39 Décembre 2001 208 Le langage : un carrefour d'interactions cognitives Rev ue éditée par la Fédération N atio n ale de s O rth op hon i ste s R é da c ti o n - A d mi n i s t r a ti o n : 2, rue des Deux-Gares, 75010 PARIS — Tél. : 01 40 34 62 65 — — Fax : 01 40 37 41 42 — e-mail : [email protected] Abonnement normal : 545 F (83,09 euros) Abonnement réduit : 395 F (60,22 euros) réservé aux adhérents de la F.N.O., de l ’ A . R . P. L . O . E . V. ou d’ une a ss oc iation e u r o p é e n n e m e m b r e d u C . P. L . O . L . Abonnement étudiant : 225 F (34,30 euros) Abonnement étudiant étranger : 260 F (39,64 euros) réservé aux étudiants en orthophon ie Abonnement étranger : 620 F (94,52 euros) Vente au numéro : 170 F (25,92 euros) Revue créée par l’A.R.P.L.O.E.V. Paris Directeur de la publication : le Président de la F.N.O. : Jacques ROUSTIT Membres fondateurs du comité de lecture : Pr ALLIERES • A. A P PAIX • S. BOREL-MAISONNY G . D E C R O I X • R . D I AT K I N E • H . D U C H Ê N E M. DUGAS • J. FAVEZ-BOUTONNIER • J. GERAUD R. GRIMAUD • L. HUSSON • Cl. KOHLER • Cl. LAUNAY F. L H E R M I T T E • L . M I C H A U X • P. P E T I T G . P O RTMANN • M. PORTMANN • B. VA L L A N C I E N . Comité scientifique Aline d’ALBOY Dr Guy CORNUT Ghislaine COUTURE Dominique CRUNELLE Pierre FERRAND Lya GACHES Olivier HERAL Jany LAMBERT Frédéric MARTIN Alain MENISSIER Pr Marie-Christine MOUREN-SIMEONI Bernard ROUBEAU Anne-Marie SIMON Monique TOUZIN Rédacteur en chef Jacques ROUSTIT Secrétariat de rédaction Marie-Dominique LASSERRE Abonnements Emilia BENHAMZA Commission paritaire : 61699 Impression : TORI 11, rue Dubrunfaut, 75012 Paris Téléphone : 01 43 46 92 92 Sommaire Décembre 2001 N° 208 Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris Ce numéro a été dirigé par Jany Lambert, orthophoniste LE LANGAGE : UN CARREFOUR D’INTERACTIONS COGNITIVES Langage et neuropsychologie, Jany Lambert, orthophoniste, Caen 3 1. Mémoire sémantique : aspects théoriques Marie-José Gaillard, Didier Hannequin, Elodie Crochemore et Carine Amossé 2. Les troubles de la mémoire sémantique dans la démence sémantique Serge Belliard 3. Evaluation et prise en charge des troubles de la mémoire sémantique Jany Lambert, Danièle Perrier et Danielle David-Grignot 9 1. Historique et évolution du concept de mémoire de travail Alix Seigneuric et Marie-France Ehrlich 2. Mémoire à court terme et pathologies du langage Martine Poncelet, Steve Majerus et Martial Van der Linden 3. Troubles de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales : évaluation et prise en charge Martine Poncelet, Steve Majerus et Martial Van der Linden 29 43 75 101 121 1 1. Approche théorique et fractionnement des fonctions exécutives Philippe Allain, Ghislaine Aubin et Didier Le Gall 2. Evaluation et rééducation des syndromes dysexécutifs Ghislaine Aubin, Philippe Allain et Didier Le Gall 139 169 191 2 Jany LAMBERT Orthophoniste Inserm U320, Service de Neurologie CHU avenue Côte de Nacre 14033 Caen cedex e-mail : [email protected] L’histoire de l’humanité commence avec le langage. « Le langage est la nature de l’homme... Dès le début, les hommes ont été des êtres parlants ; et ceux qui avant ne parlaient pas n’étaient pas des humains. » Françoise Parot D ans les origines de l’esprit moderne, Merlin Donald trace une synthèse évolutionniste de la cognition depuis les primates non humains jusqu’à l’homme moderne. L’apparition du langage en constitue une étape déterminante. En le faisant accéder à la fonction symbolique et surtout à la possibilité de générer lui-même un ensemble infini de symboles, il l’a démarqué de l’espèce animale. A l’opposé, les habiletés procédurales, la culture épisodique liée à la mémorisation de nombreuses connaissances situationnelles semblent exister dans de nombreuses espèces. Mais l’esprit humain ne se résume pas au langage et même sans langage, il reste très supérieur à celui du singe en raison d’une capacité mimétique qu’il définit en terme de fonction représentationnelle. Si le langage constitue une fonction mentale spécifiquement humaine, très tôt investie comme objet d’étude, l’histoire de la neuropsychologie et ses débats théoriques montre que longtemps il a été difficile de le dissocier d’autres fonctions. Dans les prémices de la neuropsychologie, courant localisationniste ou associationniste, l’aphasie est souvent décrite en terme de trouble mnésique : amnésie verbale qui touche le stock des mots en mémoire (Broca, Lordat), perte du souvenir des mots (Trousseau), perte de la mémoire des images auditives (Wernicke). Pour d’autres, appartenant au courant globaliste, la spécificité de la Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 3 fonction « langage » est explicitement plus contestée. Elle est reconnue pour le l a n gage articulé mais le langage dit « supérieur », « propositionnel », « abstrait » est fortement lié aux capacités d’intelligence (Goldstein, Head, Jackson). Ainsi l’aphasie devient-elle une réaction globale d’adaptation mais non pas un déficit spécifique (Goldstein). Une étape importante est franchie avec la neurolinguistique. Les troubles du langage sont alors décrits par une terminologie qui lui est propre, trouvant ses origines dans les modèles de la linguistique structurale. C’est avec la psycholinguistique que les processus fondamentaux du langage sont les mieux appréhendés. Ce courant de la psychologie postule que toute activité linguistique met en jeu plusieurs étapes de traitement. L’identification des composants nécessaires à la réalisation des tâches langagières (production spontanée, dénomination, répétition, lecture à haute voix, écriture, compréhension orale ou écrite...) et les liens qu’ils entretiennent sont représentés dans un modèle de fonctionnement du langage, appelé encore système lexical : processus d’analyse de l’information perçue, représentations de différentes natures (phonologique, orthographique, sémantique), processus de c o nve rsion d’unités sous-lexicales. Les modèles incluent également des mémoires tampon (phonologique ou graphémique) dont la nature (spécifique ou générale) et la fonction exacte sont restées jusqu’ici insuffisamment délimitées. Malgré son extrême complexité, le langage occupe une large place dans la recherche. Et cette complexité a contraint la psychologie cognitive et, peutêtre plus encore la neuropsychologie, à une schématisation excessive. Ainsi ces disciplines ont-elles privilégié l’identification des habiletés spécifiques et négligé les habiletés cognitives plus générales qui sans conteste participent au langage. Parmi ces fonctions cognitives générales, Lemaire (1999) mentionne la mémoire qui intervient dans le stockage des informations à long terme ou lors de leur récupération, la mémoire de travail avec la mobilisation de ressources cognitives en vue de traiter de multiples informations simultanées, la mise en oeuvre d’inférences, la perception et la reconnaissance des formes. Il n’est donc pas surprenant qu’avec la progression des connaissances, les études actuelles tentent de ré-intégrer habiletés spécifiques et habiletés générales. Ce sont ces nouvelles orientations dont nous avons voulu rendre compte dans ce numéro en choisissant de traiter les interactions entre le langage et la mémoire sémantique, la mémoire de travail et les fonctions exécutives. Les interfaces entre ces différentes fonctions seront abordées sous les angles théorique et clinique en envisageant des données pratiques en vue de l’évaluation et de la rééducation. S’il y a querelle aujourd’hui, elle n’est pas théorique. Les actes de langage ne sont pas réductibles à quelques composants articulatoires, phonolo- 4 giques, lexicaux, sémantiques et les modélisations se veulent moins réductionnistes. Il ne paraît donc plus fondé de s’occuper de pathologie du langage sans prendre en compte l’ensemble des processus cognitifs qui lui sont étroitement liés, qui sont parfois considérés comme inhérents à son fonctionnement (mémoire phonologique à court terme). Dans un article de l’Orthophoniste (Perrier, Lambert, Samuel et Aubin, 2001), nous avons rappelé comment la situation actuelle de l’orthophonie et plus particulièrement la restriction de son champ d’activités pouvait s’expliquer avec l’histoire de la neuropsychologie. C’est en effet avec l’étude du langage que s’est d’abord développée la neuropsychologie, c’est également avec l’aphasie qu’est née la rééducation neuropsychologique. Avec la progression des connaissances et l’émergence de nouveaux courants théoriques, les autres fonctions cognitives (mémoires, praxies, gnosies, attention, fonctions exécutives) ont été mieux conceptualisées. L’enseignement des écoles d’orthophonie et les programmes de formation continue ont su intégrer au fur et à mesure les nouvelles connaissances théoriques et leurs applications cliniques. Les orthophonistes ont participé largement à l’évolution de la neuropsychologie contemporaine, par leurs activités cliniques dans les services de neurologie et les consultations « mémoire », par leur représentation dans la société de neuropsychologie de langue française (SNLF) ainsi que dans son bureau, par leur insertion dans des groupes de recherche et d’évaluation des fonctions cognitives (GRECO), par leurs publications d’ouvrages ou d’articles dans des revues scientifiques, par leur participation à l’enseignement de 3e cycle de neuropsychologie (DESS et DEA), par le suivi de profils cognitifs au sein de protocoles d’études thérapeutiques de pharmacologie. Cette évolution théorique et clinique n’a malheureusement pas été actualisée dans la nomenclature. S’il y a querelle aujourd’hui, elle n’est que corporatiste, générée par quelques psychologues impatients de voir leur activité mieux reconnue. Nous ne pouvons qu’espérer que les problèmes de recouvrement de champ d’activités entre les deux professions seront résolus dans la garantie des exigences scientifiques et thérapeutiques actuelles qui interdisent tout clivage entre fonctions cognitives. La première partie de ce numéro, « Langage et Mémoire Sémantique » offre au lecteur l’exemple le plus probant des liens entre langage et autres fonctions cognitives. Si le concept de mémoire sémantique a pris naissance dans le champ des études sur la mémoire humaine, il recouvre largement le modèle d’organisation des connaissances élaboré par Collins et Quillian pour rendre compte de la compréhension du langage. Aussi la mémoire sémantique garde-t-elle une 5 place assignée au sein des modèles d’organisation structuro-hiérarchique de la mémoire (cf. Tulving 1995 : mémoire procédurale - systèmes de représentation perceptive - mémoire sémantique - mémoire de travail - mémoire épisodique), et trouve t-elle tout à la fois une position dite « centrale » au sein du système lexical. Marie-José Gaillard, Didier Hannequin, Elodie Crochemore et Carine Amossé développent plusieurs points théoriques. Le premier concerne la notion de représentation sémantique et de réseaux sémantiques qui rendent compte de la façon dont un mot prend sens. Le second aborde sous plusieurs angles la conceptualisation de l’organisation de la mémoire Sémantique. Les auteurs exposent les divergences entre modélisations plurimodales et amodales et montrent comment les atteintes spécifiques à une catégorie induisent des hypothèses sur l’organisation des connaissances au niveau cérébral dans ses dimensions phylogénétiques et ontogénétiques. En pathologie (Serge Belliard), c’est l’exemple de la démence sémantique qui a été retenu pour illustrer l’atteinte la plus représentative de la mémoire sémantique . Jany Lambert, Danièle Perrier et Danielle David rappellent les caractéristiques sémiologiques de syndromes cognitifs proches résultant soit de la perturbation des représentations sémantiques elles-mêmes, soit de l’accès à ces représentations ou encore de l’activation des représentations phonologiques à partir des informations sémantiques. La méthodologie d’évaluation insiste sur la nécessité de tester les connaissances dans différentes modalités. Parmi les épreuves envisagées, toutes ne sont pas disponibles mais un travail important d’élaboration et de normalisation est actuellement en cours. Les principes généraux de rééducation sont exposés et des observations plus détaillées fournissent au lecteur des indices précis sur les objectifs, le contenu et le déroulement, voire les bénéfices escomptés de la thérapie. La deuxième partie « Langage et Mémoire de Travail » rend compte de l’évolution des notions de mémoire de travail et de mémoire phonologique à court terme. Ces concepts ne sont plus seulement définis comme des entités spécifiques mais sont envisagés, dans le cadre de modèles interactifs, comme des composantes intégrées, voire indissociables d’autres fonctions cognitives dont le langage. Après un rappel théorique qui clarifiera sans aucun doute des notions encore complexes pour les cliniciens, Alix Seigneuric et Marie France Ehrlich exposent l’incidence de la mémoire de travail sur la compréhension de textes chez l’enfant et chez l’adulte. Les études participent à mieux comprendre la structure de la mémoire de travail et le rôle exact des mécanismes qui la composent. Le premier article de Martine Poncelet, Steven Majerus et Martial Van der Linden est centré sur la composante mémoire à court terme verbale. Une large place est donnée aux modèles interactifs qui décrivent les liens entre acti- 6 vation des représentations langagières à long terme (phonologiques, sémantiques..) et maintien des informations auditivo-verbales. Parallèlement aux descriptions des différentes modélisations, les auteurs rapportent des données de la pathologie neuropsychologique et les interprétations des perturbations. L’article suivant présente les outils d’évaluation de la fonctionnalité des différents composants de la mémoire à court terme verbale (stock phonologique, boucle articulatoire) et de l’administrateur central. Les auteurs décrivent les profils de perturbation correspondants et exposent également l’incidence des représentations lexico-sémantiques et de différentes variables phonologiques et lexico-sémantiques sur le stockage temporaire. Pour la rééducation de ces troubles, des suggestions d’interventions sont proposées qui visent soit l’amélioration de la capacité passive de stock age des info rm ations auditivo - verbales, soit le contournement du déficit avec la mise en place d’une stratégie d’imagerie visuelle. La très maigre littérature dans ce domaine souligne la récence des données théoriques développées ici et le manque d’applications en thérapie. Le rééducateur est pourtant fréquemment confronté à des patients dont l’aphasie a régressé mais qui présentent encore des troubles d’intégration et de rétention verbale évoquant la participation d’un déficit spécifique de la mémoire verbale à court terme, voire de la mémoire de travail. Dans la dernière partie « Langage et Fonctions exécutives », Philippe Allain, Ghislaine Aubin et Didier Le Gall abordent les modèles des fonctions exécutives avec les différents processus sous-jacents. Ce concept est relativement récent et a eu du mal à se démarquer de sa dimension localisationniste (syndrome frontal). Les frontières avec la mémoire de travail sont restées souvent floues. Les conceptions relatives aux marqueurs somatiques et à l’existence d’unités de connaissances stockées en mémoire apportent des éléments nouveaux à la compréhension de ce dysfonctionnement cognitif. Des exemples cliniques pris dans des activités cognitives complexes telles que génération de scripts et résolution de problèmes montrent le fractionnement et les dissociations des processus exécutifs. L’interface Langage - fonctions exécutives est plus largement développée dans la partie consacrée à l’évaluation et à la rééducation (Ghislaine Aubin, Philippe Allain et Didier Le Gall) avec l’exemple de récits procéduraux, de productions de scripts, de compréhension des aspects pragmatiques. C’est dans ce domaine qu’il existe le moins d’outils d’évaluation normalisés, à la disposition des cliniciens. L’absence de mise en évidence des troubles dans des tests en situation d’examen, malgré la plainte des patients et de leur entourage, a conduit à la création d’épreuves plus écologiques reproduisant la complexité des activités ou des comportements quotidiens. L’analyse conversationnelle en est une illustration. Les travaux dans le domaine de la prise 7 en charge sont plus rares encore et l’appréciation de son efficacité se heurte à l’hétérogénéité des perturbations. Les auteurs exposent les différentes stratégies pouvant être envisagées : restauration des fonctions déficitaires, réorientation vers des fonctions préservées, contention comportementale et substitution ou compensation par des aides externes. Nous remercions les auteurs pour leur participation à ce numéro spécial et pour la qualité de leurs contributions. Nous remercions également Jacques Roustit, rédacteur en chef de la revue, pour nous avoir confié la direction de ce travail. REFERENCES DONALD M. (1999). Les origines de l’esprit moderne. Bruxelles : de Boeck. LEMAIRE P. (1999). Psychologie Cognitive. Bruxelles : de Boeck. PAROT F. (2001) L’homme sans parole. Sciences et avenir, hors série, 125, 86-91. PERRIER D., LAMBERT J., SAMUEL C., & AUBIN G. (2001). Place de l’Orthophonie dans le domaine de la Neuropsychologie. L’Orthophoniste, février 2001, 205, 14-18. 8 Mémoire sémantique : aspects théoriques Marie-José Gaillard, Didier Hannequin Elodie Crochemore, Carine Amossé Résumé L’évaluation de la mémoire sémantique concerne à la fois les orthophonistes et les psychologues. En effet, la mémoire sémantique est commune à de multiples opérations cognitives aux confins du langage, de la mémoire et des gnosies. L’organisation de la mémoire sémantique est envisagée à l’aide de différents modèles, qui requièrent pour être validés ou infirmés que plusieurs tests spécifiques soient proposés aux patients. Cet article présente des données théoriques de base. Parmi les problèmes posés par l’organisation de la mémoire sémantique, nous avons choisi d’exposer ceux concernant l’accès aux représentations sémantiques et ceux liés aux possibles effets catégoriels spécifiques observés en pathologie. Mots clés : mémoire sémantique, trouble d’accès / trouble des représentations, trouble catégoriel spécifique. Semantic memory : theoretical issues Abstract The evaluation of the semantic memory concerns at the same time the speech and language therapists and the psychologists. Indeed, the semantic memory is common to multiple cognitive operations to the borders of the language, memory and perceptual. The organization of the semantic memory is considered using various models, which require to be validated or cancelled that several specific tests are proposed to the patients. This article presents basic theoretical data. Among the problems arising from the organization of the semantic memory, we chose to expose those concerning the access to the semantic representations and those related to the possible specific category effects observed in pathology. Key Words : semantic memory, refractory and storage impairments, category-specific deficit. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 9 Marie-José GAILLARD 1-2 Didier HANNEQUIN 1 Elodie CROCHEMORE 1 Carine AMOSSÉ 1 C omment sait-on, si l’on nous montre une rose, qu’elle porte le nom [roz], que c’est un végétal et plus précisément une fleur, qu’elle est généralement rouge ou rose, parfois jaune, qu’elle possède des épines, qu’elle dégage un parfum agréable…? Comment accède-t-on à toutes ces informations, à un sens, par la simple vue d’un objet ou d’un mot ? Comment ces informations sont-elles organisées ? La neuropsychologie cognitive utilise le terme de mémoire sémantique ou système sémantique pour désigner l’une des composantes du système cognitif qui représenterait nos connaissances, notre savoir. En se limitant à des exemples concrets, on peut concevoir qu’un objet est considéré comme connu quand il est stocké dans cette mémoire sous la forme d’une représentation sémantique à laquelle seraient associés les traits le caractérisant. Ainsi, les traits « fleur », « rouge », « possède des épines », « parfum agréable » seraient associés à la représentation de « rose » dans le système sémantique. Dans certaines pathologies neurologiques, les patients perdent la faculté de dénommer les objets, de les décrire et de les comprendre. Si les troubles de la dénomination de l’aphasique sont souvent liés à une difficulté d’accès au lexique phonologique, ils peuvent aussi être en rapport avec une altération de la mémoire sémantique. Ces troubles se rencontrent plus fréquemment chez les patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer, à la suite d’encéphalite herpétique ou dans le cas de démence sémantique. ♦ Le concept de mémoire sémantique La notion de mémoire sémantique est issue des recherches en psychologie sur la mémoire à long terme. C’est à Tulving (1972) que l’on doit la distinction mémoire sémantique / mémoire épisodique. La mémoire sémantique 1 Département de Neurologie, CHU C. Nicolle, 76000 Rouen 2 CRMPR Les Herbiers, 76230 Bois-Guillaume 10 regroupe les connaissances d’un sujet relatives au sens des mots et aux règles linguistiques, aux représentations d’objets, de personnes et d’événements. Elle est indépendante du contexte spatio-temporel dans lequel se sont faites les acquisitions. Ainsi, si le mot « magret » nous fait saliver, c’est parce qu’il évoque ce morceau si tendre et parfumé du canard que nous pouvons déguster à la mode normande ou bordelaise. En revanche, il nous est impossible de nous souvenir du moment précis et du lieu où nous avons acquis ce concept. La mémoire sémantique est considérée comme conceptuelle et dépend intimement des acquis culturels du sujet. Selon Tulving (1972), la mémoire sémantique est « la mémoire nécessaire pour l’utilisation du langage. C’est un thesaurus mental, le savoir organisé qu’un individu possède pour les mots, les autres symboles verbaux, leurs significations et leurs référents, leurs relations et les règles, formules, algorithmes pour la manipulation de ces symboles, concepts et relations. La mémoire sémantique n’enregistre pas les signaux d’entrée des stimuli mais plutôt les référents cognitifs des signaux d’entrée ». Tulving la distingue de la mémoire dite épisodique, celle-ci étant plutôt un système de stockage des informations datées, d’événements personnellement vécus et de leurs associations spatio-temporelles. Tulving a fait évoluer ce concept (Eustache, 1996). En 1985, il présente la mémoire sémantique sous la forme d’un modèle hiérarchique qui postule un emboîtement de différents systèmes : épisodique > sémantique > procédural. En 1991, il y adjoint deux nouveaux systèmes, la mémoire à court terme et le système des représentations perceptives. Cette conception s’est avérée insuffisante pour rendre compte des liens étroits entre mémoire épisodique et mémoire sémantique et d’autres modèles ont été proposés (voir par exemple, le modèle de Squire in Eustache, 1995). Cette distinction mémoire sémantique / mémoire épisodique repose sur l’observation de dissociations en pathologie. De nombreuses études rapportent en effet l’existence de syndromes amnésiques dans lesquels la mémoire sémantique est intacte alors que la mémoire épisodique est sévèrement altérée (Cermack, 1984 ; Schacter et Tulving, 1982). La dissociation inverse a également été rapportée : il existe plusieurs pathologies au cours desquelles des troubles sémantiques coexistent avec des connaissances épisodiques relativement préservées : maladie d’Alzheimer débutante (Chertkow et Bub, 1990), encéphalite herpétique (Sartori et Job, 1988), démence sémantique (Belliard, 1994 ; Barbarotto et al., 1995). ♦ Comment accède-t-on au sens ? L’accès au sens se fait par différentes modalités et à partir de plusieurs types d’informations (figure 1). Les modalités correspondent aux différents 11 domaines sensoriels : les stimuli d’entrée peuvent être visuels, auditifs, tactiles, olfactifs ou gustatifs. Ainsi, la vue du lion ou son rugissement nous permet sans hésitation d’évoquer le lion mais en revanche, il est probable que le simple fait de caresser ses poils ou sentir son odeur sans autre information soit insuffisant pour le différencier d’un tigre. Les modalités d’entrée visuelle et auditive sont, de fait, les plus utilisées. L’accès au sens se fait également en fonction du type d’information : objets réels, images ou bien encore mots, ces derniers pouvant revêtir une forme orale ou écrite. Figure 1. Modalités et type d’informations Un mot active une représentation sémantique canonique : si l’on entend ou on lit le mot « lion », des caractéristiques telles que « a une crinière, rugit, animal d’Afrique, etc. » sont activées, lesquelles représentent un ensemble de connaissances acquises (figure 2). Le lion lui-même ou son image activent une représentation sémantique spécifique, avec une taille, une forme, une texture, des couleurs, des parties constituantes spécifiques. Une représentation sémantique est donc un faisceau de traits sémantiques se rapportant à un même item. Ces traits peuvent être de différentes natures : structuraux, descriptifs, fonctionnels, associatifs, catégoriels… Par exemple, la représentation sémantique de l’item « table » correspond à des traits tels que : - meuble (trait catégoriel) ; - possède 4 pieds et une planche (trait structural) ; - peut être en bois, en fer, en formica (trait structural) ; 12 - sert essentiellement pour manger (trait fonctionnel) ; - est souvent utilisée avec des chaises (trait associatif)… Les représentations sémantiques sont stockées dans le système sémantique. Figure 2. Organisation en réseaux hiérarchisés Ces différents traits sémantiques renvoient à plusieurs niveaux de catégorisation. Pour Rosch (1976), qui a beaucoup contribué à faire évoluer les théories de la catégorisation, les catégories sont « les représentations sémantiques d’objets du monde réel ». Elles sont organisées dans des structures hiérarchiques de type taxonomique. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres mais entretiennent des relations de contiguïté. Des recouvrements existent à la différence des théories précédentes basées sur les conditions nécessaires et suffisantes selon lesquelles un exemplaire appartenait à une catégorie si et seulement s’il remplissait ces conditions. Ces théories ne rendaient donc pas compte de l'appartenance de certains exemplaires peu typiques comme l'autruche à la catégorie des oiseaux. Rosch (1976) proposa une classification à trois niveaux : le niveau superordonné (par exemple, animal), le niveau de base (correspondant au chien) et le niveau subordonné (épagneul). Le niveau privilégié de catégorisation est le niveau de base car il est identifié plus rapidement par les sujets normaux que les autres niveaux d’abstraction. Lors des altérations de la mémoire sémantique, en particulier dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, les informations spécifiques seraient plus facilement altérées que les informations superordonnées (Martin et Fedio, 1983). Dans les années 1970, différents modèles psychologiques ont tenté de rendre compte de l’organisation des connaissances : parmi les plus souvent cités, les modèles en traits (Rips et al., 1973), fondés sur l’hypothèse qu’un concept est signifié par un ensemble de traits sémantiques, les modèles en réseaux (Collins et 13 Quillian, 1969) dans lesquels les concepts sont envisagés comme des nœuds organisés en réseaux hiérarchisés. Dans ces derniers, chaque nœud (occupé par un mot) est associé à un certain nombre de propriétés (signification de ce mot). Plus une propriété est générale, plus elle est appliquée au terme superordonné. Par exemple, la propriété « quatre pattes » sera attachée au niveau « chien » plutôt qu’au niveau « épagneul » puisqu’elle est applicable à tous les chiens. Ce modèle a été remis en cause par les expériences prenant en compte l’effet de la fréquence des différentes propriétés. Dans un troisième modèle plus souple, le modèle de distribution de l’activation (Collins et Loftus, 1975 cité par Baddeley, 1993), la notion de distance sémantique (distance qui sépare deux concepts) a été introduite pour permettre de rendre compte des effets d’amorçage. L’amorçage sémantique est le fait que la présentation préalable d’un mot sémantiquement proche du motcible facilite l’activation de ce mot. Selon le modèle de Collins et Loftus, quand deux concepts sont activés, l’activation se distribue dans le réseau jusqu’à ce que les deux soient mis en relation. Le temps nécessaire à cette diffusion de l’activation à travers le réseau rendrait compte de l’organisation des associations sémantiques. Cette notion de propagation de l’activation a par la suite été reprise dans différents modèles et en particulier dans les modèles connexionnistes. ♦ Comment est organisée la mémoire sémantique ? L’observation de certains patients présentant des troubles très particuliers comme l’aphasie optique a conduit à s’interroger sur l’organisation de la mémoire sémantique. L’aphasie optique est l’impossibilité à dénommer les objets présentés visuellement alors que la dénomination des mêmes objets est possible par la modalité tactile ou verbale. Elle suppose donc que la mémoire sémantique est multimodale. Il existe, actuellement, deux conceptions opposées d’organisation de la mémoire sémantique. La première originellement proposée par Warrington (1975) défend une conception plurimodale de la mémoire sémantique alors que la seconde en accord avec les travaux de Tulving repose sur une conception amodale. Cette divergence provient de l’existence de différentes modalités d’entrée du stimulus (essentiellement les modalités visuelle et verbale). Modèle de type plurimodal Ce modèle (figure 3) connaît plusieurs variantes. La première est celle donnée par Warrington (1975). On y retrouve les deux sous-systèmes sémantiques, visuel et verbal, traitant respectivement, l’un les informations concernant les entrées visuelles non-verbales (les objets par exemple), l’autre celles se rap- 14 portant aux entrées auditives ou visuelles verbales. C’est donc la modalité d’entrée qui joue ici un rôle déterminant dans le traitement du stimulus. Beauvois et Saillant (1985) ont repris ce modèle mais en considérant que c’est le type des informations représentées (fonctionnelles, descriptives, structurales ou associatives) qui détermine l’accès aux sous-systèmes sémantiques. Selon ces auteurs, l’aphasie optique résulterait d’une disconnexion entre les deux sous-systèmes sémantiques visuel et verbal. Dans ces deux théories, il existe des liens bidirectionnels entre les deux sous-systèmes permettant de relier les informations visuelles et verbales. Figure 3 : Modèle plurimodal d’après Warrington (1975) 15 Shallice (1988, 1993) a repris ces mêmes conceptions dans un contexte connexionniste. Ainsi, le système sémantique est décrit comme un réseau composé de régions spécialisées pour les différents types de traitement (visuel, verbal). La modalité d’entrée correspondrait à un traitement présémantique induisant, par la fréquence des entrées d’informations dans un type de modalité, la spécialisation du système. Les sous-processus seraient interdépendants. Ainsi, la compréhension des objets essentiellement acquise par le canal visuel serait dépendante du système sémantique visuel alors que la compréhension des mots acquise de façon verbale serait surtout dépendante du système sémantique verbal. Modèles de type amodal Il existe différentes tentatives de modélisation de la mémoire sémantique dans lesquels la modalité d’entrée n’est pas prise en compte. Le modèle dit en cascade et le modèle OUCH font partie des plus fréquemment décrits. Modèle en cascade Ici, on retrouve les différentes modalités d’entrées citées par Warrington (1975). Cependant, à la différence du modèle plurimodal, ces différentes entrées convergent toutes vers un système sémantique unique. Ce modèle (figure 4) a été proposé par Riddoch, Humphrey, Coltheart et Funnell en 1988. Il comprend plusieurs niveaux de traitement. Un premier niveau, structural, correspond à un système de reconnaissance perceptive, d’identification du stimulus. Il prend en compte les différentes modalités d’entrée visuelles et auditives. Il est pré-sémantique. Le traitement sémantique proprement dit est effectué au deuxième niveau (niveau sémantique). C’est à ce niveau que l’on accède aux informations fonctionnelles, associatives, donc aux représentations sémantiques. Le troisième niveau est le niveau phonologique. Il permet la dénomination, l’accès à une forme phonologique de la représentation sémantique. Au niveau structural, l’entrée par la modalité visuelle est traitée par le lexique orthographique pour les mots et par le système des représentations structurales pour les objets. La modalité auditive est, elle, reliée au lexique phonologique pour les mots ou au système de catégorisation pour les sons non-verbaux. Des liens bidirectionnels relient ces systèmes au système sémantique lui-même. Le traitement des info rm ations se fait donc de façon 16 parallèle et distribuée. Enfin, le système sémantique est relié au lexique phonologique de sortie. Ce processus est appelé par les auteurs « voie indirecte ». Une deuxième voie est décrite, reliant directement le niveau structural au niveau phonologique. Cette voie « directe » serait complémentaire de la voie indirecte dans la dénomination, les deux voies devant être intactes pour qu’il y ait une dénomination correcte. Les auteurs expliquent ainsi le phénomène d’aphasie optique, qui était l’un des arguments de départ en faveur d’un système sémantique plurimodal. En effet, dans l’aphasie optique, le sujet est capable de mimer l’utilisation d’un objet, dire à quoi il sert mais ne peut le dénommer. Riddoch et al. (1988) expliquent ce phénomène par une altération de la voie directe, la voie indirecte intacte permettant un accès au sens suffisant pour mimer l’utilisation de l’objet. Figure 4 : Modèle amodal d’après Humphreys et al. (1988) 17 Modèle OUCH Il existe un deuxième modèle illustrant la théorie amodale où les modalités d’entrée ne traitent pas exactement le même type d’informations que dans les deux modèles cités précédemment. Ici, c’est la nature des informations présentées (structurales, associatives…) qui entre en jeu. Ce modèle appelé modèle OUCH (Organized Unitary Content Hypothesis) a été conçu par le groupe de Caramazza dans les années 1990. Dans ce modèle, le sens d’un mot est obtenu par le rassemblement de plusieurs prédicats correspondant à des propriétés structurales, des schémas d’action qui s’y rapportent et aux relations avec les autres objets ou concepts. Tous ces prédicats sont regroupés de façon amodale. Leur accès est possible par les lexiques phonologique et orthographique mais aussi par des descriptions conceptuelles. C’est la modalité d’entrée qui décide de la procédure d’accès. En effet, un mot présenté visuellement active une entrée lexicale orthographique (système pré-sémantique) qui active, elle, le réseau de prédicats (système sémantique). Un mot présenté auditivement active une entrée lexicale dans le lexique phonologique qui active à son tour le réseau des propriétés sémantiques. Mais, à la différence de Riddoch et coll. (1988), les auteurs introduisent la notion « d’accès privilégié ». En effet, des informations traitées au niveau pré-sémantique pourraient donner directement accès à des propriétés sémantiques. Ainsi, certaines caractéristiques visuelles des objets peuvent avoir une signification pouvant entraîner une représentation particulière. Ces auteurs considèrent que l’aphasie optique serait due à une représentation sémantique incomplète à partir de la représentation en trois dimensions de l’objet : la représentation sémantique partielle pourrait suffire à expliquer les capacités adéquates à imiter les gestes. Par exemple, la représentation privilégiée d’une partie de la fourchette (dents) serait suffisante pour induire le geste de piquer. En revanche, la représentation sémantique incomplète expliquerait que cette même fourchette soit dénommée cuillère (Hillis et al., 1990). Cette relation entre exhaustivité de la représentation sémantique et dénomination correcte paraît discutable. En effet, une dénomination correcte n’est pas garante d’une représentation sémantique intègre. Modèle mixte Bub et coll. (1988) et Chertkow et coll. (1992 ; 1993) ont proposé un modèle associant les deux composantes. L’identification serait dépendante de la modalité d’entrée mais le traitement fonctionnel et associatif serait amodal. 18 Ainsi, la première composante se rapporte au traitement structural et fonctionnel permettant d’identifier un stimulus comme unique (à la différence du modèle en cascade). Cette identification se ferait par les modalités visuelle ou auditive, la modalité visuelle semblant permettre une meilleure identification. Ensuite, et de façon amodale, se ferait le traitement associatif et fonctionnel. ♦ L’accès aux représentations sémantiques Malgré les divergences concernant la conception de la mémoire sémantique, la plupart des auteurs s’accordent sur le fait que l’accès au sens correspond schématiquement à un accès aux représentations sémantiques. Lors de déficits de la mémoire sémantique, on a donc un trouble au niveau de ces représentations, puisque le patient n’accède plus au sens exact du mot. La difficulté est de déterminer si ces troubles proviennent d’un défaut d’accès aux représentations sémantiques centrales ou d’une dégradation de ces représentations, c’est-à-dire du stock sémantique lui-même. En 1979, Warrington et Shallice, à partir de données empiriques issues de leurs expériences ont proposé plusieurs critères permettant de distinguer les troubles d’accès des troubles des représentations sémantiques. Ces critères sont les suivants : - la constance des erreurs sur des items spécifiques lors de présentations répétées ; - la fréquence des items ; - l’effet d’amorçage (influence de la présentation préalable d’un mot sémantiquement lié à l’item-cible) ; - l’effet du rythme de présentation (temps laissé entre la réponse du sujet et la présentation de l’item suivant) ; - l’effet facilitateur de la catégorie (information superordonnée). Ces critères ont, par la suite, évolué. Pour différencier un trouble d’accès d’un trouble des représentations sémantiques, les auteurs retiennent quatre critères : la constance des erreurs sur des items spécifiques à différentes présentations d’une même tâche, la fréquence des items, le rythme de présentation et la distance sémantique (entre l’item-cible et les autres). Ainsi, dans les cas de troubles des représentations sémantiques, on retrouverait une constance des erreurs, c’est-à-dire que, lors de présentations répétées d’une même tâche, ce sont toujours les mêmes items qui sont perturbés. Il existerait un effet de fréquence : les performances seraient meilleures pour des items de fréquence élevée. En revanche, le rythme de présentation des items et la distance sémantique n’influenceraient pas les performances des sujets. 19 A l’inverse, les déficits d’accès aux représentations se caractériseraient par une inconstance des erreurs et l’absence d’effet de fréquence. Il y aurait un effet de la distance sémantique : plus les items distracteurs seraient proches sémantiquement de l’item-cible, plus le nombre d’erreurs augmenterait. Enfin, on noterait un effet du rythme de présentation. En effet, en allongeant le temps entre la réponse du sujet et la présentation de l’item suivant, le nombre de réponses correctes serait plus élevé. A partir de la constatation d’un effet du temps de présentation lors des troubles de l’accès, les auteurs ont proposé le concept « d’état réfractaire ». L’état réfractaire correspondrait au fait que le système, après activation des représentations sémantiques, nécessite un certain laps de temps avant de revenir à son état initial, laps de temps durant lequel les informations sémantiques seraient plus difficilement accessibles : « the reduction in the ability to utilize the system for a period of time following activation » (Warrington et McCarthy, 1987). Cependant, les critères déterminés par Warrington et Shallice, ainsi que l’hypothèse de l’état réfractaire, ont été critiqués par d’autres auteurs (Rapp et al., 1993) du fait de leur base empirique. Ils reprochaient, de plus, que chaque critère n’avait pas été testé pour les deux types de troubles. En réponse à ces critiques, Warrington et Cipolotti (1996) ont testé leurs hypothèses auprès de 6 patients présentant des troubles sémantiques, soit des représentations, soit d’accès, en étudiant systématiquement chaque critère. Cette étude leur a permis d’argumenter en faveur de leur conception. Hillis et Caramazza (1995) opposent trouble sémantique central et trouble d’accès spécifique à une modalité. Ainsi, leur patient KE présentait un trouble sémantique central car il réalisait des erreurs sémantiques dans les modalités orale et écrite en réponse à des stimuli visuels ou tactiles. Hillis et Caramazza interprètent ce trouble comme une altération de la composante commune à ces différentes tâches, de dénomination, compréhension, lecture et écriture, c’est-àdire au système sémantique lui-même. A l’inverse, leur patiente DHY réalisait des erreurs sémantiques en dénomination d’images (modalité visuelle) alors que ces mêmes items étaient correctement dénommés en modalité auditive (en réponse à des définitions) et en modalité tactile. Hillis et Caramazza (1995) estiment qu’il s’agit dans ce cas d’une difficulté d’accès à une information sémantique complète à partir de stimuli visuels alors que l’accès à des informations sémantiques complètes est possible à partir de stimuli auditifs ou tactiles. Ce trouble est donc interprété comme un déficit sémantique « modalité-spécifique ». D’autres observations de trouble sémantique d’accès spécifique à une 20 modalité ont été rapportées comme la surdité au sens des mots (Kohn et Friedman, 1986 ; Franklin, 1989 ; Franklin, Howard et Patterson, 1994 ; Franklin et al. 1996). ♦ La mémoire sémantique est-elle organisée de façon catégorielle ? Les données issues de la pathologie montrent que le plus souvent l’altération de la mémoire sémantique se fait de façon globale. Néanmoins, de nombreuses altérations privilégiant certaines catégories sémantiques ont été décrites, en particulier à la suite de lésions temporales gauches consécutives à une encéphalite herpétique, un accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien. La dissociation la plus fréquemment rapportée concerne l’altération des connaissances relatives aux exemplaires biologiques alors que celles liées aux objets manufacturés sont relativement épargnées (Sartori et Job, 1988 ; De Renzi et Lucchelli, 1994) mais la dissociation inverse a également été rapportée (Warrington et Shallice, 1984 ; Hillis et Caramazza, 1991 ; Silveri et al., 1997 ; Gaillard et al., 1998). Ces données obligent à s’interroger quant aux modèles d’organisation de la mémoire sémantique permettant de rendre compte de tels effets. ♦ Comment les différentes théories rendent-elles compte de l’existence des troubles catégoriels spécifiques ? Dans un premier temps, un certain nombre d'observations d'effets catégoriels spécifiques ont été expliquées par des artefacts méthodologiques. Les différences de complexité visuelle entre les deux catégories (Stewart et al., 1992), de familiarité (Funnell et Sheridan, 1992) ou de similarité visuelle (Gaffan et Heywood, 1993) ont été incriminées pour expliquer ces atteintes spécifiques. Dans un second temps, les études ont utilisé des méthodologies de plus en plus affinées et pour certaines, les mêmes patients ont été retestés en contrôlant les paramètres critiques (par exemple, Hart et Gordon, 1992 ; Sartori et al., 1993 ; Laïacona et al., 1993). Parmi ces études, certaines ont montré un maintien de ces effets de catégorie (Sartori et al. 1993 ; Kurbat, 1996). On distingue schématiquement trois grands groupes de théories tentant de rendre compte de tels effets catégoriels. Le premier est connu sous le terme générique de théorie sensorielle / fonctionnelle (« Sensory / Functional Theory » ou SFT, terme proposé par Caramazza et Shelton, 1998) et considère que les effets catégoriels spécifiques effectivement décrits résultent des caractéristiques propres aux exemplaires de chaque catégorie dans un système séman- 21 tique multimodal. Le second défend la même position mais selon une conception unitaire du système sémantique qui serait unique, amodal et dans lequel les informations seraient stockées indépendamment de leur modalité d'origine. Le troisième postule au contraire que ces troubles catégoriels spécifiques correspondent à des perturbations « primaires » liées à une organisation cérébrale intrinsèquement catégorielle du système sémantique. Théorie sensorielle / fonctionnelle Des théories, regroupées sous le terme générique de théorie sensorielle / fonctionnelle (encore appelée « differential-weighting hypothesis » par Lambon Ralph et al., 1998), sont basées sur le rôle joué par les propriétés sensorielles et fonctionnelles dans la distinction entre catégories biologiques et manufacturées. Ces différentes théories reposent sur deux postulats : le premier est que les propriétés visuelles seraient plus importantes pour la connaissance des exemplaires appartenant aux catégories biologiques qu'aux catégories d'objets manufacturés. Le second postulat est que les déficits catégoriels seraient dépendants d'un traitement sémantique préférentiel (visuel, verbal). La variante la plus discutée de la théorie SFT est celle des systèmes sémantiques multiples (Warrington et Shallice, 1984) qui suppose l'existence de deux sous-systèmes sémantiques, l'un visuel, l'autre verbal. Le système sémantique visuel interviendrait davantage dans l'identification des catégories biologiques dont les exemplaires partagent de nombreux traits perceptifs et sensoriels alors que le système sémantique verbal contribuerait davantage au traitement des informations fonctionnelles et associatives cruciales dans l'identification des objets manufacturés. Ainsi, un trouble spécifique pour les catégories biologiques correspondrait à une atteinte du système sémantique visuel alors que des difficultés pour les objets manufacturés seraient en rapport avec une altération du système sémantique verbal. Farah et McClelland (1991) ont simulé ce type d'organisation en fondant leur modèle connexionniste sur une répartition entre 2/3 d'unités sémantiques visuelles et 1/3 d'unités sémantiques fonctionnelles, leur permettant de générer des catégories biologiques et manufacturées en fonction du poids respectif de ces deux types d'unités sémantiques. Un tel modèle de la mémoire sémantique avec des représentations actives distribuées consistant juste en deux types d'informations sémantiques, visuelles et fonctionnelles peut être lésé pour produire des déficits sélectifs dans les connaissances des catégories biologiques et des catégories d'objets manufacturés. La seule lésion des informations visuelles est suffisante pour entraîner des déficits du savoir à la fois visuel et fonctionnel des catégories biologiques. Finalement, Farah et Mc Clelland montrent aussi comment leur modèle peut rendre compte d'un déficit pour les catégories biolo- 22 giques quand elles sont présentées dans la modalité verbale, ce qui était initialement interprété comme une preuve que la mémoire sémantique était, non seulement divisée en catégories de connaissances, mais aussi selon les modalités d'accès. Cependant, de nombreuses observations ont remis en cause cette hypothèse de la simple altération du sous-système visuel pour expliquer un déficit des catégories biologiques. En effet, si les connaissances des catégories biologiques reposaient essentiellement sur les propriétés perceptives, les réponses aux questions explorant les attributs perceptifs auraient dû être moins bien réussies que celles testant les propriétés associatives ou fonctionnelles. En fait, dans plusieurs cas d'atteinte catégorielle spécifique, les connaissances des propriétés sensorielles furent trouvées équivalentes à celles des propriétés fonctionnelles (Laïacona et al., 1993 ; Sheridan et Humphreys, 1993). De plus, cette théorie est peu explicative pour certaines dissociations observées. Par exemple, l'atteinte exclusive des animaux (Hart et Gordon, 1992 ; Hillis et Caramazza, 1991) alors que les fruits, les légumes et les plantes sont épargnés est difficilement interprétable. De la même façon, l'altération sélective des fruits et des légumes alors que les autres catégories (biologiques et manufacturés) sont préservées (Farah et Wallace, 1992 ; Hart et al., 1985) pose le même problème d'interprétation. Enfin, cette théorie est insuffisante pour expliquer l'atteinte ou la préservation de la catégorie des parties du corps (Shelton et al., 1998). Système sémantique amodal Pour Riddoch et ses collaborateurs (Riddoch et al., 1988 ; Humphreys et al., 1990), l'observation d'une atteinte catégorielle suppose que la perturbation concerne le niveau présémantique. Ce modèle attribuerait ainsi les phénomènes de similarité visuelle à un traitement présémantique plutôt que sémantique, plusieurs items pouvant être sélectionnés au niveau du système descriptif avant que le choix ne soit opéré au niveau du système sémantique amodal. Les effets catégoriels résulteraient donc d'une atteinte du niveau présémantique, réfutant donc toute organisation catégorielle du système sémantique. Les atteintes à ce niveau entraîneraient des difficultés pour les exemplaires des catégories biologiques puisque ceux-ci sont plus souvent structurellement proches et donc plus facilement confondus quand les informations spécifiques sont perdues. Comme dans le modèle de Warrington et MacCarthy, les informations perceptives sont cruciales mais à la différence de ces auteurs, ce système de description structurelle n'est pas organisé de façon catégorielle. Il en résulte que les exemplaires de certaines catégories d'objets manufacturés partageant des traits perceptifs communs (comme les différentes marques de voitures) peuvent également être altérés (Forde et al., 1997). 