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d’autres formes de pratique dissensuelle chez Rancière comme
dans ces analyses du style flaubertien à partir de fragments de
scènes, qui relèvent de l’intervention de Rancière dans le
paysage intellectuel contemporain, et transforment Flaubert en
machine de guerre contre une certaine conception de l’histoire
20
ou contre des notions problématiques comme celle d’« irrepré-
sentable »
21
par exemple. Car cette introduction au Flaubert de
Rancière ne vise ni à l’exhaustivité ni à présenter l’ensemble de
la pensée de Rancière où elle prend sens, mais cherche avant
tout à mettre en évidence l’exercice dissensuel de pensée et de
parole de Rancière qui propose la fiction théorique et politique
d’une prose flaubertienne « démocrate », quelles que furent les
opinions et les positions de Flaubert à l’égard du peuple ou de la
politique. De son voyage chez le romancier démocrate, Rancière
nous ramène différents Flaubert, c’est-à-dire différentes « tra-
ductions » : d’abord dans l’idiome platonicien, de la littérarité
ou du trouble de la lettre errante (1996), romantique-idéaliste, de
la « parole muette » ou du déchiffrement des signes écrits sur les
choses et les corps (1998), ces deux traductions constituant ce
qu’on pourrait appeler le « Flaubert poétique » de Rancière.
Auquel succèdera le « Flaubert esthétique », contemporain du
double intérêt de Rancière pour l’esthétique et pour Deleuze,
mais qui se trame dans l’idiome deleuzien, des « intensités
sensibles » et des « heccéités » (2007)
22
. Enfin, une dernière tra-
duction, dans un idiome politique et clinique au statut incertain.
Dans toutes ces traductions
23
, les textes-sources sont strictement
–––––
20. « L’historicité du cinéma » dans De l’histoire au cinéma, sous la direction de
Antoine de Baecque et Christian Delage, Paris, Complexe, 1998.
21. Voir « S’il y a de l’irreprésentable », dans Le destin des images, notamment la
comparaison du style de Robert Antelme, rescapé des camps de concentration, dans
L’espèce humaine, et celui de Flaubert, à partir d’un petit fragment de scène de la
rencontre entre Emma et Charles, p.139-142. Pour une critique de l’approche
ranciérienne de l’irreprésentable, voir Ruth Amossy, « L’espèce humaine de Robert
Antelme ou les modalités argumentatives du discours testimonial », dans
http://semen.revues.org/document2362.html, paragraphe 12.
22. Il faut noter que ces concepts deleuziens sont repris et « traduits », sans que
Rancière, contrairement à ses habitudes, n’en donne une définition précise ou ne les
replace dans le système de pensée qui leur donne sens. À aucun moment le dissensus
philosophique avec la pensée deleuzienne n’est mis en scène, d’où un certain malaise
à la lecture, suscité par l’accent mis sur le voisinage des deux pensées qui laisse au
lecteur le soin de discerner leur irréductible opposition, en s’interrogeant sur cet
évitement du dissensus, peu habituel chez Rancière.
23. Il y a en effet une théorie de la traduction, sous-jacente à la pratique critique de
Rancière, puisque pour lui tout lecteur / spectateur est actif, qu’il soit artiste ou
interprète, car il traduit une œuvre pour se l’approprier et inventer sa propre histoire,
son propre idiome, raconter sa propre aventure intellectuelle. Il n’y a donc pas de
métadiscours qui dirait la vérité, un type de discours « philosophique » explicatif qui
dirait la vérité sur un discours fictionnel par exemple, mais des traductions d’un