Premières Journées de Bioéthique pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre Dakar, 11 au 13 juillet 2005 Le consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain Assétou Ismaëla Derme 1, Sodiomon Bienvenu Sirima 1 Centre National de Recherche et de Formation sur le Paludisme (CNRFP), 01 BP 2208 Ouagadougou 01 Burkina Faso Nota Bene. Ce texte représente une version révisée et légèrement remaniée par rapport à celle qui a été présentée aux Premières Journées de Bioéthique pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Nous remercions les auteurs de nous avoir autorisé à le rendre accessible sur le site du Réseau sénégalais « Droit, éthique et santé ». Introduction Avant la réalisation de toute étude ou essai sur des êtres humains, un consentement doit être recueilli auprès des sujets volontaires. Le consentement éclairé peut être défini comme le libre choix d’un sujet volontaire à participer à un essai de vaccin après en avoir été informé des objectifs, de la méthodologie, des contraintes, des bénéfices et des risques éventuels. Mais le consentement éclairé ne devrait pas s’obtenir de façon mécanique. L’obtention devrait suivre un processus plus ou moins long comportant plusieurs étapes. Il devrait se préparer longuement et comme tout processus, il devrait se construire de façon progressive. Nous accordons un intérêt particulier aux essais de vaccin car contrairement aux essais de médicaments qui concernent généralement des sujets malades, à la recherche donc de soins (dans un contexte africain où les soins ne sont généralement pas gratuits), ceux-ci concernent des sujets sains et suscitent donc plus de questions d’ordre éthique. Les différents textes internationaux régissant la recherche clinique ont en tout temps recommandé le consentement des sujets sur lesquels se fait toute recherche clinique avant le commencement de celle-ci. Les textes suivants peuvent être cités pour illustrer ce fait. La déclaration d’Helsinki, version d’Edimbourg en 2000, stipule dans son article 22 que : Lors de toute étude, la personne se prêtant à la recherche doit être informée de manière appropriée des objectifs, méthodes, financement, conflits d’intérêts éventuels, appartenance de l’investigateur à une ou des institutions, bénéfices attendus ainsi que des risques potentiels de l’étude et des contraintes qui pourraient en résulter pour elle. Le sujet doit être informé qu’il a la faculté de ne pas participer à l’étude et qu’il est libre de revenir à tout moment sur son consentement sans crainte de préjudice. Dans la convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine, on peut également lire à l’article 5 que : « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée a donné son consentement libre et éclairé ». Mais entre les textes et les réalités il existe des frontières difficiles à traverser. Des conflits ont toujours existé entre principes universels et valeurs culturelles. Le consentement éclairé 2 Assétou Ismaëla Derme, Sodiomon Bienvenu Sirima de sujets participant à un essai vaccinal a toujours suscité des questions non seulement sur les caractères libre et éclairé qui ont souvent été prônés pour l’obtention du consentement mais également sur les implications de celui-ci au niveau culturel. En effet, comment le consentement est-il perçu et accepté dans des univers construits de tel sorte que l’individu et la communauté sont indissociables ? Son caractère écrit ne contredit-il pas les valeurs transmises dans des sociétés à tradition orale ? Autant de sujets sur lesquels nous discuterons. La notion de liberté : quelle liberté pour les volontaires d’un essai ? La liberté est un concept qui désigne l’absence de soumission, de servitude et de détermination. Elle est une notion qui caractérise l’indépendance de l’être humain. Elle désigne également l’autonomie et la spontanéité d’un sujet rationnel en ce sens qu’elle caractérise les comportements humains volontaires et en constitue la condition 1. La notion de liberté est très complexe dans le contexte africain en général et burkinabé en particulier où le droit moderne cohabite avec des traditions encore vivaces, dans la vie