Extrait du livre - Mairie de Villefranche de Rouergue

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Peuple nomade
(du er au e siècle)
La nation s’élança sur l’Europe comme un essaim
d’abeilles.
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Évêque goth de Ravenne au e siècle.
LES SIÈCLES DE MIGRATION :
DE LA SCANDINAVIE AUX CARPATES
(er-e siècle)
D’après Pythéas, les Gutons, peuple de Germanie,
habitent l’estuaire de l’océan appelé Mentonomon,
qui s’étend sur 6 000 stades [1 080 km] ; l’île d’Abalus [péninsule Scandinave] est à un jour de navigation.
Histoire Naturelle, XXXVII, 35.
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Écrivain latin du er siècle.
La côte méditerranéenne occidentale – provençale, languedocienne, catalane – était peuplée de villes-comptoirs grecques depuis
plus de trois siècles, quand Pythéas de Marseille entreprit un long
voyage vers le Grand Nord en 327 av. J.-C. Mathématicien, astronome et anthropologue, issu d’une riche famille de négociants grecs,
il monta à ses frais une expédition maritime d’exploration, jamais
entreprise jusque-là, qui devait le conduire par la route de l’étain de
Cornouailles jusqu’aux glaces arctiques.
Après cette première expédition extraordinaire, il repartit explorer toute la côte océanique et s’engagea jusqu’à l’embouchure de la
Vistule : il inaugurait par là même une nouvelle route de l’ambre,
matière précieuse de la mer baltique connue des Mycéniens 2000 ans
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La côte phocéenne de Marseille à l’époque de Pythéas.
av. J.-C. et appelée electron par les Grecs. C’est au cours de ce périple
que Pythéas découvrit des peuples de la Scandinavie dont les Æstyens
qu’on aurait nommés plus tard les Gottini ou Gutons.
DE LA BALTIQUE À LA VISTULE
Nous n’avons pas d’autres renseignements précis sur ce peuple
pour ces siècles de l’Antiquité grecque. Mais les écrivains romains
Tacite et Pline expliquent que les Goths sont originaires de l’île
Scandza. Au er siècle de notre ère, ils peuplent les forêts, les pâturages et les lacs du Gotland – pays des Goths – sur les côtes méridionales de la Suède, de la Norvège et de la mer du Nord, jusqu’aux
îles de l’actuel Danemark.
Peut-être pour des raisons climatiques et économiques, ils vont
bientôt entamer une lente migration vers le sud de l’Europe. On les
retrouve vers le milieu du e siècle en Poméranie sur la rive droite
de la Vistule d’où ils dominent les pays Baltes. Les Romains connaissent leurs déplacements.
Ptolémée et aussi l’archéologie nous donnent un aperçu de l’originalité de leur civilisation. On les considère alors comme des guerriers courageux, invincibles, attachés à leurs traditions. Ils pratiquent
aussi bien l’inhumation que l’incinération. Dans les tombes sous
tumuli entourées de cercles rituels en pierre, on retrouve des vases
ovoïdes ou carénés aux anses minuscules.
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Dans les sépultures féminines, on relève des fibules « en portevoix », des bracelets et des pendentifs en ambre, et surtout un peigne
à dos saillant très caractéristique du peuple goth. Celles des hommes
par contre ne semblent pas contenir d’objets, pas même des armes.
Mais ce qui caractérise aussi les sépultures gothiques ce sont, d’une
part les dépôts fumants dont on trouve des traces sur des squelettes,
et d’autre part un rite de décollation pour certains guerriers, que l’on
rencontrera bien plus tard au e siècle en Auvergne tel que le décrira
Grégoire de Tours, et dans des sépultures d’hommes de l’Hérault.
DESCENTE VERS LA MER NOIRE
Sous la conduite de Filimer, les Goths se dirigent vers l’Ukraine
où ils se fixent au début du e siècle Au cours de leurs pérégrinations, ils nouent des liens avec les Burgondes, les Vandales, les Alains…

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autant de peuples dits Barbares qu’ils retrouveront plus tard après
leur installation définitive dans l’empire romain d’occident. En attendant, sur les bords de la mer Noire, ils côtoient les peuples iraniens
dont leurs rois adoptent le costume. Ils se familiarisent avec le cheval
et deviennent d’excellents cavaliers nomades.
Depuis le début de leur grande migration vers le sud à la recherche
de meilleures conditions d’existence, les Goths sont conduits par un
roi et des reiks – princes, chefs de tribus. Le roi est choisi dans deux
familles bien déterminées : les Amale et les Balte sont dépositaires
de l’histoire du peuple, de la mémoire collective des Goths depuis
les origines, mémoire pieusement conservée et transmise par des
poèmes épiques enrichis à chaque étape de leur épopée. Le roi est
élu par un sénat des anciens, détenteurs de la tradition, et des chefs
de tribus ou des propriétaires terriens ; ce grand conseil assistera le
roi dans la mission qui lui est confiée : conduire le peuple vers la
« terre promise », diriger efficacement les éventuels combats et rendre
la justice.
