Les césures sont donc essentiellement économiques mais il reste malgré tout difficile de tracer
une limite claire dans cet espace.
b. Madame Rivière s’intéresse ensuite aux dynamiques démographiques et à la mobilité
des hommes.
Même s’il y a un fort gradient Nord/Sud, un rééquilibrage se profile, ce que montrent les
cartes de l’Atlas d’une nouvelle Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe
comptait cinq fois plus d’habitants que les pays voisins de la rive sud et est de la
Méditerranée, vers 2050 il devrait y avoir parité (si l’évolution actuelle perdure).
Le taux de mortalité infantile est en baisse rapide, ce qui est un indicateur révélateur de la
transition démographique en cours. Par exemple, la fécondité en Tunisie est proche de celle
de l’Europe mais les générations jeunes sont nombreuses.
Peut-on parler d’une « forteresse Europe » ? Cette image est souvent utilisée à propos de l’UE
à propos de son attitude vis-à-vis de la mobilité des hommes, et en particulier elle « colle » à
ses rivages méditerranéens, comme un résumé des rapports Nord-Sud mondiaux.
Mais la situation est en fait complexe.
Tout d’abord, plus qu’un avant-poste de l’Europe du Nord, l’Europe du Sud a en quelque
sorte joué le rôle d’une « zone tampon », avec une articulation entre émigration et
immigration : ces pays (Espagne, Portugal, Grèce, Italie) sont passés très tard et très
rapidement du statut de pôles d’émigration, ce qu’ils ont été durant un siècle, à celui de
réceptacles de l’immigration. L’émigration marque encore en profondeur des régions entières
(intérieur du Mezzogiorno italien, îles grecques…) avec les « remises » des émigrés, etc. Du
fait aussi de cette longue tradition d’émigration, en Europe du Sud le terme immigrés
(« immigrati »)., désigne classiquement les nationaux et non des étrangers, par exemple, les
régions industrielles de Barcelone ou Turin, qui se développent assez tôt, ont été des pôles
d’immigration des méridionaux. Si en Espagne et en Italie du Sud il y a encore des départs
aujourd’hui, ce sont plutôt des diplômés.
De plus, si on considère les flux actuels, qui sont avant tout des flux d’immigration, la
Méditerranée n’est bien sûr pas négligeable comme zone de départ vers l’Italie, la Grèce ou
l’Espagne, mais elle n’est absolument pas une échelle de référence unique et auto suffisante
dans l’étude de ces mouvements. En effet, les migrations en provenance de la rive Sud de la
Méditerranée concernent aussi les pays pétroliers du Golfe, à partir de l’Egypte notamment.
En outre, les pays d’Europe du Sud ne sont nullement des « avant-postes » d’une Europe qui
ferait face « d’un bloc » à la rive sud méditerranéenne, car d’une façon générale, en Europe du
Sud l’immigration est éclatée et mondialisée, beaucoup plus que pour la France ou
l’Allemagne, pays de tradition d’immigration ancienne. Par exemple, en Italie, les premières
filières d’immigration, fin des années 1970- début des années1980, concernent les Philippines
et la Pologne (pays catholiques) et depuis lors, les origines des filières d’immigration
changent en fait fréquemment (Chinois, Marocains, ex-Yougoslaves, etc.). En outre, la
« pression » des réfugiés s’exerce beaucoup plus fortement sur les pays d’Europe du Nord
(Royaume-Uni, Allemagne) et les Etats-Unis, que sur ceux d’Europe du Sud.
Donc, même si les media et la publicité ont insisté sur les bateaux chargés de réfugiés arrivant
à Brindisi, il ne faut pas s’exagérer l’importance finale de la migration de proximité. Il faut ici
se défier de représentations cartographiques parfois simplistes et aussi se garder de donner à
l’espace méditerranéen plus de cohérence qu’il n’en a réellement.
En fait, si l’expression de forteresse est plutôt adaptée à l’espace Schengen, c’est dans le sens
où les pays d’Europe du Sud s’alignent sur les marchés de l’emploi international des grands