communautaire où les décisions de la communauté et celles de l’individu sont souvent indissociables. En effet, qui est libre et qui peut donner librement son consentement, la liberté de l’individu se confond-il avec celui de la communauté ? La notion de consentement libre et éclairé renvoie à un consensus au sens juridique et social du terme. En effet, la notion de liberté fait référence au droit qu’a la personne considérée d’accepter ou de refuser de participer à l’étude, de se retirer de l’étude au moment voulu. Dans les sociétés traditionnelles africaines, en dehors du contexte social, l’individu ne peut mener une action acceptable. Dans une telle vision de monde, peut-on parler de liberté en tant décision individuelle sans contraintes extérieures ? Il faut interroger l’organisation sociale où l’individu ne peut être pris isolément sans tenir compte de son insertion dans un milieu social, de ses rapports avec la communauté. Celle-ci élabore des valeurs et des normes culturelles. Interdépendance entre individu et communauté Le processus d’obtention du consentement éclairé et individuel dans le cadre d’un essai de vaccin doit commencer longtemps avant l’inclusion des volontaires pour leur permettre de comprendre les processus et de s’y impliquer en toute liberté. Les étapes du consentement éclairé dans le cadre d’un essai de vaccin doivent être construites essentiellement autour de séances de rencontre, d’information, de communication, d’échanges et de discussions avec tous les acteurs, des autorités aux volontaires impliqués dans l’étude en passant par la communauté. En effet, les volontaires qui seront inclus ne sont pas isolés des structures mises en place à divers niveaux pour les intégrer dans un système de fonctionnement. Ces structures sont aussi bien géographiques, administratives, politiques, sanitaires, coutumières et surtout familiales. Elles sont organisées différemment et n’ont pas les mêmes dimensions. Elles peuvent s’interpénétrer et elles disposent de représentants précis avec des rôles et des statuts reconnus par les individus. À quelque niveau qu’elles soient, ces structures doivent être la porte d’entrée pour atteindre l’individu, le sujet qui sera impliqué dans une étude. Ainsi, dans le cas 1 Wiképédia encyclopédie libre :<http://wikepedia.org> Le consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain 3 du Burkina, nous envoyons des correspondances aux autorités administratives (Haut commissaire, préfet) et organisons nous des rencontres d’information différemment avec les autorités administratives, les autorités sanitaires (Directeur régional de la Santé, Médecin chef de district, Équipe cadre de district, Infirmier), les autorités coutumières (Chefs de village et de quartiers) pour leur donner des informations sur les buts de l’étude, les raisons du choix du site de l’essai, les groupes cibles, la durée de l’essai, les bénéfices et risques attendus pour le groupe cible, les bénéfices pour la communauté, les contraintes de l’étude et des informations sur le processus d’obtention du consentement éclairé. Ces rencontres ont aussi pour objectif de pouvoir répondre à toutes les questions que se posent les différentes autorités à ce stade de l’étude. Ces rencontres sont importantes pour respecter les hiérarchies sociales, pour respecter l’interdépendance entre l’individu et sa communauté. Les textes en matière de bonnes pratiques cliniques prônent un consentement libre et individuel, cela étant entendu que l’individu au sens occidental du terme a une capacité de juger de son propre bien et a une autonomie de décision. Or, les sociétés africaines sont régies par des structures communautaires et solidaires. Il n’existe pas dans ces sociétés de sphère nette entre l’individuel et le collectif. En plus des questions relatives à l’expression orale, à la parole, aux traditions langagières des africains, Amadou Hampaté Bâ a aussi accordé un intérêt aux noms des personnages, au rôle que joue le nom dans le destin de l’individu et de la société. Il est surtout significatif que le roman Amkoullel 2 commence par les remarques suivantes : En Afrique traditionnelle, l’individu est