23 Dans le modèle OUCH (Organised Unitary Content Hypothesis) (Rapp et al., 1993), le système sémantique serait organisé indépendamment de la modalité d'entrée mais les mécanismes d'accès au système sémantique seraient privilégiés en cas de relations étroites entre l'objet et son sens. Ces auteurs accordent ainsi un statut particulier à certaines caractéristiques visuelles des objets qui intrinsèquement peuvent avoir une signification particulière (par exemple, le caractère piquant des dents d'une fourchette, la concavité de l'anse d'une tasse). Ce modèle OUCH réfute une organisation catégorielle en tant que telle mais accorde de l'importance à la notion de densité sémantique. La densité sémantique est définie par le plus ou moins grand degré d'interdépendance des propriétés définissant un objet. Plus les propriétés seraient inter-corrélées, c'est-àdire de densité sémantique élevée, plus les concepts seraient vulnérables. Ainsi, quand la forme et la fonction sont très liées, la vulnérabilité à une lésion cérébrale serait plus importante. En général, les catégories biologiques auraient une densité sémantique plus importante que les catégories d'objets manufacturés, mais certaines catégories comme les outils auraient aussi des propriétés fortement inter-corrélées. Les auteurs suggèrent donc que cette plus grande vulnérabilité des exemplaires de densité sémantique élevée pourrait expliquer la fréquence de l'atteinte des cat é go ries biologiques. En résumé, ce modèle expliquerait les atteintes catégorielles tout en réfutant la notion d'organisation catégorielle même du système sémantique. Ce modèle a été récemment implémenté dans un réseau de type connexionniste pour expliquer les déficits catégoriels spécifiques dans la MA (Devlin et al., 1998). Comme dans le modèle connexionniste de Farah et McClelland (1991), les concepts sont représentés par des patterns d'activation distribuée à travers un grand nombre de noeuds représentant des « microtraits » sémantiques. Ces noeuds correspondaient, soit à des propriétés perceptives, soit à des propriétés fonctionnelles et ces deux types de propriétés étaient censées être topographiquement distinctes. L'intérêt du modèle de Devlin et al. (1998) est de permettre l'émergence d'effets catégoriels spécifiques, non seulement à la suite d'une lésion des propriétés perceptives ou des propriétés fonctionnelles, mais aussi à la suite d'une lésion non sélective affectant une partie des noeuds de propriétés sémantiques à travers l'ensemble du réseau simulant le caractère diffus de l'atteinte dans la MA. Hypothèse des connaissances de domaines spécifiques La troisième conception (« domain-specific knowledge hypothesis » selon Caramazza et Shelton, 1998 ou hypothèse des connaissances de domaines spécifiques) rend compte des effets catégoriels spécifiques comme de perturbations 24 « primaires », c'est-à-dire touchant un système sémantique organisé de façon catégorielle au niveau cérébral. Caramazza et Shelton (1998) ont en effet jugé que le modèle OUCH était insuffisant pour expliquer la prévalence de l'altération de la catégorie des animaux et la fréquence avec laquelle les dissociations ne concernaient que les trois cat é go ries animaux, plantes et o b j e t s manufacturés. Pour rendre compte de ces faits, les auteurs proposent d'explorer l'hypothèse alternative selon laquelle le savoir sémantique serait organisé de façon catégorielle au niveau cérébral (Warrington, 1981). Ils ne se réfèrent plus aux propriétés des objets mais impliquent l'organisation cérébrale dans ses dimensions phylogénétiques et ontogénétiques. Les auteurs supposent l'existence de différents niveaux d'organisation cérébrale dont le plus élémentaire refléterait l'adaptation neuronale en réponse aux contraintes de l'environnement qui nécessitait d'identifier rapidement les animaux et les plantes pour la survie de l'espèce. L'argument ontogénétique s'appuie sur les théories qui préconisent que l'acquisition de domaines de connaissances spécifiques chez l'enfant dépendrait de mécanismes cognitifs spécialisés reflétant l'adaptation aux contraintes de l'environnement. Le nourrisson de trois mois apprendrait par exemple très précocement à distinguer l'animé de l'inanimé (pour une revue, voir par exemple, Mandler et al., 1992). Cette théorie pose deux postulats : d'une part, les seuls véritables déficits catégoriels spécifiques seraient ceux impliquant des catégories pour lesquelles les contraintes de l'environnement ont pu conduire à des mécanismes neuronaux spécialisés pour leur distinction perceptive et conceptuelle. Selon Caramazza et Shelton (1998), de telles catégories ne pourraient être que les animaux, les plantes et les objets artefactuels. D'autre part, les déficits catégoriels spécifiques doivent résulter d'altérations comparables pour les attributs visuels et fonctionnels d'un concept. Leur théorie était illustrée par la patiente E.W. qui présentait un déficit sélectif pour les animaux. Non seulement, elle ne les dénommait pas mais ne les reconnaissait pas auditivement, indiquant l'absence d'un trouble de l'accès lexical. Son déficit était équivalent pour les attributs visuels et fonctionnels. Leur patiente avait également des difficultés à répondre à des questions verbales sur les animaux impliquant donc un déficit au niveau conceptuel. Cette conception défendue par Caramazza et Shelton est donc en faveur d'une véritable organisation sémantique catégorielle supportée par des circuits neuronaux spécifiques. Une analyse de cas unique a récemment apporté des arguments à cette conception (Samson et al., 1998). Ces auteurs ont rapporté le cas d'une patiente présentant un déficit de la dénomination pour les catégories d'objets vivants ne pouvant s'expliquer ni par l'absence de contrôle des paramètres constituant les catégories, ni par une atteinte du sous-système visuel. En effet, en dénomination, la dissociation se maintenait avec le contrôle de la fréquence, de la familiarité et de la complexité visuelle. 25 Par ailleurs, ils ont montré que cet effet catégoriel était constant dans le temps et observé dans différentes modalités aussi bien en entrée qu'en sortie attestant d'une atteinte au niveau sémantique. La théorie SFT ne pouvait rendre compte de ce déficit puisque la patiente échouait de la même façon aux questions portant sur les attributs visuels et fonctionnels des exemplaires d'objets vivants et réussissait au même niveau celles concernant le savoir visuel et fonctionnel des objets non vivants. Pour ces auteurs, la dimension vivant / non vivant représente un principe fondamental d'organisation du système sémantique. ♦ Conclusion L’organisation de la mémoire sémantique reste un des domaines qui soulèvent le plus d’interrogations. Aucune théorie ne s’est révélée être consensuelle et la pathologie nous apporte des faits qui bouleversent les théories existantes. L’évaluation des troubles sémantiques de nos patients s’avère alors primordiale pour tenter de situer le niveau de la perturbation. Les données de l’imagerie cérébrale pourrait permettre d’aider à la clarification des différents débats. 26 REFERENCES BADDELEY, A. (1993). La mémoire humaine, théorie et pratique, Presses Universitaires de Grenoble. BARBAROTTO, R., CAPITANI, E., SPINNLER H., & TRIVELLI, C. (1995). Slowly progressive semantic impairment with category specificity. Neurocase. 1 : 107-119. BEAUVOIS, MF., & SAILLANT, B. (1985). Optic aphasia for colours and colour agnosia : A distinction between visual and visuo-verbal impairments in the processing of colours. Cognitive Neuropsychology. 2 : 1-48. BELLIARD, S. (1994). La démence sémantique. Thèse de Médecine, Université de Rennes. CARAMAZZA, A., & SHELTON, J. (1998). 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Tous les concepts ne sont pas touchés de manière uniforme dans la DS et deux facteurs ont récemment été mis en évidence pour expliquer la préservation de certaines entités : il s’agit de la récence du rapport et de la pertinence personnelle du concept. Ce dernier élément ouvre la discussion sur la notion d’une sémantique personnalisée. Mots clés : démence sémantique, mémoire sémantique, dégénérescence fronto-temporale, sémantique personnalisée. Disorders of semantic memory in semantic dementia Abstract Since it was first identified in 1989, semantic dementia has become a well-known syndrome: it involves lobar atrophy, with degenerative lesions circumscribed to the temporal lobes. The syndrome involves a gradual semantic breakdown of knowledge regarding persons, which eventually expands to words, then to objects. Two factors have been recently identified as having an influence on this breakdown process: recency and level of personal relevance. This second factor leads to the concept of personalized semantics. Key Words : semantic dementia, semantic memory, frontal-temporal lobar atrophy, personalized semantics. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 29 Serge BELLIARD Clinique Neurologique CHU Pontchaillou 35033 Rennes EXTRAIT DE CONVERSATION AVEC LE MARI DE Mme B : On ne peut plus avoir de conversation, on lui dit « va chercher le lait », elle dit « qu'est ce que c'est le lait? »... Elle ne sait plus faire à manger. On lui dit de prendre une pomme de terre et une carotte pour la purée, elle répond « qu'est ce que c'est la purée? ». Quand elle les a dans la main, elle ne sait plus comment faire avec... Avec les étrangers, elle est super agréable. Elle aborde facilement les gens dans la rue pour dire « je ne te connais pas »... C'est elle qui tient les comptes aux cartes, elle gagne tout le temps... C'est elle qui me guide quand on va se promener, elle sait où il faut tourner 2 kms avant (Belliard et al., 1998). C’est en 1972 que Tulving définissait le concept de mémoire sémantique, comme sous composant de la mémoire à long terme, censée être chargée du traitement, du stockage et de la récupération des informations concernant notre savoir sur les objets, les faits, les mots ou les concepts. Il opposait ce type de mémoire, culturellement partagée, à la mémoire épisodique, spécifique à l’individu et dépendante du contexte spatio-temporel. En 1975, à partir de l’observation de trois patients présentant un processus dégénératif, Warrington, pour la première fois, mettait en cause l’atteinte sélective de cette mémoire sémantique pour tenter d’expliquer l’agnosie visuelle associative (Warrington, 1975). En fait, Warrington décrivit alors un tableau original, sensiblement différent de l’agnosie visuelle classique. Par la suite, un certain nombre d’observations semblables furent rapportées sans que les auteurs ne s’intéressent vraiment au substratum nosologique sous jacent. L’observation de Mesulam, en 1982, révolutionnera l’approche que l’on pouvait avoir vis à vis de la pathologie neuro-dégénérative, lorsqu’il décrivit 30 l’aphasie progressive primaire, insistant sur le fait qu’une fonction peut longtemps s’altérer de manière isolée, et émettant l’idée que le cadre nosologique dans lequel se développent ces symptômes focaux peut se démarquer des maladies dégénératives classiques (maladie d’Alzheimer et maladie de Pick) (Mesulam, 1982). Par la suite, de nombreuses observations vinrent confirmer les propos de Mesulam, mais comme souvent en pareil cas, bon nombre de sujets furent catalogués comme aphasie progressive bien que leur tableau clinique dépassât largement le cadre du langage et se rapprochât du trouble de mémoire sémantique (ou trouble du savoir) décrit par Warrington. Ce n’est qu’en 1989 que Snowden et al. aborderont l’aspect nosologique du syndrome décrit par Warrington et décriront la « démence sémantique » (DS), comme syndrome d’atrophie focale, se traduisant par une atteinte très prédominante de la mémoire sémantique et lié à des lésions dégénératives localisées aux structures temporales externes. Récemment, la DS a été rapprochée de la démence fronto-temporale et de l’aphasie progressive primaire dans sa forme non fluente, et ce pour des raisons cliniques, radiologiques et anatomopathologiques, au sein des dégénérescences lobaires fronto-temporales. Des critères de consensus ont alors été proposés (Neary et al., 1998) (tableau 1). TABLEAU 1 : Critères de démence sémantique (4) - Evolution progressive - Trouble du langage caractérisé par un discours fluent, une perte du sens des mots et des paraphasies sémantiques ET/OU - prosopagnosie ou une agnosie associative - préservation des capacités perceptives - préservation de la répétition des mots - préservation de la lecture et de l’écriture des mots réguliers ♦ Tableau clinique de la démence sémantique Motif de consultation Les plaintes du patient concernent le langage, et plus particulièrement sa difficulté à trouver, puis rapidement à comprendre les mots concrets. La plainte spontanée peut être un simple manque du mot mais qui doit alerter lorsqu’il 31 concerne spécifiquement certaines catégories d’objet (ce sont souvent des difficultés à trouver les noms des végétaux dont se plaignent les patients). Plus souvent, et c’est là une plainte plus évocatrice, l’entourage rapporte un trouble de compréhension portant sur les mots isolés que le patient répète de manière dubitative : « tartines ? qu’est ce que c’est ça tartines ? ». Le patient est encore plus gêné avec les personnes. Il peut ne s’agir que d’une difficulté à trouver les noms mais également à identifier des personnes à partir de leur nom et /ou de leur visage. En effet, le patient rapporte rencontrer certaines personnes qui l’abordent, conversent avec lui, mais dont il est bien incapable de dire de qui il s’agit et ce, même lorsqu’ils se présentent. Tableau clinique Trouble sémantique Le langage conversationnel du patient est fluent, sans trouble de nature phonologique ou syntaxique, empreint d’un manque du mot variable mais généralement peu important. Aux phases initiales, la compréhension conversationnelle semble bonne. Toutefois, le patient peut interrompre son interlocuteur pour lui demander la définition d’un mot particulier qu’il n’a pas compris mais répète parfaitement avec un sentiment d’étrangeté très caractéristique. La compréhension syntaxique est, quant à elle, très longtemps préservée. La survenue de paraphasies sémantiques en conversation ou en dénomination est possible. Le trouble est particulièrement évident dans les épreuves de définition de mot concrets. Alors que le patient reste performant pour définir les mots abstraits (héritage, président...), il échoue à définir certains mots concrets, les répétant avec un air très circonspect. Le trouble est particulièrement sensible pour les items appartenant aux catégories biologiques, en particulier les animaux exotiques (kangourou, hippopotame…). La définition de personnages célèbres est tout aussi déficitaire, le nom qu’on lui propose ne lui disant rien ou ne donnant lieu qu’à une vague impression de familiarité. Le patient échoue aux tests de dénomination. Si un simple manque du mot est possible pour certains items (le patient acceptant alors le nom correspondant lorsqu’il lui est proposé par l’examinateur), plus souvent le patient semble bien reconnaître l’image mais n’a aucune idée du nom correspondant, et ce nom lui semble étrange lorsque l’examinateur le lui fournit. Pour d’autres items enfin (et en particulier pour les célébrités ou les animaux exotiques), cet échec s’explique par un défaut de reconnaissance, comme le verbalise d’ailleurs spontanément le patient et comme en attestent ses réponses évasives lorsqu’on l’interroge sur les caractéristiques spécifiques de l’item. Lorsqu’on le pousse à répondre, il affirme clairement 32 le faire au hasard. S’il peut deviner la catégorie à laquelle appartient l’item (c’est un animal ou un aliment), il ne peut répondre aux questions portant sur ses caractéristiques spécifiques (son habitat, sa provenance, sa nourriture pour un animal...). En effet, la perte du sens des mots n’est que la première étape d’un processus aboutissant à la disparition progressive des concepts correspondants, ce qui se traduit par l’apparition d’une agnosie asémantique des objets et des personnes. Ce trouble de reconnaissance ne s’explique pas par un désordre de nature « aperceptive » puisque le patient réussit parfaitement les épreuves perceptives : appréciation des distances, des orientations, différenciation fondforme... Il est capable de dessiner ou de décrire l’objet dans le détail, de l’apparier à d’autres objets structurellement identiques. Le format de présentation (objet réel, image en couleur ou au trait) est sans influence. L’agnosie de ces patients est qualifiée d’agnosie asémantique, dans la mesure où le trouble de reconnaissance est panmodalitaire, et le fait de prendre l’objet, d’en entendre un bruit caractéristique ne sont d’aucune aide (contrairement aux agnosies associatives). Surtout, le patient semble étonné lorsqu’on lui en fournit le nom. Il s’interroge sur sa signification, le nom en question ne semble plus faire partie de son vocabulaire. D’autres phénomènes pathologiques peuvent être observés en dénomination comme des paraphasies sémantiques, l’item cible étant substitué par le nom de la catégorie (c’est une bête, c’est pour travailler…) ou par le nom d’un exemplaire de la catégorie servant pour tous les autres (c’est un chien… désignant tous les animaux). Le langage écrit est caractérisé par un comportement de dyslexie et de dysgraphie de surface (lecture et écriture des mots irréguliers suivant les règles habituelles de conversion graphème phonème), qui peut être absent aux toutes premières phases du trouble mais apparaît rapidement (15 sur 17 de nos patients testés pour l’écrit présentaient ce trouble). Autres éléments cliniques de la démence sémantique Le trouble de mémoire sémantique est la caractéristique principale de la démence sémantique et les autres symptômes sont longtemps au second plan. Il n’y a pas de syndrome amnésique, de désorientation temporo-spatiale. Le patient est capable de facilement évoquer les anecdotes de son passé récent, il n’oublie pas les horaires des rendez-vous, il est capable d’une séance à l’autre de retrouver quelles images il a vues et les commentaires qu’elles lui ont inspirés. De nombreux auteurs ont cependant rapporté une perte des souvenirs autobiographiques anciens, avec un gradient inverse au gradient d’oubli habituel qui lui prédomine sur les souvenirs récents et épargne les souvenirs anciens (Jaap et al., 2001). 33 Les autres capacités cognitives sont intactes et ce même après plusieurs années d’évolution. On ne retrouve pas de trouble praxique et visuo-constructif, de trouble visuo-spatial ou perceptif. Le calcul est préservé de même que les capacités de jugement technique concernant les nouveaux objets (Hodges et al., 2000). Les tests psychométriques peuvent cependant montrer des perturbations du rappel libre de matériel peu sémantisable, des perturbations des tests exécutifs. Le comportement du patient et son autonomie restent longtemps adaptés. On décrit des modifications caractérielles (tendance à l’égocentrisme, à la rigidité mentale, à la parcimonie ou mauvaise tolérance aux frustrations). L’égocentrisme du discours et du comportement est particulièrement marqué (cf. infra). Plus rarement, et secondairement, peuvent apparaître des comportements pathologiques, à type de petits délits de vol, de comportements répétitifs, des modifications du comportement alimentaire ou un certain degré de désinhibition. Evolution La démence sémantique est une maladie dégénérative, son évolution est donc progressive. Le début est marqué par un manque du mot qui s’enrichit rapidement d’un trouble de compréhension lexicale aboutissant à une réduction du vocabulaire. Dans notre expérience, le trouble sémantique touche d’abord les entités uniques (personnes, marques …) pour toucher secondairement les objets. Avec les années, les troubles du langage s’aggravent, passant par des phases de pseudo-agrammatisme, de stéréotypies puis de mutisme avec grommellements. Sur le plan physique, survient un syndrome extrapyramidal avec hypertonie et des déficits moteurs latéralisés peuvent se voir aboutissant à un état grabataire en quelques années. Des évolutions très lentes de près de 20 ans ne sont pas rares. Dans notre expérience, sont de mauvais pronostic, un âge de début jeune avant 60 ans, l’existence de signes comportementaux, l’importance du déficit sémantique lors de la première consultation, l’importance de l’hypométabolisme frontal à la scintigraphie. Par contre l’importance de l’atrophie temporale n’est pas associée à une évolution plus rapide. Données démographiques Dans la cohorte rennaise de 28 patients, le début se situe dans le présenium dans 72 % des cas (médiane 60 ans ; extrêmes 46-71 ans). Nous retrouvons, contrairement à d’autres séries, une prédominance masculine (68 %). L’existence d’antécédents familiaux de maladie démentielle souvent mal définie est présente dans 50 % des cas. 34 Examens complémentaires L’imagerie morphologique (scanner ; IRM) met en évidence une atrophie localisée ou très nettement prédominante sur la partie antérieure et externe des lobes temporaux, bilatérale ou unilatérale, alors le plus souvent gauche (figure 1). Le processus atrophique épargne au départ les structures temporales internes, ce qui explique la normalité de la mémoire épisodique. Avec le temps un certain degré d’atrophie hippocampique se démasque mais de manière asymétrique. La scintigraphie cérébrale met en évidence une extension de l’hypométabolisme aux structures frontales, en particulier orbitaires. Figure 1 : IRM cérébrale du patient JG montrant une atrophie temporale gauche 35 Anatomo-pathologie A ce jour, chez aucun des patients atteints de démence sémantique autopsiés il n’a été mis en évidence de lésion histologique de maladie d’Alzheimer. Au contraire, les lésions sont celles retrouvées dans les autres syndromes de dégénérescence fronto-temporale : gliose aspécifique, maladie de Pick (Rossor et al., 2000). ♦ Caractéristiques du trouble sémantique dans la démence sémantique L’atteinte très prédominante de la mémoire sémantique dans la démence sémantique est un terrain privilégié pour explorer l’organisation du système sémantique. Type de stimuli touché Dans sa forme habituelle, le trouble sémantique touche les objets inanimés et biologiques (animaux et végétaux) mais aussi les lieux, les personnes familières ou célèbres. Lorsque le patient est vu très tôt, il arrive cependant que le trouble soit nettement prédominant sur certains types de stimuli. La difficulté à reconnaître les personnes est très précoce et constitue une plainte fréquente de la part du patient. Cette perte est particulièrement importante pour les célébrités, mais elle peut englober certains familiers que le patient rencontre rarement ou a perdu de vue. Une forme de DS se traduisant exclusivement par l’atteinte du savoir sur les personnes a été décrite en cas d’atteinte unilatérale droite (Evans et al., 1995). En fait, sur de grandes séries, cette latéralisation n’est pas aussi claire, l’exploration des connaissances concernant les personnages célèbres montrant un profil sensiblement comparable quelle que soit la latéralisation de l’atrophie (Hodges et Graham 1998 ; Perron et al., 2001). Plus que la latéralisation de l’atrophie, c’est la précocité du diagnostic qui donne l’impression d’une atteinte prédominant sur les personnes. Cette précocité de l’agnosie des personnes s’explique par l’atteinte bottom-up du savoir dans la DS. En effet, depuis Collins et Quillian (1969), on considère que, par souci d’économie, les connaissances sémantiques s’organisent suivant un modèle hiérarchique allant du catégoriel (animal), au « basic level » (chien) puis au sujet unique (Rintintin, Milou). Les traits caractéristiques sont stockés par niveaux (respire, mange, bouge est stocké au niveau « animal », aboie est stocké au niveau « chien »…). La désorganisation du système sémantique dans la DS semble suivre un trajet inverse. Le premier niveau touché est celui de l’identité, de l’être unique. 36 A ce stade, le patient est exclusivement gêné pour reconnaître les personnes mais aussi les marques, les animaux célèbres. Avec le temps le trouble progresse vers les niveaux supérieurs, mais le niveau catégoriel reste très longtemps préservé. Ainsi et très longtemps, le patient pourra, devant un nom particulier, en retrouver la catégorie mais ne pourra en donner les informations spécifiques. Type de format de présentation touché : un système unique ou plusieurs ? C’est à partir de l’observation de patients déments sémantiques qu’est née la polémique sur le nombre de systèmes sémantiques. Warrington en 1975, rapportait l’observation de 3 patients atteints de démence sémantique. Quoique leur reconnaissance des mots comme des images fût inférieure à celle des témoins, deux patients (AB et CR) présentaient un déficit plus important lorsque le stimulus était une image, tandis que le patient EM présentait le tableau inverse. Cette double dissociation était, pour Warrington, un argument fort en faveur de systèmes sémantiques visuel et verbal autonomes. Cette observation a marqué le début d’une longue polémique sur le nombre de systèmes sémantiques : multiples pour les uns, unique mais abordé par des systèmes présémantiques distincts pour les autres (Humpreys et Riddoch, 1988). Dans la littérature, en fait, peu de patients ont été décrits comme présentant une atteinte exclusive d’un format de présentation (verbal ou imagé). C’est le cas du patient de McCarthy et Warrington (1988) qui présentait initialement une atteinte exclusive de son savoir sur les mots appartenant aux catégories biologiques à l’exclusion de toutes les images et des mots appartenant aux catégories manufacturées. Deux ans plus tard, on assistait à un déclin de toutes ses performances (McCarthy et Warrington, 1990). Nous avons proposé une épreuve de classement d’images et des mots correspondants suivant des critères fonctionnels à 13 de nos patients (10 ayant une atrophie prédominant à gauche, 3 une atrophie prédominant à droite). Un seul patient a semblé avoir une atteinte spécifique à la modalité verbale, aucun à la modalité imagée. Cependant, même chez lui, le trouble dépassait la sphère linguistique puisque ses connaissances sur les personnes célèbres étaient altérées, et cela même sur présentation visuelle. Pour les objets (objets est pris ici au sens large du terme et regroupe les objets manufacturés et les objets biologiques), généralement, l’atteinte verbale prédomine mais cela pourrait être lié à la prédominance habituellement gauche de l’atrophie dans la DS. Ainsi, sur nos 13 patients, seuls deux ont obtenu une performance meilleure pour le classement des mots par rapport à celui des images et tous les deux avaient une prédominance droite de leur atrophie. Les 10 patients gauches et un patient droit catégorisaient comparativement mieux les images que les mots (tableau 2). 37 Tableau 2 : comparaison de la performance de 13 patients DS (10 gauches, 3 droits) à un test de classement d’images (Fi) et de mots (Fm) biologiques (biol) et manufacturés (man). Les patients droits ont tendance à mieux classer les items manufacturés et les mots. Les patients gauches présentent le tableau inverse. Spécificité catégorielle L’atteinte préférentielle des entités biologiques (animaux et végétaux) est classique en cas de perturbation du système sémantique, et cela a été retrouvé par Warrington dans sa description initiale du tableau (Warrington, 1975). Le patient se plaint souvent de ne plus retrouver ou de ne plus comprendre les noms des végétaux. Le trouble de reconnaissance visuelle est au mieux mis en évidence en questionnant le patient sur les animaux non familiers. Warrington et Mc Carthy (1987) expliquent cet effet catégoriel par l’apprentissage exclusivement visuel des entités biologiques. Les entités manufacturées, quant à elles, bénéficient d’un double apprentissage visuel et sensorimoteur. En cas d’atteinte des cortex visuels temporaux (comme c’est le cas dans l’encéphalite herpétique, la maladie d’Alzheimer ou la DS), les premières sont donc particulièrement fragiles. Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples. Si l’effet catégoriel a bien été démontré dans l’encéphalite herpétique, dans la maladie d’Alzheimer, il dépend du stade de l’atteinte (Gonnerman et al., 1997). Peu d’études ont été consacrées à étudier cet effet dans la DS. Dans notre expérience, il semble surtout dépendre des tests utilisés et de la latéralisation de l’atrophie. Nous avons étudié l’effet catégoriel chez nos 13 patients précédents lors d’épreuve de classement de mots et d’images appartenant à diverses catégories biologiques et manufacturées. Alors que la prédominance catégorielle est bien au détriment 38 des items biologiques en cas d’atrophie droite, elle l’est au détriment des items manufacturés en cas d’atrophie gauche (tableau 2). Cette prédominance du traitement gauche pour les objets manufacturés et droite ou bilatérale pour les objets biologiques est en accord avec les résultats retrouvés dans la cortectomie temporale (Belliard et al., 1999), et l’imagerie fonctionnelle (Mummery et al., 1996). Les items biologiques (animaux, végétaux) sont visuellement proches et leur différenciation se fait, à l’instar des visages, sur l’arrangement spatial de leurs éléments constitutifs. Leur reconnaissance impliquerait dès lors les capacités de traitement holistique de l’hémisphère droit. Les objets manufacturés, quant à eux, possèdent une fonction, un rôle technique et sont analysables en partie et leur reconnaissance mettrait en jeu, plutôt, des capacités supportées par l’hémisphère gauche. ♦ Facteurs influençant la perte dans la démence sémantique Les performances du patient atteint de DS semblent parfois déroutantes. Relativement peu gêné, du moins au départ, dans la vie courante, ses performances sont catastrophiques aux tests. Alors qu’il semble pouvoir apprendre à reconnaître des membres du personnel médical qu’il voit rarement, il s’avère incapable de reconnaître le présentateur qu’il voit tous les jours à la télévision. Pouvant facilement évoquer les circonstances d’une séance d’apprentissage passé, il s’avère incapable de retenir la moindre information sur le contenu sémantique de l’apprentissage… Plusieurs facteurs peuvent concourir à la reconnaissance ou la non-reconnaissance d’un objet ou d’un concept : 1 - La classe de l’objet : nous l’avons dit, la perte des savoirs sur les personnes est précoce et peut s’observer isolément. La spécificité catégorielle au détriment des entités « biologiques » (animaux, végétaux) par rapport aux entités « manufacturés » est classique, bien que son explication ne soit pas univoque. 2 - Sa familiarité et sa fréquence de rencontre, l’agnosie touchant avant tout les concepts peu familiers (par exemple les animaux sauvages par rapport aux animaux domestiques, les célébrités par rapport aux personnes de l’entourage). 3 - Le contexte joue un rôle, puisque le même effet personnel pourra ne pas être reconnu en situation de laboratoire mais l’être en situation écologique, au domicile du patient. De même, un de nos patients qui reconnaissait parfaitement le facteur quand il venait lui apporter son courrier n’a jamais pu le reconnaître lorsqu’il est venu vendre des calendriers. 4 - L’ancienneté du contact : les patients signalent qu’ils ont du mal à reconnaître les personnes qu’ils n’ont pas vues depuis longtemps. Hodges et Graham (1998) ont ainsi montré que les patients identifient mieux les noms de personnages célèbres encore d’actualité que ceux des personnages célèbres des 39 décennies précédentes. Les mêmes auteurs montrent que les patients retrouvent plus aisément des éléments de leur sémantique personnelle (noms de collègues, d’amis…) récente que les éléments de leur sémantique personnelle ancienne. Snowden et al. (1996) retrouvent le même type de résultats avec des personnages célèbres ou des systèmes monétaires actuels ou désuets. Ces données sont en faveur d’un rôle des structures temporales internes dans l’apprentissage et le maintien transitoire des connaissances sémantiques. Cependant, après quelques années de consolidation, elles en deviennent indépendantes pour dépendre alors uniquement des structures temporales externes. En cas d’atteinte temporale externe mais de préservation des structures temporales internes, comme c’est le cas dans la DS débutante, les informations sémantiques récentes sont préservées mais disparaissent progressivement au bout de quelques mois ou années si elles ne sont pas rafraîchies entre temps (Jaap et al., 2001). 5- Même s’ils acceptent le rôle des structures temporales internes dans le maintien de certains savoirs, d’autres auteurs postulent que, plus que l’ancienneté du contact, c’est l’interaction qui s’est exercée entre le sujet et l’objet, sa pertinence personnelle qui est importante dans le maintien ou la perte d’un savoir. On aborde alors l’égocentrisme de la démence sémantique, qui a très tôt frappé les cliniciens (Duval-Gombert, 1992). Cet égocentrisme est à la fois comportemental et cognitif. L’égocentrisme comportemental est plus ou moins marqué. Les patients sont décrits comme manquant d’empathie, peu réceptifs aux autres, peu sensibles aux réflexions et aux reproches. Ils sont particulièrement entêtés. Ils ont tendance à monologuer, avec un discours égocentré, insensibles aux questions et aux remarques de l’examinateur. De même, et alors que l’examinateur converse avec le conjoint de choses et d’autres, ils peuvent prendre la parole à contretemps pour recentrer le débat sur leur propre personne. Sur le plan cognitif, le patient retrouve et reconnaît plus facilement les personnes familières que les personnes célèbres vues dans la même période de temps et avec la même fréquence, il reconnaît plus aisément son propre objet que le même objet appartenant à l’examinateur, les édifices effectivement visités que les lieux connus de façon livresque (Snowden et al., 1994). Il définit les images qu’on lui présente en fonction de sa propre existence (j’ai ou je n’ai pas… au lieu de c’est…), il catégorise les images ou les mots suivant des critères reliés à son expérience (l’un de nos patients, lors d’une épreuve de classification catégorielle d’images, classait le poisson avec l’escalier parce que, chez lui, l’aquarium se situait sous l’escalier). Sa définition des termes synonymiques est celle reliée à son existence, les autres semblant avoir disparu (Snowden et al., 1995). Nous avons proposé à 5 de nos patients et 5 témoins appariés une épreuve d’apprentissage de personnes inconnues. A deux reprises, à une semaine d’inter- 40 valle, 3 personnes du service venaient ainsi se présenter au sujet, lui fournissant leur nom et prénom, leur profession, leur lieu de naissance ou d’habitation et leur passion. Le neuropsychologue présentait également 3 personnes à partir de photographies, en précisant les mêmes caractéristiques biographiques que celles fournies par les personnes du service. Une semaine après la deuxième séance d’apprentissage, le sujet était invité à évoquer les éléments qu’il avait retenus sur chacune des 6 personnes. Trois patients ont été incapables d’apprendre la moindre information sur les personnes présentées sur photographie alors que leurs performances étaient proches de celles des témoins pour les personnes vivantes. Il ressort de cette expérience que la seule récence de l’information ne peut, à elle seule, expliquer la perte ou la préservation d’un concept. L’interaction entre le sujet et l’objet est également un facteur déterminant. ♦ Vers une sémantique personnalisée La découverte de cet égocentrisme cognitif, assignant un statut différent aux concepts ayant une pertinence personnelle et ceux n’en ayant pas, a fait émettre l’idée récente d’une sémantique personnalisée, c’est à dire regroupant des informations d’ordre général colorées par l’expérience personnelle (Westmacott et al., 2001) et supportée par les structures hippocampiques. Cette distinction entre une sémantique basée sur l’expérience et une sémantique basée sur un consensus culturel a déjà été abordée dans le cadre de la théorie de la médiation (Duval-Gombert, 1992). Cette théorie postule que le fonctionnement de chaque faculté cognitive se fait par niveau de complexité croissante. Le niveau de fonctionnement qualifié d’animal ou naturel, commun aux animaux et aux êtres humains est basé sur le fruit de l’expérience. Le niveau « humain » ou culturel, propre à l’homme et peut-être à quelques animaux supérieurs est basé sur l’analyse d’abstraits non tirés de l’expérience (le signe par exemple). Pour chaque faculté concernée, le type de fonctionnement supérieur contrôle le fonctionnement inférieur. Ainsi, si on peut admettre que l’animal possède certaines capacités sémantiques (il fabrique des prototypes d’animaux différents, il catégorise entre les animaux amicaux et hostiles…), cette sémantique n’est tirée que de son expérience. Chez l’homme ce système sémantique égocentré, expérientiel est très tôt contrôlé par un savoir qui se construit sur la base de l’appartenance à un groupe social, de l’imposition d’un cumul d’éléments propres à ce groupe (comme l’histoire de ce groupe, ses traditions, ses héros, les fruits de l’apprentissage scolaire…). Suivant cette théorie, la DS serait alors le résultat de la dégradation du niveau supérieur, avec préservation des connaissances acquises par l’expérience. 41 REFERENCES BELLIARD S., DUVAL-GOMBERT A., COQUET M., LEBLAY V., SABOURAUD O., CECCALDI M., & PONCET M. (1998). La Démence sémantique : à propos de 7 cas. In Actualités sur la Maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés. Marseille : Solal, 429-435. BELLIARD S., LEBLAY V., BIRABEN A., CHAUVEL P., & PONCET M. (1999). Rôle respectif des lobes temporaux dans l’organisation des savoirs. Journées de Neurologie de Langue Française. Rev. Neurol., suppl 1, 155, 1S95. COLLINS A.M., & QUILLIAN M.R. (1969). Retrieval time from semantic memory. Journal of verbal learning and verbal behaviour, 8, 240-247. DUVAL-GOMBERT A. (1992). Des idées reçues aux lieux communs. Thèse d’habilitation. Université de Haute-Bretagne. Rennes. EVANS J.J., HEGGS A.J., ANTOUN N., & HODGES J.R. (1995). 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L’évaluation de la mémoire sémantique nécessite un large éventail de tâches, afin de tester le traitement sémantique à partir d'un matériel verbal ou non verbal et dans différentes modalités d’entrée et de sortie. Les contraintes méthodologiques et les problèmes d’interprétation sont exposés. La rééducation envisage les prises en charge de type cognitif, en fonction du niveau d’atteinte, du type de pathologie et des déficits associés. Elles sont illustrées par des observations détaillées. Mots clés : mémoire sémantique, aphasie, évaluation, thérapie. Evaluation and treatment of disorders of semantic memory Abstract This paper describes the evaluation and treatment of semantic memory impairments. In the introductory section, the pattern of impairment of semantic representations in the semantic system is briefly described; the aim is to differentiate this type of impairment from two similar levels of dysfunction that may also produce semantic errors: impairment of the semantic access function (specific to the input modality) and impairment of the phonological output lexicon. The evaluation of semantic memory requires a large array of tasks in order to test semantic processing of both verbal and non verbal stimuli through different input and output modalities. Methodological constraints and problems of interpretation are stressed. Therapy focuses on cognitive remediation and describes different types of treatment according to level of impairment, type of pathology and associated cognitive deficits. Several cases are reported in detail. Key Words : semantic memory, aphasia, evaluation, therapy. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 43 Jany LAMBERT 1 Danièle PERRIER 2 Danielle DAVID-GRIGNOT 3 L es troubles de la mémoire sémantique sont couramment observés en pathologie mais leur forme et leur intensité sont variables. Grâce aux apports de la neuropsychologie cognitive, la diversité de ces manifestations peut être appréhendée avec plus de précision, facilitant ainsi une meilleure définition des objectifs de rééducation. L'étiologie des troubles sémantiques est multiple puisqu'elle concerne des lésions cérébrales temporales, uni ou bilatérales, focales d'origine vasculaire (voire traumatique ou tumorale) mais aussi consécutives à une encéphalite herpétique ou à une affection métabolique. Les troubles sémantiques sont également présents dans certaines maladies dégénératives comme la démence d'Alzheimer et surtout la démence sémantique où, comme son nom l'indique, ils constituent l'essentiel du tableau sémiologique (pour une revue de la question, voir l'article de S. Belliard dans ce numéro). Le système sémantique se réfère à la notion de mémoire sémantique, c'est à dire au stock des connaissances du monde nécessaires à l'utilisation du langage mais aussi à l'attribution du sens en général et à l'interprétation des expériences sensorielles. La mémoire sémantique est indépendante du contexte spatio-temporel, par opposition à la mémoire épisodique. Elle est souvent comparée à un savoir encyclopédique concernant les connaissances 1 Orthophoniste, Inserm U320, Service de Neurologie, CHU avenue Côte de Nacre, 14033 Caen cedex. e-mail : [email protected] 2 Orthophoniste, Service de Neurologie, CHU Bretonneau, 37044 Tours Cedex. e-mail : [email protected] 3 Orthophoniste, Service de Neurologie et Neuropsychologie, CHU de Grenoble, BP.217, 38043 Grenoble cedex 09 e-mail : [email protected] 44 conceptuelles relatives à tous les types d'objets ou événements (animés, inanimés, naturels, manufacturés, entités abstraites…). Elle permet de stocker nombre d'informations telles la catégorie, la fonction, les caractéristiques sensorielles et fonctionnelles d'un objet ainsi que ses relations avec les autres objets. La question concernant l’organisation de ces propriétés conceptuelles est encore largement débattue dans la littérature et s'articule autour de deux hypothèses principales. La première considère la mémoire sémantique comme un système unique et amodal, accessible quelle que soit la modalité sensorielle (ve r b a l e, visuelle, tactile…). La seconde, au contraire, l’envisage comme un système plurimodal, supposant un fractionnement en sous-systèmes dépendant de la modalité d'appréhension sensorielle ou de la nature des objets (par exemple objets naturels versus objets manufacturés) (pour une revue de la question, voir M.J. Gaillard dans ce numéro). La position centrale et autonome du système sémantique au sein du lexique mental est la conception de référence la plus fréquente en neuropsych o l ogi e. Un modèle classique de fonctionnement du système lex i c a l (figure 1), comme celui de Caramazza et Hillis (1990) et Hillis et Caramazza (1995), postule que le système sémantique est amodal et donc commun à toutes les modalités d'entrée (visuelle, auditive…) et de sortie (ora l e, écrite…). Ainsi, une tâche de dénomination suppose t-elle trois niveaux de traitement de l'information, correspondant à diverses représentations mentales stockées en mémoire à long terme. Le premier niveau concerne la reconnaissance visuelle de l'objet à dénommer qui sera réalisée grâce à l'élaboration d'une représentation tridimensionnelle susceptible d'activer de façon maximale la représentation structurale correspondante stockée en mémoire. Le second niveau permet la récupération dans le système sémantique des propriétés attachées à l'objet (perceptives, catégorielles, fonctionnelles, associatives…). Quant au troisième niveau, il permet de sélectionner dans le lexique phonologique de sortie la forme phonologique correspondant au nom de l'objet, sur la base de sa représentation sémantique complète. Le système sémantique est donc considéré comme situé à l'interface entre les systèmes d'entrée (lexique phonologique pour les mots entendus et orthographique pour les mots écrits et système des connaissances structurales pour les images) et les systèmes de sortie (lexique phonologique pour la production orale et orthographique pour la production écrite). C'est pourquoi toute altération du système sémantique peut être à l'origine de troubles affectant la production ou la compréhension de mots oraux ou écrits ainsi que la compréhension d'images. 45 Fig 1 : Modèle simplifié du système lexical d’après Caramazza et Hillis (1990) et Hillis et Caramazza (1995). Les voies lexicales sont en traits pleins et les voies phonologiques en pointillés. 46 Une des difficultés dans l’interprétation des troubles concerne la détermination du niveau de l'atteinte sémantique. En effet, de par l'organisation du système lexical, il est possible de déterminer si les erreurs observées sont la conséquence d’un trouble d'accès aux représentations sémantiques ou s'il s'agit plutôt d'une altération du stock sémantique lui-même. Dans le cadre d’un système de mémoire sémantique plurimodal, Warrington et Cipolotti (1996), ont proposé plusieurs critères devant permettre de distinguer les troubles d’accès de ceux résultant d’une altération des représentations sémantiques. Ces critères font référence à des notions de constance des erreurs, d’effet de fréquence, de rythme de présentation et d’effet de distance sémantique. Lorsqu’il existe une altération des représentations sémantiques, celles-ci peuvent être soit totalement perdues (le système ne peut alors les activer), soit activées de façon incomplète. Les erreurs pour un même item sont alors constantes, quelle que soit la tâche à effectuer ou le nombre de présentations proposé. Elles sont sensibles à l’effet de fréquence et concernent donc plutôt les mots peu fréquents. L’effet de rythme de présentation, considéré comme le révélateur de l’état réfractaire résultant d’une réduction de l’efficience du système après une activation, n’a par contre aucune incidence. Quant à l’effet de distance sémantique, il n’interfère qu'au niveau super-ordonné ; les propriétés conceptuelles spécifiques étant plus vulnérables que les propriétés conceptuelles générales, et les erreurs intéressant surtout les items ayant une proximité sémantique. A l’inverse, lorsqu’il s’agit de difficultés d’accès aux représentations sémantiques, on ne retrouve plus de constance des erreurs intra et inter tâches, ni d’effet de fréquence mais il existe un effet du rythme de présentation et de distance sémantique. En se référant à un système amodal, Hillis et Caramazza (1995) introduisent une distinction entre dégradation des représentations sémantiques et difficultés d’accès sur la base de critères opérationnels différents reposant principalement sur la présence ou l’absence de dissociations suivant les différentes modalités. Un trouble sémantique central résultant de la dégradation des représentations sémantiques affecte la production et la compréhension, quels que soient le matériel (verbal ou non verbal) et les modalités d’entrée (mot entendu ou lu) et de sortie (production orale ou écrite). Des absences de réponse et des erreurs sémantiques sont en général observées. Des difficultés d’accès aux représentations sémantiques spécifiques à la modalité d’entrée visuelle correspondent à des tableaux d'aphasie optique (Coslett et Saffran, 1992). La difficulté pour le patient DHY (Hillis et Caramazza, 1995), à accéder à la signification d'un objet présenté en modalité visuelle qui se manifes- 47 tait principalement par des erreurs sémantiques (dénomination : 25 % ; appariements d’images : 58 % de réponses correctes), contrastait avec de bonnes performances en modalité auditive (dénomination à partir de définition : 95 %, appariements de mots entendus sur critères associatifs :100 % ) ou tactile (dénomination d’objets palpés). Ces performances et la préservation des connaissances structurales des objets (testée par des épreuves d’appariements d’objets présentés sous des vues différentes, de dessins impliquant une rotation de l’axe de présentation, dessins à partir du nom) ont conduit à supposer qu'il s'agissait d'un déficit d'accès au système sémantique à partir des seules connaissances structurales visuelles de l'objet. Des difficultés d’accès aux représentations sémantiques spécifiques à la modalité d’entrée auditive ont été également décrites sous l’étiquette « surdité au sens des mots » (Kohn et Friedman, 1986). Le patient DrO (Franklin et al., 1996) avait une préservation de l’analyse phonologique (discrimination/identification de phonèmes), de l’accès au lexique phonologique d’entrée (décision lexicale à partir de mots entendus) mais montrait des difficultés dans l’accès à la signification des mots entendus (test d’associations sémantiques et de jugements de synonymie à partir de mots entendus) et ce malgré une répétition tout à fait correcte. Ces perturbations de traitement sémantique n’étaient pas observées lorsque les tests portaient sur les mêmes items présentés par écrit. L’altération du système sémantique est à l’origine de perturbations en d é n o m i n ation et en compréhension concernant autant la modalité ora l e qu’écrite. La dég radation sémantique peut tout aussi bien être globale, non spécifique et affecter des items de toutes catégories. Elle peut à l’inverse être spécifique et ne concerner alors que des catégories particulières comme par exemple la catégorie des « objets biologiques » (animaux, fruits, légumes..), opposée à celle des « objets manufacturés ». Ces dissociations, largement décrites dans la littérature, doivent cependant être analysées avec prudence et justifient le contrôle de certaines variables, comme la fréquence d’usage, la familiarité du concept, la complexité visuelle, l’âge d’acquisition des mots…, qui pourraient à elles seules rendre compte de certaines dissociations. Les manifestations cliniques d'un trouble sémantique se caractérisent classiquement par des erreurs sémantiques ou une absence de réponse chez des sujets présentant des troubles de la dénomination. Il convient toutefois d'interpréter avec prudence les erreurs sémantiques car elles n'impliquent pas nécessairement l'existence d'un trouble sémantique central. Hillis et Caramazza (1995) ont proposé trois niveaux différents de dysfonctionnement pouvant être responsables de l’occurrence d’erreurs sémantiques : déficit d’accès sémantique, déficit sémantique central, déficit d’accès au lexique phonologique de sortie. Leurs hypothèses sont issues de l'observation de trois patients 48 présentant ce type d’erreurs, chez lesquels ils ont analysé les performances à trois tâches simples (dénomination orale, en présentation visuelle et tactile et appariement mots/images). Si le patient KE présentait des erreurs sémantiques dans les trois tâches, permettant de supposer que le déficit se situait au niveau central et concernait bien le système sémantique puisque les erreurs étaient indépendantes de la modalité d'entrée (visuelle ou tactile) et de sortie (erreurs présentes même en appariement), les deux autres patients montraient par contre des profils très différents parce que dissociés. En effet, la patiente DHY ne produisait des erreurs qu'en modalité visuelle (dénomination et appariement) et le patient RGB qu'en production orale (présentation visuelle et tactile). Dans ces deux cas, l’origine du trouble ne pouvait alors être localisée au niveau du système sémantique mais attribuée à un déficit d'accès au système sémantique, à partir de la modalité d'entrée visuelle (via les connaissances structurales) pour DHY et à un déficit au niveau du lexique phonologique de sortie (accès à la représentation phonologique) pour RGB, puisqu'il ne réalisait aucune erreur lors de la seule tâche n'impliquant pas le lexique phonologique (appariement mots/images). La dégradation des représentations sémantiques correspond à des tableaux sévères, tels qu'on peut en rencontrer dans le cadre d'une encéphalite herpétique ou d'une démence sémantique. Les troubles de l'accès sémantique sont plus fréquemment observés au cours des syndromes aphasiques classiques d’étiologie focale vasculaire même si dans cette pathologie une atteinte sémantique centrale est également observable (par exemple, patient KE, Hillis et Caramazza, 1995). ♦ Evaluation La partie qui va suivre traite uniquement de l’évaluation de la mémoire sémantique. Elle s'adresse donc à des sujets pour lesquels un déficit des traitements perceptifs (visuels et/ou auditifs) pré-sémantiques a été éliminé lors d'une évaluation neuropsychologique préalable. L'objectif général de cette évaluation est de tester la récupération des connaissances sémantiques relatives à un concept et de mettre en évidence soit l'intégrité du stock sémantique, soit une perte des représentations sémantiques. Le choix des épreuves présentées a été fait, comme dans la plupart des travaux traitant de la rééducation, en référence aux modèles qui postulent un système sémantique unique, amodal (cf. modèle de Caramazza et Hillis, 1990), commun à toutes les modalités d’entrée et de sortie. Quelle que soit la modalité sensorielle d'entrée (la vue d'un objet, son nom, son bruit ou son odeur) le même réseau de traits sémantiques sera activé et permettra de récupérer l'ensemble des propriétés visuelles, catégorielles, fonctionnelles, associatives, etc., associé à cet objet, c’est-à-dire son sens. 49 Dans ce cadre théorique, deux dysfonctionnements distincts peuvent être à l’origine d’un déficit d’évocation des connaissances sémantiques : il peut s’agir soit d’un déficit d’accès au système sémantique, soit d’une dégradation des connaissances sémantiques elles-mêmes. Les épreuves qui vont être décrites devraient permettre de trancher entre ces deux hypothèses puisque la préservation des connaissances sémantiques suppose, par défaut, un problème d’accès (cf. introduction). Lors d’un examen clinique, des difficultés dans différentes épreuves couramment utilisées permettent de suspecter une altération du stock sémantique. * La dénomination d’objets ou d’images, qui teste l’évocation du nom à partir d’une entrée visuelle, est probablement l'épreuve la plus utilisée en clinique. Les difficultés observées dans cette tâche se traduisent, généralement, par un manque du mot qui se manifeste soit par une absence de réponse, soit par des paraphasies verbales, sémantiques ou sans lien avec le référent. L'interprétation de ces difficultés observées reste par contre délicate car cette tâche met en jeu différents mécanismes (reconnaissance visuelle de l’objet, récupération des connaissances sémantiques et accès au lexique phonologique). Les épreuves normalisées de dénomination, comme la DO 80 (Deloche et Hannequin, 1997), la Batterie d’Examen des Troubles en Dénomination (BachyLangedock, 1989) ou le sub-test dénomination de la batterie LEXIS pour le Diagnostic des Troubles Lexicaux chez le Patient Aphasique (de Partz et al., 2001), ont été construites avec le souci de contrôler l’influence de certains facteurs psycholinguistiques (degré de consensus, fréquence lexicale, longueur…) mais n’ont pas pour vocation d’évaluer les effets de catégorie. Seul le Déno 100 (Kremin et al., 1999) permet actuellement d’étudier l’opposition vivant/non vivant. * Les tâches d’appariements entre deux représentations d’un même concept, plus couramment appelées « tâches de désignation » testent l’identification d’images et la compréhension de mots présentés oralement. Le sujet doit désigner parmi un choix de plusieurs distracteurs l'objet ou l'image correspondant au mot présenté en modalité auditive. Ces épreuves diffèrent suivant le nombre et le type de distracteurs retenus (liens sémantiques, fonctionnels, contextuels, phonologiques ou neutres avec le mot cible). Dans le sub-test « désignation » de la batterie LEXIS, (de Partz et al., 2001) le choix multiple comporte quatre distracteurs : visuel, sémantique, visuo-sémantique et neutre (exemple : mot cible chaise, distracteurs : dent, tabouret, table, cou). Dans toutes ces épreuves le choix des distracteurs est très important et détermine la sensibilité des tâches. En effet, plus ils sont proches de la cible et partagent des traits sémantiques communs, plus la sélection nécessite l'accès à des connaissances spécifiques. 