AUX PORTES DE L’EMPIRE
En ce e siècle, les Goths vivent d’agriculture, d’élevage et de
chasse, en semi-nomades aux portes de l’empire romain. Ils prêtent
main-forte de temps à autre aux Romains pour la défense de la frontière danubienne contre les autres peuples barbares, en échange d’argent, de nourriture et de terres en Dacie – Roumanie – et en Thrace
– Bulgarie. Mais cette entente cordiale connaîtra souvent des ratés,
chaque fois que les Romains oublieront leurs promesses ! Ainsi
pendant vingt ans, les Goths monteront des expéditions punitives
contre l’Empire, sur terre et aussi sur la mer Noire jusqu’en Asie
Mineure et en mer Égée, en entraînant dans leur sillage de nombreux
mécontents de la politique romaine.
Il faut attendre la victoire, en 269 en Illyrie, de l’empereur ClaudeII
– surnommé pour cet exploit, le Gothique –, et celle, en 271, d’Au
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rélien – qualifié de Gothicus maximus – pour que le calme soit rétabli. En effet, ce dernier conclut avec les Goths un traité qui leur
accorde officiellement pour la première fois un vaste territoire, la
Dacie – actuelle Roumanie – en échange de contingents de soldats
goths engagés comme auxiliaires dans l’armée romaine qui en a bien
besoin…
Entre-temps les Goths se sont séparés en deux branches qui resteront cependant en contact plus ou moins solidaire au cours des
siècles suivants. D’une part les Ostrogoths – ou Goths de l’est, appelés aussi Greutungi – sous la conduite de leur roi Amale, Hermanaric, fondent un grand empire entre le Dniepr, la mer Noire et la
Crimée où ils profiteront des richesses de l’Oural et du Caucase.
D’autre part les Wisigoths – ou Goths de l’ouest, nommés aussi
Tervingi-Vesi –, sous la direction des rois baltes s’établissent entre
l’embouchure du Dniestr et du Danube au sud des Carpates, en
Bessarabie et dans l’actuelle Roumanie, avec un statut de peuple
fédéré de l’empire romain.
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Peigne en os de Séviac.
Forme typique – à dos saillant semi-circulaire et au décor gravé circulaire –
relevée dans les cultures wisigothiques des e et e siècles apr. J.-C. – Cernjahov –,
tant en Europe orientale – Ukraine, Roumanie, Moldavie –
qu’au sud-ouest du continent, notamment en Novempopulanie au e siècle,
dans les villæ de Séviac à Montréal du Gers, de La Turraque à Beaucaire-sur-Baïse
et de Bapteste à Moncrabeau.
Dessin communiqué gracieusement par l’association de Sauvegarde
des monuments et sites de l’Armagnac, villa de Séviac
CONVERSION AU CHRISTIANISME
De leurs origines scandinaves, les Goths conservent en ce e siècle
une croyance affirmée dans l’influence des astres sur tout ce qui vit
sur terre. Si la foudre venue du ciel les trouble, s’ils se méfient du
clair de lune, ils s’épanouissent en pleine lumière et apprécient tout
particulièrement le soleil et le feu ; on retrouve, d’ailleurs souvent,
la représentation solaire par les Wisigoths sur des croix, des bijoux,
des armes, des plaques-boucles de ceinturons.
Le mythe de l’eau sur terre joue aussi un rôle très important durant
toute leur histoire, même après leur conversion au christianisme. Ce
n’est peut-être pas un hasard si le roi Alaric Ier est inhumé sous le lit
d’une rivière d’Italie ou si le palais des rois wisigoths de Toulouse est
construit au bord de la Garonne. Le culte tribal, ponctué de banquets
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et de sacrifices à une idole protectrice, est assuré par des prêtres vêtus
de blanc et coiffés d’une tiare, qui accompagnent les chants ancestraux à la cithare.
Or, vers la fin du e siècle, un premier groupe de Wisigoths se
convertit au christianisme catholique en Dacie et sur les bords de la
mer Noire. Leur communauté comprend des prêtres, des diacres,
des moines et des moniales. En raison de leur vie encore semi-nomade,
leur culte est célébré sous des tentes, au centre de leurs villages ou
des cercles de chariots qu’ils constituent lors de leurs arrêts. Des
chants de psaumes dans leur langue germanique accompagnent les
cérémonies d’une religion austère et morale où les débats dogmatiques n’ont guère cours, contrairement aux autres communautés
catholiques de l’empire byzantin.
À ce stade de leur évolution religieuse, il faut dire que tous les
Goths sont loin d’être convertis et que leurs chefs, le roi en particulier, persécutent ces premiers chrétiens Goths pour empêcher la diffusion de l’Évangile et l’abandon du culte des ancêtres. Dans ce contexte,
le roi goth Aoric trouve un allié dans l’empereur Constance considéré comme hérétique arien. Vers 370, alors que les Goths convertis
commencent à se diviser, la persécution reprend contre les catholiques nicéens avec la complicité du nouveau roi wisigoth Athanaric
et le nouvel empereur romain Valens qui est lui-même chrétien arien.