inséparable de sa lignée, qui continue de vivre à travers lui et dont il n’est que le prolongement. C’est pourquoi, lorsqu’on veut honorer quelqu’un, on le salue en lançant plusieurs fois non pas son nom personnel (ce que l’on appellerait en Europe le prénom), mais le nom de son clan : « Bâ ! Bâ » ou « Diallo ! Diallo ! » ou « Cissé ! Cissé ! » car ce n’est pas un individu isolé que l’on salue, mais, à travers lui, toute la lignée de ses ancêtres. Lorsqu’un volontaire d’une étude biomédicale signe un consentement où il est identifié à travers son nom et prénom, il faut donc comprendre que son nom a des significations ethnoculturelles et engage toute sa famille, ses ancêtres, son clan, son ethnie, avec lesquels il agit communément. Dans les sociétés traditionnelles africaines, en dehors du contexte social, l’individu ne peut mener une action acceptable. Lorsqu’on parle de personne, il s’agit de la dimension sociale de l’homme, de sa vie avec les autres. Les rencontres organisées pendant le processus d’obtention du consentement éclairé devraient permettre de respecter cette vision du monde. Ainsi après les structures administratives, sanitaires, coutumières et les chefs de village, il est aussi nécessaire de convier tous les habitants du village à une rencontre d’informations et d’échanges sur l’essai vaccinal et ses objectifs. Mais si de telles rencontres sont nécessaires, ne peuvent-elles pas par la même occasion compromettre la liberté des individus participant à une étude ? Prenons l’exemple des sociétés où les décisions concernant les femmes sont prises par leur conjoint. Généralement si celui-ci refuse la participation de son épouse à une étude, elle ne peut transcender sa décision. Dans ces situations, le consentement donné par une femme est-il réellement son propre consentement ou celui imposé par son conjoint ? La liberté individuelle existe t-elle dans de telles situations ? 2 Amadou Hampaté Bâ, Amkoullel, l’enfant peul, Paris, Édition 84, Collection littérature générale, 2000. 4 Assétou Ismaëla Derme, Sodiomon Bienvenu Sirima Dans le cas des volontaires d’un essai vaccinal, le consentement donné par les représentants de leur communauté peut-elle être transcendé ? La question se pose aussi avec acuité chez les sujets mineurs dont le consentement est signé par leurs parents our représentants légaux. Qui sont ces représentants légaux ? De la désignation des représentants légaux Lorsqu’un essai vaccinal concerne des enfants, des sujets mineurs, juridiquement, leurs parents ou représentants légaux doivent donner leur accord pour qu’ils puissent participer à l’essai vaccinal. Il est nécessaire de discuter ces deux termes (parent et représentant/tuteur légal) car ce sont des réalités complexes et différentes selon les contextes. Dans le contexte occidental, en matière de père, il n’existe que le père biologique. Le concept de père est toujours employé au singulier parce qu’il n’y en a qu’un et un seul, celui biologique. Or, en Afrique, “pères” peut être utilisé au pluriel car le père biologique et le père social peuvent être confondus. Les pères sont en effet toutes les personnes âgées du village dont relève l’enfant et peuvent intervenir dans son éducation ou la transmission de la tradition. Dans la conception africaine, pères, concerne l’ensemble de tous ceux qui sont considérés comme pères de l’enfant selon la tradition locale, c’est-à-dire ses pères géniteurs et adoptifs, ses oncles, amis des parents, etc. Dans le sens occidental le terme de père a une visée restrictive alors qu’en Afrique il est inclusif. En effet, les Africains en font un emploi large et lui donnent un contenu très étendu. Les particularités des termes fils et fille sont, dans le français d’Afrique noire, en rapport avec les particularités des relations traditionnelles entre les “enfants” et les “parents”. Dans ce cas, le fils n’est pas seulement l’enfant naturel d’un homme et d’une femme, mais aussi le neveu, (car l’oncle y est considéré en tant que père, et la tante en tant que mère) et le fils d’un ami ou d’une amie (dans le sens africain de ces termes). La parenté est conçue très largement et met en exergue la