50 * L’épreuve de fluence verbale, où le sujet est invité à évoquer dans un laps de temps défini (en général 2 minutes - Cardebat et al., 1990) le maximum de mots appartenant à une catégorie sémantique (animaux, fruits, meubles, etc.) est une épreuve qui teste la disponibilité lexicale à partir d’une contrainte sémantique. Un score faible en fluence catégorielle ne signe pas obligatoirement un déficit sémantique. Certains patients, comme par exemple des patients frontaux ou aphasiques, vont avoir des performances faibles dans cette tâche sans pour autant présenter de troubles sémantiques. Par contre, la comparaison entre une fluence catégorielle effondrée et une fluence formelle préservée (évocation d’un maximum de mots commençant par une lettre imposée - P, R,V -), ou des différences de performances entre des catégories, doivent faire évoquer soit un déficit sémantique soit un déficit catégorie-spécifique. * En langage écrit, hormis les erreurs sémantiques, des épreuves plus spécifiques permettent de suspecter un déficit sémantique : la dictée et la lecture de mots irréguliers induisant des erreurs de régularisation, la dictée d’homophones non homographes (maire, mère, mer...) ou l'épreuve « d’Identification de mots sémantiquement apparentés » (Lecours A.R., Soum C., et Nespoulous J.L., 2000) concernant un mot ayant un homonyme hétérographe et 2 mots pouvant être liés à l’un ou à l’autre de ces homonymes (maire-océan-ville). Ces perturbations, observées dans les tableaux d’agraphie et d’alexie de surface, peuvent résulter de difficultés au niveau respectivement du lexique orthographique de sortie et du lexique orthographique d’entrée mais aussi d’un déficit au niveau du système sémantique. Si des échecs ou des erreurs lors de ces tâches peuvent faire suspecter un déficit sémantique, il ne s'agit là que d'une alerte qui justifiera la poursuite des investigations, à la recherche d'arguments permettant de préciser le niveau du déficit. En effet, ces erreurs ne sont que des indices et ne permettent pas de spécifier s’il s’agit d’un simple trouble d’accès au système sémantique, d’une perte des connaissances relatives à un concept ou de tout autre trouble cognitif. De plus, toutes ces épreuves sont multimodales, c'est-à-dire associent des modalités différentes de présentation et de réponse (dénomination : entrée visuelle/réponse verbale ; appariement : entrée auditivo-verbale ou écrite/réponse visuelle). Elles rendent donc l'interprétation des erreurs difficile. En cas d'échec, elles ne permettent pas de différencier un trouble d'accès à partir du mot ou de l'image ou mixte. Ainsi, un échec peut-il être dû, aussi bien à un problème d’identification de l’image qu'à un trouble de compréhension du mot, voire aux deux. Ce préambule souligne l’insuffisance des tâches de dénomination, désignation, fluence... pour mettre en évidence une altération des connaissances sémantiques. Pour affirmer l'existence d'un déficit sémantique central, il est 51 nécessaire de démontrer que le déficit se manifeste pour chaque item par un trouble d'évocation des connaissances dans toutes les modalités, ce qui impose de tester les mêmes items, modalité par modalité. Les épreuves présentées ci-dessous ont donc pour but de tester l'intégrité des connaissances sémantiques pour un même item, dans chaque modalité. Modalité Visuelle Les épreuves font appel à l'évocation des connaissances sémantiques d'un item à partir d'une entrée visuelle, en utilisant du matériel non verbal, imagé, tout en minimisant la composante linguistique. Elles doivent éviter la production orale du mot cible et la compréhension de consignes trop complexes, susceptibles de biaiser la nature de la tâche et l'interprétation des réponses, pour ne faire appel qu’à la modalité visuelle. Un certain nombre de tâches sont couramment utilisées et décrites dans la littérature. Malheureusement, peu sont publiées et normalisées en langue française. * Les tâches de catégorisation sémantique peuvent être proposées en graduant les difficultés. Le sujet doit classer des images suivant des critères définis et la difficulté de la tâche est liée à la hiérarchisation de la classification demandée. La consigne est expliquée oralement et un exemplaire de chaque sous-catégorie est disposé devant le sujet qui doit classer les images présentées une à une. Cependant, certaines précautions s'imposent dans le choix des items, si l’on veut que ces tâches fassent véritablement appel à l'évocation des connaissances sémantiques et ne puissent être réalisées à partir du seul traitement visuel. En effet, des performances correctes sont parfois exclusivement obtenues sur la base de catégorisation de type perceptif, sans qu'aucune connaissance sémantique soit nécessaire, comme les épreuves suivantes, fréquemment employées : - les classements catégoriels sur-ordonnés, consistant par exemple à répartir 60 images en 3 catégories : animaux, objets et végétaux, - les classements catégoriels sous-ordonnés, nécessitant de classer les animaux en sous-catégories mammifères/oiseaux/poissons, les végétaux en fleurs/légumes ou les objets en outils/instruments de musique/meubles. La catégorisation de ces items peut s'opérer sur simple proximité visuelle et sans aucune récupération de connaissances sémantiques. A cet effet, le classement des animaux peut s'effectuer sans difficulté à partir d’indices visuels tels que 4 pattes, 2 pattes ou sans patte. Par contre, des catégorisations sous-ordonnées plus précises (comme classer les animaux en domestiques/sauvages, les objets en outils de bricolage/ 52 jardinage/ustensiles de cuisine/objets de salle de bains, les fruits en fruits d'été/fruits d'hiver, etc.), font appel à la connaissance d'attributs spécifiques aux items qui ne sont pas d’ordre visuel et impliquent la récupération de propriétés conceptuelles particulières. * Les tâches d’appariement sémantique, catégoriel ou fonctionnel testent la capacité à identifier les objets présentés et à sélectionner les images qui entretiennent un rapport sémantique. La précision du traitement sémantique requis dépend, là encore, du choix des distracteurs. - Les tests d’appariement catégoriel demandent de sélectionner, en choix multiple, l’image appartenant à la même catégorie sémantique que l’image cible. C’est le principe du « test d’appariement catégoriel » du Protocole d'Evaluation des Gnosies Visuelles (PEGV, Agniel et al., 1992) où, par exemple, le dessin cible du piano doit être apparié à celui d'un violon versus celui d'une bouteille ou d'une pelle. C’est également celui du sub-test « appariement sémantique » de la batterie LEXIS ( de Partz et al., 2001). Les couples d'images réponses sont ici constitués d'une image-réponse correcte, ayant ou non une proximité visuelle avec le stimulus et d'un distracteur neutre ou visuel. Par exemple, l'image cible Guitare est présentée avec les images-réponses : a) Harpe (coordonné non visuel) et poire (distracteur visuel) b) Violon (coordonné visuel) et vélo (distracteur neutre) c) Harpe (coordonné non visuel) et vélo (distracteur neutre) d) Violon (coordonné visuel) et poire (distracteur visuel) - Les tests d’appariement fonctionnel nécessitent de déterminer parmi un choix multiple, l’image la plus fortement reliée par l’usage à l’image cible. Dans le « test d’appariement fonctionnel » du PEGV, le choix multiple est de 3. Par exemple, le dessin cible d'une vis doit être apparié à celui d'un tournevis versus d'un fusil ou d'une mouche. Dans le sub-test 12 d'« appariement associatif » de la Birmingham Object Recognition Battery (BORB, Riddoch et Humphreys, 1993) et le Pyramid and Palm Trees Test (PPTT, Howard et Patterson, 1992), le choix est binaire : un marteau doit être associé à une vis versus un clou ou une pyramide à un palmier versus un sapin. Le PPTT, test anglophone de renommée internationale, suscite toutefois quelques critiques comme le caractère très culturel de certains items (un moulin à vent devant être associé à une tulipe versus une jonquille) ou le 53 fait que certains choix considérés comme erronés puissent être correctement justifiés par le sujet (un rideau, par exemple peut aussi bien se mettre devant une fenêtre que derrière une porte). De plus, cette batterie n'est pas validée en langue française, même si l'on admet l'existence d'un seuil pathologique. * Les questionnaires à partir d'images demandent des réponses verbales minimales (oui/non) à des questions simples portant sur différentes propriétés sensorielles, fonctionnelles, contextuelles… concernant un stimulus comme par exemple pour l'image d'un arrosoir (exemple emprunté à la batterie du GRESEM en cours d'élaboration 1) : Est-ce un ustensile de cuisine ? Est-ce que ça peut être en plastique ? Est-ce que ça s'utilise à l'extérieur ? Est-ce qu'on y met des fleurs ? Est-ce qu'on s'en sert pour faire les courses ? Est-ce que ça contient de l'eau ? Est-ce que ça sert à faire du thé ? Est-ce que c'est utile pour faire pousser les fleurs ? La réussite à cette sorte d’épreuve permet de s’assurer que le sujet accède à toutes les propriétés spécifiques d'un item et non pas seulement à des propriétés générales de type catégoriel partagées par les autres exemplaires de la catégorie. Dans l’exemple cité, savoir simplement que l'arrosoir s'utilise dans un jardin ne permet pas de le différencier d’une pioche ou d’une brouette. * Les tâches de jugement d’identité, proposées initialement par Warrington et Taylor (1978), impliquent de pouvoir choisir parmi deux images d’objets celle qui a la même identité, la même fonction et le même nom que l’image cible malgré une apparence visuelle, physique différente (par exemple, un rasoir électrique à apparier à une lampe de poche ou un rasoir mécanique). Le sub-test « item match task » de la BORB comporte un certain nombre de planches répondant à ces critères. L'échec à ces différentes épreuves atteste donc de l’impossibilité à récupérer les connaissances sémantiques propres à un objet à partir d'une entrée visuelle. Des difficultés comparables, à partir d'une entrée verbale, s'avèrent donc nécessaires pour pouvoir confirmer l'hypothèse d'un déficit du stock sémantique. 1 GRESEM, commission « Mémoire sémantique » du GRECO (Groupe de Réflexion sur les Evaluations Cognitives), chargée d'élaborer une batterie d'évaluation sémantique. 54 Modalité Verbale S'il peut exister des liens entre certaines propriétés visuelles de dessins d'objets et leur signification (forme d'un seau ou d'un verre favorisant l'accès à la propriété « peut contenir quelque chose »), les liens entre les représentations phonologiques ou orthographiques des mots et leur signification sont en revanche totalement arbitraires et ne permettent aucune inférence. C'est donc, sans aucun doute, dans cette modalité que la récupération des propriétés sémantiques est la plus exigeante. Toutefois, les épreuves devront éviter le biais des associations verbales très automatisées, facilitant des réponses en marge de la dimension sémantique testée. Certaines épreuves, proposées en modalité visuelle, sont transposées en modalité verbale et utilisent de préférence les mêmes items. Les images sont remplacées par des mots présentés oralement puis par écrit. - Catégorisation sémantique, classements sur-ordonnés, sous-ordonnés, - Appariements catégoriels et fonctionnels L'une des versions d’appariement fonctionnel du PPTT comporte une forme verbale écrite dans laquelle la tâche est réalisée cette fois sur la base de trois étiquettes verbales correspondant aux planches dessinées. S'inspirant du PPTT, Visch-Brink et Denes (1993) ont modifié ce test en proposant une réponse parmi un choix multiple de 4 mots, afin de « limiter » les réponses au hasard et en contrôlant mieux certains facteurs comme la relation fonctionnelle entre cible et associé, les catégories utilisées et le caractère culturel des items. - Le questionnaire sémantique, proposé à partir de mots, utilise les mêmes questions que celles de la présentation visuelle. Dans cette modalité, d'autres épreuves sont envisageables. * Les définitions de mots consistent à définir les mots entendus ou lus, correspondant aux différents items présentés visuellement. Les réponses sont a n a lysées en fonction de la ri chesse des cara c t é ristiques évo q u é e s spontanément : l'appartenance catégorielle, les caractéristiques visuelles et fonctionnelles, les connaissances encyclopédiques... * Le jugement de synonymie nécessite d’apprécier la similarité de sens entre deux mots présentés simultanément (bureau/pupitre, fraise/framboise, début/commencement) ou de choisir parmi plusieurs mots celui ayant le même sens que le mot cible, comme dans le test de vocabulaire de Binois et Pichot (1959) (mot cible carnet, choix : livret, écolier, fable, jouet, bloc, marge). * La dénomination à partir de définitions orales a pour but de faire évoquer un mot cible, à partir d’une définition contenant des informations aussi bien visuelles que fonctionnelles, (quel est le nom du petit fruit rouge, rond, avec un noyau que l'on mange au printemps ?) 55 * L'appariement d'une définition avec un mot implique de choisir parmi trois mots sémantiquement proches celui correspondant à la définition entendue ou lue (quel est le meuble possédant plusieurs tiroirs qui permet de faire des rangements ?, l’armoire ?, le buffet ? ou la commode ?). * Le dessin de mémoire, à partir d’une consigne verbale, peut permettre de tester, chez des patients très aphasiques par exemple, certaines connaissances sémantiques qui seront toutefois limitées à des propriétés visuelles. Nombre de ces épreuves demande une bonne préservation des compétences linguistiques du sujet qui doit être capable de produire et de traiter des énoncés complexes tant sur le plan lexical que grammatical. Il est donc parfois difficile de les proposer à certains patients aphasiques. Modalité Auditive Il est également intéressant de tester les connaissances des sujets à partir d’une entrée auditive. Ici les tâches sont plus limitées et forcément intermodales. Elles consistent en : - une dénomination de bruits à partir d’une bande sonore composée de bruits de la vie quotidienne (cri d’un animal, bruit de pas, sirène des pompiers…), - un appariement entre un bruit et une image. Les items testés appartiennent aux catégories préalablement utilisées dans les autres modalités : animaux, objets de la vie quotidienne (réveil, téléphone, perceuse, voiture, train...) ou instruments de musique. Le sujet doit apparier le bruit entendu à l’image correspondante, présentée en choix multiple. Le subtest d'« Identification de bruits familiers » du Protocole d'Evaluation des Gnosies Auditives (P.E.G.A., Agniel et al., 1992). comporte des distracteurs sémantique, acoustique et neutre. Compte tenu du nombre relativement restreint d'items pouvant être illustrés en modalité auditive, et dans la perspective de tester les mêmes items dans toutes les modalités, il est évident que cet examen ne peut concerner qu'un échantillon limité d'items. Cela n'enlève en rien de son intérêt pour conforter une perte des connaissances sémantiques plurimodale. Conclusion La mise en évidence d'un déficit sémantique nécessite une évaluation longue et complexe qui justifie des précautions méthodologiques liées à la redondance du matériel utilisé dans chacune des modalités ainsi qu’aux différences de sensibilité des épreuves en fonction de la modalité. Cela implique de 56 programmer l’évaluation sur plusieurs séances et de penser à éviter les effets pouvant être liés à leur ordre de présentation (comme par exemple, débuter l’examen par la modalité visuelle qui apporte plus d’information). Elle justifie également de s'assurer de la bonne compréhension des consignes lors des tâches à effectuer et de capacités attentionnelles suffisantes. Une autre difficulté réside dans le choix d'épreuves spécifiques. Si certaines sont facilement disponibles, beaucoup ne sont pas publiées et peu d’entre-elles utilisent un matériel commun aux diverses modalités. Seules les épreuves d’appariements du PPTT et du test de Visch-Brink et Denes ou les épreuves de dénomination, désignation et appariement catégoriel de la batterie LEXIS respectent ce critère. Quant à la normalisation des épreuves, elle concerne rarement la langue française, exception faite de la batterie Lexis et se heurte souvent à un effet plafond chez les sujets normaux, ce qui complique l’interprétation des performances des patients présentant des troubles d’intensité modérée. Si l’analyse quantitative des erreurs est évidemment utile, l’aspect qualitatif des réponses est tout aussi important. Il faut alors garder à l’esprit qu’un déficit sémantique peut être sélectif à une classe conceptuelle d’objets (biologiques / manufacturés…) ou d’entités (concrètes / abstraites...), à un type de propriétés conceptuelles (visuelles, verbales…) ou à une modalité. L’interprétation de telles dissociations reste cependant délicate, d’autant que le matériel utilisé ne contrôle pas toujours l’ensemble des variables qui pourraient interférer sur les performances et justifier certaines erreurs, comme la familiarité, la fréquence, la complexité visuelle, l’âge d’acquisition des mots… Dans ces conditions, un déficit sémantique peut varier d’un sujet à un autre, tant en qualité qu’en intensité mais il n’en reste pas moins que pour évoquer une altération du stock sémantique, il est indispensable de mettre en évidence un trouble de la connaissance des objets, de la compréhension des mots (oraux et écrits) et de la production orale et écrite de ces mêmes mots. ♦ Rééducation Les sections précédentes ont mentionné les différents points théoriques posant problème dans la conceptualisation du système sémantique. En clinique, ce sont les modèles postulant l’existence d’un système unique commun aux différentes modalités de traitement qui servent le plus souvent de référence pour l’évaluation (voir supra) comme pour délimiter les objectifs et procédures de rééducation. Dans ce cadre théorique, plusieurs niveaux d’atteinte sémantique sont possibles et il semble justifié d’envisager des conduites thérapeutiques différentes selon qu’il s’agit de l’atteinte des représentations sémantiques elles-mêmes ou 57 d’une difficulté d’accès à ces représentations pouvant être limitée à une modalité (verbale, auditive ou visuelle). Par ailleurs, la rééducation est contrainte par d’autres critères tels que : l’importance de l’atteinte sémantique en terme de catégorie (atteinte globale ou atteinte restreinte à certaines catégories), les déficits cognitifs associés (altération phonologique ou atteinte mnésique par exemple) et l’étiologie (vasculaire focale, encéphalite ou dégénérative). La littérature n’offre malheureusement pas d’exemples de thérapies pour chacun des cas de figure résultant des différents critères énoncés. Aussi, rapporterons-nous dans ce chapitre des données générales que le thérapeute saura adapter en fonction du patient pris en charge. Nous présenterons également de façon détaillée des exemples de thérapies envisagées dans des cas de dégradation des représentations sémantiques et de déficit d’accès spécifique à la modalité auditive. Atteinte sémantique centrale par dégradation des représentations sémantiques L’atteinte des représentations sémantiques est conçue comme la dégradation plus ou moins étendue des traits sémantiques sous-jacents aux concepts. Cette atteinte centrale a pour effets principaux d’entraver la compréhension, quelle que soit la modalité d’entrée (mot entendu, mot écrit, interprétation conceptuelle des images), et de perturber le processus d’activation des représentations phonologiques ou orthographiques de sortie. Suivant la taxonomie classique des aphasies, cette atteinte est probablement présente dans certaines aphasies « globales » qui y associent d’autres altérations des processus linguistiques, dans des aphasies transcorticales sensorielles ainsi que dans certains tableaux d’aphasies « amnésiques » où non seulement l’expression mais aussi la compréhension sont touchées. L’objectif de la rééducation dans ce syndrome cognitif est la restauration des représentations sémantiques au moyen de différentes tâches qui demandent d’effectuer un traitement sémantique, que ce soit avec du matériel non verbal ou verbal, sans nécessiter la verbalisation du mot correspondant au concept sur lequel porte les traitements. Dans la plupart des études, les protocoles de rééducation comportent, non pas une seule mais plusieurs de ces tâches. * Tâches de désignation d’une image à partir d’un mot entendu ou d’un mot écrit, constituant des tâches d’appariement entre différentes représentations d’un même concept. Il s’agit des exercices les plus fréquemment proposés. * Appariement d’une définition présentée oralement ou par écrit avec l'image correspondante. « montrez-moi l’objet qui sert à effacer » - gomme, crayon, règle, encre. Le point crucial est la présence de distracteurs sémantiques dans le choix multiple. C’est en effet la proximité sémantique des items présentés qui 58 oblige le patient à effectuer un effort de discrimination basé sur la différenciation de caractéristiques sémantiques spécifiques. * Ap p a riement suivant un lien cat é go riel ou fo n c t i o n n e l ( l i e n fonctionnel : oiseau/nid, toile d’araignée, pendule) qui peut s’effectuer à partir d’images, de mots écrits ou entre des images et des mots écrits. * Tâches faisant appel à un minimum de verbalisation avec des réponses de type oui/non, tels que des jugements sémantiques portant sur l’appartenance catégorielle (est-ce qu’une pomme est un fruit ?), sur la fonction (est-ce qu’on mange une pomme ?), ou sur des propriétés plus spécifiques (est-ce qu’une pomme a un noyau ?). * Evocation orale des différents traits sémantiques, demandée de façon systématique au patient, quand la verbalisation est possible. Ces tâches recouvrent en fait celles utilisées dans l’objectif d’une évaluation mais leur efficacité dans un but thérapeutique repose sur un certain nombre de critères (Nickels et Best, 1996, voir aussi pour revue Lambert, 1997, 1999 ; de Partz , 2000 ; Samson, 2001) : 1 - la nécessité du feed back qui doit être fourni au patient afin de réussir la tâche ; le thérapeute ou une personne de l’entourage devant apporter une aide dans la recherche de distinctions entre 2 concepts proches, afin de prévenir ou de corriger les erreurs ; 2 - la proximité des distracteurs afin que la sélection s'opère au sein de la même catégorie que l’item cible ; 3 - l’orientation du traitement sémantique qui visera tantôt les attributs fonctionnels, tantôt les attributs physiques, dans la mesure où ces critères peuvent être plus discriminants selon les catégories sémantiques. Ainsi les exemplaires des catégories biologiques (fruits, légumes, animaux) sont-ils différenciés plus particulièrement par des traits physiques alors que les exemplaires des catégories non biologiques, tels les outils, sont plutôt différenciés selon des traits fonctionnels. L’efficacité de la thérapie est également tributaire de principes méthodologiques plus généraux, non spécifiques à la thérapie sémantique. La revue de la littérature et des travaux plus récents (Basso et Caporali, 2001) insistent sur la notion de répétitivité qui signifie que les mêmes items doivent être travaillés au cours des séances successives et sur l’intensité de la thérapie en terme d’heures de travail par jour ou semaine. Enfin, le nombre d’items travaillés à chaque séance ne doit pas être trop important. Comment justifier sur un plan théorique les apports de telles techniques de rééducation. La première hypothèse avancée est qu’elles conduisent à un réapprentissage des traits spécifiques et génériques qui caractérisent les concepts dans la mémoire sémantique. Une hypothèse alternative est envisagée dans le 59 cadre d'une modélisation connexionniste (Drew et Thompson, 1999) : ces tâches renforcent les associations entre descriptions structurales et système sémantique et entraînent un effet positif sur les processus d’activation et d’inhibition subséquents au niveau des représentations sémantiques elles-mêmes et dans l’accès aux représentations phonologiques en vue de la dénomination. L’orientation cognitive de la rééducation des troubles lexico-sémantiques est relativement récente et la littérature comporte un certain nombre d’observations dans lesquelles les protocoles de rééducation sont également de type mixte, c’est à dire associant un traitement sémantique et un traitement formel (phonologique et/ou orthographique). Toutefois, la question de savoir si la verbalisation du mot cible lors de la rééducation est ou non utile a été posée dans plusieurs études de patients devenus aphasiques (suite à un accident vasculaire cérébral) et dont l’examen faisait l’hypothèse d’une atteinte sémantique. Le Dorze et al. (1994), par exemple, ont trouvé qu’une technique purement sémantique (désignation d’une image à partir d’une description) avait un effet inférieur à celui d’une technique formelle-sémantique (désignation d’une image parmi des distracteurs sémantiques à partir du nom oral et écrit). Les résultats de Drew et Thompson (1999) vont également dans ce sens puisque sur 4 patients étudiés, 2 seulement répondaient à la technique sémantique alors que les 4 avaient une amélioration de leurs scores de dénomination avec la technique associant en plus une information phonologique et orthographique. Un profil de résultats similaire est décrit infra avec l’observation de JF. Toutefois, la seule verbalisation en l’absence d’image ne semble pas être un facteur suffisant. En effet Hillis et Caramazza (1994) ont observé que leur patient JJ ne bénéficiait pas d’une technique purement phonologique consistant en des exercices de lecture à haute voix facilitée, alors qu’il progressait avec une technique sémantique d'appariements mot écrits/images. Des résultats inverses étaient obtenus chez un autre patient (HW) dont le déficit était un défaut d’accès au lexique phonologique de sortie. La recherche d’effets de généralisation corrobore en général les prédictions qui sont inférées de l’organisation du système sémantique et de sa place dans le système lexical. L’amélioration des items non travaillés n’est observée que lorsqu’ils appartiennent à la même catégorie que ceux travaillés (Behrman et Liberthal, 1989 ; Hillis et Caramazza, 1994 ; Pring et al., 1993 ; Nickels et Best, 1996). Un concept résulte d’un ensemble de propriétés sémantiques interconnectées et partiellement communes à plusieurs concepts. La restauration des caractéristiques d’une entité travaillée a donc pour effet de renforcer les concepts qui lui sont liés. La généralisation à des items non traités est d’autant plus attendue pour les items sémantiques proches et présentés comme distracteurs au cours des séances. La généralisation à des tâches non travaillées n’est constatée que pour celles dont la réussite dépend directement de l’efficacité du traitement séman- 60 tique (Hillis, 1993 ; Hillis et Caramazza, 1994 ; Nickels et Best, 1996). Dans ce cas, la restauration des représentations sémantiques vient faciliter l’activation des représentations phonologiques, orthographiques ou des descriptions structurales qui lui sont connectées. Ainsi, même si les techniques de rééducation n’ont utilisé des exercices qu’en modalité orale, les tâches de dénomination écrite ou de compréhension écrite, se trouvent mieux réussies au terme de la thérapie. En revanche aucune amélioration n’est attendue, ni constatée, pour des tâches ne recrutant pas un traitement sémantique telles par exemple les procédures « phonologiques » de correspondance phonème-graphème ou graphème-phonème mises en jeu lors de l’écriture et de la lecture de non mots. La thérapie menée par Behrmann et Liberthal (1989) est un classique. Elle s’adresse à un patient de 57 ans (CH) qui a été victime deux ans auparavant d’un large infarctus cérébral affectant la région fronto-temporo-pariétale gauche et la capsule interne. Il présentait toujours un tableau d’aphasie globale avec une réduction très sévère du langage et des troubles importants de la compréhension. La perturbation sémantique était mise en évidence dans des épreuves d’appariement catégoriel et plusieurs tests de jugement sémantique (désigner un synonyme ; repérer un intrus parmi trois mots : jour, nourriture, nuit). La constance du trouble, quelle que soit la modalité de présentation (mots écrits ou entendus), constituait un argument en faveur d’un trouble sémantique central. Un effet de catégorie était observé avec des difficultés moins importantes lors de la catégorisation d’animaux (63/80) mais plus marquées pour les parties du corps (4/40) ou les meubles (3/34). Dans un premier temps, la thérapie a visé le rétablissement de la signification à un niveau général et s'est appuyée sur des tâches d'appariement d'une image avec le mot oral ou le mot écrit. Dans un second temps, elle a porté sur l'apprentissage des attributs plus spécifiques. Pour ce faire, des tâches de désignation d'images à partir d'une définition ont été proposées dans un choix multiple d'items appartenant à une catégorie commune. Par exemple pour l’autobus, le patient devait désigner l’image cible dans deux conditions successives : - à partir de la définition « dans la catégorie transport, cet objet a 4 roues et se conduit sur terre » ; le choix multiple comportant les 2 distracteurs « avion » et « bateau » ; - à partir de la définition « dans la catégorie transport, cet objet a 4 roues, se conduit sur terre et transporte de nombreux passagers » ; le choix multiple comportant les 3 distracteurs « avion », « bateau » et « voiture ». Les auteurs précisent que des aides multiples étaient fournies au patient afin de faciliter la compréhension de ces définitions (énonciations multiples de la définition, gestes et pantomimes). Cette thérapie a été appliquée à 3 catégories (transport, parties du corps et meubles), à raison de 5 sessions d'une heure pour chacune. 61 Au terme de ce travail, l’administration de l’épreuve de catégorisation, proposée lors de la ligne de base, montrait une amélioration significative des performances pour tous les items traités. Un effet de généralisation aux items non traités d'une catégorie commune était noté pour les catégories « transport » et « parties du corps », mais pas pour celle des « meubles ». La stabilité de cette amélioration a pu être confirmée 10 semaines après l'arrêt de la thérapie pour les items de la catégorie « transports ». Dans les catégories non travaillées, aucun changement n'apparaissait pour les « couleurs » et les « animaux » alors que de meilleures performances étaient enregistrées pour les « aliments ». Des évaluations supplémentaires sur les items non traités révélaient que seule l'information générique (nom de la catégorie) était améliorée alors que les connaissances plus spécifiques n'avaient pas progressé. La thérapie proposée par Boyle et Coelho (1995) et Coelho, McHugh et Boyle (2000) est une technique d’analyse en traits sémantiques très systématisée qui consiste à encourager le patient à produire des informations liées sémantiquement à l’item cible. Cette technique n’est pas utilisée ici dans un objectif de réapprentissage mais pour les auteurs, il s’agit plutôt d’améliorer l’accessibilité au nom. L’activation du réseau sémantique environnant un mot cible devrait avoir pour effet de modifier son seuil d’activation et ainsi de favoriser sa dénomination. L’observation de Coelho, McHugh et Boyle (2000) est celle d’un patient victime 7 mois auparavant d’un traumatisme crânien responsable d'une contusion temporale gauche et d'une aphasie fluente avec anomie et paraphasies sémantiques et phonémiques. L’analyse des troubles n’a pas été suffisante pour préciser le niveau exact de la perturbation cognitive mais la technique utilisée est intéressante et pourrait être appliquée à des patients présentant un trouble sémantique central. L’exercice se déroulait de la façon suivante. Une image en noir et blanc était placée au centre de la carte d’analyse en traits sémantiques (figure2). Le Figure 2 : Carte d’analyse en traits sémantiques (Coelho et al., 2000) 62 patient devait essayer de dénommer puis d’évoquer avec l’aide du thérapeute les traits sémantiques correspondants : catégorie, usage, action, caractéristiques, localisation et associations. Ces informations étaient écrites par le thérapeute dans chaque case. Si le patient ne réussissait pas à dénommer l’image après cette analyse, il devait répéter le nom après le rééducateur. Deux conditions ont été proposées suivant le nombre d’exemplaires travaillés à chaque séance (10 ou 30). Le rythme des séances était de 3 séances (60 minutes) par semaine. La thérapie a débuté par la condition à nombre restreint d’exemplaires. Puis après une semaine d’interruption, la condition à grand nombre d’exemplaires a été introduite. Les bénéfices de la thérapie ont été mesurés par la capacité à dénommer. Les résultats montraient que le seuil de 80% de dénomination correcte était atteint plus rapidement lorsque le nombre d’items travaillés par séance était plus restreint. Par ailleurs, une amélioration aux items non traités était enregistrée de façon moins probante mais toujours dissociée selon les conditions (50 % dans la condition 1 et 30 % pour la condition 2). Les auteurs ne donnent malheureusement pas d’indication sur les liens sémantiques catégoriels entre items traités et non traités. Atteinte sémantique et troubles associés Le choix de la technique utilisée dépend des éventuels troubles associés. Il est évident que chez les patients ayant peu de possibilités de production (orale ou écrite), le thérapeute doit privilégier les exercices avec support imagé de type catégorisation ou désignation et adapter la technique d’analyse en traits, en procédant lui-même à leur évocation. A l’opposé, ce même support imagé est difficilement exploitable chez des patients présentant des difficultés de reconnaissance visuelle. L’efficacité de la technique se trouve conditionnée par la sévérité et la multiplicité des atteintes cognitives. Des observations ont montré qu’une même thérapie amenait des résultats moindres chez un patient présentant une aphasie plus sévère (Marshall et al., 1990, Nickels et Best 1996). La présence de troubles mnésiques est un facteur également de mauvais pronostic lorsque la thérapie vise le ré-apprentissage explicite des informations conceptuelles. L’étude de Sartori, Miozzo et Job (1994) en est un exemple. Elle concerne deux patients qui, suite à une encéphalite herpétique, ont présenté une amnésie rétrograde et antérograde ainsi qu'une anomie spécifique aux catégorie des « objets vivants » attribuée à la perturbation des représentations sémantiques. Michelangelo avait une anomie sévère et des troubles de compréhension ainsi qu’une amnésie et une anosognosie. L’effet de catégorie était observé en dénomination (animaux : 31 %, légumes : 35 %, objets : 75 % réponses correctes) et lors du dessin (difficultés pour les animaux mais pas pour les objets). 63 Les connaissances perceptives auditives relatives aux animaux (appariement cri et nom d’animal par exemple) étaient mieux préservées que les connaissances perceptives visuelles. Giuletta présentait une amnésie sévère et une anomie (animaux : 29 %, objets : 52 %). Elle avait également des difficultés à donner une définition correcte des objets « vivants » et plus particulièrement à évoquer les caractéristiques de leur apparence physique. Chez les deux patients, la stabilité ou la constance des performances avait été objectivée lors d’une seconde session de dénomination. Le bilan neuropsychologique ne montrait aucune perturbation du traitement perceptif visuel. La thérapie a eu pour objectifs d’améliorer les capacités de mémoire épisodique et de restaurer les connaissances perceptives relatives aux « objets vivants ». Le travail sémantique s’est appuyé sur plusieurs tâches : * Catégorisation de mots écrits, entendus ou d’images incluant des items perturbés et préservés. Dans un choix multiple de 20, le patient devait, lors d’une première phase du traitement, regrouper les items appartenant à une même catégorie (animaux) et dans une seconde phase ceux appartenant à une sous catégorie (mammifères, oiseaux, poissons, insectes). Pour les objets non vivants, les sous catégories proposées étaient : véhicules, armes, nourriture, meubles, ustensiles de cuisine, vêtements, instruments de musique. * Description verbale des concepts à partir d’un mot donné oralement par le thérapeute au cours de laquelle le patient était incité à évoquer toutes les connaissances sémantiques ou perceptives relatives à un animal ou un objet. Les erreurs étaient indiquées et corrigées par le thérapeute. * Description verbale des attributs perceptifs concernant plus spécifiquement les caractéristiques visuelles des animaux ou des objets. Le patient était encouragé à construire mentalement une image de l’item cible. La description verbale était ensuite confrontée à la présentation d’une image représentant le concept et à son analyse. * Dénomination à partir de définitions verbales extraites de dictionnaires et incluant des informations fonctionnelles et perceptives. En cas d’échec, la définition était répétée ou le rééducateur finissait par donner la réponse correcte. * Désignation d’images à partir d’un mot entendu ou d’un mot écrit dans un choix multiple compris entre 10 et 20 items avec corrections du thérapeute. * Dessins : une première session était consacrée à la copie d’images représentant des objets et des animaux puis dans les sessions suivantes, le patient devait dessiner de mémoire les mêmes items. Après chaque réalisation, le patient devait détecter, en confrontant ses performances à une image, les détails erronés ou omis. 64 La thérapie s’est déroulée au rythme de 2 séances par semaine, sur une période de 12 mois pour Michelangelo et 8 mois pour Giuletta. L’évaluation de la thérapie a été effectuée un mois après l’arrêt. Les résultats ne montraient pas d’amélioration. Les deux patients présentaient toujours une anomie spécifique à la catégorie des objets vivants. Les auteurs attribuent cet échec à l’amnésie antérograde qui n’a pas permis le ré-apprentissage des informations perdues. Ils suggèrent que dans ces cas, seule l’utilisation de tâches faisant intervenir la mémoire implicite pourrait avoir un effet bénéfique. Atteinte sémantique et maladie dégénérative La démence sémantique constitue le tableau le plus représentatif de l’atteinte sémantique. Malgré le caractère évolutif de la pathologie, ces patients, qui ne présentent que très peu d’altération des capacités d’apprentissage, semblent pouvoir bénéficier d’une rééducation de type cognitif, au moins en début de maladie, quand la dégradation des représentations sémantiques n’est pas trop étendue. L’étude de JF (Lambert 1999), un patient présentant une aphasie progressive fluente et répondant aux critères de démence sémantique, avait pour objectif d’évaluer les effets de prise en charge dans une pathologie dégénérative et de tester l’efficacité de plusieurs techniques de rééducation. Le patient, âgé de 80 ans, se plaignait d’un manque du mot évoluant depuis 18 mois et, de façon plus discrète, d’une perte de la signification des mots. L’examen neurologique était normal mais le scanner révélait une atrophie corticale prédominant à gauche dans la vallée sylvienne. Le bilan neuropsychologique ne montrait pas de détérioration de l’efficience intellectuelle, ni de perturbation mnésique, gnosique ou praxique. Le trouble majeur était une anomie non dépendante de la modalité de présentation et sans effet de catégorie. Plusieurs arguments suggéraient un trouble sémantique central par dégradation des représentations sémantiques : 1 - performances pauvres à une épreuve de questionnaire sémantique (incluant 5 questions relatives à la catégorie, sous-catégorie et attributs spécifiques - fonctionnels et physiques - auxquelles le patient devait répondre par oui ou par non), que le concept soit présenté en modalité orale ou écrite. 2 - difficultés à représenter par le dessin les concepts énoncés par l’examinateur. 3 - constance des réponses à différentes sessions de dénomination. 4 - concordance des réponses entre dénominations orale et écrite ainsi qu’entre les é pre u ves de que stionnaire s sém anti ques à l’ora l et à l’écri t . 5 - concordance des réponses entre la dénomination et l’épreuve de questionnaire sémantique indiquant que les items pour lesquels les connaissances sémantiques étaient dégradées, n’étaient jamais dénommés. Par ailleurs, il paraissait également plausible d’envisager que le manque du mot puisse aussi être expliqué par 65 un déficit d’accès au lexique phonologique de sortie, dans la mesure où un certain nombre de concepts paraissait préservé au questionnaire sémantique alors que la dénomination des images correspondantes était impossible. Il faut souligner qu’aucun trouble de compréhension n’apparaissait aux épreuves classiques de désignation, moins sensibles que le questionnaire sémantique. La thérapie s’est déroulée dans le cadre d’un paradigme de traitements rapidement alternés. A chaque séance un nombre égal d’items était travaillé soit avec une technique « sémantique » qui selon nos hypothèses était mieux adaptée à la dégradation des représentations sémantiques, soit avec une technique « phonologique » mieux adaptée aux difficultés d’accès au lexique phonologique. * La thérapie sémantique proposée avait pour objectif la restauration des traits sémantiques. La préservation des capacités mnésiques du patient permettait d’envisager un ré-apprentissage. Elle reposait sur 4 tâches : - le patient devait apparier une définition proposée conjointement par oral et par écrit à une image présentée dans un choix multiple de quatre images liées sémantiquement (ex « montrez l’objet qui sert à mettre du ciment sur un mur » / truelle, pelle, râteau, sécateur). Toute erreur était corrigée. - le mot oral correspondant était prononcé une fois par le rééducateur mais il n’était pas demandé au patient de le répéter. - le concept était proposé sous différentes représentations imagées (images en couleur) associant différents contextes. - l’item cible et un exemplaire de la même catégorie étaient présentés (ex : truelle/pelle). Le patient était alors incité à évoquer les différences et les similitudes relatives à leur aspect physique (taille, forme, goût, couleur...) et à leur fonction. Le rééducateur intervenait au besoin pour fournir ces informations mais évitait de prononcer le nom de l’objet. * La thérapie phonologique visait la restauration de l’accessibilité aux représentations phonologiques. Les exercices, s’appuyant sur plusieurs modes de facilitation, devaient conduire le patient à produire oralement le mot cible. Selon Caramazza et Hillis (1994), ces productions itératives ont pour effet d’abaisser les seuils d’activation anormalement élevés des représentations phonologiques. Quatre exercices étaient proposés : - lecture à haute voix d'un mot écrit présenté avec l’image correspondante. - retrait de l'image et répétition du mot cible cinq fois consécutives. - répétition différée après un délai de 20 secondes. - dénomination après une tâche interférente (compter de 2 en 2 ou de 5 en 5 dans l’ordre normal ou inversé pendant 30 secondes). 66 La thérapie a porté sur des items non dénommés comprenant pour moitié des items avec connaissances sémantiques perturbées au questionnaire sémantique (déficit sémantique) et pour moitié des items avec préservation des connaissances sémantiques (déficit d’accès phonologique), chaque groupe étant sub-divisé en 3 sous-groupes de 6 items chacun (items travaillés selon une thérapie adaptée au trouble, items travaillés suivant une thérapie non adaptée et items contrôles non travaillés). Le paradigme d’évaluation (tableau 1) permettait de mesurer 1 - l’effet global de la thérapie en comparant les résultats avant (ligne de base = 0) et après la thérapie, 2 - un effet spécifique de la prise en charge en comparant les items traités et les items non traités (PH1, PH2, S1, S2 vs PH3, S3), 3 - un effet spécifique d’une thérapie par rapport à un déficit fonctionnel identifié, en comparant les items travaillés avec une thérapie adaptée au trouble (thérapie phonologique pour items phonologiques ou thérapie sémantique pour items sémantiques) avec ceux travaillés suivant une thérapie non adaptée au trouble (PH1 vs PH2 et S2 vs S1). Tableau 1 : Plan expérimental du paradigme d’évaluation de la thérapie. Les sets d’items travaillés suivant une thérapie adaptée au trouble sont en caractères gras Les 24 items ont été travaillés à chaque séance au rythme de 2 fois une heure par semaine sur une période de 4 semaines. L’ordre de présentation variait d’une séance à une autre. A chaque séance la dénomination des 36 images était demandée. L’arrêt de la thérapie, en vue de l’évaluation des capacités de dénomination et de connaissances sémantiques de l’ensemble des items travaillés et non travaillés, avait été programmé dès qu’un set atteindrait 100 % de réussite en dénomination, soit la 8e séance. Les résultats concernant la capacité à dénommer (figure 3) ont montré un bénéfice général de la thérapie limité aux items travaillés. Cette amélioration était enregistrée de façon significative quel que soit le type de déficit cognitif supposé (items avec dégradation ou sans dégradation sémantique). 