formes de conflictualité conformes
avec l’État de droit.
D’autre part, le livre consacre
un excellent chapitre à la question du
« monde » (p. 208-245). Schmitt est
un adversaire constant du cosmopo-
litisme et de l’érection de l’huma-
nité au rang de sujet de droit. Les
dérives récentes des actions trans-
nationales de police humanitaire sont
souvent critiquées à partir de la
défense intransigeante que le juriste
fait du pluralisme politique fondé
sur l’opposition entre des grandes
puissances impériales. Kervégan
montre bien que Schmitt cherche à
« mettre politiquement hors circuit
l’idée de monde », mais n’y parvient
qu’en confondant les droits de l’hu-
manité et la morale humanitaire. Là
encore, il s’agit de penser des formes
de conflictualités qui ne seraient pas
exclusives de l’exigence cosmopoli-
tique. Selon l’auteur, cela passe par
une redéfinition du rôle des États
dans un contexte démocratique hos-
tile aux frontières.
Sur ces points et quelques
autres, ce livre nous convainc que
Schmitt est
plus efficace pour penser des rup-
tures et des instaurations que pour
décrire le bon fonctionnement de
l’ordre juridique établi.
Tant que ce fonctionnement
demeurera sujet à caution, l’œuvre
du juriste allemand s’imposera
comme une référence difficilement
contournable. Mais pour penser au-
delà des ruptures et donner corps à
une démocratie adaptée au présent,
il faudra inventer.
Michaël Fœssel
Marcel Hénaff
Le Don des philosophes.
Repenser la réciprocité
Paris, le Seuil, coll. « L’ordre
philosophique », 2012, 347 p., 24 €
Dans un premier livre, le Prix de
la vérité. Le don, l’argent, la philoso-
phie1, Marcel Hénaff était parti, en
compagnie de Socrate et d’Aristote,
du caractère non vénal du savoir, de
la vérité et de la philosophie pour
s’élever jusqu’à la question de la
reconnaissance. Puis de celle-ci jus-
qu’à celle de l’altérité : qui est l’ab-
solument autre comme manifestation
éthique de l’infini ? Il y engageait
une histoire de la monnaie et de
l’économie de marché dans ses liens
avec la philosophie, celle-ci s’étant
inauguralement conçue comme in -
compatible avec toute forme d’acti-
vité profitable. Y était affirmé le hors-
de-prix de la dignité de vivre.
Dans le sillage de cette première
enquête, mais en l’infléchissant pour
la recentrer davantage sur la réci-
procité et le respect partagé, Marcel
Hénaff déploie dans ce nouveau livre
les enjeux multiples des pratiques
du don cérémoniel (enjeux éthiques,
religieux – la grâce –, politiques, juri-
diques, anthropologiques). Celui-ci
relève d’un dispositif complexe de
symboles et de rites.
Les huit chapitres composant ce
livre font apparaître que, derrière
l’opposition entre ce qui se vend et ce
qui se donne, entre la vérité et la
marchandise, la question du don doit
encore être explorée aujourd’hui, au-
Librairie
1. Marcel Hénaff, le Prix de la vérité. Le
don, l’argent, la philosophie, Paris, Le Seuil,
2002.
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