force de la solidarité africaine. Au moment du recueil du consentement des mineurs, toutes ces considérations doivent être prises en compte. Interdépendance mais pas homogénéité L’interdépendance entre l’individu et la communauté si elle est source de solidarité, elle accentue les biais dans la liberté de décision. En effet, la communauté n’est pas composée d’une somme d’individus homogènes défendant les mêmes intérêts et ayant les mêmes motivations dans l’action collective. Jean Godefroy Bidima 3 le spécifie bien à travers un proverbe du sud du Cameroun qui dit : Nous avons une même voix mais avec des gorges différentes . Ce qui signifie que dans un consensus il y a aussi une contradiction en expliquant que la gorge par où passe l’émission des sons ne peut consentir à une unité. Il existe la possibilité d’un désaccord dans la formulation d’un accord. Ce qui est d’autant plus réel qu’au sein des communautés, il existe des stratifications, les rapports de force et des tensions qui posent le problème même du représentant légitime de la communauté. Un proverbe moagha du Burkina Faso exprime bien les rapports de force et d’autorité, les luttes symboliques de 3 Jean Godefroy Bidima, « Éthique médicale en Afrique : quelle qualité de la recherche et relation de sollicitude », in Éthique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Espace éthique, Paris, Vuibert, 2005, pp. 79-86. Le consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain 5 domination qui peuvent prévaloir dans une communauté à travers le proverbe suivant : Le crapaud et tout ce qu’il a ingurgité appartient au serpent qui l’avalera. Un autre grand écrivain africain, Cheikh Hamidou Kane 4 nous enseigne que l’introduction d’une nouveauté (nouvelle approche) dans une communauté est souvent réappropriée à des fins de reproduction des rapports sociaux existants en son sein. L’exemple qu’il donne est précisément l’introduction de l’école moderne, à laquelle la Grande Royale, personnage important, incite sa communauté à adhérer en expliquant qu’il faut : « envoyer son enfant à l’école nouvelle pour lier le bois au bois » en ce sens que le chef de la communauté doit être le premier à envoyer ses enfants à l’école nouvelle dans la mesure où, s’il y a des avantages inhérents à cet acte, la famille royale doit être la première à en bénéficier etc. L’organisation sociale qui doit être prise en compte dans le processus d’obtention du consentement éclairé pose paradoxalement de nombreuses interrogations dont notamment qui peut représenter et défendre les intérêts de la communauté ? Le consentement du représentant de la communauté n’influence t-il pas celui du volontaire ? Ce consentement n’absorbe t-il pas la volonté du volontaire ? Peut-on parler de véritable consentement libre et éclairé de la personne dans ces contextes ? La motivation des participants à une étude La motivation des participants à une étude peut également poser la question de leur liberté de décision. Un essai qui se fait au sein d’une population pauvre sans revenus et qui constitue pour cette population la seule alternative, l’unique façon d’accéder à un traitement capable de sauver une vie pose incontestablement la question de la liberté des participants. Les compensations d’ordre matériel et financier constituent des aides précieuses dans un contexte de pauvreté et peuvent constituer des sources de motivations pour les participants à une étude. Informés de toutes ces compensations avant le début de l’étude, celles-ci ne constituent-elles pas une source de motivations pour des volontaires qui recherchent le nécessaire pour leur subsistance ? Leur liberté de décision ne se trouve t-elle pas en même temps réduite ? Le niveau socio-économique des volontaires pose également un autre problème qui est celui de la confidentialité. Les problèmes de confidentialité Dans le processus d’obtention du consentement, la confidentialité est aussi recommandée. Ce qui pose un problème dans des cultures où le secret est assimilé à une initiation à des forces occultes telle la sorcellerie. En effet, dans un contexte de pauvreté et d’absence de système de sécurité sociale, les malades sont obligés de se prendre en charge avec l’aide de parents et de l’entourage. Dans une telle situation, garder la confidentialité devient difficile au risque de ne pas bénéficier du soutien de la famille et de l’entourage dans la prise en charge 4 Cheick Hamidou Kane, L’aventure ambiguë, Paris, Éditions 10-18, 1971. 