TROISIÈME
PARTIE
DESTIN DE
LA
FRANCE
DESTIN DU MONDE
12.
France,
carrefour
du
monde
DANS
LES
BELLES
ANNÉES
de l'Europe,
la
moindre crise
économique anglaise se répercutait sur l'ensemble
du
monde, et
tout incident économique, aussi lointainement localisé qu'il
fGt,
affectait le sismographe éc~nomique anglais. Or, dans le domaine
politique, cette sensibilité était privilège français. Pas un de
nos
événements politiques notables qui ne
fît
le tour
du
monde, mais
aussi pas un événement politique
du
monde qui ne vienne modifier
les structures politiques françaises de manière plus ou moins
discrète.
Pas un autre régime politique qui soit
à
la fois plus originale-
ment national et pourtant composé de forces de caractère aussi
évidemment mondial
:
noblesse et fragilité de la France.
On sait que l'apparition
du
parti communiste français au sein
de la section française de l'Internationale ouvrière est directement
liée au succès de la Révolution qui établit en Russie la dictature
du
prolétariat. Pour être simple et apparent, le phénomène n'est
pourtant qu'un des derniers venus d'une série d'enfantements
politiques acclimatant en France des institutions nées ailleurs.
La secticn française de l'Internationale ouvrière (S.F.I.O.)
entendait indiquer, par son titre même, son caractère international.
La
première Internationale était née
à
Londres, profitant des avis
de Karl Marx. Puis le parti ouvrier francais avait,,connu les dou-
loureuses divisions de tous les partis similaires d'Europe. Enfin,
en
1905,
le grand Jaurès fut sensible aux objurgations de la
deuxième Internationale (dominée alors par les socialistes alle-
mands) souhaitant l'unité des socialistes français. Le socialisme
189
français n’a cessé de partager les espoirs et les misères du socialisme
international, de caractère surtout nord-européen.
De fait, cette affinité internationale n’est pas le privilège
des
partis
dits
((
de
gauche
D,
c’est dans toute l’Europe chrétienne,
notamment lotharingienne (et avec de nombreux prolongements
en Amérique latine), que se sont développés, conscients de leur
solidarité, les partis chrétiens qu’incarne chez nous
le
Mouvement
Républicain Populaire.
Les autres formations politiques de droite, pour être d’origine
plus ancienne, sont plus difficiles
à
définir et
à
délimiter. En tout
cas,
la
communauté internationale n’est pas un privilège des partis
de
gauche. Les intérêts des propriétaires fonciers des grandes
exploitations agricoles ont su se faire représenter politiquement
dans toutes les démocraties capitalistes. Ils sont une des lignes
de force des conservateurs anglais, de la droite allemande, italienne
ou américaine. Ils ont dominé l’histoire des pays d’Europe cen-
trale, jusqu’à une époque récente
:
on sait
le
peu d‘élasticité dont
fait preuve le marché de vivres (en dépit pourtant d’immenses zones
du monde
vivent des foules sous-alimentées)
;
il en résulte que
la
défense des intérêts agraires se traduit en protectionnisme et
nationalisme. C’est
la
substitution de l’étiquette
((
programme
))
à
l’étiquette
((
classe sociale
))
qui camoufle le caractère cosmopolite
des partis de droite agraires.
La
petite propriété rurale subsiste plus fortement en France
qu’ailleurs
:
dégagée du féodalisme balkanique et bien plus
représentative en France qu’en Angleterre ou en Allemagne. Cette
petite propriété, politiquement, emboîte volontiers le pas aux
agrariens. Mais elle ne répugne pas davantage qu’en certains pays
nordiques
à
un socialisme que justifie le recours constant qu’elle
exerce vis-à-vis de 1’Etat pour obtenir de lui des marchés
à
prix
fermes. L‘originalité des campagnes
à
vignobles est toute française
par
son importgice.
encore, constant appel
à
1’Etat entraîne
vocation au socialisme. La structure rurale française contribue
à
ce balancement (d’ailleurs, mal équilibré) conservateur et socia-
liste qui acclimate chez nous
le
régime dualiste
à
l’anglaise,
La vie industrielle aboutit
à
un résultat analogue. Plus qu’en
190
aucun autre pays
au
monde (sauf peut-être
en
Amérique latine)
les
débuts de l’industrialisation sont liés
à
la
grande propriété fon-
cière.
D’où
ce
rapprochement des intérêts industriels et
agraires
qui
a
dominé
la
droite française
:
l’orléanisme est le fait
de
la
conversion
de
cette double aristocratie
qui
renonce
à
la
fidélité
monarchique pour adopter un parlementarisme
elle
voit l’assu-
rance d’une stabilité politique dont elle
a
grand besoin. De ce
fait, la lutte entre conservateurs et libéraux n’a jamais eu,
en
France,
le
caractère large qu’elle eut au
x1x9
siècle en Angleterre.
En Angleterre, les intérêts du capitalisme foncier et ceux du capi-
talisme industriel s’opposaient. Et presque autant en Allemagne.
En France ils se combinent. De
le caractère relativement étroit,
en France, du mouvement pendulaire politique entre villes et
cam-
pagnes qui n’a jamais
pu
animer la totalité de notre vie politique,
à
l’anglaise, Mais au
XX*
siècle, le parti libéral anglais se désü-
grège et le mouvement pendulaire s’établit alors entre conservateurs
(agricoles et industriels) et travaillistes. De ce fait,
la
situation
française se trouve plus proche de celle de l’Angleterre moderne,
Reste que le parlementarisme français du
x1x9
siècle, n’ayant
pas eu le caractère ample et quasi total de celui
de
l’Angleterre,
a
laissé en place de nombreuses traditions politiques non parlemen-
taires, se transformant parfois en tendances antiparlementaires.
Traditions et tendances qui se retrouvent en bloc
au
XX’
siècle.
En effet, nous assistons
à
ce curieux contraste
:
alors que
le
dualisme conservateur socialiste est sans doute plus naturel
à
la
France qu’à l’Angleterre, son fonctionnement normal s*observe
en Angleterre bien plus tôt que chez nous.
En
Angleterre, en
effet,
le
travaillisme se substitue naturellement au libéralisme
comme défenseur des intérêts urbains, au moment
où,
dans les
villes, les vocations politiques de
la
masse l’emportent sur celle des
patrons. Mais, dans l’un et l’autre cas, le cadre reste
le
même
:
urbain.
Le
libéralisme classique s’éparpille entre
le
conservatisme
(qu’il rajeunit) et le travaillisme. En France, le
xlxe
siècle n’a pas,
ou que peu, préparé le dialogue ville, campagne.
Et
le
dialogue
entre ceux que nous pouvons appeler les
((
orléanistes
1)
et les
socialistes ne se fait pas. Les premiers incarnent
à
eux seuls
le
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