67 Contrairement à nos hypothèses, les items dégradés sémantiquement étaient s i g n i fi c at ivement plus améliorés par la thérapie phonologique que par thérapie sémantique. Pour les items non dégradés sémantiquement, un effet attendu du type de la thérapie était noté avec un bénéfice supérieur de la thérapie phonologique. Figure 3 : Epreuve de dénomination : scores après thérapie (ligne de base = 0 ; score maximal possible = 6) L’évaluation mesurée à l’épreuve de questionnaire sémantique (figure 4) montrait, pour les items dégradés, une amélioration limitée aux items travaillés et un bénéfice supérieur, mais non statistiquement significatif, de la thérapie sémantique sur la thérapie phonologique. Figure 4 : Epreuve de questionnaire sémantique : scores après thérapie (ligne de base = 0 ; score maximal possible = 6) 68 L’absence de prévalence de la thérapie sémantique en dénomination pour les items dégradés sémantiquement peut surprendre et il faudrait pouvoir dupliquer ce type d’expérimentation. Elle peut s’expliquer par un décalage entre le traitement proposé et le travail fourni en dehors de la thérapie. En effet, ce patient très motivé avait tendance à établir des listes de mots où il incluait ceux vus au cours de la rééducation. De ce fait, les items étaient probablement travaillés selon une approche plus formelle (forme orthographique et forme phonologique à travers la lecture) que celle supposée. Francis, Riddoch et Humphreys (2001, cf. infra) argumentent dans ce sens une partie de leurs résultats. Par ailleurs l’effet bénéfique de la thérapie phonologique pourrait également suggérer que la confrontation au nom constitue un critère important dans la stabilisation de la relation concept-traits sémantiques. Hillis et Caramazza (1994) ont déjà souligné l’efficacité de la seule technique de « dénomination facilitée » (par une clef phonémique ou en fin de phrase) dans une observation d’aphasie par lésion vasculaire focale où le diagnostic cognitif était celui d’un déficit sémantique central (patient KE, Hillis et Caramazza, 1994). Toutefois, conformément à nos hypothèses, la thérapie sémantique reste le traitement qui suscite les meilleurs scores bien que la différence ne soit pas significative pour l’épreuve de questionnaire sémantique. Ce résultat signifie que les effets d’une thérapie sont différents suivant le type de tâche mise en jeu. Il suggère que la verbalisation du mot cible au cours de la thérapie est probablement nécessaire si l’objectif visé en est la dénomination mais pas indispensable quand il s’agit seulement de restaurer les représentations sémantiques. L’intérêt général de ce travail était de montrer que les performances linguistiques d’une pathologie dégénérative, telle que la démence sémantique, pouvaient être améliorées par la rééducation. La fonctionnalité des systèmes mnésiques autres que sémantique, notamment la mémoire épisodique, constituant un point d’ancrage important dans l’optique d’une restauration des représentations sémantiques en terme d’apprentissage explicite. Très récemment, Belliard et al. (2001) ont souligné la pertinence d’un facteur complémentaire interagissant avec les processus de mémorisation : « l’égocentricité cognitive ». En étudiant les capacités à mémoriser des informations biographiques de personnes non connues des patients, ces auteurs ont constaté des performances très pauvres lorsque les informations étaient présentées à partir de photographies alors que les performances devenaient satisfaisantes dès lors que les personnes étaient physiquement rencontrées (acquisition d’informations biographiques de personnes travaillant dans le service hospitalier venant se présenter au patient au cours de la séance de thérapie). L’égocentricité concerne également le comportement de ces patients qui manquent d’empathie, sont peu sensibles aux remarques d’autrui et ont un discours très centré sur leur propre personne et leur expérience personnelle. La 69 notion d’égocentricité cognitive sous-tend que le patient traite mieux les informations qui lui sont liées, notamment à travers la capacité à retenir les éléments épisodiques d’un événement ou d’une expérience. Trouble d’accès sémantique spécifique à une modalité d’entrée L’observation de Francis, Riddoch et Humphreys (2001) est à notre connaissance la seule étude dans ce type d’atteinte cognitive. Elle concerne un homme de 67 ans qui, au moment de la thérapie, présentait une surdité au sens des mots, c’est à dire une difficulté à accéder à la signification des mots, uniquement à partir de la modalité verbale auditive. Ce patient décrit par Hall et Riddoch (1997) a présenté une aphasie de Wernicke suite à un infarctus pariétal gauche s’étendant du ventricule jusqu’au cortex. Les investigations et la thérapie décrites ci-dessous ont été menées 4 ans après l’installation des troubles. Les principaux résultats de l’évaluation montraient de bonnes performances pour les traitements auditifs non verbaux (appariement bruit/image). Pour le matériel verbal, les premiers traitements du niveau phonologique étaient préservés (tests de discrimination phonologique : dire si 2 mots entendus ou 2 non mots sont identiques ou non ; jugement de rimes). Les épreuves de décision lexicale montraient des problèmes très mineurs d’accès au lexique phonologique d’entrée (mots/non mots entendus : 88 %) et d’accès au lexique orthographique d’entrée (mots/non mots écrits : 92 %). Les explorations du traitement sémantique révélaient des difficultés à partir des mots entendus alors que le traitement sémantique effectué à partir d’images ou de mots écrits était relativement bien préservé (Tableau 2). Il est important de souligner que le patient pouvait répéter correctement les mots qu’il ne comprenait pas. Par ailleurs, il présentait initialement des troubles d’écriture qui se manifestaient par des erreurs de lettres, un effet de fréquence ainsi que de rares erreurs de régularisation. La ligne de base pré-thérapie montrait que le tableau avait ensuite évolué vers une agraphie de surface, comme en témoignaient le Tableau 2 : Accès sémantique à partir de plusieurs modalités (Réponses correctes) 70 taux d’erreurs de régularisation (63 % de la totalité des erreurs) et les nombreuses erreurs affectant les homophones. Cette évolution était attribuée par les auteurs à la stratégie de rééducation utilisée. Le patient gardait néanmoins des c apacités à écri re correctement un certain nombre de mots irr é g u l i e rs (fréquents : 25/40 ; peu fréquents : 9/40). De plus la préservation d’un accès direct possible au lexique orthographique de sortie, sans traitement sémantique préalable, était suggéré par les deux éléments suivants : à plusieurs occasions (23) le patient ne parvenait à définir un mot qu’après l’avoir écrit et dans 10 cas, l’orthographe de ces mots irréguliers était correcte. L’objectif de cette étude a été de rééduquer la difficulté d’accès sémantique à partir de la modalité auditive et de tester l’effet de deux thérapies. * La « thérapie d’accès implicite », comportait deux tâches : - Lecture silencieuse de la définition de mots (« annuel : fait référence à quelque chose qui se produit chaque année »). Le patient était ensuite encouragé à écrire le mot 4 fois en pensant à sa signification. - Jugements sémantiques sur des mots écrits, au cours desquels le patient devait associer un des mots cible avec le mot ayant la signification la plus proche (annual/ yearly - monthly ; quotidien/journalier-mensuel). Dans cette thérapie, l’accès au système sémantique n’est effectué qu’à partir de la modalité écrite. Toutefois les auteurs font l’hypothèse qu’une activation auditive implicite est également induite par les mécanismes phonologiques de lecture silencieuse. En conséquence, elle devrait pouvoir apporter une amélioration de la compréhension auditive mais à moindre degré que dans la thérapie d'accès explicite. * La « thérapie d’accès explicite », comportait deux tâches : - Lecture et écoute simultanée de définitions de mots enregistrées sur magnétophone. Le patient devait ensuite répéter 4 fois le mot en pensant à sa signification. - Jugements sémantiques de mots écrits et entendus simultanément, au cours desquels le patient devait associer un des mots cibles avec le mot ayant la signification la plus proche (procédure identique à la précédente). Cette thérapie impliquait de façon plus explicite le traitement auditif des mots et était supposée être mieux adaptée au trouble. L’activation concourante de la signification à partir des représentations écrite et phonologique d’un mot était supposée conduire à un ré-apprentissage du lien entre la représentation phonologique auditive et la représentation sémantique. La thérapie a porté sur les mots pour lesquels le patient donnait une définition mauvaise ou incomplète en modalité auditive mais correcte en modalité é c ri t e. Trois sous-groupes ont été constitués pour la thérapie « d’accès 71 implicite », la thérapie « d’accès explicite » et les items contrôles non travaillés. Le patient a effectué ce travail seul à la maison, au rythme de 3 à 4 séances de travail par semaine. La rééducation a commencé par la thérapie implicite sur une période de 3 semaines, suivie d’une interruption de 2 semaines, puis la thérapie explicite a été introduite pendant 3 semaines. Les résultats ont montré une amélioration des items travaillés, à la fois au terme de la thérapie implicite et de la thérapie explicite. Le degré d’amélioration est apparu plus durable pour la thérapie d’accès explicite. Aucune des thérapies n’a induit d’effet de généralisation aux items non travaillés. Selon les auteurs, il était difficile d’affirmer que l’effet bénéfique de la thérapie « d’accès implicite » résultait de la seule activation implicite des représentations phonologiques à travers la sub-vocalisation de l’exercice de lecture. L’analyse des performances d’écriture et les commentaires du patient suggéraient au contraire que l’amélioration était liée à une stratégie de compensation développée par le patient luimême qui consistait à utiliser sa connaissance de l’orthographe des mots pour accéder à leur signification. Ainsi KW avait-il tendance à épeler les mots et s’efforçait-il de les visualiser. De plus il n’est pas exclu que le patient ait travaillé tout seul par écrit pendant les périodes sans programme thérapeutique. ♦ Conclusion La prise en charge de patients souffrant de troubles sémantiques nécessite une investigation cognitive suffisante pour distinguer les différents niveaux d’atteinte possible. Pour les atteintes sémantiques centrales et plus précisément la dégradation des r eprésentations, il paraît justifié (Byng et Black, 1995) de viser la ré-acquisition des connaissances perdues à travers différentes tâches qui, a priori, devraient pouvoir utiliser une ou plusieurs modalités sensorielles. Toutefois cette stratégie n’est envisageable que chez les patients ayant gardé des capacités d’apprentissage comme dans certaines patholo gies dégénératives, telle la démence sémantique. Pour les déficits d’accès sémantique spécifiques à une modalité, Ellis, Franklin et Crerar (1994), de même que Byng et Black (1995), ont suggéré que la thérapie devait utiliser une stratégie centrée sur la modalité perturbée. Il s’agit alors de rétablir le lien entre les représentations pré-sémantiques (phonologiques, orthographiques, structurales) et sémantiques. D’autres approches peuvent cependant être bénéfiques (Francis et al. 2001) ; il s'agit alors de stratégies de renforcement ayant recours à plusieurs tâches associant simultanément des traitements d’accès préservés (mots écrits) et des traitements perturbés (mots entendus) ainsi que des stratégies de réorganisation, avec mise en place d’un accès à la signification d’un mot (entendu) à partir de la visualisation de la représentation correspondante dans une autre modalité (forme écrite). 72 L’orientation et le choix des exercices de rééducation est très contraint par les éventuels déficits associés. Un point important souligné dans plusieurs études est la façon dont le patient participe à sa rééducation, non seulement en terme de motivation mais également en terme de stratégie cognitive. Il ne faut pas négliger cet aspect et privilégier les techniques qu’il semble vouloir utiliser plus volontiers. Enfin, si les effets de généralisation ont été décrits, ils restent théoriquement restreints aux exemplaires les plus proches dans les catégories sémantiques travaillées. Il est donc très important de sélectionner le matériel (mots, images) en fonction de son apport d’un point de vue fonctionnel et écologique. REFERENCES AGNIEL A., JOANETTE Y., DOYON B., & DUCHEIN C. (1992). Protocole Montréal-Toulouse d’Examen des Gnosies Visuelles (P.E.G.V.) et des gnosies Auditives (P.E.G.A). Isbergues, Ortho-Edition. BACHY-LANGEDOCK N. (1989). Batterie d’Examen des Troubles en Dénomination. Bruxelles, Editest. BASSO A. & CAPORALI A. (2001). Aphasia therapy or the importance of being earnest. 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La première partie est consacrée à la présentation du modèle de Baddeley et de plusieurs données empiriques sur lesquelles il s'appuie. Dans la seconde partie nous présentons les études portant sur les relations entre mémoire de travail et compréhension de textes, chez l'adulte puis chez l'enfant, avant d'exposer l'approche de Just et Carpenter. La troisième partie expose deux directions de recherche qui traduisent l'évolution actuelle du concept de mémoire de travail : celle qui tente de dégager certains mécanismes de base tels que le mécanisme d'inhibition et celle qui s’attache à préciser les liens entre mémoire de travail et mémoire à long terme. Mots clés : mémoire de travail, compréhension de l’écrit, inhibition, mémoire de travail à long terme Historical perspective on the concept of working memory, and its evolution Abstract This paper offers an overview of the concept of working memory and its evolution, particularly as it applies to the field of reading comprehension. The first part of the paper provides an account of Baddeley's model along with some related empirical evidence. In the second part, studies investigating the relationship between working memory and reading comprehension are presented with a special emphasis on Just's and Carpenter's contributions. This part includes data on both adults and children. In the third part, two bodies of research are presented, which reflect current trends in the exploration of the concept of working memory: the exploration of basic mechanisms involved in working memory such as inhibition, and the specification of the relationship between working memory and long term memory. Key Words : working memory, reading comprehension, inhibition, long term working memory. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 75 Alix SEIGNEURIC Université de Bourgogne LEAD, CNRS UMR 5022 6, Bd Gabriel, 21000 Dijon e-mail : [email protected] Marie-France EHRLICH Université René Descartes Paris 5 EPHE, CNRS UMR 8581. Centre Henri Piéron 71 Av Edouard Vaillant 92774 Boulogne-Billancourt e-mail : [email protected] L e concept de mémoire de travail est largement utilisé pour décrire les contraintes cognitives qui pèsent sur la réalisation de tâches complexes. Il est devenu l’un des concepts clés de la psychologie cognitive contemporaine. Il est aisé de prendre conscience de la réalité d’une telle limitation cognitive, par exemple lors de la lecture d’un texte dont on ne peut relier toutes les idées entre elles, lors de la résolution de problèmes pour lesquels on peine à retenir les éléments ou les étapes intermédiaires nécessaires à l’atteinte de la solution. Dans toutes ces situations, on doit stocker des informations de manière temporaire qui doivent être réactualisées régulièrement au cours du traitement. Le concept de mémoire de travail a connu une évolution importante depuis sa première apparition qui date de l’ouvrage de Miller, Galanter et Pribam (1960). L’évolution importante de ce concept tient notamment au fait que la notion de mémoire de travail a été intégrée et précisée au sein des différentes activités mentales dans lesquelles elle était censée intervenir. Le domaine dans lequel l’empreinte de cette notion est la plus importante est sans conteste celui de la compréhension du langage (Ehrlich, 1994 ; Ehrlich et Delafoy, 1990 ; Ehrlich, Seigneuric et Gyselinck, 2001; Seigneuric, Gyselinck et Ehrlich, 2001). L'objectif de cet article est de présenter l’évolution du concept de mémoire de travail en se centrant notamment sur le domaine de la compréhension de textes écrits. Les évolutions les plus récentes seront illustrées à l’aide d’exemples d’études présentées plus en détails. Le terme de mémoire de travail apparaît pour la première fois dans l'ouvrage de Miller, Galanter et Pribam (1960) « Plans and the structure of behavior ». Cette mémoire de travail est décrite comme ayant un rôle central 76 dans la planification et le contrôle des actions. Ce terme sera repris par Atkinson et Shiffrin (1971), auteurs d'un modèle de mémoire largement diffusé comportant trois registres : le registre sensoriel, le système de stockage à court terme et le système de stockage à long terme. Le second registre est supposé jouer le rôle d'une mémoire de travail dans la réalisation d'activités cognitives diverses. En 1974, Baddeley et Hitch conduisent une série d'expériences étudiant les effets d'une pré-charge ou d'une charge concurrente sur des tâches relativement complexes : raisonnement verbal et compréhension de textes. Un des résultats importants est la relative préservation des performances en situation de précharge. Ce résultat suggère que ces tâches mettent en jeu une mémoire de travail qui ne peut être assimilée au système de stockage à court terme caractérisé par Atkinson et Shiffrin (1971). Cette mémoire est définie comme un « espace de travail » de capacité limitée assurant le stockage temporaire et le traitement des informations au cours des activités cognitives complexes. C'est incontestablement à Baddeley, et à ses nombreux collaborateurs, que l'on doit l'essor des recherches traitant de la mémoire de travail. L'objectif de cet article est de dessiner dans ses grandes lignes l'évolution du concept de mémoire de travail au travers des travaux centrés sur la compréhension de textes. Dans la première partie, nous résumerons le modèle théorique de Baddeley et les données empiriques sur lesquelles il s'appuie ; dans la seconde partie nous présenterons les études consacrées aux relations entre mémoire de travail et compréhension de textes, chez l'adulte puis chez l'enfant, avant d'exposer l'approche de Just et Carpenter ; la troisième partie sera consacrée à deux directions de recherche qui traduisent l'évolution actuelle du concept de mémoire de travail : l'étude de mécanismes de base tels que le mécanisme d'inhibition et celle des liens qu'unissent mémoire de travail et mémoire à long terme. ♦ Le modèle de Baddeley Dès le premier article, Baddeley et Hitch (1974) proposent une mémoire de travail à trois composantes : un processeur central (ou centre exécutif) et deux systèmes périphériques, la boucle articulatoire et le calepin visuo-spatial, fonctionnant comme des systèmes « esclaves » par rapport au processeur central. Ce modèle sera précisé notamment dans l'ouvrage de Baddeley publié en 1986. Des trois composantes, c’est la boucle articulatoire qui a reçu dans un premier temps le plus de support empirique (voir l’ouvrage de Gathercole et Baddeley, 1993). Les deux autres composantes, centre exécutif et calepin visuospatial n'ont été étudiées que plus tard (voir l’ouvrage de Logie, 1995, la synthèse de Monnier et Roulin, 1994, ainsi que le numéro spécial de European Journal of Cognitive Psychology, 1999). 77 Considérons tout d’abord la composante de contrôle : le centre exécutif. Cette composante serait particulièrement impliquée dans la gestion des tâches complexes. Ses fonctions sont multiples ; elles incluent la coordination des systèmes esclaves, le contrôle des stratégies d’encodage et de récupération, la gestion attentionnelle et l’activation temporaire des informations en mémoire à long terme (Baddeley, 1996). A ce jour, son architecture reste mal connue malgré certaines évolutions importantes proposées depuis ces vingt dernières années. Dans sa version originale, le centre exécutif était assimilé à un ensemble de ressources pouvant assurer à la fois des fonctions de contrôle exécutif ou de stockage complémentaire. Cette fonction de stockage a depuis été abandonnée (voir pour une discussion Baddeley et Logie, 1999). En tant qu’instance de contrôle, le centre exécutif est supposé exercer une influence directe sur la compréhension, en particulier par l’activation des représentations en mémoire à long terme permettant l’élaboration du modèle mental, ce dernier étant alors transféré en mémoire à long terme épisodique. Les données issues de la neuropsychologie ont offert les premières validations empiriques, en particulier par l’étude de patients souffrant d’amnésie ou de la maladie d’Alzheimer. Ainsi, un patient amnésique est capable de comprendre un texte mais ne peut le stocker en mémoire, alors qu’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer qui présente une perturbation sévère des fonctions exécutives a de sérieux troubles de compréhension (Wilson et Baddeley, 1988). En ce qui concerne l’adulte normal, la question d’un lien spécifique entre la fonction de contrôle du centre exécutif et la compréhension n’a pas pu être testée directement, faute d’un réel consensus autour d’une mesure évaluant cette fonction. Les deux autres composantes du modèle ont été décrites comme deux composantes de stockage, spécialisées. La boucle articulatoire a pour fonction de stocker l’information à support verbal et le calepin visuo-spatial intervient pour le stockage et la manipulation de l’information de nature visuo-spatiale ou imagée. La dissociation entre ces deux systèmes de stockage s’est notamment appuyée sur des données issues de la neuropsychologie (Belleville, Peretz, et Arguin, 1992 ; Vallar et Baddeley, 1984). La boucle articulatoire (dénommée aussi boucle phonologique) est constituée de deux parties : un registre phonologique pour le stockage temporaire des informations de nature verbale et un mécanisme de répétition articulatoire qui assure le maintien actif de la trace mnésique. La boucle phonologique est étroitement liée à l’apprentissage de la lecture (Baddeley et Gathercole, 1992) et à l’acquisition du vocabulaire (Gathercole et Baddeley, 1989). Par l’intermédiaire de ces deux compétences au moins, la boucle phonologique exerce une 78 influence sur la compréhension. Les données en faveur d’un lien direct entre la boucle phonologique et la compréhension sont rares. Notons toutefois certaines observations issues de la neuropsychologie. Vallar et Baddeley (1984, 1987) décrivent le cas de la patiente P.V. qui présente, avec un empan de chiffres égal à deux, un déficit très marqué dans le stockage phonologique. Cette patiente ne manifeste aucune difficulté dans la compréhension de phrases simples, mais obtient des performances très faibles dans la compréhension de phrases plus longues qui nécessitent de maintenir une certaine quantité d’informations, présentées à l’oral ou à l’écrit. Il semble donc qu’un déficit au niveau de la boucle phonologique ne s’accompagne de troubles de la compréhension du langage que lorsque le traitement requiert un stockage fiable des informations, notamment dans le cas de phrases longues et/ou complexes (voir pour une revue de questions, Vallar et Shallice, 1990). Baddeley, Eldridge et Lewis (1981) étudient auprès d’adultes normaux le rôle de la boucle phonologique dans la compréhension. Utilisant le paradigme des tâches concurrentes, ils étudient quelles sont les dégradations de performances occasionnées par une perturbation du fonctionnement de la boucle phonologique, par exemple en situation de suppression articulatoire. La suppression articulatoire et la similarité phonologique ont un impact négatif sur la réalisation de certaines tâches, comme la détection d’erreurs portant sur l’ordre des mots mais les effets sur la compréhension proprement dite apparaissent minimes. Ces quelques données suggèrent que le rôle de la boucle phonologique n’apparaît clairement que dans certaines situations de lecture qui requièrent un codage phonologique particulièrement fiable, comme par exemple chez le lecteur débutant. Cependant, l'étude plus récente de Gyselinck, Cornoldi, Dubois, De Beni et Ehrlich (2001) conduit à réexaminer cette position (cf cidessous). En ce qui concerne le calepin visuo-spatial, son architecture fonctionnelle a été précisée ces dernières années et certaines données suggèrent l’existence de deux registres distincts, l’un spatial et l’autre visuel (Logie, 1995). A première vue, ce sous-système n’est pas supposé systématiquement mis en jeu dans la compréhension de textes. Toutefois, la question de son intervention spécifique a été posée dans quelques travaux. Il est concevable en effet que la lecture d’un texte fasse intervenir le maintien ou la manipulation d’informations visuo-spatiales à l’une des étapes du traitement. Eddy et Glass (1981) ont montré qu’il était plus difficile de vérifier des phrases à forte composante imagée lorsqu’elles étaient présentées par écrit qu’oralement. Par ailleurs, l’intervention du calepin visuo-spatial lors de la compréhension pourrait être plus marquée dans les situations encourageant la formation d’une image mentale (Haenggi, Kintsch, et Gernsbacher, 1995 ; Pazzaglia et Cornoldi, 1999) ou plus directement encore, 79 lorsque les textes sont accompagnés d’informations iconiques, par exemple d'illustrations. Dans cette dernière situation, il est possible de montrer l’intervention sélective d’une composante visuo-spatiale et d’une composante verbale. Nous rapportons ici les principaux résultats d’une série d’expériences allant dans ce sens. Dans ces expériences, les auteurs (Gyselinck, et al., 2001) s’intéressent à trois situations : compréhension de textes accompagnés d'illustrations, de textes présentés seuls et d'illustrations présentées seules, et étudient la mise en jeu de mécanismes de stockage spécialisés, la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial. Les textes utilisés sont des textes relativement longs (9 phrases, chacune pouvant être accompagnée d'une illustration) qui décrivent des phénomènes simples de physique (l'électricité statique, l'électrolyse, la pression des gaz,…). Après la lecture, la compréhension est évaluée à l'aide de plusieurs questions : des questions factuelles et des questions faisant appel à des inférences. La méthode des tâches concurrentes a été utilisée afin de cibler les deux mécanismes spécialisés. Le principe en est le suivant : le sujet doit réaliser simultanément deux tâches : une tâche principale (la lecture des textes) et une tâche concurrente mobilisant un mécanisme de stockage spécialisé. Si les performances du sujet dans la tâche principale sont sélectivement perturbées par la tâche concurrente, on en déduit que la tâche principale met en jeu le mécanisme spécialisé correspondant. Deux tâches concurrentes différentes ont été utilisées. La tâche concurrente verbale, visant à mobiliser la boucle phonologique, consiste en la production répétée à voix haute de la suite de syllabes « ba be bi bo bu », au rythme d'une syllabe par seconde. La tâche concurrente spatiale visant à mobiliser le calepin visuo-spatial, consiste en une tâche de « tapping » sur 4 boutons-poussoirs disposés en losange, en boucle dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, au rythme d'un bouton par seconde. Les effets d'interférence de la tâche concurrente sont évalués par rapport à une condition contrôle dans laquelle aucune tâche concurrente n'est réalisée par le sujet. Les résultats montrent que la compréhension de textes présentés seuls mobilise spécifiquement la boucle phonologique. Cette mobilisation est plus marquée pour les sujets dont la capacité de la boucle phonologique (mesurée à l'aide d'un empan de chiffres) est élevée et elle conduit alors à de meilleures performances de compréhension. Ces résultats confortent le rôle d'un mécanisme de maintien temporaire au cours de la compréhension, mécanisme qui exploite la dimension phonologique des représentations. Ils suggèrent également que ce mécanisme intervient lorsque les textes sont accompagnés d'illustrations. Il assurerait l'activation de représentations phonologiques servant de base à la réa- 80 lisation des processus de traitement de plus haut niveau. Parallèlement, les résultats montrent la mobilisation spécifique du calepin visuo-spatial lorsque les textes sont accompagnés d'illustrations. Là encore, la capacité de cette mémoire spécialisée (mesurée à l'aide de l'épreuve de Corsi) détermine l'efficience du mécanisme de maintien temporaire. Celui-ci assurerait l'activation de représentations visuelles nécessaires à la réalisation des processus d'intégration des informations présentées sous les deux formats, textes et illustrations. Lorsque les illustrations sont présentées seules, le rôle de ces représentations serait réduit en raison de la mise en jeu rapide d'un processus d'interprétation s'appuyant essentiellement sur les connaissances en mémoire à long terme. Les mécanismes de récupération des représentations en mémoire à long terme joueraient alors un rôle primordial. Baddeley (2000) a récemment proposé de nouveaux aménagements à son modèle théorique. Notamment, il postule l’existence d’une nouvelle composante, le buffer épisodique. Ce buffer est d’une capacité limitée et assure le stockage temporaire d’informations multi-modales. Il peut intégrer en une seule représentation épisodique diverses informations issues des systèmes esclaves et de la mémoire à long terme. Ce buffer contrôlé par le centre exécutif est donc une interface temporaire entre les deux systèmes esclaves (boucle phonologique et calepin visuo-spatial) et la mémoire à long terme. Le schéma proposé pour ce nouveau modèle est sensiblement différent des précédents : les quatre composantes de la mémoire de travail sont qualifiées de « systèmes fluides » ; le buffer épisodique, la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial sont en relation avec des « systèmes cristallisés » de connaissances à long terme et plus particulièrement avec la mémoire à long terme épisodique, le langage et la sémantique visuelle, respectivement. ♦ Le rôle de la mémoire de travail dans la compréhension de textes Mémoire de travail et compréhension chez l'adulte Une grande part de l’évolution du concept de mémoire de travail peut être recadrée par rapport aux travaux centrés sur la compréhension de textes. En effet, plusieurs modèles de compréhension de textes se sont développés en donnant à cette notion une place centrale. Si le modèle de Baddeley y est souvent pris comme modélisation de départ, d’importantes contributions théoriques et méthodologiques ont été proposées sous l’impulsion des travaux conduits dans ce domaine. Les premiers travaux remontent à Daneman et Carpenter qui ont testé l’hypothèse d’une relation directe entre la compréhension de textes et la capacité de la mémoire de travail (1980, 1983). Le succès de 81 leurs travaux tient notamment à la mise au point d’une mesure simple de la capacité fonctionnelle de la mémoire de travail. Selon ces auteurs, les différences individuelles de compréhension sont liées à la capacité d’une mémoire de travail chargée de coordonner les fonctions de traitement et de stockage engagées dans la compréhension. En référence à Baddeley et s’inspirant des travaux de Case (1985 ; Case, Kurland, et Goldberg, 1982), ils proposent l’hypothèse selon laquelle le traitement et le stockage se partagent un ensemble limité de ressources. Aussi, les individus pour lesquels les processus de traitement sont peu efficients disposent d’un espace de stockage fortement réduit, ce qui a pour effet d’entraver la compréhension. Tester cette hypothèse conduit à l’étude de la co-relation existant entre la performance de compréhension et la capacité fonctionnelle de la mémoire de travail. Elle implique donc la mise au point d’une épreuve permettant de mesurer la capacité fonctionnelle de la mémoire de travail. Cette épreuve est le test d’empan de lecture (reading span test). Elle permet d’évaluer l’espace de stockage disponible pendant que le sujet effectue un certain traitement. Son principe est désormais bien connu : le sujet doit lire des séries croissantes de phrases (de 2 à 6 phrases) dont il doit mémoriser et rappeler dans l’ordre chaque dernier mot. Le nombre maximum de mots qui peuvent être correctement rappelés correspond à l’empan de lecture du sujet. Un exemple est présenté ci-dessous, extrait de la version française de cette épreuve élaborée par Desmette, Hupet, Schelstraete et Van der Linden (1995). Exemple avec une série de deux phrases : Le sujet doit rappeler dans l’ordre : île - astres 1. Au cours des derniers mois, ce terrain sablonneux est devenu le dépotoir de l'île. 2. Ce vieil homme a consacré sa vie à l'observation du monde mystérieux des astres. Cette épreuve permet le calcul d’un score d’empan de mémoire de travail pour chaque sujet, qui correspond à la série de phrases la plus longue pour laquelle le sujet est capable de rappeler dans l’ordre tous les derniers mots. Ainsi calculés, les empans présentent une marge de variation importante au sein d’un groupe d’individus même relativement homogène, par exemple parmi des étudiants d’université. A partir de cette mesure, les auteurs obtiennent des corrélations significatives avec la compréhension de l’écrit évaluée à l’aide d’un test standardisé (en moyenne elles s’élèvent à .66). Dès la première recherche datant de 1980, Daneman et Carpenter étudient certaines opérations psycholinguistiques 82 caractéristiques de l’intégration textuelle, telles que le traitement des pronoms qui implique le recouvrement de l’antécédent. En effet, si la capacité de la mémoire de travail représente la capacité fonctionnelle d’intégration, les auteurs s’attendent à observer une forte liaison entre les scores d’empan de lecture et l’efficience des opérations impliquées dans cette intégration. Les résultats font effectivement apparaître des corrélations très élevées, plus élevées que celles obtenues entre l’empan de lecture et les performances observées au test standardisé. Complétant l’analyse des résultats par la comparaison de groupes contrastés sur leur empan, les auteurs montrent que les sujets à empan faible ont des difficultés dans la résolution d’un pronom lorsque celuici est éloigné de son antécédent. Ces pre m i e rs résultats ont été répliqués et précisés dans dive rs e s recherches réalisées chez des sujets adultes jeunes et âgés, anglophones le plus souvent. L’empan de lecture y prend plusieurs versions, visant en particulier à garantir le traitement des phrases (voir pour une méta-analyse, Daneman et Merikle, 1996). Mémoire de travail et compréhension chez l'enfant Chez l’enfant, peu de recherches ont testé le rôle de la mémoire de travail dans la compréhension de l’écrit. Pourtant on peut s’attendre à ce que la contrainte imposée par un système sur l’efficience d’une activité soit d’autant plus forte que le sujet est en cours d’apprentissage de cette activité. On peut donc penser que la relation entre la mémoire de travail et la compréhension de textes sera particulièrement forte chez l’enfant. Mais ce sont les opérations de décodage qui ont été très largement étudiées comme facteurs limitatifs des performances de compréhension. Il apparaît en effet que si le décodage n’est pas suffisamment maîtrisé, la compréhension s’en trouvera très altérée. Cette hypothèse s’appuie sur les fortes corrélations existant entre la compréhension et le décodage. Cette liaison s’avère d’autant plus forte que l’enfant est jeune, c’est à dire en début d’apprentissage de la lecture. Toutefois, d’autres aspects du traitement pourraient être à l’origine d’une part non négligeable des différences individuelles de compréhension. Ils concerneraient les niveaux plus élevés d’intégration, en particulier ceux qui participent à la compréhension. Cette hypothèse s’appuie notamment sur deux observations. Tout d’abord, le poids du décodage dans la compréhension de l’écrit tend à diminuer avec l’âge. De plus, une bonne maîtrise du décodage ne garantit pas une bonne compréhension. Ainsi malgré une lecture orale fluide, certains enfants rencontrent de grandes difficultés pour répondre à des questions de compréhension posées à l’issue de cette lecture. C’est à l’occasion de ces observations que 83 des chercheurs anglais ont engagé une série de recherches visant à étudier le rôle spécifique de facteurs plus complexes impliqués dans la compréhension (Oakhill, 1994 ; Oakhill et Yuill, 1996). Leurs études montrent que deux groupes d’enfants contrastés sur leur niveau de compréhension, élevé ou faible, mais appariés sur l’efficience du décodage et le niveau de vocabulaire, se différencient sélectivement sur certaines opérations d’intégration textuelle comme le traitement des pronoms ou la mise en œuvre d’inférences. Des résultats analogues ont été obtenus auprès d’enfants français (Ehrlich et Rémond, 1997 ; Ehrlich, Rémond, et Tardieu, 1993 ; 1999). Ces recherches confirment donc l’hypothèse selon laquelle une partie des difficultés de compréhension pourrait s’expliquer par des facteurs liés à l’intégration des informations en situation de compréhension. En somme, chez l’enfant, les différences individuelles relèveraient de facteurs de niveaux différents, les uns liés aux opérations de décodage et les autres aux opérations d’intégration. On retrouve ici le modèle classique de compréhension de l’écrit chez l’enfant proposé par Gough et Tunmer (1986) qui postule l’existence de deux grandes sources de différences individuelles : l’une relative aux traitements de bas niveau d’intégration liés au décodage, et l’autre relative aux traitements de haut niveau d’intégration liés à la compréhension du langage. L’importance relative de ces deux composantes évoluerait avec l’âge, la première étant dominante en début d’apprentissage et le poids de la seconde augmentant avec l’âge. Plusieurs données attestent d’une dissociation possible entre ces deux sources de différences (Stothard et Hulme, 1995, 1996) et de l’évolution développementale attendue (Gough, Hoover et Peterson, 1996). Comment inscrire la mémoire de travail dans le cadre de ce modèle ? La mémoire de travail est supposée jouer un rôle dans l’intégration textuelle. A ce titre, elle relève très directement des facteurs de haut niveau. Nous nous attendons donc à ce que le rôle de la mémoire de travail émerge au-delà des premières années de l’apprentissage de la lecture. Nous avons réalisé une série de recherches visant à mettre en évidence le rôle de la capacité de la mémoire de travail dans la compréhension de l’écrit et notamment à préciser à partir de quel âge la mémoire de travail exerce une influence significative (voir aussi Seigneuric, 1998 ; Seigneuric, Ehrlich, Oakhill, et Yuill, 2000). Dans ces études, nous avons adopté la même conception de la mémoire de travail que celle proposée par Daneman et Carpenter. Pour mesurer la capacité de la mémoire de travail, nous avons élaboré une épreuve adaptée de l’empan de lecture utilisé chez l’adulte qui requiert le traitement et le stockage d'un matériel verbal. Dans cette épreuve, dénommée MT-Phrases, l'enfant doit écouter des séries croissantes de phrases dont le dernier mot manque [exemple : A la piscine, on apprend à 84 _____ (nager)]. Il doit produire à haute voix les derniers mots et les mettre en mémoire. A la fin de la série, il doit rappeler tous ces mots en respectant leur ordre de présentation. L'épreuve comporte des séries de longueur croissante allant de 2 à 5 phrases. Ainsi, nous faisons l’hypothèse qu’en début d’apprentissage le poids de la capacité de la mémoire de travail devrait être faible comparé au décodage mais qu’il devrait s’accentuer au cours des années. L’évaluation de cette hypothèse développementale repose sur l’étude du poids explicatif de la mémoire de travail parallèlement à d’autres prédicteurs de la compréhension, et cela à différents moments d’apprentissage de la lecture. Les prédicteurs auxquels est comparée la mémoire de travail ont été déterminés de telle sorte qu’ils relèvent de l’une des deux sources de différences individuelles décrites par Gough et Tunmer. Ainsi relativement aux traitements de bas niveau, trois variables phonologiques ont été retenues : la mémoire phonologique, la conscience phonologique et le décodage phonologique. Deux variables sont relatives aux traitements de haut niveau : la capacité de la mémoire de travail et le niveau de vocabulaire. Ces cinq variables ont le statut de variables explicatives ou prédictrices de la compréhension de l’écrit. Cette dernière, évaluée à l'aide d'un test standardisé, a le statut de variable à expliquer ou variable critère. L’évolution du poids explicatif de la mémoire de travail a été étudiée au moyen d’un modèle structural précisant les relations connues ou hypothétiques entre les différentes variables. L’intérêt d’utiliser ce type de modèle est de prendre en compte la nature hiérarchique des relations. Ainsi, il est possible de tester la structure formée par ces variables, en évaluant la force de chaque relation. L’architecture de notre modèle peut être représentée sous la forme du diagramme présenté dans la figure 1. Fig. 1. Modèle structural théorique des prédicteurs de la compréhension 85 Ce modèle rend compte des relations attendues entre d’une part, les variables prédictrices et la variable critère, et d’autre part, les variables prédictrices entre elles. La compréhension ayant le statut de variable à expliquer se trouve placée le plus à droite du modèle. La mémoire phonologique a le statut de variable exogène : elle exerce une influence directe sur l’ensemble des variables qui sont toutes supposées dépendre d’un certain niveau de maintien de l’information sous forme phonologique. La compréhension reçoit les influences directes de trois autres variables : - La mémoire de travail. Cette relation fait l’objet de l’hypothèse principale de notre étude. - Le vocabulaire. Cette variable de haut niveau d’intégration est supposée exercer une influence directe sur la compréhension. - Le décodage. Cette variable de bas niveau d’intégration joue un rôle de facteur limitatif sur la compréhension. Les autres relations traduisent les influences attendues entre les prédicteurs. Ainsi, en accord avec de nombreux résultats empiriques, la conscience phonologique se trouve liée de façon directe au décodage. Ce modèle a été testé trois années successives auprès d’un échantillon composé de 75 enfants au départ de l’étude. Ces enfants ont été suivis sur une période couvrant leurs trois premières années d’école élémentaire, CP, CE1 et CE2 (âge moyen au CP : 6 ans 10 mois). A chaque âge, l’ensemble des variables a été évalué afin que le modèle puisse être testé. L’ajustement de ce modèle a été réalisé au moyen du logiciel LISREL qui permet d’obtenir des estimateurs locaux de la force des relations (coefficients de pistes) et des estimateurs globaux de l’ajustement du modèle aux données. Notre hypothèse prévoit une augmentation du pouvoir explicatif de la mémoire de travail avec l’âge, ce qui doit se traduire par une élévation du coefficient de la piste allant de la mémoire de travail à la compréhension. A chaque niveau scolaire, on a procédé à l’ajustement du modèle, c’est à dire aux calculs des différents estimateurs locaux et globaux. Les résultats principaux sont présentés dans la figure 2 (seuls sont rapportés ici les résultats les plus importants pour notre hypothèse, c’est à dire ceux qui concernent les relations entre la compréhension et les trois variables mémoire de travail, vocabulaire et décodage). Au CP, la variable qui présente l’influence la plus forte sur la compréhension est le décodage, le vocabulaire a un poids significatif mais faible, la mémoire de travail n'est pas significative. Au CE1, le modèle obtenu évolue dans le sens d’une baisse de l’influence du décodage. Parallèlement on assiste à une augmentation du poids du vocabulaire. Par contre, le poids explicatif de la mémoire de travail reste non significatif. 86 Un an plus tard, au CE2, on constate une nouvelle évolution. Cette fois la mémoire de travail devient un facteur explicatif significatif alors que l’influence du vocabulaire se renforce et que celle du décodage a encore diminué. Fig. 2. Résultats de l’ajustement testé à chaque niveau pour les prédicteurs directs de la compréhension La comparaison des trois modèles ajustés au CP, CE1 et CE2 sur un même échantillon d’enfants confirme notre hypothèse développementale et permet de situer l’émergence du rôle de la mémoire de travail sur la compréhension en CE2 (3e année d'apprentissage ; âge moyen 9 ans). Le décodage est la va ri able la plus fortement liée à la compréhension en début d’apprentissage mais l’influence de ce facteur de bas niveau diminue avec l’âge au profit des va ri ables de plus haut niveau, le vocabulaire dès le CE1 et la mémoire de travail en CE2. Cette évolution est conforme aux prédictions issues du modèle de Gough et Tunmer (1986). Ainsi, dans cette étude, la mémoire de travail apparaît bien comme une variable de haut niveau dans la mesure où elle ne devient un prédicteur de la compréhension de l’écrit qu’à partir de la troisième année, c’est à dire lorsque la compréhension repose davantage sur une réelle intégration des informations que sur des capacités de décodage. L'approche de Just et Carpenter Les études adoptant l’approche différentielle typique de la démarche de Daneman et Carpenter ont permis de montrer le rôle joué par la capacité de la mémoire de travail dans la compréhension, aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant. C’est grâce à cette mémoire que le lecteur peut réaliser les opérations nécessaires à l’établissement de la cohérence du texte qui impliquent la mise en jeu de computations et de stockages, le maintien temporaire de représentations intermédiaires, base de la représentation de l'ensemble du texte. 87 C’est sur la base notamment des données rapportées par Daneman et Carpenter que Just et Carpenter (1992) ont élaboré un modèle de compréhension réservant à la notion de capacité de mémoire de travail une place tout à fait centrale. Ces auteurs soulignent le caractère linéaire du langage qui nécessite le stockage temporaire des produits intermédiaires des opérations dans le but de construire une représentation globale intégrée. Leur modèle repose sur l’idée selon laquelle les traitements effectués lors de la compréhension sont contraints par la capacité de la mémoire de travail. La mémoire de travail y est définie comme le pool de ressources opérationnelles qui réalisent les computations (manipulations de symboles) et les stockages intermédiaires nécessaires à l’intégration. La capacité de la mémoire de travail proprement dite est définie comme une quantité maximale d’activation qui alimente ces deux fonctions de traitement et de stockage. La capacité maximale d’activation est limitée. Cette contrainte conditionne certains processus généraux (e.g. immédiateté du traitement, utilisation du contexte) et est le lieu d’importantes différences individuelles. Ainsi, selon les individus, cette capacité impose une contrainte plus ou moins forte sur les traitements réalisés et la qualité des représentations construites. Just et Carpenter s’appuient sur les différences individuelles de capacité de mémoire de travail pour mettre en évidence les conséquences différentielles sur le traitement, en comparant deux groupes de sujets à capacité élevée et à capacité faible de mémoire de travail. Les deux groupes sont comparés sur l’exécution de traitements syntaxiques complexes (gestion temporelle de la lecture de phrases avec propositions relatives enchâssées, effets de l’ambiguïté syntaxique, utilisation d’indices pragmatiques, effets d’une pré-charge) et sur la réalisation d’une opération d’intégration textuelle particulière, le traitement des pronoms. Sur l’ensemble de ces traitements, les deux groupes de sujets présentent des profils de performances différents d’un point de vue quantitatif et qualitatif (King & Just, 1991). Ainsi, en situation de charge élevée, les sujets à empan faible présentent une dégradation très nette de leurs performances et une incapacité à intégrer différents types d’indices ou de représentations. En d'autres termes, la capacité de mémoire de travail, variable d'un sujet à l'autre, contraint la réalisation et l'efficience des processus de compréhension. Les auteurs réinterprètent en ce sens les données de recherches plus anciennes réalisées avec des sujets âgés, des enfants et des patients aphasiques (voir les synthèses de Carpenter, Miyake & Just, 1994 ; 1995 et l'article centré sur la compréhension chez les aphasiques de Haarman, Just et Carpenter, 1997). Au cours des cinq dernières années, l'approche de Just et Carpenter s'est enrichie de nouvelles données venant de l'imagerie par résonance magnétique 88 fonctionnelle (IRMf). En particulier, ces auteurs ont montré que l'amplitude de l'activation de différentes régions corticales variait selon la charge cognitive de processus de nature linguistique ou visuo-spatiale (Carpenter, Just, Keller, Eddy et Thulborn, 1999a, 1999b). De plus, des données d'IRMf observées dans une tâche de vérification phrase - dessin pour laquelle deux stratégies, linguistique ou visuo-spatiale, peuvent être mises en œuvre suggèrent que l’activation est modulée en fonction de la capacité de mémoire de travail des sujets (Reichle, Carpenter et Just, 2000). Dans cette tâche classique (Clark et Chase, 1972), on présente aux sujets une phrase écrite, affirmative ou négative (par exemple : il n'est pas vrai que l'étoile soit au-dessus du signe plus) et un dessin qui est en accord (un signe plus au-dessus d'une étoile) ou non (une étoile au-dessus d'un signe plus) avec la phrase. Les sujets doivent indiquer si le dessin est vrai ou faux par rapport à la phrase. Le résultat fréquemment observé est que les performances dépendent des deux facteurs, la polarité des phrases (affirmative vs négative) et leur valeur de vérité, et de leur interaction (les phrases négatives vraies sont plus difficiles à vérifier que les phrases négatives fausses). Ce résultat suggère que les sujets adoptent une stratégie linguistique : formation d'une représentation propositionnelle de la phrase et maintien de cette représentation au moyen d'un mécanisme d'auto-répétition ; encodage du dessin en une représentation également propositionnelle ; comparaison des éléments des deux représentations et de leurs relations spatiales. Cependant, certains travaux ont montré que les sujets ayant une bonne habileté pour le raisonnement visuo-spatial tendaient à utiliser une stratégie visuospatiale : formation d'une représentation imagée de la phrase et maintien de cette représentation, puis comparaison avec le dessin. Pour ces sujets, les performances dépendent de la valeur de vérité des phrases, mais ne dépendent plus ni de leur polarité ni de l'interaction entre les deux facteurs (MacLeod, Hunt et Mathews, 1978). Les auteurs ont pu montrer que dans cette tâche complexe de vérification phrase - dessin, des patterns d'activation partiellement différents sont générés par les stratégies mises en œuvre par le sujet, où domine soit un traitement linguistique soit un traitement visuo-spatial. Pour Reichle, et al. (2000), ces résultats plaident non pas en faveur d'une correspondance terme à terme entre des fonctions cognitives et des régions corticales, mais en faveur de réseaux flexibles distribués sur des régions multiples dont l'amplitude de l'activation dépendrait en partie des caractéristiques de la tâche de compréhension linguistique et de celles de la tâche de résolution de problème visuo-spatial (voir également Carpenter, Just et Reichle, 2000). En outre, l'amplitude de l'activation d'une région apparaît être modulée par les ressources spécifiques dont disposent les sujets pour la mise en œuvre de stratégies particulières : elle est plus faible lorsque les ressources sont élevées. 89 Pour les auteurs, cette relation donne une réalité neurophysiologique à la notion hypothétique de ressources en mémoire de travail. Le modèle de Just et Carpenter (1992) soulève d’importantes questions, liées notamment à la définition et à l'opérationnalisation de la mémoire de travail. Alors que Baddeley usait d'une métaphore spatiale (espace de travail), Just et Carpenter adoptent une métaphore énergétique en définissant la mémoire de travail en termes de ressources qui alimentent les fonctions de traitement et de stockage au cours de la compréhension. Les ressources disponibles sont opérationnalisées par la quantité maximale d'activation du système pour traduire la capacité de la mémoire de travail. Cependant, la notion de ressources n’est pas simple (voir les analyses de Barouillet, 1996 et de Navon, 1984). Ainsi, à la différence de Just et Carpenter, Halford (1993) propose de distinguer la notion de capacité de celle de ressources. La première renvoie à une caractéristique individuelle qui ne varie pas au cours du temps pour un individu donné, en dehors des changements physiologiques dus par exemple au développement ou au vieillissement. La seconde renvoie à l'idée d'énergie mentale disponible à un moment donné et pour un individu particulier lors de la réalisation d'un certain type d'opérations cognitives. Cette distinction entre ressources et capacité rejoint la question de la « nature » de la mémoire de travail mise en jeu dans la compréhension du langage. Cette mémoire réfère-t-elle à des ressources spécialisées dans le traitement du langage ou à des ressources générales mises en jeu quel que soit le type d'informations à traiter ? Cette question est de première importance non seulement pour les chercheurs s'intéressant au langage, mais aussi pour ceux s'efforçant de modéliser la mémoire de travail. Pour ces derniers, elle devient : convient-il de supposer un système général de mémoire de travail ou des systèmes spécialisés ? Just et Carpenter (1992) considèrent des ensembles de ressources spécialisées dans des domaines particuliers, position confirmée par leurs récents travaux utilisant l'imagerie cérébrale. L'une des façons d'examiner cette question est d'étudier comment évolue la relation entre mémoire de travail et compréhension du langage en fonction de la nature de l'épreuve de mémoire de travail utilisée. Le raisonnement est le suivant : si la mémoire de travail représente un ensemble de ressources générales utilisées à des fins de traitement et de stockage, alors la relation entre mémoire de travail et compréhension devrait être indépendante de la nature de l'épreuve utilisée : verbale, numérique ou spatiale. Par contre, si la mémoire de travail est spécialisée dans le traitement du langage, la relation avec la compréhension devrait être tributaire de l'épreuve de mémoire de travail, celle-ci devant mettre en jeu le traitement 90 d'unités linguistiques (traitement de phrases ou de mots) pour pouvoir prédire le niveau de compréhension. Au terme d'une méta-analyse de recherches réalisées chez l'adulte, Daneman et Merikle (1996) concluent en faveur d'une mémoire de travail spécialisée dans le traitement du langage ou, pour être plus précis, dans le traitement d'items reposant sur un code verbal. Cette position est également confortée par les résultats de recherches conduites chez l'enfant (Leather et Henry, 1994 ; Seigneuric et al., 2000). Plus généralement, la plupart des modèles récents de mémoire de travail suppose des systèmes spécialisés dans des activités cognitives particulières (voir la synthèse de Miyake et Shah, 1999). ♦ Vers une nouvelle conceptualisation de la mémoire de travail Deux grandes directions peuvent être dégagées pour décrire l’évolution actuelle que connaît le concept de mémoire de travail. La première consiste à mettre en lumière certains mécanismes de base assurés par la mémoire de travail et plus spécialement par la composante de contrôle du système. La seconde vise à caractériser les relations qu’entretiennent la mémoire de travail et la mémoire à long terme. Cette double tendance est particulièrement bien mise en évidence dans l’ouvrage récent de Miyake et Shah (1999). Ces auteurs analysent les points d'accord et les divergences de dix modèles de mémoire de travail, présentés notamment par Baddeley et Logie ; Cowan ; Engle, Kane et Tulhoski ; Ericsson et Delaney (Just et Carpenter sont absents de cet ouvrage). Miyake et Shah soulignent combien le concept de mémoire de travail a évolué au cours des dernières années. Ils proposent d'abandonner la métaphore structuraliste représentant la mémoire de travail comme une « boîte » ou un « lieu » au profit d'une approche fonctionnelle centrée sur certains mécanismes de contrôle et de maintien de l’information. Ces mécanismes peuvent constituer un système, mais un système non unitaire en ce sens qu'il implique plusieurs sous-systèmes spécialisés pour le traitement d'informations de nature différente. La capacité limitée du système n'est pas dépendante d'un seul facteur ; elle est liée à plusieurs facteurs tels que le déclin des représentations, l'efficience ou la vitesse du traitement, l'efficience des mécanismes d'inhibition et plus généralement des mécanismes de contrôle, les connaissances ou aptitudes permettant des stratégies efficaces d'encodage et de récupération. De plus, la mémoire de travail entretient des liens étroits avec la mémoire à long terme, en ce sens que les mécanismes qui la définissent opèrent sur des représentations activées de la mémoire à long terme. Nous donnerons une illustration de chacune de ces deux directions dans la dernière partie de cet article, tout d’abord celle mettant l’accent sur certains mécanismes de contrôle, puis celle centrée sur les relations entre mémoire de travail à court terme et à long terme. 