d'autant plus affaiblis qu'ils peuvent être remplacés par des machines.
Marx aussi envisage le rôle de l'accumulation du capital et la tendance innée du
capitalisme à remplacer le travail vivant par du travail mort, ce qui va dans le sens de
la baisse tendancielle des salaires ; et il admet même l’idée, à cette époque, que le
niveau absolu des salaires puisse baisser. Mais Engels prend mieux en compte la
conjoncture et le rapport des forces en présence qui en découle.
Marx note dans les Grundrisse qu’en période de haute conjoncture l'ouvrier peut
élargir le cercle de ses besoins (« participer à la civilisation »), et suggère que la
valeur de la force de travail inclut deux éléments, un élément physiologique plus ou
moins stable, et un élément socio-historique variable.
En 1862-1863, il précise dans Théories sur la plus-value que l'accumulation du
capital, tout en remplaçant constamment le travail vivant par des machines, peut quand
même reproduire le travail salarié sur une échelle élargie, ie augmenter de manière
absolue le nombre de salariés même si la masse des salaires diminue relativement au
capital global.
La théorie exposée en juin 1865 devant le conseil général de l’AIT (cf. Salaires,
prix et profits) est encore plus complète :
« Mais il y a quelques circonstances particulières qui
distinguent la valeur de la force de travail, la valeur du
travail, des valeurs de toutes les autres marchandises. La
valeur de la force de travail est formée de deux éléments,
dont l'un est purement physique et l'autre historique ou
social. Sa limite suprême est déterminée par l'élément
physique, c'est-à-dire que, pour subsister et se reproduire,
pour prolonger son existence physique, il faut que la classe
15
EsquissequalifiéedegénialeparMarx.
15
ouvrière reçoive les moyens de subsistance indispensables
pour vivre et se multiplier. La valeur de ces moyens de
subsistance de nécessité absolue constitue par conséquent
la limite minimum de la valeur de travail...
« Parallèlement à cet élément purement physiologique,
la valeur du travail est déterminée par la façon de vivre
coutumière à chaque pays. Celle-ci ne consiste pas
seulement dans l'existence physique, mais dans la
satisfaction de certains besoins naissant des conditions
sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été
élevés...
« Si vous comparez les salaires normaux, c'est-à-dire
les valeurs du travail dans différents pays, et à des époques
historiques différentes dans le même pays, vous trouverez
que la valeur du travail elle-même n’est pas une grandeur
fixe, qu’elle est variable, même si l'on suppose que les
valeurs de toutes les autres marchandises restent
constantes »16.
16
Sur la discussion paupérisation relative/paupérisation absolue, cf. Mandel, pages 145 et
suiv.
16
Pour conclure
-------------------------------------------------------------------------------------------------------En 1844, Marx a abordé les problèmes économiques en philosophe et en
humaniste17, tout imprégné encore de Hegel et Feuerbach. Il est irrésistiblement porté
à les critiquer et à les dépasser, toutefois, parce qu’il a déjà décidé de « contribuer à
la transformation pratique radicale de la réalité »18.Sa collaboration à la Rheinische
Zeitung va l'aider à passer de la philosophie pure aux questions économiques (puis au
socialisme). Il ne tarde pas à constater, en étudiant l'économie politique, que celle-ci
s’est mise au service de la production capitaliste et de ses dirigeants ; elle s’efforce de
voiler les contradictions sociales et la misère ouvrière ; Marx acquière rapidement la
conviction que pour dépasser cette misère ouvrière la pensée communiste ne suffira
pas ; il faudra une véritable action communiste.
De critique en critique, il élabore le matérialisme historique, passe d'une
conception anthropologique (métaphysique et résignée) à une conception historique
(dialectique et révolutionnaire) de l'aliénation. Cette notion, qui était d'abord
« synonyme d’extériorisation (en vient à désigner) (...) le détournement des
produits de l'activité par ceux qui n’en sont pas les auteurs »19. Au terme de
longues années d’efforts, jalonnées de plongées dans le bain révolutionnaire, il élucide
le mystère de la valeur, du salaire, de la monnaie, du profit, etc. ; il relie l'aliénation et
le niveau de développement des forces productives ; il finalise l'aliénation par la
désaliénation et l'émancipation.
Ernest Mandel estime que c’est dans ce passage d'une conception
anthropologique à une conception historique de l'aliénation (à partir de L’IA) que réside
en résumé toute l'œuvre économique de Marx. La source de l'aliénation est précisée
comme découlant de la division du travail et de la production marchande. La structure
de production est définie par deux aspects imbriqués : les forces productives et les
rapports de production.
Daniel Bensaïd partage ce jugement de Mandel. Il dit sur son site20 :
« Grâce à une meilleure connaissance des textes, il est
aujourd’hui devenu indiscutable que la thématique de
l’aliénation ne disparaît pas au fur et à mesure qu’on avance
dans les œuvres dites de maturité. Elle est fortement
présente dans les Grundrisse. Et, dans le Capital, elle perd
tout relent anthropologique pour s’inscrire dans le rapport
social du fétichisme généralisé et de la réification
marchande, dont elle devient une modalité ».
Mais avec cette situation je suis hors sujet..
17
Sonpointfocalestl’homme.
18
IsabelleGaro,Marx,unecritiquedelaphilosophie,Points/essais,2000.
19
Ibid.
20
http://danielbensaid.org/Le-sujet-perdu-et-retrouve(pageconsultéele15/08/2016).
17
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