6 Assétou Ismaëla Derme, Sodiomon Bienvenu Sirima des soins. Aussi comme nous l’avons déjà décrit, l’interdépendance entre individus et communauté est telle qu’un secret signifierait aux yeux des autres détachement et isolément. Les rapports entre l’équipe de recherche et les volontaires Un autre aspect qu’il faut prendre en compte lorsque la question de la liberté des participants à une étude est posée, ce sont les types de rapports entre le chercheur / soignant ou son équipe et les volontaires de l’étude. Ces rapports peuvent annihiler le caractère libre du consentement. En effet, dans ces rapports, les représentations que le volontaire se fait du chercheur / soignant ou son équipe introduisent des biais dans sa décision. Le chercheur / soignant ou son équipe sont aux yeux du volontaire ceux qui ont de grandes connaissances par rapport à lui qui se dit ne pas connaître. Les relations habituelles entre un médecin et les populations d’un village où il exerce sont des relations de domination où le médecin est celui qui commande, ordonne, prescrit et le sujet malade celui qui obéit. Le médecin a une autorité divinisée ou sacralisée par le volontaire. Ces types de représentations et de rapports sont reproduits au niveau des chercheurs ou de l’équipe d’investigation qui interviennent dans une communauté dans le domaine de la santé. En plus, ces chercheurs et leur équipe d’investigation sont des étrangers pour les volontaires dans la mesure où ils ne vivent pas dans leur village. Or, dans certaines cultures africaines, on ne refuse rien à une personne qui a de l’autorité, à un étranger qui ne fait pas partie de la communauté. Et mieux un étranger qui s’intéresse aux problèmes de santé des individus, un étranger bienfaiteur. Refuser c’est synonyme de lui faire perdre la face. Les croyances, les représentations et les relations sociales prennent le pas sur le droit. La marge de liberté des volontaires doit être optimisée pendant tout le processus d’obtention du consentement éclairé. Toutes les informations apportées doivent permettre d’expliquer le mieux possible l’essai vaccinal et leur permettre ainsi de décider librement d’y participer ou pas. Comment passer ces informations ? Un processus « éclairé » pour un essai vaccinal Les problèmes d’information et de communication Il n’existe pas de relation systématique entre les champs nosologiques populaires et biomédicaux. En effet, chaque pays, chaque peuple, chaque groupe ethnique a appris à nommer les choses, les êtres et les biens selon les réalités existantes. Il se pose souvent un problème de traduction des concepts utilisés par la science biomédicale dans les langues locales. Comment traduire des concepts complexes qui n’existent pas dans le système de représentations des populations ? Comme exemple nous pouvons citer les concepts de Randomisation et Placebo dans l’essai DITRAME évoqué par Christophe Perrey 5 Des images ont été utilisées pour illustrer ces deux concepts : « la loterie » pour Randomisation et « faux médicament » pour Placebo. Traduits ainsi, ces concepts ont entraîné 5 Christophe Perrey, « Le consentement à la recherche biomédicale dans les pays en développement : de l’information à la décision » in Éthique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Espace éthique, Vuibert, 2005, pp. 101-113. Le consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain 7 des confusions, car faux médicament pour placebo a été interprété non dans le sens d’absence de principe actif mais plutôt dans celui de contrefaçon (médicaments vendus dans les rues). Dans certains contextes, il existe des difficultés de traduire même le nom de la maladie dont il est question dans l’étude. En Afrique de l’ouest, le terme générique « djokadjo » est utilisé pour nommer l’hépatite B, mais aussi un grand nombre de symptômes (maux de