91 Mémoire de travail et efficience du mécanisme d'inhibition L’un des mécanismes de base qui semble très étroitement lié à la composante exécutive de la mémoire de travail est le mécanisme d’inhibition. Plusieurs groupes d'études soulignent le rôle de l'inhibition dans le fonctionnement de la mémoire de travail. Baddeley (1996) attribue au centre exécutif une fonction d'attention sélective qui pourrait reposer sur l'efficience d'un mécanisme d'inhibition. Pour Engle, l'inhibition est l'un des mécanismes de base mis en jeu dans les épreuves de mémoire de travail de type empan de lecture (Conway et Engle, 1994 ; Engle, Conway, Tuholski et Shisler, 1995), hypothèse confirmée par l'étude de De Beni, Palladino, Pazzaglia et Cornoldi (1998). Pour Hasher et Zacks (1988) qui s'intéressent aux effets du vieillissement, les mécanismes d'inhibition permettent de limiter l'intrusion en mémoire de travail des informations sans rapport avec le traitement en cours. Ces auteurs font l'hypothèse que le vieillissement entraîne une diminution de l'efficience des mécanismes d'inhibition qui serait responsable de la baisse des performances observées dans la compréhension du langage, l'attention ou la mémoire. Plusieurs expériences, dans lesquels des groupes de sujets adultes jeunes et âgés sont comparés, montrent des différences entre les deux groupes dans plusieurs tâches sollicitant l'inhibition, par exemple ignorer des distracteurs intégrés dans des textes (Connelly, Hasher et Zacks, 1991), ignorer des informations devenues non pertinentes après avoir été activées (Hartman et Hasher, 1991). Par ailleurs, l’implication d’un mécanisme actif d’inhibition a été proposé dans plusieurs modèles de compréhension du langage (Kintsch, 1988 ; Gernsbacher, 1990). L'efficience de ce mécanisme est un lieu de différences individuelles et contribue à rendre compte des difficultés de compréhension. Ainsi, Gernsbacher, Varner et Faust, (1990) montrent, avec des sujets adultes, que les bons compreneurs sont plus efficients que les mauvais compreneurs dans l'inhibition (ou la suppression) d'informations non pertinentes. Nous avons réalisé une expérience afin de comparer l'efficience d'un mécanisme d'inhibition chez deux groupes d'enfants : des enfants bons compreneurs caractérisés par une capacité de mémoire de travail élevée (groupe fort) et des enfants mauvais compreneurs caractérisés par une capacité de mémoire de travail faible (groupe faible). Cette double sélection permet d'introduire un premier niveau d'interprétation causale : la relation entre compréhension et capacité de la mémoire de travail pourrait être expliquée notamment par la mise en jeu d'un mécanisme d'inhibition. Notre hypothèse est que les enfants du premier groupe devraient manifester un mécanisme d'inhibition plus efficient que ceux du second groupe. 92 La sélection des enfants des deux groupes a été faite sur la base d'une épreuve générale de compréhension de l'écrit et d'une épreuve mesurant la capacité de mémoire de travail avec des chiffres (voir Seigneuric et al, 2000). Un matériel numérique a été préféré à un matériel linguistique pour limiter les interférences avec l'épreuve d'inhibition qui implique l'activation de mots en mémoire de travail. Afin de mettre en évidence un mécanisme d'inhibition, nous avons adapté l'épreuve utilisée par Hartman et Hasher (1991) qui, faisant appel à un test de mémoire implicite, limite le recours à des stratégies de récupération et permet d'isoler au mieux le mécanisme d'inhibition. L'expérience se déroule en deux étapes. Dans la première, phase d'étude, l'expérimentateur lit une série de phrases présentées une à une sur un écran d'ordinateur, pour lesquelles le dernier mot n'apparaît qu'après une pause. L'enfant a pour consigne de mémoriser le dernier mot de chaque phrase. L'expérimentateur invite l'enfant à deviner le mot avant qu'il n'apparaisse. De cette façon, lorsque le dernier mot apparaît, l'enfant a déjà activé un certain mot. Les phrases sont telles qu'elles entraînent de façon hautement prédictible (ce qui est vérifié à l'aide d'un pré-test) l'activation d'un mot. Par exemple : « Sur mon gâteau d'anniversaire, j'ai mis des... ». L'enfant dit à haute voix, le mot qu'il a deviné : bougies, ce qui permet de vérifier que le mot a bien été activé. Le dernier mot apparaît ensuite sur l'écran. Deux situations peuvent alors se présenter : le mot qui apparaît est le mot attendu « bougies », confirmant l'attente de l'enfant ou c'est un mot plausible « noisettes », auquel l'enfant ne s'attend pas. Dans cette seconde situation, on suppose que l'enfant doit désactiver le mot attendu (mot infirmé) et concentrer son attention sur le mot qu'il doit mémoriser (mot cible). Dans la seconde phase de l'expérience, phase test, qui a lieu quelques minutes après la phase d'étude, l'enfant doit réaliser une tâche de production de mots en contexte. Il doit dire le premier mot auquel il pense pour terminer des phrases présentées une à une sur les pages d'un carnet. Les phrases sont construites de telle sorte que les mots infirmés et les mots cibles de la phase d'étude constituent des fins plausibles de ces phrases. Ainsi pour l'exemple cidessus, les deux phrases tests sont : « Pour faire de la lumière, on peut allumer des (bougies) » « En grimpant dans l'arbre, l'écureuil a fait tomber une (noisette) ». Aucune allusion n'est faite à la tâche précédente, afin de réaliser une situation de mémoire implicite. Pour introduire la phase test, l'expérimentateur dit à l'enfant qu'il a le projet de réaliser un livre et qu'il veut utiliser les mots que connaissent bien les enfants. 93 En suivant le raisonnement de Hartman et Hasher (1991), nous supposons que la phase test permet de mesurer l'activation résiduelle des mots de la première phrase. L'inhibition est mesurée par la différence entre la fréquence avec laquelle les enfants produisent les deux types de mots de la phase d'étude (mots infirmés et mots cibles) et une fréquence de base qui correspond à la fréquence de production de ces mots lorsqu'ils n'ont pas été préalablement présentés (condition contrôle). Ces scores de différence sont des scores d'amorçage de répétition. Si les enfants inhibent les mots infirmés de la première phase, on devrait observer un score d'amorçage plus faible pour ces mots que pour les mots cibles effectivement présentés. Notre hypothèse est que les enfants bons compreneurs à capacité élevée de mémoire de travail (groupe fort) devraient présenter des scores d'amorçage plus faibles pour les mots infirmés que pour les mots cibles, traduisant un mécanisme d'inhibition efficient, alors que les enfants mauvais compreneurs à capacité faible de mémoire de travail (groupe faible) devraient présenter, si le mécanisme d'inhibition est non efficient, des scores d'amorçage similaires pour les deux types de mots. Fig. 3. Scores d’amorçage observés chez les deux groupes d’enfants Les résultats (figure 3) corroborent notre hypothèse. Nous observons une interaction entre le facteur groupe et le facteur condition d'amorçage, interaction précisée par des analyses faites pour chaque groupe d'enfants. Pour les enfants du groupe fort, l'effet d'amorçage est significativement plus faible pour les mots infirmés que pour les mots cibles. De plus, l'amorçage pour les mots infirmés n'est pas significativement différent de zéro, alors que l'amorçage pour les mots 94 cibles est différent de zéro. Le profil des résultats est différent pour les enfants du groupe faible : le score d'amorçage tend à être plus fort pour les mots infirmés que pour les mots cibles, bien que la différence ne soit pas significative. L'amorçage pour les items infirmés est différent de zéro, alors que celui pour les items cibles approche seulement le seuil de significativité. Ainsi, les enfants du groupe fort apparaissent bien mettre en œuvre un mécanisme d'inhibition : ils sont capables d'inhiber des mots qui, après avoir été activés, se révèlent non pertinents pour la tâche. En revanche, les enfants du groupe faible n'apparaissent pas capables d'une telle inhibition. Il est intéressant de remarquer que les résultats du premier groupe reproduisent ceux observés par Hartman et Hasher (1991) chez les sujets adultes jeunes, tandis que les résultats du second groupe présentent le même profil que celui observé chez les sujets adultes âgés. L'objectif de cette expérience était de montrer qu'un mécanisme d'inhibition peut contribuer à rendre compte de la relation que la compréhension entretient avec la capacité de mémoire de travail. En accord avec cette hypothèse, les résultats montrent que les enfants qui sont de bons compreneurs et qui ont une capacité élevée de mémoire de travail manifestent un mécanisme d'inhibition efficient, alors que ce n'est pas le cas des enfants qui sont des mauvais compreneurs avec une capacité faible de mémoire de travail. Cette démonstration, indirecte, devra être confirmée par de nouvelles recherches, celles-ci devant préciser quels sont les processus de compréhension plus particulièrement concernés par les mécanismes d'inhibition. Mémoire de travail à court terme et mémoire de travail à long terme L’autre ligne de développement actuel du concept de mémoire de travail a trait aux relations nécessairement étroites qu’entretiennent la mémoire de travail et la mémoire à long terme. L’une des façons de représenter cette interface est de postuler l’existence d’une mémoire de travail à long terme. Cette notion a été intégrée dans la version la plus récente d’un des plus anciens et des plus influents modèles de compréhension de textes, celui de Kintsch. Kintsch fait figure de pionnier dans le domaine de la compréhension de textes. Dès ses premières propositions théoriques, il envisage un système de mémoire de travail impliqué dans l’établissement de la cohérence du texte. L’idée d’un système visant au maintien d’un certain nombre d’informations préalablement traitées et maintenues disponibles pour assurer l’intégration progressive du texte sera conservée dans les différentes versions de son modèle mais connaîtra une évolution importante. En 1978, Kintsch et Van Dijk font l’hypothèse d’un buffer en mémoire à court terme contenant un petit nombre de propositions les plus 95 importantes et/ou les plus récentes permettant d’établir la cohérence entre les différents cycles de traitement nécessaires à la lecture du texte. La capacité du buffer est strictement limitée et peut varier d’un individu à l’autre. En 1988, Kintsch propose une version connexionniste de son modèle de compréhension dont les implications, au niveau de la mémoire de travail, sont plus directement discutées dans un article co-écrit avec Ericsson en 1995 (voir aussi Kintsch, 1998 ; Kintsch, Patel et Ericsson, 1999). Les auteurs distinguent la mémoire de travail à court terme et la mémoire de travail à long terme. C’est en mémoire de travail à court terme qu’a lieu l’élaboration de la représentation du cycle en cours de traitement. Cette mémoire temporaire bénéficie d’une extension en mémoire à long terme constituée d’anciennes propositions ainsi que de réseaux de connaissances activés par association. Les éléments composant la mémoire de travail à long terme sont rendus automatiquement disponibles par l’intermédiaire de la mémoire de travail à court terme dont les éléments constituent des indices de récupération en mémoire à long terme. La mémoire de travail à long terme a donc pour fonction d’assurer le maintien de la cohérence rendant ainsi caduque l’hypothèse d’un buffer en mémoire à court terme du modèle de 1978. A nouveau, les auteurs proposent de situer les différences individuelles de compréhension au niveau des systèmes de mémoire de travail. Les différences de compréhension sont interprétées en terme de stratégies de récupération en mémoire à long terme plus ou moins efficaces. En effet, la récupération automatique et immédiate des informations en mémoire de travail à long terme n’est possible qu’à la condition que les liens entre les éléments de la mémoire de travail à court terme et les éléments de la mémoire à long terme soient structurés sous la forme de réseaux stables. Cette condition est remplie dans les situations d’expertise qui incluent les textes qu’un lecteur adulte peut lire sans difficultés particulières. Cette présentation sommaire donne une idée de l’importance donnée par Kintsch au concept de mémoire de travail dont la fonction est d’assurer la cohérence du texte et dont la capacité limitée impose une contrainte sur le traitement plus ou moins sévère selon les individus. Il est remarquable de constater que le concept de mémoire de travail reste une notion cruciale autour de laquelle se sont articulées les principales évolutions du modèle. ♦ Conclusion En conclusion, cet article avait pour objectif de décrire dans ses grandes lignes l’évolution du concept de mémoire de travail, en particulier au travers des travaux centrés sur la compréhension de textes. Si le modèle de Baddeley a 96 fourni les premières bases théoriques aux travaux centrés sur la compréhension, en retour, les recherches sur la mémoire de travail se sont nourries de l’apport des études de cette activité complexe, études qui mettent l’accent sur la mesure de la capacité de la mémoire de travail et sur les différences individuelles. Ce qui doit être souligné, c’est la pluralité des méthodes qui ont contribué à faire évoluer ce concept. Les données proviennent d’études comportementales, de la neuropsychologie et ont reçu l’apport de méthodes sophistiquées (utilisation des méthodes multivariées) et de techniques avancées (données d’IRMf). L’évolution théorique est allée dans le sens d’une spécification des mécanismes. Dans cette démarche, il semble plus que jamais nécessaire d’étudier les fonctions de ces mécanismes lors de la réalisation d’une tâche cognitive complexe. A ce titre, l’étude de la compréhension s’est avérée très heuristique et reste une voie de recherche prometteuse à en juger par les travaux récents réalisés par l’équipe de Just et Carpenter. Les données futures devraient permettre de lever les zones d’ombre qui entourent encore certaines fonctions de la mémoire de travail, notamment celles assurées par le centre exécutif. Les dernières propositions théoriques de Baddeley (2000) apparaissent comme d’importantes contributions à ce débat relancé. REFERENCES ATKINSON, R. C., & SHIFFRIN, R. M. (1971). 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Il envisage en outre la manière dont ces données peuvent être interprétées à la lumière du modèle classique de la mémoire de travail de Baddeley (1986) mais également selon des approches plus interactives qui tentent de modéliser les relations entre langage et mémoire à court terme. Mots clés : mémoire à court terme verbale, langage. Short-term memory and language pathology Abstract This paper examines neuropsychological evidence concerning relationships between impairments in language processing (sentence comprehension, verbal production and learning of new words) and problems in short-term verbal retention. These data are interpreted within the framework of Baddeley's (1986) model of working memory, but also within more interactive models of relationships between language and short-term memory. Key Words : verbal short-term memory, language. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 101 Martine PONCELET 1 Steve MAJERUS 1 Martial VAN DER LINDEN 1, 2 A u cours de ces dernières années, le rôle de la mémoire à court terme verbale (MCTV) dans le traitement langagier a fait l’objet de nombreuses études avec pour cadre différents modèles théoriques. Ainsi un premier modèle qui a donné lieu à des recherches sur les relations entre MCTV et langage est le modèle, désormais classique, de la mémoire de travail de Bad deley. Baddeley (1986) distingue un administrateur central amodal, de capacité limitée, aidé par deux systèmes esclaves responsables du maintien temporaire de l'information, la boucle phonologique et le registre visuo-spatial. Le système de la boucle phonologique est spécialisé dans le stockage temporaire de l'information verbale. Il se compose d'un stock phonologique et d'un processus de récapitulation articulatoire. Le registre visuo-spatial est responsable du stockage à court terme de l'information visuo-spatiale et il est également impliqué dans la génération et la manipulation des images mentales. Les deux systèmes de stockage, boucle phonologique et registre visuo-spatial, sont en contact étroit avec l'administrateur central, lequel est considéré comme un système attentionnel de contrôle. Il a notamment pour fonction de coordonner les opérations des soussystèmes spécialisés, de gérer le passage des informations entre ces sous-systèmes et la mémoire à long terme et, de façon plus générale, de procéder à la sélection stratégique des actions les plus efficaces. Parmi les composants de la mémoire de travail, il semble que ce soit surtout la boucle phonologique et l'administrateur central qui entretiennent des liens étroits avec le langage. Ce sont donc les relations entre ces composants et le langage qui seront envisagées dans cet article. 1 Service de Neuropsychologie, Université de Liège,Belgique 2 Unité de Psychopathologie Cognitive, Université de Genève Suisse Adresse pour correspondance: Martine Poncelet Service de Neuropsychologie, Boulevard du Rectorat, 3 (B33), 4000 Liège, Belgique Tél.: 0032 4 3662399 - Fax.: 0032 4 3662808 - E-mail : [email protected] 102 Un autre cadre théorique plus interactif part de modèles connexionnistes du traitement langagier, en supposant l’existence d’un réseau de représentations phonologiques, lexicales et sémantiques interconnectées. Selon ces approches interactives, les représentations langagières à long terme constituent une base importante pour le traitement en MCTV, dans la mesure où le stockage temporaire des informations auditivo-verbales dépend étroitement de l’activation de ces représentations à long-terme (Baddeley, Papagno, & Gathercole, 1998 ; N. Martin & Saffran, 1992 ; R.C. Martin, Lesch & Bartha, 1999). Nous décrirons les études qui ont exploré les relations entre un déficit de la MCTV et le traitement langagier en commençant par la compréhension verbale, en passant ensuite à la production langagière, pour aborder finalement l’acquisition de nouvelles formes phonologiques. Chaque fois, ces résultats seront situés dans le contexte théorique, approche classique de Baddeley, ou approche interactive, au sein duquel les données ont été recueillies. ♦ MCTV et aspects réceptifs du langage Le rôle controversé de la boucle phonologique (Baddeley, 1986) De nombreuses études ont mis en évidence chez des patients cérébrolésés l’existence d’une association entre une altération de la boucle phonologique et un déficit en compréhension verbale (pour une revue, voir par exemple, Van der Linden & Poncelet, 1998 et Majerus & Van der Linden, 2001). Néanmoins, les difficultés de compréhension verbale relevées chez ces patients semblaient ne toucher que certains types d’énoncés tels que par exemple, des phrases longues pour lesquelles la prise en compte de l’ordre des mots est déterminante (Vallar et Baddeley, 1984) ou des phrases syntaxiquement complexes, passives réversibles ou relatives enchâssées (Caramazza, Berndt, Basili et Koller, 1981 ; Saffran et Marin, 1975). Ces énoncés auraient en commun de ne pouvoir être traités complètement en temps réel. Ainsi, contrairement aux phrases passives non réversibles (par exemple, « l’os est rongé par le chien ») pour lesquelles il suffit d’accéder au sens de chaque mot et les combiner de manière pragmatique pour comprendre l’énoncé (la seule interprétation possible face aux trois thèmes en présence est en effet que le chien ronge l’os), l’interprétation des phrases passives réversibles (le garçon est vu par la fille) requiert une analyse syntaxique complète de l’énoncé pour que les rôles thématiques puissent être correctement attribués aux différents éléments de l’énoncé. L’interprétation de la phrase ne pouvant se construire progressivement au fur et à mesure de l’apparition des éléments de l’énoncé, l’analyse syntaxique doit s’exercer en partie au moins sur la trace phonologique de cet énoncé maintenue en mémoire grâce à la 103 boucle phonologique. La conception selon laquelle la boucle phonologique serait impliquée dans les traitements linguistiques qui ne peuvent s’effectuer en temps réel et nécessitent donc le maintien temporaire de la représentation phonologique de l’énoncé en mémoire a néanmoins été mise en défaut par l’observation de patients qui n'ont pas de difficultés à comprendre de tels énoncés alors que leur boucle phonologique est altérée. Caplan et Waters (1990) ont proposé une conception alternative selon laquelle la boucle phonologique jouerait un rôle dans l’interprétation d’énoncés qui nécessitent un traitement linguistique de seconde analyse (« second-pass language processing »). Ce type de traitement intervient lorsque au cours de la première analyse linguistique (« first-pass language processing »), processus automatique habituellement suffisant pour interpréter un énoncé, se construit une représentation sémantique qui semble incohérente ou ambiguë et requiert une vérification ou une nouvelle analyse. Pour que ces opérations puissent se réaliser, il est nécessaire que la forme phonologique de l’énoncé soit toujours disponible, autrement dit qu’elle ait été maintenue temporairement en mémoire par la boucle phonologique. Un traitement linguistique de seconde analyse peut être nécessaire dans diverses conditions d’interprétation qui semblent précisément mettre en difficulté des patients présentant une altération de leur boucle phonologique. C’est le cas des phrases dites « garden path » tel que par exemple « the boat floated down the river sank » interprétée avant le traitement du dernier mot comme « le bateau descend la rivière… » et dont l’analyse syntaxique doit être reconsidérée et le sens réinterprété en « le bateau échoué au fond de la rivière … » une fois que le dernier mot dont le sens « a coulé » incompatible avec la première analyse effectuée, a, à son tour, été traité (Caplan et Waters, 1990). Il en est de même de phrases donnant lieu à des interprétations divergentes respectivement dérivées de l'analyse syntaxique de l'énoncé et d'une interprétation pragmatique plausible (Waters, Caplan et Hildebrandt, 1991), de phrases comportant une quantité importante d’informations condensées et relativement arbitraires, de phrases qui rompent les règles conventionnelles de conversation, ou encore d’énoncés dont la compréhension nécessite des opérations cognitives supplémentaires (McCarthy et Warrington, 1990). Cependant, la conception de Caplan et Waters selon laquelle la boucle phonologique est impliquée dans des traitements linguistiques de seconde analyse est également mise en défaut par l'observation de patients qui présentent une altération de la boucle phonologique mais n'éprouvent pas de difficultés à interpréter ce type de phrases et notamment les « garden-path » (par exemple, Martin, 1993). Il apparaît en fait que les patients souffrant d’un déficit de la boucle phonologique ne présentent pas nécessairement les mêmes types de difficultés de 104 compréhension pour les mêmes types de structures de phrases. Cette hétérogénéité pourrait être le reflet d’une différence dans la gravité ou la nature (stock phonologique ou récapitulation articulatoire) du déficit de la boucle phonologique. Il semble néanmoins que les patients chez qui cette association a été décrite présentaient le plus souvent une altération du stock phonologique (Caplan et Waters, 1990). L’ensemble de ces données pourrait suggérer que la boucle phonologique n’est pas réellement impliquée dans la compréhension de phrases et que l’association entre déficit de la boucle phonologique et troubles de la compréhension serait simplement due à la proximité anatomique des lésions responsables de ces deux types de dysfonctionnement. Par ailleurs, d’autres composantes de rétention à court terme pourraient intervenir, comme nous allons le voir, dans la relation entre MCTV et compréhension verbale. L’implication d’un composant sémantique et syntaxique à court terme ? R.C. Martin, Shelton et Yaffee (1994) ont mis en évidence une double dissociation entre un déficit de rétention à court terme des informations phonologiques et un déficit de rétention à court terme des informations sémantiques présentés respectivement par deux patients, EA et AB, souffrant de troubles aphasiques suite à un accident vasculaire cérébral. Bien que tous deux eussent un empan réduit, leur profil de performances à diverses tâches impliquant la rétention à court terme était effectivement très différent. Ainsi, AB présentait les effets habituels des variables liées au composant phonologique c'est-à-dire, un meilleur rappel des items en présentation auditive qu'en présentation visuelle, un effet de récence et un effet de longueur. Par contre, son empan de mots n'était pas significativement supérieur à celui des non-mots. Rappelons que chez les sujets normaux, l'empan de mots est supérieur à celui des non-mots. EA présentait le profil inverse de celui de AB : le rappel était meilleur en présentation visuelle qu'auditive, elle ne présentait pas d'effet de récence et l'effet de longueur était minime. Son empan de mot était significativement supérieur à celui des non-mots. En outre, si les performances de AB en rappel de listes de lettres étaient meilleures que celles de EA, elles ne l'étaient pas lorsqu'il s'agissait de listes de mots concrets. Par ailleurs, dans une tâche consistant à juger si un motcible présenté immédiatement après une liste de mots, rimait avec un des mots de cette liste (« probe rhyming task » ou tâche de reconnaissance à court terme de rimes), les performances de AB étaient supérieures à celle de EA. Dans une tâche similaire mais consistant à juger si un mot-cible présenté immédiatement après une liste de mots appartenait à la même catégorie qu'un des mots de cette liste (« probe category task » ou tâche de reconnaissance à court terme de catégorie sémantique), les performances de AB étaient au contraire inférieures à celles de EA. La première tâche requiert spécifiquement la rétention d’informa- 105 tions phonologiques tandis que la seconde s’appuie spécifiquement sur la rétention d’informations sémantiques. Au total, le profil de performances de AB à ces différentes tâches semble pouvoir s’interpréter en terme de difficultés de rétention spécifiques aux informations sémantiques. EA, au contraire, présente le profil classique d'une altération du composant phonologique de la mémoire à court terme et sa rétention à court terme se base sur les informations sémantiques des items. L'ensemble de ces données suggère l'existence d'un composant sémantique qui contribuerait à la rétention à court terme des items verbaux mais qui serait indépendant du composant phonologique de la MCT. S'il existe une relation entre les capacités mnésiques impliquées dans les tâches d'empan et celles impliquées dans le traitement du langage, les déficits spécifiques de EA et de AB en MCTV devraient avoir des conséquences différentes sur le traitement des phrases. Les performances respectives de ces deux patients dans des tâches impliquant différents types de traitement de phrases vont effectivement en ce sens. En répétition de phrases, le patient présentant un déficit de rétention phonologique (EA) avait des performances inférieures à celles du patient présentant un déficit de rétention sémantique (AB). En compréhension de phrases, au contraire, EA, malgré ses difficultés de rétention phonologique, avait de meilleures performances que AB qui n'avait pourtant quant à lui pas de difficultés de rétention des informations phonologiques. Pour les auteurs, la double dissociation de performance mise en évidence dans les tâches de MCT est donc également observée dans les tâches de traitement de phrases quand on compare les performances de EA et AB en répétition et en compréhension. Selon ces données, les ressources mnésiques utilisées dans les tâches d'empan seraient les mêmes que celles utilisées dans le traitement de phrases. Par ailleurs, elles montrent que la mémoire à court terme impliquée dans le traitement des phrases est une mémoire à composantes multiples. Dans une autre étude, Martin et Romani (1994) ont comparé les performances des mêmes patients EA et AB ainsi que celles d’un autre patient aphasique, MW, à des tâches de « jugement de sens » consistant à juger si une phrase était ou non sémantiquement correcte et de « jugement de grammaticalité » consistant à juger si une phrase était ou non grammaticalement correcte. Chaque type de phrases comprenait en outre deux conditions, l’une permettant une intégration immédiate des informations sémantiques ou syntaxiques, l’autre ne le permettant pas et nécessitant dès lors la rétention temporaire de ces informations. EA, le patient avec troubles spécifiques de rétention des informations phonologiques, n'éprouvait pas plus de difficultés à effectuer des jugements de sens et de grammaticalité dans la condition ne permettant pas l’intégration des informations que dans la condition qui le permettait. En revanche, le patient 106 avec troubles spécifiques de rétention des informations sémantiques (AB), éprouvait des difficultés spécifiques à maintenir des informations sémantiques non intégrées. Quant à MW, qui contrairement aux deux autres patients ne présentait pas de réduction d'empan, il éprouvait des difficultés spécifiques à maintenir des structures syntaxiques incomplètes. Ces observations suggèrent qu’il pourrait exister un composant responsable de la rétention à court terme d'informations syntaxiques et qu’en outre, celui-ci ne serait pas impliqué dans les tâches d'empan verbal classique puisque MW a un empan verbal normal. En conclusion, ces données semblent montrer qu’il existerait à côté du composant phonologique de la MCTV, un composant sémantique et un composant syntaxique. Pour R.C. Martin et al. (1994), le composant phonologique jouerait un rôle dans la répétition de phrases mot à mot mais non dans leur compréhension. Les deux autres composants, respectivement responsables de la rétention des informations sémantiques et de la rétention des informations syntaxiques joueraient par contre un rôle dans la compréhension de certains types de phrases. Par ailleurs, l'implication de ces différents composants de rétention à court terme serait fonction du type de tâche concerné. Ainsi, une tâche d'empan de mots aura à la fois recours aux composants phonologique et sémantique de la MCT mais non au composant syntaxique, ce qui est à la fois intuitivement plausible et confirmé par les données. La répétition de phrases peut par contre faire intervenir ces trois composants. En effet, chez les sujets normaux, les phrases dont la longueur excède l'empan de mots, peuvent être répétées exactement (par exemple, Wingfield et Butterworth, 1984). Autrement dit, le nombre de mots qu'il est possible de répéter correctement est plus important quand ces mots sont inclus dans une structure propositionnelle que lorsqu'il constitue une simple liste. La structure sémantique et syntaxique des phrases contribue donc à améliorer le rappel (Tejirian, 1968). Inversement, il apparaît que ce composant n'est pas suffisant pour assurer une répétition mot à mot de la phrase car des patients avec altération de la boucle phonologique sont capables de paraphraser les énoncés (grâce au composant sémantique) mais pas de les répéter exactement (Saffran et Marin, 1975). Les influences mutuelles de la MCT et du langage : apport des approches interactives Dans l’approche de Baddeley (1986), les relations entre compréhension de phrases et MCTV ont été explorées en considérant ces deux aspects du fonctionnement cognitif comme deux ensembles de processus distincts, fonctionnant de façon relativement autonome. Les données recueillies par R.C. Martin et ses collaborateurs montrent que MCTV et traitement du langage sont au contraire 107 beaucoup plus étroitement associés. De même d’autres études chez le sujet normal ont clairement montré que les performances dans des tâches de MCTV sont influencées par les représentations phonologiques, lexicales et sémantiques à long terme. Ainsi, les performances dans des tâches de MCTV sont plus élevées pour des mots par rapport à des non-mots (effet de lexicalité, Hulme, Maughan, & Brown, 1991), pour des non-mots ayant une structure phonologique proche de mots par rapport à des non-mots peu ressemblants à des mots (effet des fréquences phonotactiques, Gathercole, Frankish, Pickering & Peaker, 1999 ; Gathercole, Willis, Emslie, & Baddeley, 1991), pour des mots fréquents par rapport à des mots peu fréquents (effet de fréquence lexicale, Roodenrys, Hulme, Alban, Ellis & Brown, 1994) et pour des mots à degré d’imagerie élevé versus faible (effet d’imagerie, Walker & Hulme, 1999). Ces effets ont été interprétés comme reflétant l’intervention d’un processus de « redintegration » qui reconstruit les traces temporaires et dégradées en MCTV à partir de leurs représentations à long terme (Hulme et al., 1991 ; Schweickert, 1993). Dans ce contexte, d’autres modèles plus interactifs ont été proposés qui modélisent de façon précise les interrelations étroites qui semblent exister entre traitement langagier et MCTV. Nous présentons ici deux de ces modèles interactifs et les données empiriques qui les sous-tendent. Le modèle d’activation interactive de N. Martin et E. Saffran (1992) N. Martin et Saffran (1992) ont proposé un modèle interactif qui n’envisage pas l’existence d’un système MCTV distinct du système impliqué dans les activités langagières. Ce modèle est basé sur le modèle d’activation interactive pour la production de mots de Dell (1986). L’architecture du modèle de N. Martin et Saffran se compose de trois niveaux : (1) des nœuds constituant les représentations phonologiques (chaque nœud représente un phonème) ; (2) des nœuds constituant des représentations lexicales (chaque nœud représente un mot, en regroupant plusieurs phonèmes) ; (3) des nœuds constituant des représentations sémantiques (chaque nœud représente un trait sémantique). Les nœuds des trois niveaux sont reliés par des connexions bidirectionnelles, proactives et rétroactives. Dans ce modèle, au temps T1, les nœuds phonologiques sont activés par l’input auditif. Au temps T2, l’activation des nœuds phonologiques se propage vers les nœuds lexicaux, le nœud lexical cible (Lt) étant activé, et également, mais de façon moins importante, d’autres nœuds reliés à la cible, soit phonologiquement (Lp), soit phonologiquement et sémantiquement (Lps). Au temps T3, l’activation des nœuds lexicaux se propage au niveau sémantique et, en même temps, une rétropropagation va se faire vers les nœuds phonologiques. Au temps 108 T4, le nœud lexical cible et les nœuds lexicaux reliés phonologiquement vont être réactivés à partir du feed-back provenant des niveaux phonologiques et sémantiques ; en même temps, des nœuds lexicaux reliés sémantiquement (Ls) à la cible seront activés à partir du niveau sémantique. Les nœuds Ls seront activés très tardivement dans le processus de sélection lexicale et leur probabilité d’être sélectionnés, en condition normale, ne sera pas très élevée. En effet, les nœuds phonologiques activés directement par l’input auditif vont rester activés jusqu’au moment de la sélection de l’item lexical cible, rendant peu probable la production d’erreurs pour la compréhension ou la répétition. Finalement, comme le nœud lexical cible reçoit plus d’activation que les nœuds lexicaux reliés phonologiquement et/ou sémantiquement, ce sera lui qui sera sélectionné pour générer une réponse. Comment ce modèle peut-il expliquer l’apparition d’erreurs lors de la compréhension et la répétition de mots, et comment ces erreurs peuvent-elles être mises en relation avec un déficit de la MCTV ? Le lien entre rétention à court terme et traitement de mots dans ce modèle se fait justement grâce à un paramètre très important de ce modèle, à savoir la vitesse de dégradation des activations. Ainsi, lors de la présentation d’un ou plusieurs mots, les différents nœuds phonologiques, lexicaux et sémantiques correspondants sont activés ; cependant cette activation est temporaire et se dégrade après un certain temps. Et c’est la durée de cette activation temporaire qui détermine la capacité de rétention de mots en MCTV. Plus simplement, dans ce modèle, la MCTV est représentée par la durée d’activation temporaire des différents nœuds phonologiques, lexicaux et sémantiques. Un déficit de la MCTV équivaut à une vitesse de dégradation de ces activations anormalement élevée. Un déficit de la durée d’activation temporaire des nœuds phonologiques, lexicaux et sémantiques aura des répercussions très précises à la fois pour le traitement de mots et la rétention à court terme. Ainsi, la sélection des réponses dans une tâche de répétition ou de compréhension se basera davantage sur le dernier niveau qui aura été activé, c’est-à-dire les nœuds lexicaux et sémantiques. En effet, l'activation de ces derniers reste plus élevée à ce moment dans la mesure où les nœuds phonologiques ont été activés plus tôt et sont par conséquent plus affectés par la vitesse de dégradation accélérée. Concrètement, en ce qui concerne la compréhension et la répétition, ceci entraînera une influence plus importante des informations lexicales et sémantiques dans le choix des réponses, rendant plus difficile le rejet de distracteurs phonologiques ; on observera également l’apparition d’un effet d’imagerie dans les tâches de compréhension. Pour le stockage à court terme, ceci impliquera également que les réponses produites vont dépendre davantage des représentations sémantiques et lexicales, 109 et on s’attendra à un effet de lexicalité (avantage des mots sur les non-mots) très marqué, avec un trouble important au niveau du stockage temporaire de nonmots, et une préservation de l’effet de primauté qui est censé dépendre davantage des activations sémantiques. L’effet de récence par contre sera absent puisqu’il est censé dépendre de l’activation des représentations phonologiques, lesquelles vont se dégrader très rapidement. Les premières données empiriques qui sont à la base du modèle de N. Martin et Saffran proviennent d’un patient aphasique, NC, qui présentait simultanément des troubles langagiers et un déficit de la mémoire à court terme (N. Martin & Saffran, 1992 ; N. Martin, Dell, Saffran, & Schwartz, 1994 ; N. Martin, Saffran & Dell, 1996). Le profil de performance de ce patient a été interprété comme résultant d’une accélération de la vitesse de dégradation des représentations phonologiques, lexicales et sémantiques, avec comme conséquence, une dépendance accrue vis-à-vis des informations sémantiques et lexicales dans des tâches de compréhension orale et également de répétition. De plus, ce patient présentait un déficit de la MCTV avec la préservation attendue de l’effet de primauté. Plus précisément, le patient NC présentait un trouble de la répétition très spécifique, signant une dysphasie profonde. La dysphasie profonde se caractérise par un effet d’imagerie et des paraphasies sémantiques en répétition de mots, ainsi que de très grandes difficultés à répéter des non-mots. En effet, NC répétait correctement 58 % de mots concrets, 17 % de mots abstraits, et 4 % de non-mots. De plus, dans une tâche de décision lexicale orale, un effet d’imagerie était observé : les mots avec degré d’imagerie élevé étaient mieux identifiés que les mots avec degré d’imagerie faible (60 % versus 20 %), alors que la même tâche était parfaitement réussie en modalité écrite. NC acceptait également beaucoup de distracteurs phonologiques dans une tâche de compréhension orale. Toutes ces données suggèrent que le traitement d’un input verbal auditif dépendrait fortement de l’activation de représentations lexicales et sémantiques, et ce en accord avec les prédictions du modèle. De même, au niveau des performances en MCTV, le patient présentait un empan de chiffres et de mots inférieur à 1, avec des effets de primauté marqués et une absence d’effets de récence. Majerus, Lekeu, Van der Linden, et Salmon (2001) ont également utilisé le modèle de N. Martin et Saffran pour interpréter les performances en répétition, en compréhension orale, et en MCTV d’un cas d’aphasie progressive primaire non fluente (le patient CO) qui s’exprimait par une dysphasie profonde. CO présentait, en répétition, un effet d’imagerie, avec un net avantage pour les mots concrets (66 % versus 10 %), un effet de lexicalité (63 % pour les mots et 4 % pour les non-mots) et il produisait des paraphasies sémantiques. De plus, ce 110 patient présentait également un profil de dysgraphie profonde, avec des effets d’imagerie et de lexicalité en écriture sous dictée et des paragraphies sémantiques. Ce profil de performance est compatible avec l’hypothèse d’une vitesse de dégradation accélérée dans un réseau interactif de représentations phonologiques, lexicales et sémantiques. Par ailleurs, les performances de CO dans des tâches de compréhension orale et de MCT étaient également déficitaires et dépendaient surtout de l’accès à des représentations lexicales et sémantiques et de leur feed-back. Ainsi ces données empiriques sont compatibles avec le modèle de N. Martin et Saffran (1992), lequel postule une relation étroite entre la compréhension orale et le stockage à court terme, par le biais de l’activation d’un réseau de représentations phonologiques, sémantiques et lexicales. Des modèles alternatifs ont cependant été proposés qui, tout en postulant une interdépendance entre les représentations langagières et la MCTV, distinguent néanmoins des systèmes de traitement différents pour la MCTV et le traitement langagier. Le modèle de R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999) que nous présentons maintenant est un modèle interactif de ce type. Le modèle interactif de R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999) Le modèle de R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999) distingue également des niveaux de représentations phonologique, lexicale et sémantique, niveaux qui sont reliés par des connexions bidirectionnelles, assurant des boucles proactives et rétroactives. Par ailleurs, R.C. Martin et al. distinguent deux niveaux de représentation phonologique : des représentations phonologiques d’entrée et des représentations phonologiques de sortie. Finalement, des systèmes spécifiques et distincts dédiés au stockage en MCTV sont connectés à ces représentations langagières. Par ailleurs, ces systèmes de stockage temporaire, nommés ici « buffers », sont spécifiques à l’information qui doit être stockée, les auteurs distinguant un « buffer » phonologique d’entrée, relié aux représentations phonologiques d’entrée, un « buffer » phonologique de sortie relié aux représentations phonologiques de sortie, et un « buffer » lexico-sémantique, relié aux représentations lexicales. Dans ce modèle, les représentations langagières et les « buffers » interagissent étroitement dans des tâches de stockage à court terme et de langage. En effet, lors de la présentation d’un mot pour une tâche de compréhension, tant les niveaux phonologique, lexical, que sémantique seront activés et vont interagir, de la même façon que dans le modèle de N. Martin et Saffran (1992). Néanmoins, une trace des stimuli sera maintenue dans les « buffers », et un feed-back allant des différents « buffers » vers leurs niveaux de représentation langagière 111 respectifs va contribuer à garder cette information active. De même, dans des tâches de rétention à court terme, les représentations langagières vont interagir avec les traces stockées temporairement dans les « buffers » afin de soutenir les traces qui sont en train de se dégrader. Ainsi, un déficit à un niveau de représentation déterminé va également affecter le maintien temporaire des informations dans le « buffer » correspondant, car ces représentations ne pourront plus maintenir les activations dans les « buffers ». La raison pour laquelle R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999) ont proposé l’existence de buffers, en plus des activations temporaires de représentations langagières, tient au fait que les buffers permettent de stocker l’ordre sériel des items d’une liste présentée lors d’une tâche de MCTV. En effet, il est difficile d’imaginer comment l’ordre sériel d’items, et surtout le doublement d’un item dans une série de stimuli, pourrait être représenté à l’intérieur d‘un modèle unitaire comme celui de N. Martin et Saffran (1992), lequel ne prévoit pas de mécanisme pour la rétention de l’ordre. Les données empiriques qui appuient la distinction entre des buffers phonologiques d’entrée et de sortie proviennent d’études de cas de patients qui présentent de bonnes performances à des tâches de MCT en réception, mais de mauvaises performances à des tâches de MCT en production (voir par exemple le cas MS de R.C. Martin et al., 1999, eux-mêmes, mais également, Allport, 1984 ; Howard & Franklin, 1988, 1990 ; Monsell, 1987 ; Romani, 1992). Cependant, il est difficile de trouver la dissociation inverse (c’est-à-dire une préservation des performances à des tâches de MCT en production et un déficit pour des tâches de MCT en réception), dans la mesure où un déficit au niveau du « buffer » phonologique d’entrée va automatiquement entraîner une chute des performances dans des tâches de MCT en production, lesquelles impliquent à la fois une rétention temporaire de l’information présentée en entrée et un maintien des informations phonologiques dans le « buffer » phonologique de sortie pour la production. En ce qui concerne la dissociation entre le « buffer » sémantique et les « buffers » phonologiques, et leur relation respective avec le traitement des phrases, les données empiriques ont été présentées précédemment avec l’étude des cas EA et AB. Le modèle de R.C. Martin, Lesch, et Bartha (1999) permet également d’interpréter le profil de performance du patient CO (Majerus et al., 2001) décrit précédemment, et ce, en suggérant que ses problèmes de compréhension verbale et de MCTV peuvent être expliqués par un déficit affectant les buffers phonologiques. En effet, lorsque les traces se dégradent trop rapidement dans les « buffers » phonologiques, alors les interactions avec les représentations phonologiques ne peuvent plus se réaliser, ce qui entraîne également des problèmes de 112 traitement au niveau des représentations phonologiques (en se souvenant que le feed-back venant des « buffers » phonologiques est nécessaire pour maintenir actives les représentations phonologiques). Par conséquent, les traitements langagiers, et y compris la compréhension de mots et de phrases, vont beaucoup plus se baser sur les représentations lexicales et sémantiques lesquelles sont traitées normalement, du fait que le « buffer » lexico-sémantique fonctionne normalement. Ainsi on observe chez CO des effets d’imagerie et de lexicalité en répétition et en compréhension orale, et un déficit important dans des tâches de MCT impliquant un stockage phonologique. En conclusion, nous avons présenté deux modèles interactifs, tentant d’expliquer les relations qui existent entre MCT et compréhension verbale. Les deux modèles se différencient par le fait qu’ils postulent ou non des systèmes de MCTV (des « buffers ») distincts des représentations langagières. Cependant, les deux modèles présentés prédisent que le traitement au niveau des représentations langagières et le stockage temporaire d’informations verbales sont en interaction étroite. Les données empiriques que nous avons présentées illustrent clairement cette interaction. L’existence d’une MCTV distincte des représentations langagières a l’intérêt de pouvoir expliquer plus facilement la rétention de l’ordre sériel des items dans une tâche de MCT, ce qui pourrait donner un certain avantage au modèle de R.C. Martin, Lesch, et Bartha (1999). Cependant, l’étude du patient CO (Majerus et al., 2001) a montré que le profil de performance de ce patient pouvait être tout aussi bien expliqué dans le cadre du modèle de N. Martin et Saffran (1992) que dans celui de R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999). Certaines données suggèrent également la nécessité de différencier différents systèmes de stockage à court terme selon l’information qui doit être stockée (buffers sémantique, phonologique, ou syntaxique). Cependant la contribution précise de ces « buffers » à la compréhension verbale, ainsi que leur influence spécifique sur le type d’erreurs pouvant être produites, doivent encore être explorées de façon plus approfondie. L’administrateur central de la mémoire de travail et la compréhension des phrases Dans les parties précédentes, nous avons considéré les relations entre des systèmes de stockage passif et de la compréhension langagière. Nous allons maintenant aborder le rôle d’un composant plus actif et exécutif, notamment l’administrateur central. Selon Just et Carpenter (1992), l’administrateur central de Baddeley (1986) est impliqué dans la compréhension de phrases, et ceci à la fois pour le stockage et le traitement de phrases ; en outre, il a des capacités limitées. De façon la plus importante, cette limitation des capacités peut varier 113 d’un sujet à l’autre, et ce serait justement ces différences inter-individuelles dans les capacités de l’administrateur central qui auraient une influence sur la compréhension de phrases. Cette capacité de l’administrateur Span Test et sera décrite en détail dans Notons cependant que le Reading Span mot de chaque phrase d’un ensemble de mesure d’empan de lecture. est en général évalué par le Reading notre deuxième article de ce volume. Test implique la rétention du dernier 2 à 6 phrases et permet d’obtenir une Un certain nombre d’études ont ainsi montré une forte relation entre les performances au Reading Span Test et les capacités de compréhension de phrases. Par exemple, des corrélations élevées ont en effet été observées entre les performances au Reading Span Test et d'une part la capacité à répondre à des questions sur un texte et d'autre part l’intelligence verbale. Par ailleurs, Just et Carpenter (1992) ont montré que les sujets avec un empan de lecture élevée, contrairement aux sujets avec un empan de lecture faible, utilisaient plus la signification des phrases lors de leur traitement syntaxique initial. De même, ils ont observé que, contrairement à des sujets avec empan de lecture bas, les sujets avec empan de lecture élevé traitaient les phrases avec un « garden path » (phrases ambiguës) plus lentement que des phrases non ambiguës (en particulier, dans la partie de la phrase dans laquelle l’ambiguïté était résolue) : en d’autres termes, les sujets avec empan faible traitaient les phrases ambiguës comme si elles n’étaient pas ambiguës. La théorie de la capacité a également été appliquée aux troubles du langage observés chez les patients cérébro-lésés. Selon Miyake et al. (1994, 1995 ; voir aussi Haarman, Just & Carpenter, 1997 ; Caspari et al., 1994), ce qui caractérise les patients aphasiques, c’est une réduction de la capacité de leur administrateur central. En conséquence, pour ces auteurs, les performances en compréhension des patients aphasiques diffèrent seulement quantitativement, et pas qualitativement, de celles des sujets normaux. Cependant, cette interprétation a des difficultés pour rendre compte des doubles dissociations qui ont été observées entre les traitements sémantiques versus syntaxiques, ou même au sein des traitements syntaxiques, entre différents types de phrases, chez des patients aphasiques (voir Martin, 1995 ; Caplan & Hildebrandt, 1988). De façon plus générale, la difficulté essentielle dans l’exploration des relations entre administrateur central et compréhension tient au fait que cette composante est encore assez mal spécifiée et que différentes fonctions lui ont été assignées. Des études ultérieures devraient être menées afin, par exemple, d’explorer les relations spécifiques qu’entretient la compréhension avec les dif- 114 férentes fonctions de l’administrateur central telles que définies par Miyake et al. (2000 ; mise à jour, shifting, inhibition, et coordination de doubles tâches). De ce point de vue, une étude de Whitney et al. (2001) suggère, par exemple, que la performance au Reading Span Test est sous-tendue, non pas par une fonction unique mais au moins par deux facteurs : la capacité de manipulation et la sensibilité à l’interférence. Récemment, Caplan et Waters (1999) ont suggéré que les systèmes de mémoire de travail impliqués dans les processus interprétatifs et post-interprétatifs d’une phrase étaient différents. Les processus interprétatifs consistent à extraire de la signification à partir d’un signal linguistique : traitement des mots reconnus, appréciation de leur signification et de leurs caractéristiques syntaxiques, construction des représentations syntaxiques et prosodiques, assignation des rôles thématiques et des autres aspects de la sémantique propositionnelle et du discours. Quant aux processus post-interprétatifs, ils utilisent la signification pour accomplir d’autres tâches telles que stocker l’information en mémoire à long terme, raisonner, planifier l’action, apparier une signification à une image, etc. Plus précisément, Caplan et Waters (1999) considèrent que les processus interprétatifs dépendent de la capacité d’un système de stockage temporaire spécifiquement dédié au traitement syntaxique. Par contre, l’administrateur central et/ou la boucle phonologique jouerait un rôle dans le maintien du contenu propositionnel et ce, afin d’accomplir d’autres tâches, comme par exemple apparier la signification à une image (c’est-à-dire des processus postinterprétatifs). Cette conception est appuyée par de nombreuses données obtenues par Caplan et Waters et montrant que des patients présentant un trouble de la boucle phonologique ou de l’administrateur central (patients Alzheimer ou Parkinson) conservent la capacité d’utiliser la structure syntaxique pour déterminer la signification d’une phrase, peuvent comprendre des phrases très complexes, et ne manifestent pas d’effet accru de la complexité syntaxique, même en condition de double tâche. Par contre, les auteurs observent, chez ces patients, un effet du nombre de propositions (c’est-à-dire du nombre d’appariement phrases-images à effectuer). ♦ Mémoire à court terme et apprentissage de nouveaux mots Enfin, nous examinerons brièvement l’implication de la MCTV dans des aspects plus strictement productifs du traitement langagier, en nous centrant sur les relations entre un déficit de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales et l’acquisition de nouvelles formes phonologiques, nécessaires pour apprendre un nouveau vocabulaire productif. 