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Revista Colombiana de Filosofía de la Ciencia • Vol. X No. 20 - 21 • 2010 • Págs. 27-56
dominante succède toujours la recherche et la xation d’un nouvel état de
croyance7, un schéma qui s’écarte des canons positivistes pour prolonger
plutôt la vision dynamique de la science d’un Whewell et anticiper à la fois
Popper et Kuhn, car dans les sciences de la nature, il est requise une explica-
tion quand apparaissent des faits contraires à notre attente.
Mais cette explication doit répondre à des critères rationnels en phase avec
la ‘maxime pragmatiste’ selon laquelle la signication d’une expression réside
dans les conséquences pratiques concevables que l’on peut en tirer: si la signi-
cation d’un terme (que la sémantique du xxe siècle appellera, à la suite de
Carnap et Popper, dispositionnelle) comme ‘dur’ dans ‘ce diamant est dur’ est
entièrement explicitée par une liste de conditionnels contrefactuels8 dont l’an-
técédent énonce une opération ou une expérience à eectuer et le conséquent
le résultat observé, parallèlement,
[L]’explication doit être une proposition qui conduise à la prédiction
de faits observés comme conséquences nécessaires ou du moins très
probables dans ces circonstances. Il faut alors adopter une hypothèse
qui est vraisemblable en elle-même et qui rend les faits vraisemblables.
L’étape au cours de laquelle on adopte une hypothèse en tant qu’elle est
suggérée par les faits est ce que j’appelle abduction (7 202)9.
Ainsi le pragmatisme entendu, non comme doctrine, mais comme applica-
tion d’une maxime, est-il à la fois ce qui permet d’expliciter la signication ou
et d’auto-régulation dans la ‹machine› humaine (8 320), Peirce semble annoncer certaines des idées
cybernétiques d’Ashby. On pourrait rapprocher cette idée d’une tendance du mental à retourner à la
stabilité d’un principe énoncé par Valéry dans les Cahiers, et qui anticipe lui aussi la cybernétique:
«L’esprit se manifeste par le retour (ou la tentative de retour) du système vivant à un état dont il a été
écarté». La xation des croyances participe donc d’un processus spontané de régulation mentale.
7 Cf sur la révision par Peirce de la théorie de l’enquête, Murphey (1961 357).
8 Contrefactuels après le tournant réaliste de Peirce mais, dans un premier temps, matériels (Cf.
Chauviré 2004 97-106). La conception réaliste et dispositionnelle qu’a des lois naturelles (comme
forces opérant réellement dans la nature) le Peirce de la maturité l’oblige à utiliser des conditionnels
contrefactuels pour les énoncer.
9 L’abduction tire donc sa capacité innovante d’introduire dans l’enquête la formulation d’une
hypothèse qui peut dépasser les phénomènes observés, voire observables, hypothèse dont elle dit
qu’il y a une bonne raison de croire en elle puisque, si elle était vraie, le fait surprenant observé se
produirait. Ce contrefactuel lie de façon nomique l’observé à l’hypothèse qui l’explique. Ce genre
de raisonnement n’a donc rien à voir avec une induction ou une déduction. C’est, par excellence, le
raisonnement des détectives de roman policier, comme l’a bien remarqué Hintikka.