tête, fièvre, paludisme, fatigue etc.). Chaque culture déchiffre à sa manière les maux du corps, découpe et regroupe à sa façon les signes manifestes ou cryptés du corps et construit au fil des entités nosologiques singulières irréductibles à celles des cultures voisines. Par exemple au Burkina Faso, la terminologie utilisée pour désigner le paludisme est très variée et il existe une forte tendance à séparer les débuts du paludisme des phases aggravées pour en faire des entités nosologiques différentes. Or les textes en matière de bioéthique recommandent une compréhension parfaite des volontaires avant leur inclusion dans l’étude. Dans la version de janvier 2002, des guidelines du CIOMS, les commentaires du point 4 stipulent que : « Le consentement informé est pris par un individu compétent qui a reçu une information nécessaire, qui l’a comprise et qui a pris sa décision sans avoir subi de coercition, d’influence indue et d’intimidation » Il est nécessaire de passer les informations aux différentes étapes du processus sous forme d’échanges, de discussions qui améliorent la compréhension du volontaire. Un feed-back peut également permettre d’évaluer les connaissances des volontaires. En plus il est important de traduire les fiches d’information et les formulaires de consentement en langue parlée par les différents volontaires. En outre, les volontaires devraient avoir quelques jours pour lire les formulaires ou les faire lire par des personnes de leur choix et leur demander conseil avant leur inclusion dans l’étude. Ceux qui ne savent pas lire doivent par ailleurs choisir chacun un témoin qui sait lire et écrire et qui puisse attester par sa signature du consentement du volontaire. Cette question de la signature du consentement nous permet d’introduire les problèmes liés à son caractère écrit. Entre l’oralité et l’écrit La déclaration d’Helsinki, version d’Edimbourg 2000 stipule toujours dans son article 22 que : Après s’être assuré de la bonne compréhension par le sujet de l’information donnée, le médecin doit obtenir son consentement libre et éclairé, de préférence par écrit. Lorsque le consentement ne peut être obtenu sous forme écrite, la procédure de recueil doit être formellement explicitée et reposer sur l’intervention de témoin. En effet, l’autorisation verbale ayant montré ces limites, il est fait de plus en plus recours à un consentement écrit, libre et éclairé. Les mots passent, l’écrit reste même si la plupart de nos sociétés africaines sont à tradition orale. Mais comme nous l’a enseigné le célèbre romancier Amadou Hampaté Bâ : « En Afrique chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Le sens d’un engagement écrit 8 Assétou Ismaëla Derme, Sodiomon Bienvenu Sirima varie d’une culture à une autre. Dans les sociétés africaines, la parole est amplement suffisante. Dans les histoires écrites, le lecteur est seul pour revivre le passé alors qu’avec les histoires orales il doit être intégré à un univers social. Les rites initiatiques à travers la transmission des connaissances aux plus jeunes par les aînés permet au groupe de survivre et de reproduire ses connaissances. La conservation des traditions et des connaissances se fait avec plusieurs éléments qui sont les contes, fables et légendes, les chants, proverbes, devinettes et énigmes, l’épopée, les généalogies et le mythe 6. Ceux-ci ont toujours une portée didactique dans la mesure où ils apportent tous un enseignement, inculquent une valeur essentielle de la vie. Ce qui est en cause derrière le témoignage lui-même, c’est bien la valeur de l’homme qui témoigne… Or, c’est dans les sociétés orales que non seulement la fonction de la mémoire est la plus développée, mais que le lien entre l’homme et la parole est le plus fort. Là où l’écrit n’existe pas, l’homme est lié à sa parole, il est engagé par elle. Il est sa parole, et sa parole témoigne de ce qu’il est. Amadou Hampaté Bâ. Les populations en Afrique et surtout en milieu rural sont en majorité analphabètes. Ne sachant pas lire et écrire, la signature d’une façon générale et celle d’un consentement en particulier est un acte non familier et dépaysant. En effet les rares occasions