115 Un certain nombre d'études ont ainsi décrit le cas de patients cérébrolésés présentant une association entre un déficit sévère en MCTV et des difficultés à apprendre des paires d'items constituées d'un mot et d'un non-mot alors que leur capacité à apprendre des associations arbitraires entre deux mots de leur langue maternelle était tout à fait normale (par exemple, la patiente PV ; Baddeley, Papagno et Vallar, 1988 ; Trojano et Grossi, 1995). De plus, c’était surtout le stock phonologique selon le modèle de Baddeley qui était déficitaire chez ces patients. Le même type d'association a été mis en évidence chez des personnes présentant un déficit développemental de leur MCTV (patient SR, Baddeley, 1993 ; patient QU, Gathercole et Baddeley, 1990 ; patient BS, Hanten et Martin, 2001). Il est également intéressant de noter que le patient BS de Hanten et Martin (2001), à côté de ses difficultés à apprendre des associations motnon-mot, présentait également des difficultés dans des tâches d’écriture sous dictée et pour la prise de note lors d’exposés oraux. Par ailleurs, de nombreuses études ont relevé des déficits en MCTV chez des enfants présentant des troubles développementaux du langage (voir par exemple, Bishop, North et Donlan, 1996 ; Dollaghan et Campbell, 1998 ; Edwards et Lahey, 1998 ; Gathercole et Baddeley, 1990 ; Montgomery, 1995 ; Weismer, Tomblin, Zhang, Buckwalter, Chynoweth et Jones, 2000). Selon Baddeley, Gathercole et Papagno (1998), l'une des caractéristiques typiques de ces troubles développementaux du langage consiste précisément en un retard dans le développement du vocabulaire. De plus, Gathercole et Baddeley (1990) ont montré que chez ce type d'enfants, les performances en répétition de non-mots sont inférieures à celles d'enfants plus jeunes de même niveau de développement du langage (voir également James, van Steenbrugge, et Chiveralls, 1994 ; Montgomery, 1995 pour des données similaires). Bishop et al. (1996) ont aussi montré que chez des enfants dont les troubles du langage s'étaient résolus au cours du temps, les difficultés en répétition de non-mots subsistent tout autant que chez les enfants qui ont conservé leurs troubles du langage. Ces données indiquent que ce sont les difficultés en MCTV phonologique qui ont un effet sur le développement du vocabulaire et non l'inverse (voir Van der Lely et Howard, 1993, et Gathercole et Baddeley, 1995 pour un débat contradictoire sur la question). Par ailleurs, les faibles performances de ces enfants en répétition de non-mots ne peuvent pas être attribuées à une perception déficitaire des stimuli verbaux à rappeler, ni à des troubles dans la planification et l'exécution des mouvements articulatoires. En effet, les mesures de discrimination de paires de non-mots ne différant que par un trait articulatoire et les mesures de la latence et de la rapidité de l'articulation ont des valeurs semblables chez les enfants avec troubles du langage et les enfants contrôles (Edwards et Lahey, 1998 ; Gathercole et Baddeley, 1990 ; Montgomery, 1995). 116 ♦ Conclusion Comme le montre cette revue de littérature, il paraît incontestable que la capacité de rétention à court terme d’informations auditivo-verbales influence et est influencée par les capacités de traitement langagier réceptif et productif. Cependant, il subsiste un certain nombre de questions concernant par exemple le nombre de systèmes de stockage temporaire – un, deux ou voire même trois ? Face à cette incertitude théorique se pose la question de l’implication précise des différents composants de stockage à court terme dans le traitement langagier productif et réceptif, surtout par rapport aux relations entre compréhension de phrases et capacités de stockage à court terme. Aussi paraît-il important de mieux dissocier les niveaux de traitement phonologique et lexico-sémantique, voire syntaxique, à la fois au niveau de l’élaboration de tâches censées mesurer les capacités de MCTV et au niveau des tâches langagières auxquelles les tâches de MCTV sont censées être comparées. En conclusion, il apparaît que la MCTV ne peut être conceptualisée indépendamment des niveaux de représentation langagière. Les approches interactives illustrent clairement cette démarche et présentent des modèles du traitement langagier et de la MCTV qui permettent des prédictions très précises quant au profil de performance dans des tâches langagières et de stockage temporaire en cas d’un déficit de la MCTV. Cependant, la validité et l’utilité clinique de ces nouvelles approches devront être explorées dans des travaux futurs. 117 REFERENCES ALLPORT, D. A. (1984). Auditory verbal short-term memory and conduction aphasia. In H.Bouma & D. G. Bouwhuis (Eds.) : Attention and Performance X : Control and language processes (pp. 351364). Hillsdale, N.J. : Erlbaum. BADDELEY, A. D. (1993). Short-term phonological memory and long-term learning : A single case study. European Journal of Cognitive Psychology, 5, 129-148. BADDELEY, A. (1986). Working memory. Oxford, England UK : Clarendon Press/Oxford UNIVERSITY PRESS. BADDELEY, A., GATHERCOLE, S., & PAPAGNO, C. (1998). 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Remerciements Ce travail a été réalisé en partie grâce à un mandat de recherche « Aspirant FNRS » du Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique, attribué à Steve Majerus. 120 Troubles de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales : évaluation et prise en charge Martine Poncelet, Steve Majerus, Martial Van der Linden Résumé Dans cet article, les différents outils d’évaluation des troubles de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales sont présentés, en fonction de différents modèles théoriques. Sont ainsi abordés l’évaluation de la boucle phonologique selon le modèle de Baddeley (1986), l’évaluation des interactions entre rétention à court terme et mémoire à long terme, ainsi que l’évaluation de l’administrateur central selon les conceptions de Baddeley (1986) et de Just et Carpenter (1992). Finalement, des perspectives de prise en charge d’un déficit de la rétention à court terme d’informations auditivo-verbales seront proposées. Mots clés : évaluation, mémoire à court terme verbale. Disorders of short-term retention of auditory-verbal information : evaluation and treatment Abstract This paper presents different tools for the evaluation of short-term retention of auditory-verbal information according to different theoretical models of short-term memory. The following points are discussed : (1) the assessment of the phonological loop within Baddeley's (1986) working memory model ; (2) the assessment of interactions between short-term and long-term retention; (3) the assessment of the central executive function according to Baddeley's (1986) and Just and Carpenter's (1992) models. Finally, various treatment perspectives for auditory-verbal short-term memory impairments are proposed. Key Words : assessment, verbal short-term memory. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 121 Martine PONCELET 1 Steve MAJERUS 1 Martial VAN DER LINDEN 1, 2 L a rétention à court terme d’informations auditivo-verbales est une opération cognitive complexe, nécessitant l’intervention de nombreux composants cognitifs ayant des fonctions différentes. Ainsi, le modèle classique de Baddeley (1986) distingue un administrateur central amodal, de capacité limitée, aidé par deux systèmes esclaves responsables du maintien temporaire de l'information, la boucle phonologique et le registre visuo-spatial (voir Poncelet, Majerus et Van der Linden, 2001a, ce numéro). Ces systèmes sont censés être indépendants des représentations langagières à long terme. D’autres auteurs ont proposé des modèles plus interactifs, en envisageant les systèmes de stockage temporaire comme étant en dépendance directe des représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme (p.ex. N. Martin et Saffran, 1992 ; R.C. Martin, Lesch et Bartha, 1999 ; voir Poncelet, Majerus et Van der Linden, 2001a, ce numéro). Ainsi R.C. Martin, Lesch et Bartha (1999) distinguent trois systèmes de stockage temporaire : un buffer phonologique d’entrée destiné au stockage temporaire des informations phonologiques qui ont été reçues (compréhension), un buffer phonologique de sortie destiné au stockage temporaire des informations phonologiques qui doivent être produites (production), et un buffer lexico-sémantique dédié au stockage temporaire d’informations lexico-sémantiques. Ces différents systèmes de stockage sont en interaction étroite avec les représentations phonologiques d’entrée et de sortie, ainsi qu’avec les représentations lexico-sémantiques. Ainsi, la dégradation des traces temporaires dans les différents buffers est empêchée grâce à des réactivations venant des niveaux de représentation phonologique et lexicosémantique à long terme. 1 Service de Neuropsychologie, Université de Liège, Belgique 2 Unité de Psychopathologie Cognitive, Université de Genève, Suisse Adresse pour correspondance : Martine Poncelet Service de Neuropsychologie, boulevard du Rectorat, 3 (B33), 4000 Liège, Belgique tel : 0032 4 3662399 - fax : 0032 4 3662808 - email : [email protected] 122 Dans cet article, nous aborderons l’évaluation des divers systèmes de rétention à court terme verbale qui jouent un rôle dans les traitements du langage, ou sont en interaction étroite avec ceux-ci, selon le type d'approches évoquées (classique ou interactives). Nous envisagerons tout d'abord l’évaluation de la boucle phonologique selon Baddeley (1986) avant d'aborder l’évaluation des interactions entre rétention à court terme et représentations phonologiques et sémantiques à long terme selon les approches interactives. Finalement, nous présenterons des outils d’évaluation de l’administrateur central selon Baddeley (1986) et Just et Carpenter (1992). En même temps, les conséquences d’un déficit au niveau de ces différents composants pour le traitement langagier réceptif et productif seront brièvement présentées et discutées. Dans une dernière partie, nous présenterons des perspectives de prise en charge d’un déficit du stockage temporaire d’informations auditivo-verbales. ♦ Evaluation des troubles de la boucle phonologique du modèle de Baddeley (1986). Une des fonctions principales de la boucle phonologique est le stockage temporaire d’informations verbales, présentées auditivement ou visuellement. La boucle phonologique se compose d’un stock phonologique et d’un processus de récapitulation articulatoire. Le stock phonologique reçoit directement et obligatoirement l’information verbale présentée auditivement, qu’il stocke sous la forme de codes phonologiques. L’information n’est maintenue dans le stock phonologique que pendant une durée fort brève (de l’ordre de 1.5 - 2 secondes selon Baddeley, Thomson et Buchanan, 1975). Cependant, le mécanisme de récapitulation articulatoire permet de rafraîchir l’information en la réintroduisant dans le stock phonologique. Il permet également le transfert de l’information verbale présentée visuellement (lue) vers le système de stockage phonologique. L’évaluation de la boucle phonologique est importante chez le patient cérébro-lésé, dans la mesure où les patients avec un trouble au niveau du stock phonologique peuvent avoir des difficultés importantes pour l’acquisition de nouvelles formes phonolo giques (par exemple, pour l’apprentissage du vocabulaire d’une langue étrangère) ou pour l’écriture sous dictée et la prise de note lors de réunions ou de cours (patiente PV, Baddeley, Papagno et Vallar, 1988 ; patient QU, Gathercole et Baddeley, 1990 ; patient SR, Baddeley, 1993 ; patient BS, Hanten et R.C.Martin, 2001). Un déficit de la boucle phonologique est en général mis en évidence par des performances fortement réduites dans des tâches classiques telles que l’em- 123 pan de chiffres et l’empan de mots. Dans ces tâches, on présente oralement des séquences de chiffres ou de mots de longueur croissante pour un rappel sériel immédiat (RSI) (1), à raison de plusieurs essais par longueur, et on détermine le niveau d’empan, par exemple la longueur de séquence la plus élevée où plus de 50 % des séquences sont correctement rappelées et dans le bon ordre (voir tableau 1). Le rythme de présentation des items est d’un item par seconde. Alors que les sujets normaux ont en général un empan de chiffres de 6-7 et un empan de mots de 5-6, les patients avec un déficit au niveau du stockage temporaire d’informations phonologiques ont des empans de chiffres et de mots variant entre 2-3. Une autre façon d’évaluer l’intégrité de la boucle phonologique est d’administrer une tâche de répétition de non mots (Gathercole et al., 1991), qui a notamment l’avantage d’exclure toute influence possible venant des représentations lexico-sémantiques stockées en mémoire à long terme. Dans cette tâche, on présente des non-mots avec un nombre de syllabes croissant (2-8), et on détermine la longueur de non-mot la plus élevée pour laquelle un essai sur trois est correctement rappelé ; de même, on pourra également prendre comme mesure le nombre total de non-mots et de syllabes correctement rappelés sur l’ensemble de l’épreuve (voir Poncelet et Van der Linden, 2001). (1) RSI = rappel sériel immédiat : une séquence de 2, 3, 4, 5, 6, 7 ou 8 items est présentée oralement, et on demande au sujet de la répéter dans le bon ordre, immédiatement après sa présentation. Tableau 1. Tableau récapitulatif des mesures principales utilisées pour évaluer le fonctionnement de la mémoire à court terme verbale 1 RSI = Rappel sériel immédiat ; 2 Empan = séquence la plus longue où plus de 50 % des essais sont correctement rappelés ; 3 NICR = nombre total d’items correctement rappelés, indépendamment de la position sérielle, sur tous les essais de l’épreuve ; 4 NPCR = nombre total d’items correctement rappelés, en fonction de la position sérielle correcte, sur tous les essais de l’épreuve. 124 Cependant, une réduction de l’empan de chiffres ou de mots ne nous renseigne pas sur le composant de la boucle phonologique qui serait déficitaire : le stock phonologique ou le mécanisme de récapitulation articulatoire. La présence ou l’absence de certains effets caractéristiques de la boucle phonologique permet justement de dissocier un trouble au niveau des deux composants de la boucle phonologique, notamment les effets de similitude phonologique, de longueur, et de suppression articulatoire. L’effet de similitude phonologique est caractéristique du fonctionnement du stock phonologique et consiste, chez le sujet normal, en un empan plus élevé pour des listes de mots phonologiquement dissemblables par rapport à des listes de mots phonologiquement semblables (Conrad et Hull, 1964 ; Baddeley, 1966). Pour mettre en évidence cet effet, on administre des séquences de mots de longueur croissante qui doivent être rappelées correctement et dans le bon ordre, selon la même procédure que l’empan de chiffres et l’empan de mots. Dans la condition comportant des items phonologiquement semblables, tous les mots présentés dans une séquence seront très proches d’un point de vue phonologique en utilisant des mots unisyllabiques et qui partagent tous la même voyelle (exemples : doigt, poids, choix, roi, bois, …) ; dans l’autre condition, les listes seront composées de mots unisyllabiques, mais qui ont des voyelles et des consonnes différentes (exemples : camp, pied, clou, sol, mur, …). Il est important que la fréquence lexicale et le degré d’imagerie soient équivalents pour les deux listes, afin que les items soient appariés sur tous les paramètres, excepté la variable « similitude phonologique ». L’effet de similitude phonologique est observé pour du matériel verbal présenté visuellement ou verbalement (Baddeley, Lewis et Vallar, 1984). Ceci serait lié au fait que le stock phonologique se fonde essentiellement sur un code phonologique. Pour des items qui se ressemblent phonologiquement, ce code phonologique sera très semblable, ce qui rendra plus difficile la discrimination et donc la récupération des différents items. L’absence de cet effet témoigne en principe d’un déficit au niveau du stock phonologique. L’effet de longueur est caractéristique du fonctionnement du processus de récapitulation articulatoire, et se traduit, chez le sujet normal, par un empan plus élevé pour les mots courts comparés aux mots longs (Baddeley et al., 1975). Pour mesurer cet effet, la procédure est exactement la même que pour l’effet de similarité phonologique, en contrastant dans des tâches d’empan, des listes de mots longs (par exemple, bibliothèque, kilomètre, escalier) et de mots courts (par exemple, sol, mur, bec). De nouveau, il faudra veiller à ce que les deux listes soient appariées au niveau de la fréquence lexicale et du degré d’imagerie. Cet effet de longueur est considéré comme étant sous la dépendance du processus de récapitulation articulatoire dans le sens où les mots longs prennent plus 125 de temps à être récapitulés que les mots courts, ce qui entraîne un effacement de la trace mnésique des mots précédents avant que ces mots puissent être réintroduits dans le stock phonologique par l'intermédiaire de la récapitulation articulatoire. L’absence de l’effet de longueur témoigne en principe d’un déficit au niveau du processus de récapitulation articulatoire. Par ailleurs, un patient dont le mécanisme de récapitulation articulatoire est déficitaire devrait présenter encore un effet de similitude pour les informations présentées oralement, mais pas visuellement. Ceci est lié au fait qu’en présentation visuelle, le mécanisme de récapitulation articulatoire est indispensable pour introduire du matériel verbal présenté en modalité visuelle dans le stock phonologique ; en cas de suppression de ce mécanisme, le matériel verbal présenté visuellement ne pourra donc plus être introduit dans le stock phonologique ; par contre, en présentation auditive, le matériel verbal bénéficie d’un accès direct au stock phonologique (Baddeley et al., 1984). Chez le sujet contrôle, le mécanisme de récapitulation articulatoire peut être rendu non fonctionnel en faisant répéter au sujet de façon continue une même syllable « blablablabla… » pendant la présentation des séquences de mots à retenir ; le fait de devoir récapituler sans cesse la syllabe « bla » occupe ce processus et le rend ainsi inutilisable pour rafraîchir les traces des stimuli à retenir. Dans ce cas, on parle d’effet de suppression articulatoire et on observe un effet de similitude phonologique présent en modalité auditive, absent en modalité visuelle ainsi qu’une absence d'effet de longueur. Cependant, il faut remarquer que les effets de longueur et de similitude phonologique ne sont pas systématiquement présents chez le sujet normal. Ainsi, Logie, Della Salla, Laiacona, Chalmers et Wynn (1996) ont montré que dans un échantillon de 251 sujets normaux, au moins un des deux effets était absent chez 43 % des sujets. En retestant 40 sujets dont 20 n'avaient pas présenté au moins un des deux effets, l’apparition ou la non-apparition d’un effet de longueur ou de similitude phonologique lors de la première session était un prédicteur médiocre de l’occurrence de ces effets lors de la deuxième session. Pour cette raison, avant de conclure prématurément à un déficit soit au niveau du stock phonologique, soit au niveau du processus de récapitulation articulatoire pour un patient chez qui les effets respectifs sont absents, nous conseillons de réadministrer les tâches respectives plusieurs fois. La dissociation entre stock phonologique et mécanisme de récapitulation articulatoire a, par ailleurs, été confirmée par des études neuropsychologiques. Par exemple, la patiente PV (Vallar et Baddeley, 1984) a été considérée comme ayant un déficit affectant le stock phonologique alors que le patient RO décrit par Belleville, Peretz et Arguin (1992) présentait un dysfonctionnement du processus de récapitulation articulatoire. Chez le patient RO, on n'observait pas 126 d'effet de longueur pour du matériel verbal en modalité auditive ou visuelle, pas d'effet de similitude phonologique en modalité visuelle, et pas d'effet de suppression articulatoire. La patiente PV montrait un effet de similitude phonologique en présentation auditive mais pas en présentation visuelle ; elle ne manifestait pas d'effet de longueur en présentation auditive mais bien en présentation visuelle, du moins quand on l'encourageait à utiliser la récapitulation articulatoire. Vallar et Baddeley (1984) ont interprété le déficit de PV en suggérant que son stock phonologique était disponible (au vu de la présence d'un effet de similitude phonologique en présentation auditive) mais qu'il était de capacité réduite. Le processus de récapitulation articulatoire était par contre intact (comme l'attestait l'absence de déficit articulatoire). Dans cette perspective, l'absence d'effet de longueur serait le reflet d'un choix stratégique dans la mesure où il serait peu efficace pour la patiente d'utiliser la récapitulation articulatoire pour rafraîchir des traces phonologiques stockées dans un système déficient et d'y conduire une information verbale présentée visuellement. ♦ Les interactions entre stockage temporaire et représentations phonologiques et sémantiques à long terme Comme nous l’avons démontré précédemment (Poncelet, Majerus et Van der Linden, ce numéro), les représentations phonologiques et lexico-sémantiques semblent influencer le stockage temporaire de mots et même de nonmots. Ainsi, on observe dans des tâches d’empan ou de RSI un avantage pour les mots par rapport aux non-mots (effet de lexicalité), pour les mots fréquents par rapport aux mots peu fréquents (effet de fréquence lexicale), pour les mots avec un degré d’imagerie élevé par rapport aux mots avec un degré d’imagerie faible (effet d’imagerie) et finalement pour des non-mots composés d’associations de phonèmes fréquentes par rapport à des non-mots composés d’associations de phonèmes peu fréquentes (effet des fréquences phonotactiques). Ces effets ont été interprétés comme reflétant l’intervention de représentations lexico-sémantiques et phonologiques à long terme qui permettent de reconstruire et de compléter les traces temporaires partiellement dégradées, au moment de leur rappel (« redintegration hypotheses ») (Bourassa et Besner, 1994 ; Brooks et Watkins, 1990 ; Gathercole, Frankish, Pickering et Peaker, 1999; Gathercole, Willis, Emslie et Baddeley, 1991 ; Gregg, Freedman et Smith, 1989 ; Hulme, Maughan et Brown, 1991 ; Hulme, Newton, Cowan, Stuart et Brown, 1999 ; Hulme, Roodenrys, Brown et Mercer, 1995 ; Hulme, Roodenrys, Schweickert, Brown, Martin et Stuart, 1997 ; Poirier et Saint-Aubin, 1996 ; Roodenrys, Hulme, Alban, Ellis et Brown, 1994 ; Schweickert ; 1993 ; Tehan et Humphreys, 1988 ; Walker et Hulme, 1999 ; Watkins, 1977 ; Watkins et 127 Watkins, 1977). Des modèles plus interactifs ont également été proposés qui considèrent le stockage temporaire d’informations auditivo-verbales comme étant en étroite interaction avec les représentations langagières, pas seulement au moment du rappel pour reconstruire les traces dégradées, mais tout au long de leur maintien temporaire, grâce à une réactivation des traces temporaires par les représentations en mémoire à long terme (N. Martin et Saffran, 1992 ; R.C. Martin et al., 1999). L’évaluation ou la présence de ces différents effets peut être particulièrement utile afin de connaître de façon précise les différents facteurs et représentations qui influencent les performances dans des tâches de stockage temporaire chez un patient déterminé. Il est ainsi possible qu’un patient avec un déficit de la rétention à court terme ait un empan de non-mot déficitaire, mais un empan de mot normal car il peut utiliser les connaissances stockées en mémoire à long terme pour les mots, mais pas pour les non-mots. L’inverse est également possible : un patient peut avoir un empan de mot particulièrement déficitaire, mais un empan de non-mot plus préservé. Ceci a notamment été observé chez des patients atteints d’une maladie neuro-dégénérative touchant les substrats cérébraux des représentations lexico-sémantiques (démence sémantique ; Knott, Patterson et Hodges, 1997) et reflète une absence d’influence des représentations lexico-sémantiques sur le stockage temporaire, suite à une dégradation de ces représentations. Par ailleurs, l’investigation des influences phonologiques et lexicosémantiques sur le stockage temporaire est également très importante dans la mesure où certains auteurs ont postulé des systèmes de stockage spécifiques pour les informations phonologiques perçues, les informations phonologiques à produire, et les informations sémantiques (R.C. Martin et al., 1999). Ainsi, R.C. Martin et al. (1999). R.C. Martin, Shelton et Yaffee (1994) et R.C. Martin et Romani (1994) ont décrit des patients qui avaient des difficultés spécifiques pour la rétention à court terme d’informations lexicales et sémantiques, alors que leur capacité de stockage temporaire d’informations phonologiques était préservée, et des patients qui présentaient un profil inverse (voir Poncelet, Majerus et Van der Linden, ce numéro). Néanmoins, pour pouvoir conclure à un déficit spécifique au niveau des buffers phonologiques ou lexico-sémantiques, il faut s’assurer que les représentations phonologiques et lexico-sémantiques ellesmêmes ne soient pas dégradées. Par exemple, des difficultés spécifiques dans une tâche de rétention à court terme d’informations lexico-sémantiques pourraient refléter simplement un déficit au niveau des représentations lexicosémantiques à long terme elles-mêmes, qui par conséquent fournissent un moindre support à long terme aux traces temporaires. Dans les études publiées à l’heure actuelle, ceci n’a pas été suffisamment contrôlé. Ainsi des études sup- 128 plémentaires sont nécessaires afin d’apporter des arguments forts en faveur d’un déficit spécifique possible au niveau d’un buffer lexico-sémantique. La distinction entre un buffer phonologique d’entrée, un buffer phonologique de sortie et un buffer sémantique, même si elle nécessite le support de données supplémentaires, est néanmoins importante dans la mesure où des études chez des patients cérébrolésés ont montré que les performances à des tâches censées mesurer le stockage temporaire d’informations phonologiques semblent être liées aux capacités de répétition verbatim de phrases, alors que les performances à des tâches censées mesurer la rétention d’informations lexicosémantiques semblent être liées aux performances dans des tâches de compréhension de phrases (R.C. Martin et al., 1994 ; voir également Majerus, Van der Linden et Renard, 2001). Nous allons maintenant envisager les différentes tâches possibles pour évaluer l’influence des variables phonologiques et lexico-sémantiques sur le stockage temporaire, et ceci à la fois pour des tâches productives et réceptives. La façon la plus simple d’évaluer l’effet des représentations lexico-sémantiques sur le stockage temporaire d’informations verbales est d’évaluer l’effet de lexicalité, en administrant des séquences de longueur croissante de mots et de nonmots (longueur 2 à 7 ; 3-4 essais par longueur) dans une tâche de RSI. Il est important que, dans ces tâches, chaque item n’apparaisse qu’une seule fois, afin de maximiser la rétention temporaire des items eux-mêmes, et pas simplement de leur position (en utilisant un ensemble limité de mots ou de non-mots à répétition pour les différents essais et les différentes longueurs d’une tâche, le sujet risque de connaître à l’avance les items qui sont présentés, et il n’a plus qu’à retenir leur position sérielle dans la séquence). De plus, un même non-mot qui est présenté plusieurs fois au cours d’une tâche va devenir plus familier au cours de l’épreuve et aura donc moins le statut d’un non-mot à la fin de l’épreuve (Hulme et al., 1995). Les effets de la fréquence lexicale et du degré d’imagerie mesurent également l’influence des représentations lexico-sémantiques sur la rétention à court terme. Ils sont évalués en administrant des tâches de RSI avec des séquences de longueur croissante, qui contrastent des listes de mots avec degré d’imagerie faible versus élevé, et avec fréquence lexicale élevée ou faible. Il est évident que dans toutes ces tâches les items doivent être parfaitement contrôlés sur tous les paramètres autres que ceux que l'on veut mesurer (longueur des items, structure syllabique). L’effet des fréquences phonotactiques qui rend compte de l’influence de connaissances phonologiques sur le stockage temporaire, peut être évalué en admininistrant, selon la même procédure que ci-dessus, des listes de non-mots qui se différencient au niveau de la fréquence phonotactique des diphones 129 contenus dans les non-mots. Un avantage dans le rappel de non-mots à fréquence phonotactique élevée est censé refléter l’utilisation de représentations phonologiques à long terme portant sur la probabilité d’association et les régularités statistiques des différents phonèmes dans le langage oral (Vitevitch et Luce, 1998 ; Gathercole et al., 1999). Les fréquences phonotactiques des diphones dans le français oral peuvent par exemple être déterminées à partir du Corpus de Transcription Phonétique de Tubach et Boë (1990). Des exemples de lzo/, /ʃcbʃyf/ non-mots de fréquence phonotactique faible sont par exemple /sœ et /fugvøt/ ; des exemples de non-mots de fréquence phonotactique élevée sont /kubtal/, /ʃobtad/, et //. Ici les deux types de non-mots ont exactement la même structure syllabique CVCCVC. Mais ils se différencient au niveau de la fréquence des diphones CV et VC qui sont relativement rares pour les non-mots à lzo/, les fréquence phonotactique faible (par exemple, dans le non-mot /sœ diphones /sœ/, /œl/, /zo/, et /o/ ne sont pas très fréquents en français, selon le corpus de Tubach et Boë, 1990) ou fréquents pour les non-mots à fréquence phonotactique élevée (par exemple, dans le non-mot /kubtal/, les diphones /ku/, /ub/, /ta/, et /al/ sont très fréquents, selon le corpus de Tubach et Boë, 1990). Dans les tâches évaluant l’influence de représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme sur le stockage temporaire, il est également conseillé d’administrer la totalité de l’épreuve, même si la longueur des dernières séquences d’une épreuve dépasse le niveau d’empan du sujet. La raison de procéder de cette manière est que la mesure d’empan peut ne pas être assez sensible pour détecter des différences de performances pour des listes se différenciant au niveau de leur fréquence phonotactique ou au niveau de la fréquence lexicale par exemple. De plus, en poussant les sujets à rappeler des séquences d’une longueur dépassant leur niveau d’empan, le recours aux connaissances phonologiques et lexico-sémantiques sera maximisé comme les capacités des systèmes de stockage temporaire ne sont plus suffisantes pour du RSI au-delà du niveau d’empan. Comme score, on utilisera donc d’une part le nombre total de mots ou de non-mots correctement rappelés sur l’ensemble des différents essais et longueurs d’une condition de mot ou de non-mot, indépendamment de la position sérielle correcte ; un deuxième score reflètera également le nombre d’items correctement rappelés sur l’ensemble de l’épreuve, mais cette fois-ci en fonction de la position sérielle. Cette distinction de mesures tenant ou ne tenant pas compte du rappel de la position sérielle est importante dans la mesure où les effets des représentations langagières à long terme sur le stockage temporaire sont parfois plus importants pour les scores mesurant spécifiquement le rappel des items, indépendamment de leur position sérielle (Poirier & Saint-Aubin, 1996). Un critère de correction sériel strict pourrait sous-estimer l’apport des repésentations langagières à long terme. 130 Cependant, les épreuves que nous venons de voir jusqu’ici sont toutes des tâches de RSI, donc des tâches qui nécessitent une production verbale. Ceci peut être particulièrement problématique chez des patients aphasiques qui ont des problèmes d’articulation ou au niveau de l’output phonologique. De plus, nous avons vu que R.C. Martin et al. (1999) ont proposé de dissocier le système de stockage temporaire phonologique en un buffer phonologique d’entrée et un buffer phonologique de sortie. Ainsi s’avère-t-il nécessaire de créer des tâches de rétention à court terme qui mesurent spécifiquement la rétention temporaire d’informations phonologiques et sémantiques sans nécessiter de production verbale. Les tâches qui correspondent le mieux à cette caractéristique sont des tâches de reconnaissance à court terme. Par exemple, R.C. Martin et al. (1994 ; 1999) ont proposé des tâches de reconnaissance à court terme de rimes, mesurant spécifiquement la rétention à court terme d’informations phonologiques sans nécessiter d’output verbal, et des tâches de reconnaissance à court terme de catégories sémantiques, mesurant spécifiquement la rétention temporaire d’informations lexico-sémantiques. Une adaptation française de ces épreuves a été effectuée et appliquée à des patients aphasiques (voir Majerus, Van der Linden et Renard, 2001). Dans une tâche de reconnaissance à court terme de rimes, on présente des séries de mots de longueur croissante ; à la fin de chaque série, on représente un mot-cible, et le sujet doit simplement reconnaître si le mot-cible rime avec un des mots de la série. Dans la condition sémantique, la structure de la tâche est exactement la même, excepté que le sujet doit reconnaître si le mot-cible présenté appartient à la même catégorie sémantique qu’un des mots de la série. Comme score, on peut déterminer le niveau d’empan, c’est-à-dire la longueur la plus élevée où plus de 50 % des essais sont correctement reconnus, ce qui aboutit chez le sujet normal en général à un empan légèrement plus élevé pour la condition phonologique. Cependant, l’empan peut ne pas être assez sensible comme mesure, et le calcul d’un score plus précis se basant sur le nombre de réponses correctes pour l’ensemble de l’épreuve est conseillé. Afin d’éviter les réponses au hasard, il est également recommandé de demander au sujet de dire « je ne sais pas » dans les situations où il n’a effectivement pas gardé de trace suffisante pour donner une réponse valide. Il faut cependant noter que les tâches de reconnaissance de rimes et de catégories requièrent probablement aussi une intervention de l’administrateur central dans la mesure où les informations ne doivent pas seulement être stockées, mais où un jugement phonologique ou sémantique doit en plus être porté sur les items stockés. Il existe des variantes plus simples de ce type de tâche dans lesquelles il faut tout simplement reconnaître si un item cible (mot ou non-mot) a 131 été présent dans une séquence de mots ou de non-mots. Cependant, à l’heure actuelle ce type de tâche simple et intéressant a été relativement peu exploré. Des recherches sur ce type d’épreuve sont en cours dans notre laboratoire. Finalement, il faut également mentionner l’existence de tâches mesurant spécifiquement la reconnaissance à court terme de la position sérielle. Dans ces tâches, on présente des séries de chiffres ou de mots, de longueur croissante, et à la fin de chaque séquence, on présente une nouvelle séquence avec les mêmes items, mais leur ordre est soit le même, soit la position de deux items adjacents est inversée. Ainsi, dans cette épreuve, il faut simplement reconnaître la position c o rrecte des items, mais pas les items eux-mêmes. Cependant, ce type d’épreuves a également été relativement peu exploré et est en cours de validation dans notre laboratoire. ♦ Evaluation de l’administrateur central Le rôle de l’administrateur central dans la compréhension du langage a été étudié surtout dans le cadre de la théorie de la capacité, développée par Just et Carpenter (1992) qui a abordé les liens entre rétention à court terme et compréhension de phrases en se focalisant sur « la partie de l’administrateur central dans la théorie de Baddeley qui a trait à la compréhension du langage » (Just et Carpenter, 1992, p.123). Selon ces auteurs, l’administrateur central est utilisé durant la compréhension, à la fois pour le stockage et le traitement, et en outre, il a des capacités strictement limitées. Le postulat principal de cette théorie est qu’il existe des différences dans la capacité de l’administrateur central et que ces différences ont des effets substantiels sur la compréhension de phrases. Cependant, le rôle exact de l’administrateur central dans la compréhension du langage fait encore l’objet de nombreuses controverses, qui concernent à la fois le cadre théorique et les tâches utilisées pour évaluer les capacités de l’administrateur central (voir Majerus et Van der Linden, 2001, et Poncelet, Majerus et Van der Linden, cet ouvrage). Il est actuellement très difficile de présenter une mesure des capacités de l’administrateur central dont la validité ne soit pas contestée. Pour cette raison, nous avons choisi de présenter une des mesures les plus utilisées pour évaluer les capacités de l’administrateur central, notamment le Reading Span Test. Dans le Reading Span Test, le sujet doit lire une série de phrases, porter un jugement vrai ou faux sur le contenu de chaque phrase, et après lecture de la série complète des phrases, il doit rappeler le dernier mot de chaque phrase. Des séries de longueurs différentes (2, 3, 4, 5, et 6 phrases) lui sont présentées, avec trois passations minimum pour chaque niveau. La mesure du test 132 (l’empan de lecture) est la série la plus longue pour laquelle le sujet fait un rappel correct pour 2 ou 3 passations (voir Desmette, Hupet, Schelstraete et Van der Linden, 1995, pour une version française du test). Les auteurs considèrent que les processus utilisés dans la compréhension des phrases exigent une proportion plus petite de la capacité disponible de l’administrateur central chez les sujets qui ont une grande capacité, et qu’en conséquence ces sujets bénéficient de plus de capacité pour retenir les derniers mots des phrases. Des corrélations élevées sont habituellement observées entre l’empan de lecture et la capacité de répondre à des questions sur un texte (.80) et également l’intelligence verbale (.60). Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, la mesure du Reading Span n’est pas simple à interpréter dans la mesure où les performances dans cette tâche semblent sous-tendues, non pas par une fonction unique, mais au moins deux facteurs : la capacité de manipulation et la sensibilité à l’interférence. L’élaboration d’épreuves plus fines qui permettent de dissocier ces deux facteurs, ainsi que d’autres fonctions qui pourraient jouer un rôle dans la compréhension de phrases, telles que l’inhibition, la mise à jour, le shifting et la coordination de doubles tâches, s’avère nécessaire afin de mieux évaluer les relations entre compréhension de phrases et administrateur central. ♦ Perspectives de rééducation Nous voudrions conclure cet article en abordant la rééducation d’un trouble du stockage temporaire d’informations verbales. Il faut tout d’abord constater qu’à l’heure actuelle, très peu d’études ont été publiées sur la rééducation d’un trouble du stockage temporaire d’informations auditivo-verbales, que ce soit au niveau des composants de stockage passif, ou au niveau de l’administrateur central. D’un point de vue prospectif, nous proposons néanmoins deux pistes de rééducation, l’une visant à améliorer la capacité de stockage passif d’informations auditivo-verbales (à la lumière des modèles de Martin et Saffran, 1992, ainsi que de R.C. Martin et al., 1999), l’autre visant plutôt à contourner les difficultés de stockage passif et les influences que ces déficits ont sur la production et la compréhension de mots et de phrases, et ce en ayant recours à l’imagerie mentale. En ce qui concerne la première stratégie, on pourrait envisager des techniques de rééducation visant à augmenter la durée d’activation des traces temporaires, et réduire ainsi leur dégradation au cours du temps. Cet objectif pourrait être réalisé en présentant des mots ou des non-mots (selon le type d’information qui est difficilement maintenu en mémoire), dans une tâche de répétition ou de 133 désignation d’ima ges ou de mots/non-mots écrits, et ce en augmentant de plus en plus le délai entre la présentation du stimulus et la réponse. Afin de rendre la tâche encore plus difficile et afin d’éviter que le patient contourne son problème en répétant sub-vocalement les stimuli présentés, on pourra par exemple demander au patient d’effectuer une tâche de comptage durant le délai. Le profil de récupération des troubles langagiers observés chez le patient NC (N. Martin et Saffran, 1992 ; N. Martin, Dell, Saffran et Schwartz, 1994 ; N. Martin, Saffran et Dell, 1996) semble fournir un certain appui à ce type de rééducation. Ce patient présentait une dysphasie profonde, caractérisée par des erreurs sémantiques en répétition, avec des effets importants de lexicalité et d’imagerie. N. Martin et Saffran (1992) ont postulé que la vitesse de dégradation des activations dans un réseau comportant des représentations phonologiques, lexicales et sémantiques était anormalement augmentée, ce qui affectait surtout les représentations phonologiques dans des tâches de répétition, dans la mesure où les représentations phonologiques étaient activées plus tôt que les représentations lexicales et sémantiques. Au moment de l’évaluation, l’empan du patient était inférieur à 1. Deux ans après, l’empan de NC était remonté à 2, et il produisait moins de paraphasies sémantiques en répétition que pendant la période suivant directement l’accident vasculaire. Cependant, le profil d’erreurs initial est réapparu chez NC, lorsqu’on a imposé un délai entre la présentation du stimulus et la réponse à produire, accentuant ainsi les problèmes liées à la durée d’activation des représentations. Ces données suggèrent qu’une diminution de la vitesse de dégradation (qui pourrait être optimisée par une rééducation) peut s’accompagner d’une amélioration du stockage temporaire d’informations auditivo-verbales et du traitement réceptif et productif de mots. D’un autre côté, on pourrait envisager de réduire les difficultés de maintien des traces temporaires, en maximisant et optimisant le soutien possible venant de la part des représentations langagières à long terme. En effet, nous avons montré que les représentations phonologiques et lexico-sémantiques à long terme soutiennent les traces temporaires en les réactivant et en les stabilisant. Ainsi, on peut essayer d’optimiser ces interactions naturelles entre traces à court terme et représentations à long terme en entraînant le sujet à activer consciemment les représentations lexico-sémantiques à long terme d’un mot présenté, notamment en essayant de visualiser le mot par imagerie mentale. De cette façon, on espère maximiser l’apport des représentations lexico-sémantiques à long terme sur les traces temporaires qui ainsi pourraient devenir moins vulnérables grâce à un apport accru de la mémoire à long terme. De plus, un deuxième bénéfice de la stratégie d’imagerie visuelle pourrait consister à former une trace temporaire supplémentaire, notamment une trace visuo-spatiale stoc- 134 kée dans un stock à court terme visuo-spatial. Ainsi, grâce à un apport accru des représentations lexico-sémantiques à long terme et de représentations temporaires visuo-spatiales, les traces auditives-verbales temporaires pourraient devenir moins vulnérables et plus durables. Cette technique peut être utile surtout dans le cas de troubles de la compréhension verbale qui seraient liés à un déficit du stockage temporaire des mots et des phrases, pour autant bien sûr que les capacités d’imagerie et de stockage visuo-spatial à court terme soient intactes chez ces patients. Ceci est évidemment surtout valable pour des mots et des phrases à contenu concret. Cependant, pour des phrases à contenu abstrait, il est possible d’apprendre aux patients des images représentant les mots abstraits et les relations les plus usuelles (par exemple, des relations d’inclusion, d’exclusion, de position). L’apprentissage de ces codes imagés peut se faire selon une procédure progressive qui a déjà été utilisée pour apprendre à des patients présentant des troubles mnésiques des procédés de facilitation à base d’imagerie mentale (voir Van der Linden, Coyette et Seron, 2000). ♦ Conclusion Dans cet article, nous avons mis en évidence les multiples aspects qui peuvent influencer les performances dans des tâches de stockage temporaire d’informations auditivo-verbales. Ainsi, évaluer un déficit de la rétention à court terme n’est pas chose facile, dans la mesure où il faut tenir compte du fonctionnement des mécanismes spécifiques des systèmes de stockage temporaire, de leurs interactions avec les représentations en mémoire à long terme, ainsi que du type de représentations – phonologiques ou lexico-sémantiques - qui doit être stocké. L‘évaluation approfondie d’un déficit de rétention à court terme peut éventuellement solliciter une partie relativement importante du temps alloué à l’évaluation des troubles cognitifs d’un patient cérébrolésé. Cependant, une évaluation fine de ce déficit est primordiale non seulement pour isoler le ou les mécanismes déficitaires au niveau du stockage temporaire d’informations verbales, mais également afin de mieux comprendre les troubles associés au niveau de la production et de la compréhension langagière qui peuvent être en partie, voire complètement, sous la dépendance du déficit de stockage temporaire. Finalement, les stratégies de rééducation d’un déficit de la rétention à court terme d’info rm ations auditivo-verbales, malheureusement encore très peu explorées à l’heure actuelle, présupposent également un examen détaillé des processus déficitaires afin de construire des programmes de rééducation ciblés sur le déficit spécifique d’un patient. 135 REFERENCES BADDELEY, A. D. (1966). Short-term memory for word sequences as a function of acoustic, semantic and formal similarity. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 18, 362-365. BADDELEY, A. D. (1993). Short-term phonological memory and long-term learning : A single case study. European Journal of Cognitive Psychology, 5, 129-148. BADDELEY, A. D., THOMSON, N., & BUCHANAN, M. (1975). Word length and the structure of shortterm memory. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 14, 575-589. BADDELEY, A. D., LEWIS, V. J., & VALLAR, G. (1984). Exploring the articulatory loop. 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The fractionation of several executive processes is examined through tasks dealing with script sorting and ordering, arithmetic word problem solving, vocabulary and narrative production in dysexecutive patients. Key Words : executive functions, theoretical models, fractionation. Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 139 Philippe ALLAIN 1 Ghislaine AUBIN 1 Didier LE GALL 1,2 L a notion de fonctions exécutives renvoie à un ensemble de processus cognitifs dont le rôle principal est de faciliter l'adaptation du sujet aux situations nouvelles et/ou complexes, en particulier lorsque les habiletés cognitives surapprises ne sont plus suffisantes (Seron et al., 1999). Dans ce cadre, un ensemble très riche de sous-composantes (inhibition, planification, flexibilité, catégorisation, contrôle, attention divisée et soutenue, etc.) requérant principalement les 4 opérations que sont la volition, la planification, l'action dirigée vers un but et l'efficacité des actes a été proposé (Lezak et al., 1994). Les fonctions exécutives sont donc des fonctions de direction renvoyant à la motivation à faire, la capacité à produire des choix stratégiques et à opérationaliser ces choix, un contrôle des procédures et une évaluation des résultats obtenus. Elles permettent la gestion des conduites cognitives, comportementales et sociales. Leur intégrité semble nécessaire à une vie autonome, indépendante et réussie (Lezak et al., 1994). Dans la conception actuelle, ces fonctions seraient assurées par le système attentionnel de supervision dont le soubassement cérébral correspondrait précisément au lobe frontal (Shallice, 1982). Plusieurs auteurs ont récemment discuté ce dernier point, suggérant que le fonctionnement exécutif impliquerait la participation d'un réseau cérébral débordant le lobe frontal vers d'autres régions du cerveau (voir notamment Andrès et Van Der Linden, 2001). Bien que l'étude des fonctions exécutives ait commencé vers le début du siècle dernier, ce n'est que depuis ces vingt dernières années qu'elle a pris un réel essor. Dans ce chapitre, nous examinerons quelques-uns des modèles du fonctionnement exécutif. Nous aborderons ensuite la question du fractionnement du fonctionnement exécutif au travers de l'examen de travaux centrés sur l'étude du devenir des scripts, de la résolution de problèmes numériques, la production de vocabulaire et de récits chez les malades dysexécutifs. 