ARIENS ET NICÉENS
Mais d’où proviennent les querelles endémiques qui secouent
l’empire romain d’orient et bientôt celui d’occident ?
Au début du e siècle, un prêtre d’Alexandrie, le libyen Arius,
conteste le dogme catholique de la sainte Trinité : une même et seule
substance – un seul Dieu – pour trois personnes – le Père, le Fils et le
Saint-Esprit – de même puissance et de même éternité ; Dieu a pris
la forme humaine de Jésus pour révéler au monde l’enseignement
divin. Pour Arius, par contre, seul Dieu le Père est éternel, le Christ
n’est pas Dieu mais seulement la première des créatures humaines.
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Devant les passions soulevées dans l’Église d’orient par cette
controverse, l’empereur Constantin réunit de sa propre autorité un
concile à Nicée, du 20 mai au 19 juin 325, qui va définir le Credo.
La doctrine d’Arius est condamnée comme hérétique par 318 voix
contre 2. Parmi les premiers, on relève le nom de l’évêque de Gothie
qui est donc bien catholique à cette époque. Les opposants au symbole
de Nicée seront exilés dans l’ouest de l’Europe, ce qui va contribuer
au développement de l’arianisme… Plus de 300 ans après le Christ,
les choses ne sont pas toujours claires, aussi bien pour le peuple chrétien que pour les princes: n’a-t-on pas vu même l’empereur Constantin le Grand se convertir au christianisme et se faire baptiser, au
moment de sa mort…, par un évêque arien ?
Après le concile de Nicée, les querelles dogmatiques se poursuivent du côté catholique nicéen comme du côté des Ariens. L’empereur Constance II convoque alors un nouveau concile à Constantinople, le 1er janvier 360, pour réviser le Credo de Nicée : une tendance
arienne, l’homéisme – le Père et le Fils sont similaires, mais non de
même substance –, l’emporte. Parmi les évêques présents, voici celui
des Goths, Ulfila qui, après avoir prêché la foi nicéenne, sera à présent
le chantre du nouvel arianisme.
Ulfila, évêque arien des Wisigoths.
Ulfila, Goth de Cappadoce, est né vers 312. En 337, il conduit une
délégation de la ligue des tribus gothiques auprès de l’Empereur à
Constantinople. Il est évêque des Goths vers 342 en Dacie. Linguiste
et rhétoricien reconnu, il traduit la Bible, à partir de la version
grecque de Lucien d’Antioche, en langue gothique, comme le fera
bien plus tard, en langue allemande, Luther pour les protestants.
Cette langue est celle des Wisigoths du Danube, langue germanique de Scandinavie ancêtre des langues germaniques d’aujourd’hui, à laquelle il intégrera des termes empruntés aux langues des
divers peuples rencontrés au cours de leur migration, ainsi qu’au
grec et au latin. Pour écrire cette première langue littéraire gothique,
Ulfila crée un alphabet de vingt-sept signes en utilisant certaines
lettres grecques, quelques runes et en inventant d’autres lettres
pour exprimer des sons gothiques inconnus dans le monde méditerranéen.
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Les Goths et leurs rois intègrent alors dans leur identité cette nouvelle
religion chrétienne qui n’impose pas le célibat des prêtres et qui
surtout cadre assez bien avec leur vie politique et sociale traditionnelle. Ils vont répandre l’arianisme auprès des autres peuples dits
barbares : Burgondes, Suèves et autres Vandales. Après le concile
de Constantinople II, en 381, qui voit l’empereur Théodose condamner l’arianisme et ses variantes par un retour définitif au catholicisme de Nicée, les Goths resteront fidèles au christianisme d’Arius
dans sa forme homéenne, seuls parmi les peuples avec lesquels ils
cohabiteront.
LA GOTHIE DANUBIENNE
La coexistence entre les Wisigoths, désormais installés aux abords
du limes danubien, et l’empire romain connaîtra une fois encore des
moments difficiles. En 328, Constantin le Grand mène une guerre
impitoyable contre eux : des dizaines de milliers de Goths périront
de faim et de froid dans les montagnes. En 332, le roi Ariaric entérine un nouvel accord avec Constantin au terme duquel les Wisigoths fournissent un contingent de quarante mille guerriers à l’armée romaine en échange de subsides annuels, Aoric fils d’Ariaric
étant envoyé comme otage à Constantinople.
En 364, le gouvernement de l’empire romain est partagé entre
Valentinien pour l’Occident et Valens pour l’Orient. Les méfiances
réciproques s’accentuent entre Wisigoths et Romains sur la ligne
frontière du Danube. Chez les Goths, Aoric est mort. Athanaric est
le nouveau roi élu. En 367, alors que celui-ci doit faire face avec son
peuple à de graves inondations suivies d’une période de famine et
de peste, l’empereur Valens en profite pour piller la Gothie danubienne. Athanaric refuse le combat de front et en 369 Constantinople propose un nouvel accord aux Goths avec l’octroi de points
de commerce sur le Danube pour leur approvisionnement. Face aux
poussées des peuples de l’est, Byzantins et Wisigoths ont tout intérêt à rester solidaires.
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