où leur signature est demandée concernent l’établissement de documents d’état civil à la préfecture ou au département. Les réflexions doivent se poursuivre pour trouver la forme de consentement qui répond le mieux aux habitudes des volontaires dans les pays ou sociétés à tradition orale. Conclusion Le consentement individuel, libre et éclairé est un concept complexe et le processus de son obtention n’est pas un acte mécanique mais un processus qui se construit progressivement au gré de discussions, négociations et prise en compte des systèmes de représentations du groupe social des participants de l’étude. Dans cet écrit, nous avons posé plus de questions que nous avons apporté de réponses et de solutions aux problèmes éthiques liés au consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain. Il n’existe pas de modèle type de consentement éclairé mais des modèles qui peuvent être réappropriés et adaptés à différents contextes. Si on ne peut pas intégrer le même processus d’obtention du consentement partout, on devrait cependant travailler ou veiller à une compréhension sans faille de tous les contours de l’étude par les participants avant le recueil du consentement. L’introduction de l’enseignement de la bioéthique dans les universités africaines pourrait permettre de former des investigateurs éclairés par rapport à la culture spécifique des communautés où ils interviennent. Les chercheurs et les autorités nationales devraient assurer la création de comités d’éthique et la pérennité de leur fonctionnement, construire des collaborations inter-pays entre disciplines et institutions différentes à travers la 6 Mathio Sall, L’importance de la tradition orale pour les enfants : cas des pays du Sahel 65th. IFLA Council and General Conference Bangkok, Thailand, du 20 au 28 août 1999. <http://www.ifla.org/IV/ifla65/65mb-f.htm> Le consentement individuel, libre et éclairé dans le cadre des essais de vaccin en milieu rural africain 9 mise en œuvre de réseaux de chercheurs pour la promotion de la bioéthique qui intègre et dépasse le cadre de la règle du consentement libre et éclairé. Processus dynamique, le consentement éclairé doit toujours être en rapport avec le type de la culture qui caractérise une étape de l’évolution sociale. Bibliographie Hirsch François et Emmanuel : Éthique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Paris, Espace éthique, Vuibert, 2005 Bâ Amadou Hampaté : Amkoullel, l’enfant peul, Éditions 8/4 Collection littérature générale, 2000. Kane Cheick Amidou, L’aventure ambiguë, Paris, 10-18, 1971 Calame-Griaule Geneviève, « La tradition orale » in Dossiers pédagogiques n°11-12, 1974, pp. 4-12. Boiral Pierre, Lantéri Jean-François, Sardan Jean-Pierre Olivier de (éds), Paysans, experts et chercheurs en Afrique Noire, Sciences Sociales et développement rural, Paris, Karthala, CIFACE, 1985. Philippe Bernoux : La sociologie des organisations, Paris, Seuil, 1985. Sites internet : http://www.ifla.org/IV/ifla65/65mb-f.htm http://wikepedia.org Résumé Dans la recherche biomédicale, la nécessité d’obtenir le consentement individuel, libre et éclairé de tout participant à une étude reconnue dans les années 1980 est devenue de nos jours un principe universel. Cependant selon les contextes, ce principe se heurte à de nombreux obstacles qui peuvent contribuer même à une remise en cause de l’objectivité visée à travers la demande de consentement. En effet dans les sociétés africaines, les schèmes de perception et l’organisation sociale reproduisent des hiérarchies sociales correspondant à des sphères différentes de décision. Dans ces sociétés, l’avis des aînés, de la famille et de la communauté entière prime sur celui de l’individu. Le consentement pose la problématique de la conciliation entre le général et le particulier, les valeurs culturelles et universelles, l’individu et la communauté. Le consentement individuel, libre et éclairé demeure un processus à construire en prenant en compte les facteurs socioculturels de la communauté. Il demeure un problème essentiel à résoudre dans le contexte africain. Mots clés : Afrique, consentement individuel, libre et éclairé, essai vaccinal.