1 Unité de Neuropsychologie, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire d’Angers 2 Laboratoire de Psychologie (UPRES EA 2646), Equipe de Neuropsychologie, Université d’Angers, 49000 Angers 140 ♦ Les modèles théoriques du fonctionnement exécutif Les modèles théoriques actuels du fonctionnement exécutif sont nombreux et d'origines très variées. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous évoquerons les modèles engageant la mémoire de travail (Baddeley, 1986 ; Fuster, 1997 ; Goldman-Rakic, 1987), le modèle développé par le groupe de Londres (Shallice, 1982) et quelques modèles théoriques alternatifs constituant, soit un complément pertinent au modèle londonien (Damasio, 1995), soit y apportant des nuances intéressantes (Grafman, 1989). Les modèles engageant la mémoire de travail La mémoire de travail semble jouer un rôle important dans toute une série de tâches complexes telles que la compréhension, la résolution de problèmes, le raisonnement, le calcul, etc., autant d'activités qui apparaissent perturbées chez les malades dysexécutifs. L'apport de Baddeley Il est difficile de parler de mémoire de travail sans évoquer le modèle développé par Baddeley depuis une vingtaine d'années (Baddeley, 1986). Pour cet auteur, la mémoire de travail est un système cognitif général, à capacité limitée, de traitement et de stockage provisoire de l'information comportant 3 composantes : 2 systèmes esclaves (la boucle articulatoire et le calepin visuo-spatial) chacun chargé du stockage temporaire d'informations spécifiques et 1 administrateur central, chargé du contrôle attentionnel de l'action, qui lui est amodal. Ce dernier permet la coordination des informations en provenance des autres systèmes cognitifs et la sélection des stratégies à appliquer. Pour Baddeley (1996), son implication est nécessaire dans les épreuves mettant en jeu la flexibilité, dans la conduite des doubles tâches, l'attention sélective et l'activation de la mémoire à long terme. Ainsi, les épreuves de génération aléatoire de chiffres ou de lettres nécessitent une bonne flexibilité pour ne pas produire de séries connues ou stéréotypées. Plus on exige une augmentation de la fréquence de production et plus le nombre de séquences stéréotypées augmente (Baddeley, 1986). Spatt et Goldenberg (1993) ont montré que cette tâche est déficitaire chez les patients dysexécutifs. De même, la coordination de 2 tâches réalisées simultanément implique l’exécutif central. En examinant des malades porteurs de lésions frontales avec un paradigme associant poursuite visuo-manuelle et empan verbal, Baddeley et al. (1997) ont montré qu’il existait des relations significatives entre la perfor- 141 mance à cette tâche duelle et l'existence d'un syndrome dysexécutif défini sur la base des troubles comportementaux et non pas en fonction des données anatomiques frontales. C'est bien sûr à un dysfonctionnement de l'administrateur central qu’est attribué le syndrome dysexécutif. Van Der Linden et al. (1994) ont également proposé que les tâches de mise à jour d’informations stockées engagent l’administrateur central et activent sélectivement la région frontale dorso-latérale (Salmon et al., 1996). Mais ce type de tâche paraît ne pas être systématiquement perturbé chez les malades frontaux (Collette et al., 1999). En soulignant le lien unissant l’administrateur central et le fonctionnement exécutif, les travaux de Baddeley et de ses disciples s'éloignent de la référence anatomique au lobe frontal. Ceci devient tout à fait patent avec la construction de l’échelle d’évaluation du syndrome dysexécutif (BADS : Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome) qui n’intègre aucune des épreuves frontales classiques et qui, dans ses normes, compare des sujets sains et des patients cérébrolésés, sans précision des lésions (Wilson et al., 1996). Fuster et la structuration temporelle des conduites A l'inverse, pour Fuster (1997) le cortex préfrontal est spécifiquement engagé dans la représentation de la structure temporelle des conduites. Son rôle est d'unifier les différents événements constitutifs des actions finalisées lorsqu'elles sont nouvelles et complexes. Cette structuration temporelle est asservie aux objectifs poursuivis et maintenue jusqu'à leur réalisation, ce qui permet d'atteindre des objectifs éloignés dans le temps. Dans le modèle de Fuster (1997), l'intégration temporelle est assurée par 3 fonctions : 1. Une mémoire active transitoire dont le contenu est constitué de séquences comportementales anciennes, permettant de référer différents aspects de la conduite actuelle à l'expérience passée et aux événements qui lui ont été associés. Cette fonction est rétrospective. 2. Une fonction de préparation à l'action qui permet de créer des programmes d'action donc de planifier le comportement et d'anticiper sur les événements. Bien qu'elle soit prospective, cette fonction est également liée à la précédente dans la mesure où l'expérience favorise l'élaboration et l'ajustement des programmes. 3. Une fonction de contrôle des interférences chargée d'inhiber les interférences externes, tels que les événements imprévus, ou internes, telles que les habitudes. 142 L'approche de Goldman-Rakic Comme l'approche de Fuster (1997), le modèle développé par GoldmanRakic (1987,1995) est issu pour l'essentiel de travaux électrophysiologiques conduits chez les primates. L'idée centrale de cette contribution n'est pas différente de celles qui ont été évoquées, à savoir que le rôle du cortex préfrontal est celui d'une mémoire de travail chargée de conserver temporairement la représentation d'une information passée pour guider l'action en cours jusqu'à sa réalisation. Par contre le modèle de Goldamn-Rakic (1987) s'oppose, sur le plan anatomique à Fuster (1997) chez qui l'inhibition est contrôlée par les structures orbitaires et la mémoire de travail par les structures dorso-latérales, et sur le plan psychologique à Baddeley chez qui il existe un système central de supervision. En effet, Goldman-Rakic (1987) suggère qu'il n'existe pas une mais des mémoires de travail représentées dans des aires cérébrales différentes et spécialisées en fonction du type d'informations à traiter (par exemple langage, objets, espace). Ainsi, le maintien en mémoire de travail d'informations relatives à la structure des objets serait assuré par la convexité inférieure du lobe frontal, et le maintien d'informations de nature spatiale par le sulcus principalis, ce qui n'est pas sans rappeler l'organisation des circuits corticaux postérieurs et en particulier la voie ventrale occipito-temporale et la voie dorsale occipito-pariétale. Bien que ce modèle n'ait pas été conçu pour rendre compte de la pathologie humaine, il peut néanmoins suggérer quelques hypothèses. En effet, les anomalies comportementales observées chez les patients frontaux pourraient être interprétées comme un déficit des mécanismes qui permettent la mise en mémoire de travail des représentations et leur mise à jour. Par exemple, Goldman-Rakic (1995) considère que les difficultés de changement de critère au Wisconsin Card Sorting Test peuvent être comprises comme une incapacité à faire le lien entre les événements qui précèdent ce changement de critère et la consigne. De même, la verbalisation correcte de la règle qui ne se traduit pas par un choix correct de la carte (Langevin et al., 1996) pourrait illustrer la notion de traitement matériel-dépendant puisque le réseau qui soutient la verbalisation serait fonctionnel contrairement à celui qui permet d'assurer l'action. Enfin, comme l'ont montré Daigneault et al. (1992), le modèle de Goldman-Rakic (1987) permet d'envisager autrement les relations entre les épreuves exécutives, par exemple à partir du contenu ou de la modalité de la réponse. Ainsi, le modèle prévoit des liens entre erreurs et persévérations dans des tâches de labyrinthe et un déficit de production en fluence non-verbale, en raison de la régulation des réponses manuelles par la mémoire visuo-spatiale, alors qu'un modèle classique prédit un déficit de planification pour les erreurs dans les labyrinthes, 143 un défaut de flexibilité pour les persévérations, et un déficit de productivité mentale pour la fluence. Les simulations informatiques de Kimberg et Farah (1993) apportent aussi quelques arguments à l'appui de ce modèle. Les données de l'imagerie fonctionnelle, chez le sujet sain, convergent pour démontrer l'implication des lobes frontaux dans les différentes tâches engageant l'administrateur central et en particulier les aires de Brodman (BA) 9 et 46 bilatérales et BA 10 droite, (génération aléatoire en TEP) pour Petrides et al. (1993), BA 9 et 46 bilatérales et région cingulaire antérieure (double tâche en IRMf) pour D'Esposito et al. (1995). Pour Collette et al. (1999), en TEP, les aires BA 9/6 et BA 10/46 bilatérales plus l'aire 7 gauche sont impliquées dans une tâche d'alpha span, et les aires BA 10 et 46 gauche dans une tâche de mise à jour. Les modèles que nous venons de présenter ont en commun l'utilisation du concept de mémoire de travail. Bien que divergentes quant aux structures cérébrales engagées dans l'exercice de la mémoire de travail, deux approches sont anatomofonctionnelles et s'appuient sur des travaux réalisés chez l'animal, la troisième est plus clairement psychologique, s'attache à la notion de syndrome dysexécutif et s'affranchit de la relation à la localisation cérébrale. Le modèle de Fuster (1997) s'organise autour d'un concept central unique « L'organisation temporelle des conduites », celui de Baddeley (1986) autour d'un exécutif central potentiellement fractionnable en différents processus, enfin l'approche de Goldman-Rakic (1995) suggère l'existence de plusieurs mémoires de travail définies sur la base des informations traitées. Le groupe de Londres et le système de supervision attentionnelle Comme l'a souligné depuis longtemps Baddeley (1986), la notion d'administrateur central est très proche de celle de système de supervision attentionnelle proposée par Shallice et ses collaborateurs (Shallice, 1982 ; Shallice et Burgess, 1991a ; 1991b ; 1998). Sans refaire l'historique de ce modèle, il faut rappeler qu'il naît sous la double influence des travaux développés par Luria (1978) et des recherches conduites en intelligence artificielle. En effet, le travail initial de Norman et Shallice (1980) ne vise pas uniquement à rendre compte des perturbations comportementales des malades porteurs de lésions frontales. Il cherche également à comprendre le rôle de l'attention dans l'action en postulant que tout un chacun est capable de réaliser de nombreuses actions répétitives sans y prêter attention alors qu'un contrôle attentionnel est indispensable à la conduite des actions qui nécessitent l'inhibition d'un comportement dominant ou une planification. Ce modèle comporte 3 composantes : les schémas, le gestionnaire des conflits et le système de supervision attentionnelle ou SAS. 144 Les schémas Ils constituent l'unité de base du modèle. Ce sont des unités de connaissances qui contrôlent les séquences d'action ou de pensées sur- ap p ri s e s (conduire une automobile, effectuer un trajet du travail au domicile). Ce sont des structures génériques et hiérarchisées en schémas de bas ou de haut niveau. Comme le proposent Seron et al. (1999), un schéma de bas niveau peut être une routine comportementale telle que le contrôle de la tête et des yeux pour regarder dans le rétroviseur lorsqu'on conduit. Un schéma de haut niveau peut correspondre aux différentes actions effectuées à l'approche des feux de circulation. Lorsqu'un schéma de haut niveau est sélectionné, tous les schémas de bas niveau qui lui sont associés sont également activés de manière à pouvoir être plus rapidement déclenchés si nécessaire. L'activation de ces schémas se fait soit à partir des informations perceptives en provenance du milieu extérieur, des stimuli de l'environnement, soit par des informations issues du milieu interne, en provenance du sujet lui-même ou d'autres schémas. Le déclenchement d'un schéma se fait automatiquement à partir d'un certain seuil déterminé par le rapport entre l'excitation et l'inhibition dont il fait l'objet. Une fois déclenché, le schéma reste opérant même si son niveau d'activation diminue. Par contre, lorsque le but de l'action est atteint ou lorsqu'il est inhibé par des schémas concurrents ou des processus de contrôle supérieur, il est désactivé. Le gestionnaire des conflits Il assure la coordination des schémas les plus pertinents en regard du but poursuivi. Son rôle permet en particulier de gérer la compétition entre les différents schémas potentiellement activables au moyen d'un mécanisme d'inhibition collatérale qui empêche de sélectionner simultanément deux schémas exigeants les mêmes ressources. Le gestionnaire des conflits opère sur la base « d'un processus rapide de déclenchement et de sélection qui possède des règles et des lignes de conduites claires et qui concerne uniquement les situations familières ». (Seron et al., 1999). Le système de supervision attentionnelle Il interviendrait dans 5 types de situations bien distinctes : les situations impliquant une planification et/ou une prise de décision, celles nécessitant la correction d'erreurs, les situations nouvelles impliquant de nouveaux apprentissages, les situations dangereuses et techniquement difficiles et les situations impliquant l'inhibition de réponses fortement renforcées. Le SAS entre donc en action quand les procédures de déclenchement automatique des schémas ne suffisent plus pour aboutir, en ajoutant de l'activation ou de l'inhibition supplémentaire aux schémas. Son mode d'intervention consiste alors à moduler le gestionnaire des conflits, en introduisant une plus grande flexi- 145 bilité qui implique cependant un accès à une représentation de l'environnement, au répertoire des schémas de haut niveau et aux intentions du sujet. Au plan clinique, l'altération du SAS correspondrait aux troubles comportementaux d'origine frontale. En effet, l'atteinte du SAS place l'organisme sous contrôle exclusif du gestionnaire des conflits. Autrement dit, dans toutes les situations où les conditions habituelles d'activation d'un schéma seront réunies, celui-ci sera sélectionné et déclenché, induisant des conduites persévératives, ce qui permet par exemple d'expliquer la rigidité comportementale observée dans certaines épreuves exécutives comme le WCST. A l'inverse, lorsque les conditions d'activation ne sont pas réunies ou trop faibles, des stimuli environnementaux non pertinents pourront prendre le contrôle de la situation et induire des phénomènes de distractibilité ou des conduites inappropriées, ce qui permettrait d'expliquer les phénomènes de désinhibition voire les comportements d'imitation ou d'utilisation. Plus récemment, Shallice et Burgess (1998) ont essayé de préciser l'organisation du SAS en s’appuyant sur trois séries de données orientant vers un fractionnement du système de supervision : 1. L'hétérogénéité des performances des malades frontaux dans les tâches mesurant les fonctions exécutives. Soit les épreuves ne corrèlent pas entre elles (Burgess et Shallice, 1994), soit il existe une dissociation entre les performances exécutives aux tests et dans la vie quotidienne (Eslinger et Damasio, 1985 ; Shallice et Burgess, 1991). Des doubles dissociations ont également été rapportées comme par exemple de bonnes performances pour les tâches de détection de règles et des performances insuffisantes aux tests d'inhibition (Burgess et Shallice, 1996a ; 1996b). 2. Les données obtenues dans les travaux utilisant les techniques d'imagerie fonctionnelle. Par exemple, les activations frontales sont assymétriques pour la mémoire. Le lobe frontal gauche intervient dans la récupération en mémoire sémantique et l'encodage en mémoire épisodique alors que les régions frontales droites sont plus engagées dans la récupération en mémoire épisodique (Tulving et al., 1994 ; Shallice et al., 1994). De même, Petrides (1995, 1998) a montré que la planification et les séquences d'action auto-générées sont sous contrôle des aires BA 46 et 9 alors que le système de sélection des réponses est contrôlé par les aires BA 6 et 8. 3. Les études analysant les relations entre les sites lésés et les troubles cognitifs. Ces études ont montré une dissociation lésion médiane/lésion orbitaire en fluence verbale (Crowe, 1992) ainsi qu’une dissociation droite/gauche dans la nature des informations rappelées dans une tâche de mémoire source (Gow et al., 1995). 146 Shallice et Burgess (1998) ont donc cherché à préciser les différents processus sous-tendus par le SAS. Ils considèrent que pour traiter une situation nouvelle, le SAS met en jeu au moins 8 processus distincts qui opèrent au moins en 3 étapes (voir Figure 1) : Figure 1 : Modèle de fractionnement du système attentionel de supervision (d'après Shallice et Burgess, 1998) 147 1. La première étape est celle de l'élaboration d'un schéma temporaire d'action. Soit cette procédure nouvelle est spontanée, en réaction à l'impression d'insatisfaction engendrée par les moyens utilisés par rapport au niveau d'aspiration développé, c'est la voie 1 qui active les processus 6 et 4. Soit elle émerge d'une démarche de résolution de problème, y compris pour des tâches qui ne la requièrent pas explicitement, c'est la voie 2 qui active les processus 6 et 5. La voie 3 met en jeu 2 autres processus. Le premier (processus 7) permet la formation et la réalisation d'intentions, donc la préparation des plans d'action qui pourront être utilisés ultérieurement. Il s'appuie sur la construction de marqueurs qui orienteront l'activité au moment opportun. Le second (processus 8) permet le recouvrement, en mémoire épisodique, d'informations liées à des expériences anciennes mais susceptibles de favoriser la conduite de l'action en cours. Ce processus correspond à la conception du rôle du cortex préfrontal chez Fuster (1997). 2. La seconde étape est celle de la mise en œuvre du schéma temporaire d'action grâce au processus 1. Cette étape nécessite également l'intervention de la mémoire de travail pour le maintien de ce nouveau schéma. 3. La dernière étape sert à évaluer et vérifier le schéma élaboré grâce au processus 2 dont le rôle serait d'appréhender les erreurs de procédure et au processus 3 qui conduit au rejet ou au remaniement du schéma au cours de son utilisation. Shallice et Burgess (1998) conviennent que ce modèle est essentiellement théorique et/ou spéculatif et que tout un travail de validation reste à faire. Bien que séduisant, le modèle développé par le groupe de Londres suggère un fractionnement du SAS dont les lignes directrices ne font pas actuellement l'unanimité. Par exemple, l'approche du contrôle volontaire développée par Allport (1993) comporte des composantes qui n'appartiennent pas au modèle de Shallice et Burgess (1998) mais que l'on retrouve dans celui de Goldman-Rakic (1987) (mémoires de travail multiples), dans celui de Fuster (1997) (ordonnancement temporel des opérations) ou encore dans ceux de Damasio (1995) ou de Grafman (1989) (évaluation des conséquences et priorités dans la vie sociale). C'est à l'examen de ces 2 derniers modèles que nous allons nous consacrer. Les modèles alternatifs Nous l'avons dit, ces modèles alternatifs ne remettent pas en cause l'approche de Shallice (1982) mais constituent un complément intéressant. 148 Damasio et la théorie des marqueurs somatiques Les modèles précédemment examinés renvoient pour l'essentiel à des troubles cognitifs secondaires à des souffrances des structures frontales dorsolatérales. A l'inverse et à partir du cas EVR, Damasio et ses collaborateurs (Eslinger et Damasio, 1985) se sont intéressés aux troubles du comportement observés chez des patients frontaux porteurs de lésions principalement ventrales et médianes. Ces malades ne présentent pas de perturbations significatives dans les épreuves neuropsychologiques classiques destinées à mesurer les fonctions exécutives ou la mémoire de travail. Par contre, comme cela a été remarquablement observé pour EVR dont les choix professionnels et personnels se sont révélés désastreux, ces patients semblent avoir les plus grandes difficultés à s'engager avec pertinence dans des activités de vie quotidienne, à ajuster leurs comportements sociaux, ou à réagir de façon adaptée à diverses situations professionnelles ou personnelles. Pour Damasio (1995), ces comportements inadaptés seraient imputables à une perturbation dans les mécanismes permettant de prendre des décisions conformes aux intérêts personnels du malade, aux conventions sociales ou aux principes moraux. De plus, cette difficulté dans les prises de décision et dans les procédures de choix stratégique se double de réactions émotionnelles inappropriées. En effet, ces malades ne manifestent plus, lors de la présentation d'images à forte connotation émotionnelle (meurtre, noyade, etc.) la variation de conductance cutanée observée chez les sujets contrôles. Ce résultat contraste avec le fait qu'ils soient néanmoins capables d'évoquer verbalement tout un savoir émotionnel en rapport avec la situation représentée sur les images. Ils peuvent accéder aux connaissances relatives aux faits présentés sans pouvoir déterminer, ou être conscients de l’état somatique correspondant. Afin de rendre compte de ces résultats, Damasio (1995) a émis l'hypothèse de l'existence de marqueurs somatiques selon laquelle certaines structures préfrontales seraient nécessaires à l'acquisition de liens associatifs entre des classes de situations et des états émotionnels habituellement associés à ces situations. Cette hypothèse considère donc que les processus émotionnels influencent significativement les processus de raisonnement et de prise de décision par le biais de ces marqueurs somatiques qui constituent des traces de la valence «Bonne» ou « Mauvaise », « Positive » ou « Négative » de l'émotion ressentie lors de la réponse comportementale. Ces marqueurs sont acquis au cours des processus de socialisation et d'éducation. Ils ont pour fonction de signaler automatiquement le caractère néfaste ou non du résultat probable d'une situation donnée. Autrement dit, lorsqu'un sujet est confronté à une situation d'une classe particulière, le cortex ventro-latéral, qui a appris par le passé le lien 149 existant entre cette situation et un état interne singulier, est activé ce qui rend disponible l'état interne approprié donc la qualification de la situation en fonction des conséquences qui lui étaient associées. Le marqueur somatique joue ici un rôle d'incitation ou de contrainte sur les processus de décision, en prévenant les conséquences indésirables ou dangereuses et en recherchant les solutions avantageuses ou agréables. Pour évaluer l’hypothèse des marqueurs somatiques, le groupe de Damasio a mis au point une tâche qui permet d’évaluer la capacité à prendre des décisions (Bechara et al., 1994). L’épreuve a été baptisée « Jeu de Poker ». Dans ce test, le malade-joueur est placé face à 4 paquets de cartes et se voit allouer une somme d’argent factice (2000 $) avec pour consigne de perdre le moins d’argent possible sur la somme prêtée et d’en gagner le plus possible. Le jeu consiste à retourner une à une les cartes, sur n’importe quel paquet, jusqu’à ce que l’examinateur interrompe l’épreuve. Le malade est informé que les cartes lui rapportent une certaine somme d’argent mais que de temps à autre il y a des cartes qui entraînent le paiement d’une pénalité. Les cartes des paquets A et B rapportent 100 $, contre 50 $ pour les cartes des paquets C et D. Parallèlement, les pénalités dans les paquets A et B coûtent 1250 $ quand elles ne coûtent que 100 $ dans les paquets C et D. Le jeu s’arrête quand le patient a retourné 100 cartes. Le malade ne dispose évidemment pas de ces dernières informations et il ne peut pas tenir une comptabilité de ses gains et pertes en cours d’épreuve. Il faut environ 30 cartes aux contrôles pour orienter leur choix vers les paquets produisant des gains faibles mais qui entraînent également de faibles pénalités. Les malades avec lésions frontales ventro-médianes examinent comme les normaux toutes les éventualités, représentées par les 4 paquets de cartes, pour finalement tourner de plus en plus les cartes des paquets A et B ce qui conduit en fait à la faillite dès le milieu de l’épreuve. Pour pouvoir continuer, les frontaux doivent faire un emprunt à l’examinateur. Ceci permet de bien souligner que la stratégie est erronée. Il est intéressant de noter qu’un patient comme EVR sait parfaitement quels sont les paquets dangereux sans pour autant pouvoir modifier son comportement. A l’inverse, certains sujets contrôles, qui se définissent comme des passionnés du jeu, ont un comportement beaucoup plus prudent que les malades frontaux, même s’ils retournent de temps à autre vers les paquets A et B pour vérifier que les risques demeurent. Les malades avec des lésions postérieures se comportent comme les contrôles s’ils comprennent les instructions. D'autre part, les malades évitent, au moins dans un premier temps, de sélectionner à nouveau des cartes dans les paquets qui ont entraîné une pénalité. De plus, si les cartes sont arrangées de telles sortes que 2 paquets entraînent des gains, certains et 2 autres des pertes systématiques, les malades frontaux sont parfaitement capables d’avoir un comportement identique à celui des contrôles. Ces 2 der- 150 niers résultats signifient que les patients ne sont pas insensibles à la sanction. Pour Bechara et al. (1994), l’interprétation la plus vraisemblable est que les frontaux ont perdu la capacité d’élaboration des marqueurs somatiques permettant de faire automatiquement des projections sur la valeur positive ou négative de leur décision. Plus récemment, les mêmes auteurs (Bechara et al., 1998) ont montré une double dissociation entre déficit de mémoire de travail et déficit de prise de décision chez des malades présentant des lésions préfrontales dorso-latérales ou ventro-médianes. Seuls les malades avec lésions ventro-médianes sont déficitaires au Jeu de Poker. Une interprétation en termes de perturbation de la mémoire de travail n’est donc pas suffisante pour expliquer le comportement pathologique et les auteurs considèrent que c’est bien le mécanisme d’attribution progressive d’une valeur, négative ou positive, à un choix, à une décision qui fait problème chez ces malades. D’ailleurs, lorsqu’on enregistre les variations de conductance cutanée au cours du Jeu de Poker, les frontaux orbitaires ont en début d’épreuve des réponses superposables à celles des contrôles. Mais, en cours d’épreuve, les contrôles développent une réaction d’anticipation avant la sélection d’un paquet de cartes ce qui n’est pas le cas chez les patients. Pour reprendre l’expression de Damasio (1995), ces malades sont devenus myopes face à l’avenir. Si le modèle de Damasio (1995) nous permet d’entrevoir comment nous pouvons raisonner et prendre des décisions dans le domaine personnel et social, le modèle développé par Grafman (1989, 1995) tente d’expliciter la façon dont nous mettons en oeuvre les activités routinières dont est faite notre existence quotidienne. Le modèle de Grafman Contrairement à la plupart des auteurs, Grafman (1989, 1994, 1995, 1999) récuse la dichotomie opposant les fonctions du lobe frontal à celles des autres structures du cerveau (qu'elles soient postérieures ou sous-corticales). Il considère qu'il n'y a pas d'argument qui autorise à penser la partition entre des processus frontaux de coordination et des capacités de manipulation d'informations symboliques situées ailleurs dans le cerveau. Il fait d'ailleurs remarquer que ces modèles ne suffisent pas à expliquer l'ensemble des déficits cognitifs présentés par les malades frontaux ni la manière dont les normaux construisent des plans d'action. L'approche de Grafman (1989) suggère que ce qui différencie le fonctionnement du lobe frontal ne relève pas tant d'un type particulier de procédures que de la taille des unités sur lesquelles intervient le lobe frontal. Il existerait donc une complexification des ces unités de connaissances que sont les représentations symboliques selon un gradient postérieur-antérieur. Les structures céré- 151 brales les plus postérieures stockeraient des informations simples tels un contour, un mot, une localisation spatiale, donc des unités de connaissances assez simples et activées sur une période relativement brève. A l'inverse, les structures cérébrales les plus antérieures stockeraient des unités de connaissances nettement plus complexes, représentant un ensemble d'événements, et susceptibles de rester activées sur des périodes plus longues. Autrement dit, bien que limitées, les unités de connaissances pourraient également stocker des complexes structurés d'événements (SECs) variant en fonction du nombre d'événements qui les composent. Ces SECs contiendraient de l'information de niveau macrostructurel, pertinente eu égard aux conséquences de comportements passés ou actuels grâce au stockage d'événements qui se sont produits dans le passé ou se produiront à l'avenir. Chaque représentation SEC pourrait donc stocker à la fois des informations thématiques et les contraintes temporelles des événements qui lui sont asservis et pas seulement les caractéristiques permettant de décrire l'événement (mots, phrases, particularités visuelles, etc.) qui pourraient être stockées dans les autres architectures cognitives spécifiques (spatialement et fonctionnellement indépendantes des architectures SECs), tout en étant momentanément mises en relation avec les SECs dans n'importe quelle situation. Les types particuliers de SECs qui gouvernent notre comportement cognitif sont appelés MKUs par Grafman (1995). Il suggère que ces unités, mettant en forme des connaissances macrostruturelles, sont stockées dans les régions préfrontales. Dans le modèle, les MKUs sont donc des types particuliers de SECs qui interviennent dans la planification de l'action, dans les comportements sociaux et dans la gestion des connaissances. Ces unités sont donc au sommet de la hiérarchie. Elles sont composées d'une série d'événements, d'actions ou d'idées qui forment, lorsqu'elles s'associent, une unité de connaissances de type plan, schéma, etc. Les MKUs exigent un temps de traitement cognitif supérieur aux autres SECs et requièrent un stockage d'événements plus important. Les événements constitutifs des MKUs se produisent selon un ordre typique d'occurrence qui obéit à de multiples contraintes physiques (verser le café dans la tasse avant de le boire), culturelles (ordre des plats au cours du repas), personnelles (se brosser les dents 2 ou 4 fois par jour). Par ailleurs, l'activation des MKUs peut se faire en parallèle. De ce fait, plusieurs MKUs peuvent être activées simultanément, certaines étant emboîtées les unes dans les autres (par exemple « Manger au restaurant » est emboîtée dans « Déroulement de la journée »). Leur durée est donc variable, tout comme celle des événements qui les constituent. 152 Chaque MKU inclut un événement de début qui précise le cadre, les événements suivants précisent les buts et les actions nécessaires, et un dernier événement précise le contexte de désactivation de la MKU. Certains de ces événements peuvent être plus importants pour l'activation, l'exécution, le recouvrement ou la signification d'une MKU. D'autre part, pour Grafman (1995), il existe une organisation hiérarchique des MKUs. Au sommet de la hiérarchie se trouvent des MKUs abstraites qui représentent des structures d'événements génériques (comportant un début, une fin, des buts et des actions). Elles sont activées lors de situations entièrement nouvelles qui n'engagent aucune activité spécifique. Au niveau hiérarchique juste inférieur, se situent des MKUs indépendantes du contexte qui représentent des comportements spécifiques par exemple « Manger un repas ». Elles sont activées dans toutes les situations où le sujet est amené à « Prendre un repas ». Au niveau hiérarchique juste inférieur se situent des MKUs dépendantes du contexte qui représentent les contextes spécifiques dans lesquels se déroulent des comportements spécifiques par exemple « Manger un repas au restaurant ». Au niveau hiérarchique juste inférieur se situent des MKUs épisodiques qui représentent des moments et des lieux particuliers de survenue des comportements spécifiques tels que « Manger à midi dans un restaurant McDonald ». Enfin, aux niveaux inférieurs de la hiérarchie se situent des représentations de plus petite taille, incluant des précurseurs développementaux et notamment des représentations précisant les règles d'usage (par exemple attendre d'être placé quand on va au restaurant), les réponses conditionnelles (par exemple attendre d'avoir été servi pour commencer à manger), des procédures (par exemple utiliser couteau et fourchette pour couper la viande) et des habiletés (décortiquer un crabe, découper un morceau de poulet). En faisant un parallélisme avec les connaissances lexicales, Grafman (1995) propose que les MKUs soient structurées en catégories. Il oppose ainsi des MKUs pour les comportements sociaux et non-sociaux (raisonnement symbolique abstrait), des MKUs pour les comportements sexuels, alimentaires, les connaissances mécaniques, la résolution de problèmes symboliques. Il suppose aussi l'existence de sous-divisions catégorielles (par exemple, comportements de séduction ou conjugaux dans la catégorie des MKUs pour les comportements sexuels). Par ailleurs, comme pour les autres domaines de connaissances, Grafman (1995) considère que les notions de fréquence d'exposition ou d'utilisation, de similarité, de force associative sont totalement adaptées pour décrire l'organisation des MKUs. Autrement dit, les MKUs les plus fréquemment activées seraient aussi celles qui ont les seuils d'activation les plus bas. Par exemple 153 « Manger à la maison » est un comportement plus fréquent que « Manger au restaurant chinois », le modèle prédit donc qu'au décours d'une lésion frontale la MKU « Manger à la maison » sera plus accessible que la MKU « Manger au restaurant chinois » car il est plus fréquent de manger chez soi qu'au restaurant. De même, pour Grafman (1995), les MKUs les plus similaires seraient aussi les plus fortement associées ce qui implique que l'activation d'une MKU appartenant à un réseau de MKU fortement associées aurait pour conséquence l'activation immédiate de toutes les MKUs appartenant à ce réseau. Par exemple l'activation de la MKU « Manger à la maison » pourrait aussi activer les MKUs proches « Ranger après le repas » ou encore « Manger à une fête de famille ». Pour l'auteur, une lésion du lobe frontal entraîne des troubles exécutifs qui sont le reflet de l'atteinte de ces réseaux de connaissances. Il en résulte à la fois un déficit de mise en oeuvre des nouveaux plans d'actions et un déficit dans la mise en œuvre de scripts routiniers. Bien que ces prédictions soient différentes de celles engendrées par le modèle de Shallice et Burgess (1998), Grafman considère que le système superviseur attentionnel interviendrait lorsqu'il serait nécessaire d'exercer un contrôle sur les MKUs sélectionnées ou en cours de traitement (inhibition ou activation de certains aspects). Pour Grafman, le SAS n'est en fait rien d'autre qu'une série de MKUs fréquemment utilisées et indépendantes du contexte qui peuvent guider le comportement dans des situations inhabituelles et peu spécifiées. Quelques études d'imagerie fonctionnelle cérébrale viennent à l'appui de ce modèle. Chez le sujet normal, les régions frontales s'activent en situation de jugement d'ordonnancement ou d'appartenance d'actions de scripts, comme l'ont montré Partiot et al. (1996), Sirigu et al. (1998) en TEP ou Crozier et al. (1999) en IRMf. Mais en clinique, ce modèle est peu exploité à l'exception de travaux sur la production, l'arrangement et le jugement de scripts (Goodbout et Doyon, 1995 ; Le Gall et al., 1993a, 1993b ; Sirigu et al., 1995, 1996 ; Allain et al., 1999, 2001). Nous allons y revenir. ♦ La question du fractionnement des fonctions exécutives : à propos des troubles de l’arrangement de scripts et de la résolution de problème Le problème des associations et dissociations des troubles dans la séméiologie du syndrome frontal est sous-tendu par la question de savoir comment est organisé le système frontal. Les modèles que nous venons de décrire montrent qu'il existe au moins deux manières de penser cette organisation. Cer- 154 tains auteurs, parmi lesquels Baddeley (1986) et Fuster (1997), plaident pour une organisation dans laquelle le système frontal est conçu comme un système équipotentiel, c'est-à-dire dans lequel chaque structure cérébrale joue un rôle équivalent dans les tâches qui lui sont proposées (voir aussi Duncan et al., 1997). Cette approche permet d'interpréter la séméiologie frontale comme le résultat d'un dysfonctionnement central unique. D'autres auteurs, comme Goldman-Rakic (1995), plaident pour une organisation nettement plus modulaire dans laquelle les processus de traitement de l'information seraient différenciés en fonction de la modalité et du niveau de ce traitement. Cette approche permet d'interpréter les désordres frontaux comme le résultat de dysfonctionnements sélectifs de certaines régions du lobe frontal (voir aussi Petrides, 1995). Cette seconde proposition reprend assez clairement les hypothèses de Luria (1973) pour qui les différentes structures anatomiques du lobe frontal interviennent sur des aspects singuliers d'une même tâche. Nous avons vu que le modèle londonien du SAS avait très largement permis d'ancrer les hypothèses de Luria dans les théories cognitives modernes et que, dans sa nouvelle projection théorique, il mettait plus nettement l'accent sur la nécessité d'un fractionnement détaillé de l’intervention du SAS. Dans cette logique d’un fractionnement du fonctionnement frontal et à partir de quelques arguments cliniques et théoriques développés autour de la pathologie frontale - tels que déficit dans la résolution de problèmes (Luria et Tsvetkova, 1967 ; Shallice, 1982 ; Fasotti, 1992) et dans la réalisation d'activités quotidiennes (Luria, 1973 ; Eslinger et al., 1985 ; Schwartz et al., 1998) ou encore lien théorique entre résolution de problèmes et activités quotidiennes (Luria, 1973) et entre activités quotidiennes et schémas (Grafman, 1989 ; Sirigu et al., 1995) - nous avons cherché à savoir si le traitement des schémas et la résolution de problèmes étaient tout autant affectés par les lésions frontales. Nous avons également cherché à savoir de quelle nature étaient les perturbations qui apparaissent dans l'un et l'autre type de tâche et si ces perturbations partagent des points communs. Autrement dit, nous avons cherché à savoir si des processus cognitifs différents étaient à l’oeuvre dans chaque tâche (ce qui devrait se manifester par des dissociations dans les performances) et si ces processus spécifiques étaient pareillement altérés dans les deux activités (ce qui devrait se manifester par des associations de performances entre les tâches). La matérialisation de cette question est passée par une série de travaux sur les scripts (qui sont des programmes d'actions sous-tendant des activités fréquemment entreprises, Schank et Abelson, 1977), et sur la résolution des problèmes arithmétiques (qui constituent par définition une activité nouvelle voire complexe, Luria et Tsvetkova, 1967). La première hypothèse posait tout naturel- 155 lement que le déficit de planification, d'ordonnancement chronologique, séquentiel, observé chez les frontaux pourrait se retrouver dans les 2 types de tâches. La seconde hypothèse posait néanmoins que ce déficit de planification et/ou d’ordonnancement ne suffisait pas à expliquer la totalité des observations, en particulier pour ce qui relève de l'irruption et de l'utilisation d'éléments étrangers, y compris dans différentes tâches de la vie courante, comme cela a été pointé par quelques auteurs (par exemple Luria, 1973 ; Schwartz et al., 1998). Dans cette perspective nous présentons ici quelques résultats déjà publiés (Le Gall et al., 2001) qui évaluent en termes d'associations et de dissociations ces deux hypothèses. Arrangement de script et syndrome frontal Nous l'avons vu, les modèles théoriques proposés par Shallice (1982) et Grafman (1989) attribuent aux régions frontales un rôle prépondérant dans l'élaboration et la conduite des plans d'actions finalisés nécessaires à l'adaptation comportementale. Dans ces modèles, la planification de l'action implique nécessairement la construction d'une représentation mentale de l'activité à planifier et donc l'activation d'unités de connaissances de type scripts, fournissant notamment des informations sur les buts à atteindre, l'ordre temporel des actions permettant de les atteindre, les liens de causalité entre les actions, etc. La théorie de Shallice (1982), centrée sur l'opposition entre contrôle attentionnel et exécution de schémas routiniers, conduit à prévoir que l'utilisation des schémas routiniers tels que les scripts ne devrait pas être déficitaire dans les atteintes frontales. Shallice (1982) considère en effet que les lésions frontales ne perturbent que la gestion des schémas pour les actions nouvelles, l'intégrité du répertoire des habitudes préservant la capacité des malades frontaux à gérer les routines de type script. A l'inverse, le modèle de Grafman (1989) postule une continuité des processus mis en oeuvre dans l'exécution d'actions, les régions frontales étant cependant particulièrement impliquées lorsque les unités de connaissance pertinentes pour réaliser l'action sont complexes. Dans ce dernier cas, l'importance des déficits devrait être liée à la complexité des tâches soumises au sujet, et non au caractère nouveau des plans d'actions impliqués. Grafman considère que les scripts sont des schémas d'actions complexes. Il prévoit une représentation frontale de ces schémas, et donc la possibilité de difficultés pour la gestion des scripts chez les patients atteints de lésions frontales. Etudier la capacité des patients frontaux à gérer ou exécuter des séquences d'actions de type script paraît donc être une approche privilégiée pour 156 mettre à l'épreuve de la clinique les principaux postulats des modèles théoriques de Shallice (1982) et Grafman (1989). Comme le suggèrent Dubois et al. (1994), une telle approche autorise également une double étude des dysfonctionnements cognitifs dont sont responsables les lésions des régions frontales chez l'homme. Elle permet, d'une part, une étude analytique des perturbations touchant l'organisation et la planification des conduites et d'autre part, une étude, certes plus globale mais plus naturelle, de ces perturbations dans la mesure où les schémas de type script renvoient directement à des situations très proches de la vie de tous les jours (Grafman, 1999). Sur ces bases théoriques, Godbout et Doyon (1995) et Sirigu et al. (1995) ont rapporté, chez les frontaux, des difficultés d'organisation chronologique et hiérarchique en production, arrangement ou jugement, dans des tâches utilisant le script. Ces données sont apparemment en contradiction avec les nôtres (Le Gall et al., 1993a ; Le Gall et al., 1993b) puisque nous avons montré, en situation d'arrangement, une préservation du traitement séquentiel chez 2 malades frontaux, qui avaient par ailleurs quelques difficultés à exclure des actions incongrues. Ces résultats divergents laissent entrevoir l'existence potentielle de deux profils comportementaux dans des tâches utilisant les scripts : (1) certains patients frontaux présenteraient des difficultés d'organisation séquentielle des scripts (par exemple ceux de Godbout et Doyon, 1995 et Sirigu et al., 1995), (2) d'autres présenteraient une incapacité à rejeter des items inadaptés à la tâche (nos données). Ce sont les hypothèses que nous avons explorées (Allain et al., 1999). Méthode Pour rechercher des difficultés d'organisation séquentielle, nous avons demandé à une population de patients de rétablir la chronologie des propositions de deux scripts («Aller faire des courses» et «Aller au restaurant»). Pour rechercher une incapacité à contester des données incompatibles, nous leur avons demandé de classer temporellement les actions de deux scripts (« Changer une roue crevée » et « Assister à un mariage ») fournies en même temps que des actions faisant figure d'intrus (elles appartiennent à d'autres scripts, par exemple : « Composter le billet », « Installer le parasol », « Demander l’addition »). Le groupe d'étude comportait 23 patients (12 hommes et 11 femmes), d’un âge moyen de 43,4 ans, porteurs de lésions limitées aux régions frontales et d'un syndrome frontal clinique. Deux populations de sujets de contrôle ont été examinées. La première comprenait 10 sujets sains (6 hommes et 4 femmes), d’un âge moyen de 41,9 ans, sans antécédents médicaux connus. 157 Quelques travaux ayant montré que les malades cérébrolésés postérieurs ne sont pas déficitaires dans les tâches de script (Ulatowska et al., 1981 ; Sirigu et al., 1995), le second groupe de sujets de contrôle était composé de 10 patients (7 hommes et 3 femmes), d’un âge moyen de 39,4 ans, porteurs de lésions cérébrales rétro-rolandiques mais avec une bonne compréhension orale et écrite. Résultats L'analyse quantitative des résultats a porté sur le nombre d'erreurs de chronologie et d'actions aberrantes utilisées. Les performances des sujets cérébrolésés non-frontaux étaient superposables à celles des sujets sains. Evidemment, considérés en groupe, les malades frontaux étaient plus déficitaires que les contrôles. A partir d'un « cut-off » considérant le maximum d'erreurs de séquences produites (il vaut 2) et d'intrus intégrés (il vaut 1) par les contrôles, nous avons pu isoler 3 sous-groupes de frontaux (voir tableau 1) : 1. Un sous-groupe (SG1) comporte 11 malades qui produisaient au plus 1 erreur de chronologie mais qui utilisaient plusieurs actions aberrantes, 2. Un sous-groupe (SG2) constitué de 8 patients qui produisaient au moins 3 erreurs de chronologie mais qui acceptaient au maximum une action aberrante, 3. Un sous-groupe (SG3) composé de 4 sujets qui ne produisaient pas d'erreur de chronologie et acceptaient au maximum une «action intrus». Ils se comportaient donc comme les contrôles. Tableau 1. Comparaisons statistiques des performances (moyennes et écarts types entre parenthèses) des contrôles postérieurs et des patients frontaux des sous-groupes 1 et 2 Note. * = Kruskal Wallis ANOVA ; * * = Mann-Whitney 158 L'analyse de variance non-paramétrique et les comparaisons des groupes 2 à 2 a posteriori ont confirmé toutes les dissociations. Ce travail montre que les tâches d'arrangement de scripts mobilisent au moins deux processus cognitifs : d’une part, une capacité à produire des séquences temporelles cohérentes, et d’autre part, une capacité à écarter des actions non-pertinentes. La double dissociation constatée laisse à penser que ces 2 processus peuvent être sélectivement altérés. Nous avons confirmé cette double dissociation dans une étude (Allain et al., 2001) proposant à des patients frontaux des tâches de partition et d’arrangement séquentiel d’actions de scripts de niveaux de centralité et de distinctivité variables données dans différentes conditions (avec ou sans titre ou avec titre distracteur). Dans cette étude, nous avons également montré que les difficultés ne s’expliquaient pas par une altération de la sémantique des scripts. En effet, les malades ne commettaient des erreurs de tri d’actions que pour les actions peu centrales et distinctives, autrement dit pour les actions à très faible contenu sémantique. Résolution de problèmes numériques et syndrome frontal La résolution des problèmes intéresse peu les neuropsychologues alors qu'elle constitue un axe de réflexion classique en psychologie cognitive. Ces dix dernières années, seuls quelques travaux ont été consacrés à la résolution des problèmes numériques chez les patients frontaux (Fasotti, 1992 ; Fasotti et Aubin, 1999, 2000 ; Delazer et al., 1998 ; Aubin et al., 1994, 1997) et les travaux de Luria et Tsvetkova (1967) restent la référence incontestable. Ces auteurs ont mis en évidence, chez les malades frontaux, des troubles de planification et une absence de contrôle des solutions, grâce à des énoncés plus ou moins complexes. Luria et Tsvetkova (1967) décrivent aussi une grande sensibilité des frontaux à la consigne puisqu'ils montrent que les propositions de l'examinateur peuvent piéger le malade. C'est par exemple le sens des énoncés qui impliquent un traitement non-linéaire des données. Cette idée que le malade pourrait en quelque sorte être prisonnier des énoncés pour résoudre les problèmes, nous a conduit à envisager qu'il pourrait aussi résoudre des faux problèmes, c'est à dire des problèmes insolubles. Autrement dit, ces différents travaux permettent d'envisager 2 grandes modalités d'échec : d’une part, une incapacité à élaborer un algorithme de résolution pertinent, ce qui est classiquement décrit comme un trouble de planification et d’autre part, une incapacité à récuser des problèmes insolubles, ce qui pourrait traduire une dépendance à l'énoncé. 159 Méthode Pour rechercher un déficit d'élaboration de l'algorithme, nous avons construit des problèmes d'arithmétique utilisant des algorithmes de plus en plus complexes (« J’ai 18 pommes dans mon panier. Si j’en donne 6 combien m’en reste-t-il ? » versus « Un enfant à 15 ans, son père 25 ans de plus, sa mère 5 ans de moins que son père. Combien d’années ont-ils en tout à eux 3 ? »). A l’instar de Luria et Tsvetkova, (1967), sept degrés de difficulté mettant en jeu le nombre et la diversité des étapes utiles à la résolution, le caractère directement explicite ou non des données fournies ont été utilisés. Pour examiner la possibilité d'une adhérence à l'énoncé, nous avons construit des problèmes insolubles inspirés des travaux de l'équipe de l'IREM de Grenoble (Baruk, 1985). Les énoncés prenaient en compte un principe de cohérence reposant sur la proximité sémantique des éléments les constituant et un principe de plausibilité reposant sur l'adéquation entre les opérations arithmétiques possibles et l'ordre de grandeur envisageable de la réponse (par exemple : « Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? »). Chaque protocole, donné d’abord à l’oral puis après un intervalle d’une semaine à l’écrit, comportait ainsi 14 problèmes solubles et 7 problèmes insolubles, strictement superposables. Il était simplement demandé aux sujets de résoudre les problèmes en indiquant toutes les opérations qu’ils effectuaient. La population d’étude comportait 21 malades (12 hommes et 9 femmes), d’un âge moyen de 41,2 ans et d’un niveau culturel moyen de 8,9 années, porteurs de lésions frontales et d’un syndrome frontal clinique. Le groupe contrôle était constitué de 21 sujets sains (11 hommes et 10 femmes), sans antécédents médicaux connus, d’un âge moyen de 40,5 ans et d’un niveau culturel moyen de 8,9 années. Nous n’avons pas ici examiné de sujets avec lésions postérieures en raison de potentielles difficultés linguistiques ou visuo-spatiales comme l’ont montré Luria et Tsvetkova (1967) et Fasotti (1992). Résultats Nous ne rapportons ici que les résultats relatifs à la passation en modalité écrite, les profils de performance des contrôles et les patients étant très proches en modalité orale. Les performances des sujets sains étaient meilleures que celles des malades considérés en groupe (n=21), tant pour les problèmes classiques que pour les insolubles. Tous les contrôles récusaient les problèmes insolubles. Une lecture détaillée des performances des sujets frontaux à partir d'un cut-off considérant le nombre maximum de problèmes solubles échoués à l'écrit 160 (il vaut 1) et le maximum de problèmes insolubles résolus (il vaut 0) nous a permis d’isoler 4 sous-groupes de sujets (voir tableau 2) : 1. Un sous-groupe de 4 malades (SG1) qui réalisent de façon correcte les problèmes solubles mais qui résolvent les problèmes insolubles, 2. Un sous-groupe de 9 malades (SG2) qui échouent aux problèmes solubles mais qui ne résolvent pas les problèmes insolubles, 3. Un sous-groupe de 6 malades (SG3) qui échouent aux problèmes solubles et résolvent les problèmes insolubles. Ils sont donc déficitaires pour l'ensemble des problèmes. 4. Un sous-groupe de 2 malades (SG4) qui réalisent correctement les problèmes solubles et récusent les problèmes insolubles. Ces malades se comportaient donc comme les contrôles. Tableau 2. Comparaisons statistiques des performances (moyennes et écarts types entre parenthèses) des contrôles sains et des patients frontaux des sous-groupes 1, 2 et 3 Note. * = Kruskal Wallis ANOVA* * = Mann-Whitney Toutes les dissociations ont été confirmées par l'analyse de variance nonparamétrique et les comparaisons des groupes 2 à 2. Ce travail montre que les tâches de résolution de problèmes arithmétiques mobilisent au moins deux processus cognitifs, d’une part, une capacité à produire des algorithmes cohérents, d’autre part, une capacité à écarter des énoncés induisant des algorithmes non-pertinents. Les dissociations constatées laissent à penser que ces 2 types de processus cognitifs peuvent être sélectivement altérés. Ces résultats nous semblent aller dans le même sens que ceux qui ont été obtenus à propos des scripts. 161 Comparaison script/problème Quinze malades ayant subi l'une et l'autre évaluation, nous avons cherché à savoir si les profils comportementaux relevés dans chacune des études se superposaient et s’il existait des associations et des dissociations entre plusieurs types de tâches potentiellement sensibles aux dysfonctionnements frontaux. Dissociations Pour ce qui concerne la résolution des problèmes numériques, nous retrouvons la dissociation solubles/insolubles 10 fois sur 15. Autrement dit, chez 3 malades les problèmes insolubles sont récusés et la résolution des problèmes classiques est perturbée. Chez 7 malades les insolubles sont traités et la résolution des problèmes classiques est bonne. Pour ce qui concerne les scripts, nous retrouvons les doubles dissociations, déjà signalées dans ce travail, chez 13 des 15 patients. Chez 8 malades, les épreuves de séquentiation sont réussies et les actions intrus sont utilisées. A l'inverse, chez 5 malades les actions intrus sont récusées et les tâches de classement séquentiel sont perturbées. Associations Nous avons également cherché à savoir si les différents types de troubles observés étaient associés. Dans 53% des cas (8/15), les profils de performances pour le traitement des séquences dans les scripts et des algorithmes dans les problèmes solubles sont superposables, mais il n’apparaît pas de corrélation entre le score d'erreurs de séquence et le score d'erreurs d’algorithme. Les profils de performances pour le traitement des actions intrus et des problèmes insolubles sont superposables dans 87% (13/15) des cas. Synthèse Si quelques travaux ont montré l'existence de dissociations entre troubles cognitifs et du comportement (Eslinger et al., 1985), troubles cognitifs et affectifs (Sarazin et al., 1998), l'existence de dissociations dans les performances cognitives de patients porteurs de lésions des lobes frontaux sont plutôt rares (Gow et al., 1995 ; Petrides, 1995 ; Shallice et Burgess, 1991). Les dissociations au sein d'une même tâche sont encore plus rares (Crowe, 1992 ; Burgess et Shall i c e, 1996a ; 1996b). Dans ce travail, nous montrons deux doubl e s dissociations : l’une dans une tâche d'arrangement de scripts et l’autre dans une tâche de résolution de problèmes. Ces doubles dissociations se superposent chez une grande partie des malades. Elles mériteraient bien évidemment d’être confirmées mais montrent qu'il est possible de trouver des perturbations iden- 162 tiques dans des tâches a priori différentes, susceptibles d'aider à la constitution de groupes de malades frontaux singuliers, ce qui n'est pas vraiment le cas avec la plupart des épreuves « frontales » classiques. Ces doubles dissociations vont dans le sens du fractionnement du fonctionnement frontal suggéré par Shallice et Burgess (1998) si l'on accepte la proposition selon laquelle la capacité à traiter des séquences ou des algorithmes et à identifier des aberrations correspondent à deux composantes exécutives différentes. Comme le propose Grafman (1989), les données sur les scripts s’accordent avec l’idée selon laquelle l’atteinte frontale altérerait non seulement la capacité des malades à gérer les plans d’actions nouveaux, mais également leur capacité à gérer les schémas d'actions routiniers. Les études de corrélations anatomo-cliniques effectuées dans les études sur les scripts vont aussi dans le sens d’un fractionnement du fonctionnement frontal ainsi que dans le sens des modèles neuroanatomiques suggérant l’existence de différences fonctionnelles au sein du cortex frontal. Ces corrélations ont en effet établi une relation significative entre les erreurs de séquence en arrangement de scripts et la présence de lésions dans les régions frontales latérales ainsi qu'une relation significative entre l'utilisation de distracteurs et la présence de lésions frontales orbitaires. Dans un travail antérieur consacré à la production de vocabulaire et de récits chez deux malades dysexécutifs (Guyard et al., 1993), nous avions déjà pu mettre en évidence deux attitudes en tous points opposées sur la base de tâches prenant aussi comme support un matériel verbal. Lors de la production du vocabulaire (voir tableau 3), l’un des malades ne pouvait se dégager de la règle imposée par l’examinateur même si cette règle le conduisait à proposer des items aussi aberrants que « Un haricotier », lorsqu’il devait trouver le nom de l’arbre qui porte le fruit cité en référence ou « Une dégelle » ou « Une autelle », si la consigne lui suggérait de produire le féminin des items cibles. A l’inverse, l’autre patient apparaissait incapable de se maintenir dans la logique du test, chaque ligne, pratiquement, induisant une nouvelle consigne. Lorsque le test l’incitait à trouver le féminin de certains mots (par exemple : cruel, industriel, tunnel, colonel, autel, etc.), le malade commençait correctement avec « Industrielle » pour sortir immédiatement de la consigne dès le second item : « Tunnel = le tunnel du Mont Blanc », de même au troisième : « Colonel = un colonel et son régiment », etc. Dans les deux cas, les malades semblaient incapables de faire autrement que de répondre à la question posée, mais leurs réponses semblaient bien guidées par une logique différente. 163 Tableau 3. Productions des deux malades dans la tâche de vocabulaire Dans la production du récit, les deux malades se distinguaient également. S’agissant de raconter le « Petit Chaperon Rouge », le premier patient ne pouvait pas se dégager de l’ordre de présentation des items constitutifs de l’histoire (présentés par écrit) et produisait un récit pour le moins singulier : « Le Chaperon Rouge c’est clairière à la maison aux grandes oreilles, les galettes les loups et les fleurs, plein les chemins », qui s’arrêtait avec la liste de mots. Interrogé par l’examinateur, il ne semblait aucunement intrigué par sa production. Si on lui demandait de générer des phrases à partir de mots parfois difficiles à associer, il n’était pas plus en difficulté : « L’heure n’est pas au citron », « La jacinthe croit parler le français ». Les commentaires ne laissent aucune place au doute : « Cela existe dans la mesure où on appelle l’heure un citron. Il est trois citrons ! ». L’attitude du second malade était assez différente. Le Petit Chaperon Rouge prenait un autre aspect : « Alors qu’elle se rendait chez sa grand-mère, elle rencontra le loup à qui elle parla de celle-ci mais un bûcheron vint à leur secours si bien que celui-ci surpris par ce dernier fût obligé de s’enfuir sans avoir mangé celle-ci ». A l’inverse du premier, le malade a bien produit une histoire ; on reconnaît aisément un début et une fin. Toutefois, les éléments qui la constituent ne semblent pas maîtrisés à tel point que certains d'entre-eux, se situant habituellement en fin d’histoire, sont introduits en son milieu comme si toutes les péripéties (ou épisodes) étaient en quelque sorte équivalentes. A aucun moment le patient n'a discuté la crédibilité de son récit dont il maîtrisait par ailleurs parfaitement la connaissance. Il était capable, par exemple, de sortir des intrus de la liste des protagonistes potentiels. Les résultats obtenus dans cette étude de cas multiples plaident aussi en faveur d'une dissociation des symptômes et d'un fractionnement du fonctionnement frontal. Ils mériteraient toutefois d'être approfondis et confirmés avec d'autres patients. 164 ♦ Conclusion Au terme de cette revue, il apparaît que les modèles théoriques visant à rendre compte du fonctionnement exécutif se sont considérablement développés ces dernières années. S'ils permettent de mieux intégrer les différents niveaux de déficits observés chez les patients dysexécutifs, la poursuite de leur évaluation parait nécessaire. En effet, certains d'entre-eux restent encore, parfois de l'aveu même de leurs auteurs, très largement spéculatifs. D'autres sont très peu exploités. Ainsi, par exemple, la possibilité d'un fractionnement du fonctionnement exécutif suggérée par Shallice et Burgess (1998) reste assez peu étayée sur le plan expérimental. De la même manière, les travaux sur la production, l'arrangement et le jugement de scripts effectués dans la logique des suggestions de Grafman (1989) restent peu nombreux. Il va sans dire que bien des recherches sont encore nécessaires pour se doter d’une approche satisfaisante du fonctionnement exécutif. REFERENCES ALLAIN, P., LE GALL, D., ETCHARRY-BOUYX, F., AUBIN, G., & EMILE, J. (1999). Mental representation of knowledge following frontal-lobe lesion : Dissociations on tasks using scripts. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 21, 643-665. ALLAIN, P., LE GALL, D., ETCHARRY-BOUYX, F., FORGEAU, M., MERCIER, P., & EMILE, J. (2001). Influence of the centrality and distinctiveness of actions on script sorting and ordering in patients with frontal lobe lesions. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 23, 465-483. ALLPORT, A. (1993). Attention and Control : Have we been asking the wrong questions ? A critical review of twenty-five years. In D.E. MEYER & S. 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Rééducation Orthophonique - N° 208 - Décembre 2001 169 Ghislaine AUBIN 1 Philippe ALLAIN 1 Didier LE GALL 1,2 L es troubles exécutifs et du comportement, consécutifs aux atteintes frontales, peuvent s'observer dans de nombreuses pathologies neurologiques comme le traumatisme crânio-encéphalique, les maladies dégénératives (maladie d'Alzheimer ou de Parkinson) ou encore les accidents vasculaires cérébraux. Ils peuvent avoir pour conséquence des difficultés majeures d'adaptation familiale, sociale et professionnelle. Leur évaluation et leur prise en charge est donc essentielle même si, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, l'état actuel de nos connaissances limite probablement la portée de nos inter ventions. ♦ Evaluation des syndromes dysexécutifs L’identification des troubles dysexécutifs est un problème central en neuropsychologie, les dysfonctionnements observables d’un malade à l’autre pouvant être très hétérogènes, tant qualitativement que quantitativement. Certains patients peuvent notamment obtenir des performances normales dans de nombreux tests (Eslinger et Damasio, 1985). En ce sens, il nous a été permis d'examiner le comportement d'un patient qui, malgré une très volumineuse lobectomie frontale gauche, réussissait parfaitement bien l’essentiel des tests exécutifs administrés (Allain et al., 2001a). Il nous semble qu’un examen attentif des dysfonctionnements exécutifs devrait au moins inclure trois types d’observations : une observation attentive du comportement du patient, une observation de ses performances dans des tâches cognitives, une investigation de ses capacités à réaliser des tâches plus écologiques, proches d’activités de vie quotidienne. 1 Unité de Neuropsychologie, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire d’Angers 2 Laboratoire de Psychologie (UPRES EA 2646), Equipe de Neuropsychologie, Université d’Angers, 49000 Angers 170 Evaluation comportementale Historiquement, le syndrome dysexécutif a été construit autour des troubles du comportement (voir notamment Meulemans et Vincent, 1999). Néanmoins, ces troubles sont généralement peu explorés par les neuropsychologues cliniciens qui, le plus souvent, se contentent de les évoquer sur la base d’impressions cliniques souvent subjectives. Plusieurs questionnaires peuvent aujourd’hui être utilisés pour mieux les documenter : le Questionnaire Dysexécutif (DEX, voir Allain et al., 2001b, pour une adaptation en langue française) de la batterie BADS (Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome), l’Inventaire du Syndrome Dysexécutif Comportemental (ISDC) du Groupe de Réflexion sur l’Evaluation des Fonctions Exécutives (GREFEX, voir notamment Azouvi et al., à paraître) et l’Echelle des Changements de Personnalité d’Iowa (ISPC, voir Meulemans et al., 2000 pour l’adaptation en langue française). Le questionnaire DEX de la batterie BADS comporte 20 questions destinées à rendre compte des perturbations consécutives au syndrome dysexécutif, telles qu’elles sont susceptibles d’apparaître dans le quotidien des patients. Les questions couvrent quatre domaines de changement : les changements émotionnels, motivationnels, comportementaux et cognitifs. Ce questionnaire comporte deux versions. L’une est destinée au patient et l’autre à une personne proche de lui au quotidien. Chaque question est cotée sur une échelle de Likert en cinq points (allant de « Jamais » à « Très souvent »). La confrontation, dans le groupe des patients, des auto et hétéro-évaluations permet d’apprécier la conscience des troubles dysexécutifs. L’inventaire du Syndrome Dysexécutif Comportemental (ISDC) du GREFEX tente de répondre aux critères de syndrome dysexécutif comportemental, en évaluant les 12 secteurs considérés comme les plus caractéristiques d'un dysfonctionnement frontal ou sous-cortico-frontal : (1) réduction des activités, (2) troubles d'anticipation-organisation-initiation, (3) Désintérêt, (4) Euphorie-jovialité, (5) Irritabilité-agressivité, (6) Hyperactivité-distractibilitéimpulsivité, (7) Persévération-stéréotypies, (8) Dépendance environnementale, (9) Anosognosie-anosodiaphorie, (10) Confabulations, (11) Troubles des conduites sociales, (12) Troubles des conduites sexuelles-sphinctériennes-alimentaires. Etant donné la fréquence de l'anosognosie dans ce type de troubles comportementaux, l'inventaire repose uniquement sur les réponses d'un informant fiable, proche du patient et si possible vivant avec lui, de préférence hors de la présence du patient pour que l'informant puisse s'exprimer librement. Les questions sont formulées de manière à savoir s'il y a ou non un change- 171 ment de comportement. Elles permettent également d’interroger le tiers sur la fréquence et la sévérité des comportements déviants et leur retentissement sur l'entourage. L’Echelle des Changements de Personnalité d’Iowa (ISPC) permet de quantifier l’amplitude de différents troubles affectifs, comportementaux et sociaux qui peuvent apparaître au décours d’une lésion cérébrale et d’apprécier dans quelle mesure ils représentent un changement en regard de la situation prémorbide. Vingt-cinq dimensions sont prises en compte. Elles évaluent les changements dans les émotions et leur expression, l’organisation du comportement et la prise de décision, les relations interpersonnelles et les capacités d’introspection. Comme pour l’inventaire du GREFEX, les renseignements sont obtenus auprès de personnes proches du patient qui ont eu la possibilité de l’observer dans son fonctionnement au quotidien avant et après la survenue de la lésion. Evaluation cognitive Nous l’avons vu, la notion de fonctions exécutives couvre un ensemble de processus cognitifs assez large permettant l’adaptation comportementale dans les situations complexes et/ou nouvelles. Le syndrome dysexécutif cognitif est donc susceptible d’engendrer des perturbations multiples dont l’évaluation peut être effectuée à partir de nombreuses épreuves. Dans le tableau 1, nous avons listé les outils les plus utilisés en clinique en les regroupant en fonction du type de processus qu’ils sont supposés évaluer. L’objectif de cette présentation n’est pas d’être exhaustif, la littérature francophone proposant aujourd’hui plusieurs synthèses très détaillées. Nous renvoyons en particulier le lecteur au chapitre de Van Der Linden et al. (2000) pour une description plus précise de ces tests, les résultats qu’ils ont permis d’obtenir et pour une bibliographie plus exhaustive. A titre d’information, le Groupe de Réflexion sur l’Evaluation des Fonctions Exécutives (GREFEX) travaille sur l’élaboration d’une batterie d’évaluation standardisée des dysfonctionnements exécutifs incluant notamment 6 des tests cognitifs regroupés dans le tableau 1 : le test de Stroop, le Trail Making Test, le test de Brixton, la double-tâche de Baddeley (version révisée), des tâches de fluence verbale (littérale et catégorielle), et le Modified Card Sorting Test. Ces épreuves font actuellement l’objet d’une normalisation. 172 Tableau 1. Principaux tests utilisés pour l’évaluation cognitive des syndromes dysexécutifs Sur le plan cognitif, le langage reste une dimension beaucoup moins souvent explorée chez les patients dysexécutifs. Ceci tient probablement au fait que ces malades ne présentent généralement pas les symptômes aphasiques les plus classiques. Néanmoins, malgré cette absence de troubles phasiques, leur langage est souvent jugé inapproprié par les proches (Peter-Favre et Dewilde, 1999). Le discours spontané peut être très réduit (voire mutique), témoignant d’un apragmatisme verbal majeur. A l’inverse, il peut être très logorrhéique et digressif, témoignant d’une désinhibition verbale. De tels troubles du discours peuvent perturber très sévèrement la capacité à communiquer efficacement avec l’entourage. Une manière d’évaluer les troubles du discours chez les malades dysexécutifs consiste à utiliser la production de récits. Nous avons montré, dans le chapitre précédent, combien la production de contes du type « Petit Chaperon Rouge » pouvait s’avérer être pertinente pour évaluer les capacités discursives des malades frontaux (voir aussi Lhermitte et al., 1972). D’autres types d’épreuves peuvent être utilisés dans la même perspective, comme par exemple l’évocation de situations de la vie quotidienne, la description d’images, la production de récits sur un thème libre, la description d’une 173 peinture. Les études qui se sont intéressées, chez des patients traumatisés crâniens, à la cohésion des récits (la cohésion se réalise par des relations sémantiques qui favorisent l’interprétation d’un élément du texte par rapport à un autre élément en utilisant des moyens grammaticaux et lexicaux : par exemple la référence, la reprise, la substitution, l’ellipse, la conjonction et la cohésion lexicale) ont montré que ces malades présentaient des déficits dans l’utilisation des marqueurs linguistiques (syntaxiques, phonologiques et lexicaux) favorisant l’organisation du récit (Mentis et Prutting, 1987 ; Liles et al., 1989 ; Coelho et al., 1991, 1995). Les études consacrées à l’évaluation de la cohérence textuelle de tels récits (à l’utilisation de liens logiques qui permettent d’articuler le récit de façon chronologique et de comprendre les relations de causalité entre les différents éléments du récit) ont également montré un certain nombre de difficultés chez les patients traumatisés crâniens. Ainsi Biddle et al. (1996) ont notamment mis en évidence un manque de précision dans les récits (l’interlocuteur devait inférer des informations pour pouvoir suivre le récit), des omissions d’informations, des répétitions et des corrections inappropriées entraînant des confusions chez l’interlocuteur. La production de scripts (Schank et Abelson, 1977) peut être considérée comme une situation de génération de récits relative à des situations de la vie quotidienne. Les quelques études (Sirigu et al. 1995 ; Godbout et Doyon, 1995) effectuées autour de cette question ont souligné que les patients frontaux n’avaient pas de réelles difficultés à énumérer les actions essentielles des scripts (ils ont donc accès aux informations élémentaires concernant les routines). Leurs difficultés se situent davantage au niveau de la gestion des productions, les ruptures de règles sous forme d’erreurs de clôture (arrêts d’évocation avant la fin du script, débordements au-delà du script), les erreurs de séquence et les intrusions d’actions inappropriées étant plus fréquentes chez eux. La production de récits procéduraux peut aussi être utilisée pour évaluer les capacités discursives des patients frontaux. De ce point de vue, le travail effectué par McDonald (1993) est tout à fait intéressant. L’auteur a proposé à deux patients dysexécutifs, dans les suites d’un traumatisme crânien sévère, une tâche consistant à expliquer à un interlocuteur naïf les règles d’un jeu simple, le « Dice Game », initialement conçu par Flavell (1975). Il s’agit d’un jeu de plateau, consistant à faire progresser, en jetant un dé, des voitures sur un parcours composé de cases de plusieurs couleurs (6 couleurs correspondant aux six faces d’un dé). L’une des règles fondamentales du jeu est que lorsque le dé indique la couleur noire, le joueur doit passer son tour. L’expérimentateur expliquait à chaque malade qu’il allait devoir apprendre à un novice les règles du jeu. Il jouait avec lui jusqu’à ce que le patient affirme avoir compris la règle du jeu, 174 puis faisait entrer le sujet naïf (choisi dans le personnel de l’hôpital) dans la pièce. L’expérimentateur demandait alors au malade d’expliquer la règle au nouveau venu. S’inspirant des maximes conversationnelles et du principe de coopération défini par Grice (1975), McDonald (1993) a considéré qu’afin d’être compris par son interlocuteur, le malade devait respecter différentes règles, organiser la quantité et la qualité de son discours pour être pertinent et gérer la façon dont il s’exprimait. Mc Donald (1993) a réalisé deux évaluations distinctes : une évaluation de l’organisation globale du récit (mesure de la cohésion, de l’utilisation de la référence, de la capacité à fournir les règles essentielles du jeu) et une évaluation du respect de deux maximes conversationnelles de Grice (les maximes de quantité et de manière). Les résultats de ce travail ont montré que malgré une absence de troubles majeurs au niveau de la cohésion du récit, les deux patients traumatisés crâniens présentaient des difficultés à respecter les règles conversationnelles de Grice. Les explications de l’un des patients étaient très répétitives (il répétait des informations déjà données), trop détaillées (il donnait beaucoup de propositions non pertinentes) et souvent désorganisées. L’autre patient fournissait des explications inefficaces contenant de nombreux détails non pertinents. McDonald et Pearce (1995) ont confirmé ces données avec une population de patients traumatisés crâniens dysexécutifs plus conséquente, montrant qu’ils omettaient significativement plus d’informations pertinentes et fournissaient significativement plus d’informations inutiles pour la compréhension des règles que des contrôles. Les troubles de la pragmatique du langage consécutifs aux lésions frontales ont des conséquences sur les capacités des patients à produire des récits procéduraux, mais aussi sur leurs capacités à comprendre certaines formes de langage comme par exemple l'ironie ou les promesses. Plusieurs auteurs en ont fait la démonstration expérimentale. Ainsi, McDonald et Pearce (1996) ont notamment montré que les patients traumatisés crâniens dysexécutifs avaient des difficultés à comprendre l'ironie contenue dans des échanges du type : Mark : « Quel super match ! (de foot) » ; Wayne : « Désolé de t'avoir fait venir ! ». Dans la plupart des cas, aux questions posées dans ces textes (« Est-ce que Mark a trouvé que c'était un bon match ? », « Est-ce que Mark a trouvé que c'était un mauvais match ? », « Est-ce que Wayne est content d'être venu ? », « Est-ce que Wayne regrette d'être venu ? »), les patients ne répondaient pas correctement (« Oui » ou « Non »). Dardier (2001) a étudié la compréhension des promesses chez les malades dysexécutifs en utilisant des histoires courtes présentées sous forme de quatre photographies. La forme linguistique des promesses variait selon l’histoire (elles étaient formulées de manière solennelle « Je te promets de laver la 175 vaisselle » ou au futur simple « Je laverai la vaisselle ») et l’action du locuteur (qui réalisait ou non la promesse). Dans chacune des histoires, deux personnages (un locuteur et un auditeur) apparaissent dans une situation de la vie quotidienne. Des légendes placées sous chaque photographie décrivent la situation et présentent les interlocuteurs. Ces légendes précisent également l’énoncé produit par le locuteur ainsi que l’action de l’auditeur. Les histoires sont construites en trois parties. La première partie correspond à la première photographie (production de l’énoncé). La deuxième partie correspond à la deuxième photographie (action du locuteur). La troisième partie (deux photographies) correspond à la fin de l’histoire et représente l’état de satisfaction de l’auditeur. Pour chaque item, deux fins sont proposées : sur l’une des photographies, l’auditeur est content, sur l’autre photographie, l’auditeur n’est pas content. Par exemple, dans l’une des histoires testant la compréhension d’une promesse simple non réalisée, la première photographie présente un homme tenant une cigarette et une femme dans un salon (La légende est la suivante : Voici un couple dans un salon. L’homme dit : « Je vais faire attention à la cendre de ma cigarette »). Sur la seconde photographie on le voit jeter sa cendre par terre (Légende : L’homme jette sa cendre par terre). Sur la troisième photographie on voit la femme bouder (Légende : La femme n’est pas contente). Sur la quatrième photographie on voit la femme sourire (Légende : La femme est contente). La tâche des sujets consistait à choisir la photographie représentant la fin correspondant le mieux aux informations données au début de l’histoire. Ils devaient justifier leurs réponses. Dardier (2001) a observé que les patients dysexécutifs produisaient moins de bonnes réponses que les contrôles, indiquant qu’ils développaient des capacités pragmatiques inférieures. Lorsqu’ils produisaient des réponses correctes, ils avaient plus de mal à les justifier que les contrôles, indiquant que ces patients présentaient également des difficultés à exprimer des connaissances méta-pragmatiques adaptées aux situations. Dans cette perspective, McDonald et Pierce (1998) ont montré des difficultés de formulation des demandes (ou requêtes) indirectes chez les patients traumatisés crâniens dysexécutifs. Les auteurs ont fait entendre aux patients de brefs scénarios et leur ont demandé de formuler des demandes indirectes dans des contextes où des obstacles étaient évidents et susceptibles de les faire échouer. Ils devaient se montrer convaincants. McDonald et Pierce (1998) ont constaté que face à un énoncé du type : « Vous aimeriez emprunter la voiture de votre sœur ce soir, mais vous savez qu’elle en a besoin ; comment la convaincre de vous la prêter ? », les patients ne produisaient pas les mêmes types de demandes que les contrôles. Ils ne formulaient jamais d'énoncés dans lesquels ils faisaient référence à l'obstacle (« Je t'offrirai un taxi »). Soit ils ne prenaient 176 pas en compte l'obstacle inhérent à la situation (« Je laverai ta voiture pendant plusieurs semaines »), soit les énoncés traduisaient l'absence de stratégie (« S’il te plaît »), soit ils faisaient des demandes contre-productives (« Je pourrais te la casser »). Les ajouts de commentaires non pertinents avaient souvent l’effet inverse de celui souhaité. Les auteurs ont attribué cette difficulté à un défaut d'inhibition empêchant les patients de prendre en compte les éléments inhérents à la situation de demande et de comprendre l'inefficacité de leurs requêtes. L’étude des échanges conversationnels constitue un moyen plus écologique d’évaluer « la pragmatique » ou « l’usage » du langage chez les patients frontaux. Nous en parlerons dans la partie suivante. Evaluation écologique Sous l’impulsion des révisions théoriques, l’évaluation des syndromes dysexécutifs a beaucoup progressé ces dernières années. Néanmoins, la question demeure de savoir si les épreuves cognitives apportent des informations permettant d’appréhender les problèmes susceptibles de se poser dans la vie de tous les jours. En effet, les situations d’examen sont très structurées et très explicites quant à leurs buts et aux procédures à suivre pour les atteindre (Garnier et al., 1998). Ce faisant, elles n'intègrent pas le rôle potentiel des interférences perturbant les actions au quotidien, actions au cours desquelles les stimulations sont nombreuses et diverses, et où nous sommes souvent amenés à faire plusieurs choses simultanément. De même, les tâches de laboratoire ne peuvent pas évaluer la totalité des difficultés rencontrées par les malades. Il est par exemple difficile d'apprécier, avec une seule épreuve, la capacité du malade à planifier sa journée alors qu'il est possible de le faire pour une activité brève. Enfin, si un examen construit à partir de ces outils nous oriente vers une incapacité (déficit de planification par exemple), il ne nous dit rien sur son impact dans la vie quotidienne (handicap) de tel ou tel malade en particulier. Deux patients présentant la même déficit à l'examen neuropsychologique classique peuvent ne pas être handicapés de la même manière dans l'exercice de leur profession selon qu'ils ont une activité répétitive ou d'organisation. La dissociation rapportée par Eslinger et Damasio (1985) à propos du patient EVR constitue probablement l'illustration la plus célèbre de ce problème. Pour mémoire, ce patient testé plus de six ans après la résection d'un volumineux méningiome orbito-frontal réalisait des performances normales aux épreuves sensibles au dysfonctionnement frontal mais conservait des troubles sévères de l'adaptation dans sa vie sociale et professionnelle. Dans le même ordre d’idée, Shallice et Burgess (1991) ont décrit 3 sujets traumatisés crâniens avec lésions frontales réalisant une performance proche de la moyenne au 177 Stroop Test, à la Tour de Londres et au Modified Card Sorting Test alors qu'ils manifestaient des troubles de l'organisation dans leurs activités de vie quotidienne. Pour surmonter ces problèmes de sensibilité et combler le décalage si souvent relevé dans le comportement des patients dysexécutifs en laboratoire et dans leur vie quotidienne, Shallice et Burgess (1991) puis Bechara et al. (1994) ont avancé l'idée qu'il était nécessaire de développer des épreuves frontales à visée écologique, c'est à dire des épreuves simulant en temps réel des situations de prises de décision et de réalisation de tâches plus proches de celles de la vie de tous les jours. Shallice et Burgess (1991) ont ouvert la voie en développant le test des 6 éléments et le test des commissions multiples. Le test des 6 éléments se déroule dans un bureau et exige du sujet une organisation de son activité pour exécuter 6 tâches simples (dont dicter 2 trajets) sur une période de temps limitée à 15 minutes en respectant des règles contraignantes. Le test des commissions multiples se déroule dans un quartier piétonnier inconnu du sujet et implique la réalisation d'une série d'achats (dont l'achat d'une salade) et un recueil d'informations (dont le lieu où il a fait le plus froid la veille en Angleterre), là encore selon des règles bien précises. Shallice et Burgess (1991) ont démontré que ces tests étaient plus sensibles aux problèmes dysexécutifs quotidiens de 3 patients. L'adaptation en langue française du test des 6 éléments par Garnier et al. (1998) et celle du test des commissions multiples par Le Thiec et al. (1999) a permis de retrouver des dissociations comparables à celles décrites par Shallice et Burgess (1991), là aussi auprès de patients traumatisés crâniens. Bien d'autres auteurs se sont engagés dans le développement d'outils d'évaluation à vocation écologique, notamment Boyd et Sautter (1993), Crépeau et al. (1997) ou encore Lezak (1983). L'utilisation de ces épreuves, auprès de populations de patients dysexécutifs, s'est révélée productive, montrant une plus grande sensibilité et une bonne valeur prédictive de l'autonomie et/ou du retour au travail des patients. Nous illustrerons ici avec trois exemples : la BADS, le Tinkertoy et les tâches de scripts. Nous évoquerons également le problème de l'évaluation écologique du langage. La BADS Il nous semble qu’à ce jour, l'outil d'investigation le plus achevé dans le domaine de l’évaluation neuropsychologique écologique est la batterie d'évaluation comportementale du syndrome dysexécutif proposée par Wilson et al. (1996). La batterie BADS est en effet un outil composite, regroupant 6 tests impliquant la résolution de problèmes plus proches de situations de la vie réelle 178 (dont l’organisation de la visite d’un zoo) qui permettent d'évaluer différentes composantes exécutives : la flexibilité cognitive, la planification, la résolution de problème, l'estimation temporelle, le contrôle et la régulation comportementale (au travers de la prise d’initiative et de la gestion du temps). La batterie présente l'avantage d'avoir été normalisée auprès d'une population conséquente (216 sujets contrôles et 92 patients présentant des troubles neurologiques). Ses qualités métriques (fidélité inter-évaluateurs, fidélité testretest, sensibilité clinique) ont également été étudiées. La batterie BADS inclut enfin le questionnaire dysexécutif (DEX). Les auteurs la situent très explicitement dans la logique du modèle du SAS de Shallice (1982) et dans la perspective d’évaluation écologique du syndrome dysexécutif tracée par Shallice et Burgess (1991). Wilson et al. (1998) ont étudié, auprès d'une population de patients cérébrolésés, le pouvoir discriminant de la batterie ainsi que les relations entre la BADS, des épreuves exécutives classiques et les réponses au questionnaire dysexécutif rempli par un proche. Ces auteurs ont montré que les patients cérébrolésés réalisaient des performances significativement inférieures à celles des contrôles dans plusieurs tests (voir aussi Norris et Tate, 2000) et que le score total à la BADS était le seul indicateur de la présence de dysfonctionnements exécutifs dans le quotidien des patients (voir aussi Wilson et al., 1997 ; Wilson et al., 1998). Nous avons très récemment testé une version française de l’outil (Allain et al., 2001b). La BADS et 4 épreuves exécutives (Modified Card Sorting Test, Tour de Londres, Trail Making Test et Stroop) ont été administrées à des patients traumatisés crâniens sévères et des contrôles sains appariés (âge, sexe, niveau d’étude). Un proche de chaque patient a complété le DEX. Les résultats ont montré des scores de profil significativement inférieurs chez les patients dans 3 des 6 tâches de la BADS. Le score total de la BADS était également discriminant. Les épreuves classiques ont également permis de différencier les performances des patients de celles des contrôles. Toutefois, le score dysexécutif, dérivé du DEX rempli par les proches, ne corrélait avec aucune des mesures des épreuves exécutives classiques. A l’inverse, il corrélait avec 3 des scores de profils de la BADS. Dans un autre travail, la BADS a été administrée à des patients porteurs de lésions cérébrales diffuses, des patients porteurs de lésions frontales isolées et des contrôles appariés. Sur la base d’un cutt-off considérant le score de profil total moyen des contrôles moins 2 écarts types, les résultats ont montré que la BADS était davantage échouée par les patients avec lésions diffuses (10/16) que par les patients avec lésions focales (5/16). 179 De nos deux études, il ressort que la BADS est plus sensible aux dysfonctionnements exécutifs des patients porteurs de lésions cérébrales diffuses confirmant l’idée selon laquelle les fonctions exécutives impliquent des circuits neuronaux débordant le lobe frontal. En outre, chez les patients traumatisés crâniens, elle est également plus sensible que les épreuves de laboratoire et semble plus à même de prédire le retentissement fonctionnel de ces troubles dans le quotidien des malades tels qu’ils apparaissent au questionnaire dysexécutif. Le Tinkertoy Le Tinkertoy peut également être considéré comme un outil d’évaluation écologique des fonctions exécutives (voir Lezak et al., 1994). L’examinateur dispose devant le sujet 50 pièces appartenant à un jeu de construction. La consigne est simple « Faites ce que vous voulez avec ces pièces. Vous disposez au moins de cinq minutes pour cette tâche et de beaucoup plus de temps qu’il ne vous en faudra pour réaliser quelque chose ». Un score se base sur le nombre de pièces utilisées et l’autre mesure la complexité de la réalisation en rendant compte des différents aspects de l’exécution (par exemple : la construction a-telle des parties mobiles ? tient-elle debout ?, etc. ). Lezak (1983) a montré que l’épreuve était sensible aux troubles exécutifs des traumatisés crâniens et qu’elle avait également une valeur prédictive de leur autonomie, les sujets utilisant peu de pièces étant très dépendants. Sutren-Perruchot et al. (2000) ont confirmé la sensibilité de l’outil auprès de traumatisés crâniens sévères avec une nouvelle version du test et un système de cotation modifié. Ils ont également observé un lien entre le score de complexité et la capacité d’insertion professionnelle, les scores les plus faibles étant attribués aux patients pour lesquels le retour au travail n’est pas envisagé. Les tâches de scripts Dans la logique du modèle de Grafman (1995) et des travaux de Schwartz et al. (1998), les tâches de scripts peuvent aussi être utilisées pour évaluer de manière écologique les dysfonctionnements exécutifs. Dans un travail récent (Allain et al., 2001c), nous avons étudié l’intérêt respectif d’épreuves de génération, d’arrangement et d’exécution de scripts pour évaluer les actes de la vie courante chez des patients victimes d’un traumatisme crânien grave et porteurs d’un syndrome dysexécutif. Les malades ont été soumis à un protocole expérimental impliquant l’exécution réelle, la génération et l’arrangement des actions de 2 scripts (faire des courses au supermarché et préparer une salade). Des distracteurs ont été introduits dans les contextes d’exécution et d’arrangement de scripts. 180 Les performances des malades ont été comparées à celles de contrôles sains appariés. Les erreurs relevées ont été répertoriées sur la base d’un consensus impliquant 2 juges. La grille d'appréciation des performances a été construite à partir de travaux déjà effectués (Schwartz et al., 1998 ; Humphreys et Forde, 1998 ; Chevignard et al., 2000). Elle incluait 12 types d'erreurs : omissions d'actions, additions d'actions, erreurs de séquence, persévérations, substitutions, erreurs d'estimation, négligences contextuelles, erreurs de contrôle, adhérence aux intrus, distractibilité, dépendance, comportements divers, permettant de comparer nos données avec les résultats déjà publiés. Les résultats ont montré que les patients traumatisés crâniens produisaient significativement moins d’actions que les contrôles en génération de scripts et qu’ils commettaient significativement plus d’erreurs qu'eux en arrangement et en exécution de scripts. L’effet condition expérimentale était significatif dans les deux groupes, les patients commettant davantage d’erreurs en exécution de scripts que dans les deux autres situations et davantage d’erreurs que les contrôles en génération de scripts. Il n’a pas été relevé, chez les patients, de correspondance stricte entre les types d’erreurs commises dans les différentes situations. Par exemple, les erreurs de séquence très présentes en arrangement de script diminuaient dans les tâches d’exécution, alors que les anomalies renvoyant à une perturbation de dimension comportementale (non respect des consignes, demande d’aide, adhérence aux distracteurs) augmentaient dans les contextes d’exécution. Ces résultats, rejoignant ceux d’études antérieures, confirment l’intérêt des épreuves utilisant les scripts pour évaluer les conséquences des lésions cérébrales. Les mises en situations réelles paraissent modifier les profils de performance, indiquant que les composantes cognitivo-comportementales sollicitées dans les tâches de laboratoire et écologiques ne sont peut-être pas les mêmes. Il reste donc difficile de prédire les troubles dans la vie quotidienne, y compris sur la base d’épreuves qui font appel aux mêmes représentations. Ceci montre aussi tout l’intérêt des évaluations en situation qui restent toutefois particulièrement coûteuses en investissement humain. Evaluation écologique de la pragmatique du langage L’étude des échanges conversationnels constitue un moyen écologique d’évaluation des perturbations langagières chez les malades dysexécutifs. Elle est encore peu utilisée bien qu’elle ait bénéficié de l’apport de plusieurs outils d’évaluation comme le « Protocole Pragmatique » de Prutting et Kirchner (1987), le « Profile of Functional Impairment in Communication » de Linscott et al., 1996 ou l’échelle d’évaluation des changements de thèmes de Garcia 181 (1991). De façon générale, en situation de conversation, les auteurs s’accordent pour constater la perte du fil du discours, l’insuffisance de l’organisation générale des contenus et des liens de cohésion, l’existence d’une prosodie et de pauses inadéquates, enfin des difficultés dans le maintien et le changement des thématiques (Peter-Favre et Dewilde, 1999). Dans ce domaine, des méthodologies originales d’évaluation peuvent être utilisées. Ainsi, par exemple, Peter (1995) analyse les conversations d’une patiente présentant des lésions frontales bilatérales d’origine traumatique avec deux interlocuteurs : sa mère et son thérapeute (l’auteur). L’analyse des conversations est effectuée au travers de deux échelles d’évaluation : le « Protocole Pragmatique » de Prutting et Kirchner (1987), ainsi qu’une partie de l’échelle d’évaluation des changements de thème de Garcia (1991). Peter analyse trois conversations à thème libre de quinze minutes. Il s’agit de deux conversations avec la patiente (l’une avec sa mère, l’autre avec son thérapeute) et d’une conversation entre la mère et le thérapeute (qui constitue une situation contrôle). Peter (1995) étudie les interventions de ces trois personnes dans chacune des conversations. La première analyse des conversations a été réalisée avec le « Protocole Pragmatique ». L’appréciation qualitative se base sur l’adéquation ou non des paramètres observés : les comportements qui nuisent une fois au moins à la poursuite de la conversation, selon l’un des deux juges, et pénalisent le locuteur sont qualifiés d’inadéquats. Globalement, le discours de la patiente est plus déficitaire, l’adéquation restant meilleure lorsqu’elle parle avec sa mère. L’analyse des interventions de la patiente met en évidence des difficultés lors des changements de thèmes (réalisés sans souplesse, sans respect des règles prosodiques et de façon souvent incompréhensible pour autrui). Les troubles de la prosodie sont importants, et des fluctuations massives au niveau de l’intensité vocale sont décrites (la patiente passe d’un ton confidentiel à un ton théâtral sans explications, ses rires sont fréquents et non motivés). Les interventions de la mère et du thérapeute sont toujours jugées adéquates (lorsqu’elles interagissent avec la patiente ou lorsqu’elles conversent ensemble). L’analyse des interventions de la mère et du thérapeute souligne qu’elles adoptent des styles conversationnels différents lorsqu’elles parlent avec la malade. En effet, la thérapeute intervient peu et ses propos apportent toujours un feed-back positif : elle s’intéresse à ce que dit la patiente en demandant des précisions et lui permet de faire des digressions. L’analyse du discours de la mère met en évidence une attitude plus interventionniste : elle organise la conversation, souligne toujours les points importants, pose de nombreuses questions et reprend les thèmes abandonnés par sa fille lors des digressions. L’analyse des changements de thèmes de la mère et de la thérapeute montre qu’elles adoptent des conduites identiques 182 lorsqu’elles s’adressent à la patiente : elles font de nombreuses reprises afin d’obtenir plus d’informations de la part de la patiente qu’elles encouragent à produire. Enfin, l’analyse du contexte de leurs changements de thèmes précise qu’ils sont toujours liés aux informations données dans la conversation. Malgré ces similitudes, Peter (1995) constate que les changements de thèmes de la mère présentent des caractéristiques spécifiques : elle multiplie les reprises et les nuances, répète souvent les idées essentielles et recentre toujours la conversation, ce que ne fait pas la thérapeute. L’étude de la conversation entre la mère et la thérapeute ne montre pas de différence majeure dans les interventions des interlocutrices. Selon Peter (1995), la mère de la patiente met en œuvre des conduites spécifiques qui servent à palier les difficultés de sa fille. Comme le fait Peter (1995), on peut s’interroger sur l’impact réel de ces stratégies sur le discours de la patiente. En effet, malgré une amélioration de certains paramètres du discours, l’utilisation d’un cadre structurant peut s’avérer contraignante pour l’interlocuteur et frustrante pour le patient. Dans le prolongement de ce travail, Peter-Favre (1999) a également montré que cette patiente présentait des troubles de la compréhension des actes de langage indirects en situation de conversation naturelle. Les conversations permettent généralement de réaliser des actes de langage, comme par exemple poser des affirmations, donner des ordres, poser des questions ou faire des promesses (voir Searle, 1972). Les actes de langage indirects expriment de manière implicite ces différents types d’énonciations. Dans une conversation, les interventions indirectes des interlocuteurs peuvent avoir différentes issues : parmi elles, la réussite (un acte de langage indirect est réussi lorsque l’auditeur perçoit l’intention que le locuteur souhaite transmettre dans son énoncé) et la satisfaction (un acte de langage indirect est satisfait lorsqu’il entraîne une action ou un acte de langage adapté). Une énonciation indirecte comme « Pouvez-vous me passer le sel ? » est réussie si elle est comprise comme la requête d’obtenir le sel et non comme une question portant sur les capacités physiques de l’interlocuteur à donner le sel. L’intervention indirecte « Pouvez vous me passer le sel ? » est satisfaite si l’interlocuteur donne le sel. En reprenant cette logique pour notamment analyser les conversations entre la patiente et sa mère, Peter-Favre (1999) a observé que les interventions formulées par la patiente étaient le plus souvent réussies et satisfaites par sa mère, ce qui signifie que la mère exprimait toujours sa compréhension à la suite des énoncés de sa fille. A l’inverse les actes de langage indirects de la mère étaient peu réussis, indiquant qu’ils étaient mal compris par sa fille. Ces résultats ne sont pas sans rappeler ceux obtenus dans le cadre des travaux réalisés autour de la théorie de l’esprit chez les patients frontaux. La théorie 183 de l'esprit fait référence à la capacité de faire des inférences sur les états mentaux d'autrui, c'est à dire sur ce que les autres pensent, désirent, croient afin de comprendre, expliquer et prédire leur comportement (Danion et Marczewski, 2000). Ne pourrait-on pas suggérer que c'est précisément parce qu'ils sont en difficulté pour lire les intentions de leurs interlocuteurs que les malades frontaux manifestent des difficultés de compréhension pour certains types d’actes de langage en situation de conversation ? Dans le sens d’une telle proposition, Havet (2001) a montré que les patients dysexécutifs pouvaient échouer à la tâche « d’attribution d’intention à autrui » de Serfati et al. (1997) et de « lecture de la pensée à travers le regard » de Baron-Cohen (2000) (voir aussi Stuss et al., 2001). ♦ La prise en charge des fonctions exécutives La prise en charge des troubles exécutifs constitue un domaine peu investi, auquel le clinicien est pourtant souvent confronté et devant lequel il se trouve bien démuni. Luria fut l'un des premiers à proposer une prise en charge des troubles exécutifs. Il montre, avec Tsvetkova (1967), qu’un patient frontal peut trouver la solution de problèmes qu’il ne peut résoudre spontanément si l’examinateur lui fournit les consignes nécessaires à chaque étape du processus de résolution. Si on supprime les aides externes, on voit réapparaître chez le patient le comportement déficitaire antérieur. Le même type de stratégie de prise en charge sera ensuite repris par Dérouesné et al., en 1975 (pour une revue détaillée voir Van der Linden et al., 2000). Actuellement, la revalidation des fonctions exécutives s’oriente selon deux axes : 1. Une perspective analytique inaugurée par Luria, poursuivie par Dérouesné et al. (1975) et prolongée par Shallice et Burgess (1991). Pour ces auteurs, le recours à un modèle théorique de fonctionnement normal permet d’identifier les déficits du système, d’en comprendre la cohérence et de proposer un programme de réhabilitation spécifique. 2. Une approche plus holistique, s’intéressant surtout aux aspects fonctionnels globaux (Prigatano, 1990 ; Ben Yishai et Diller, 1993) dans laquelle les référents théoriques multiples, en fonction des tâches et des situations, sont parfois difficiles à préciser. Il est possible actuellement d’identifier quatre stratégies de réhabilitation : 1. Restauration des fonctions déficitaires, 2. Réorientation vers des fonctions préservées, 3. Contention comportementale, 4. Substitution et compensation par des aides externes. 184 Restauration des fonctions déficitaires L’enjeu de cette stratégie de réhabilitation est d’améliorer la fonction cognitive déficitaire par l’entraînement. Cette procédure est basée sur une progression graduelle, la répétition et la confrontation du sujet à ses performances. Une décomposition de la tâche en sous-ensembles hiérarchisés est proposée. Le m at é riel utilisé s’est dégagé des outils psych o m é t riques tra d i t i o n n e l s (Dérouesné et al., 1975) pour s’élargir à des outils plus proches de la vie quotidienne : journaux, téléphone, factures, micro-ordinateurs, indicateurs de chemin de fer, etc. (Von Cramon et Matthes Von Cramon, 1992). On retrouve dans cette orientation stratégique les deux perspectives évoquées précédemment. Soit les approches sont focalisées sur une fonction ou un type de perturbation, soit les approches sont élargies à des situations simulant certains aspects de la vie quotidienne : chercher un logement, programmer un voyage, remplir un document administratif... Les résultats de ces tentatives sont rarement retrouvées dans la littérature car les méthodologies sont difficiles à opérationnaliser. Les programmes proposés ont pour objectif d’étendre l’amélioration des performances ou l’application des procédures acquises à des tâches similaires, voire moins spécifiques et d’assurer à distance le maintien de ces acquisitions. Cette généralisation n’est pas parfaitement démontrée, tout comme l’utilisation spontanée des stratégies facilitatrices. Réorientation vers des fonctions préservées La démarche rééducative consiste, en s’appuyant sur des niveaux préservés du fonctionnement cognitif, à tenter d’amener le patient à utiliser des solutions nouvelles. Cette technique nécessite chez le patient une certaine conscience des troubles afin d’opérationnaliser au mieux les ressources résiduelles. Le plus souvent, il est fait appel à des niveaux cognitifs hiérarchiquement inférieurs, en particulier ceux qui sont performants dans des situations de routine. On pourra ainsi réapprendre certaines séquences d’action. Les différentes étapes de l’activité à apprendre sont présentées l’une après l’autre, par écrit, et les indices externes sont progressivement estompés, jusqu’à ce que le patient parvienne à réaliser la tâche de manière quasiment automatique (Wood, 1992 ; Von Cramon et Matthes Von Cramon, 1992). C’est dans cette perspective que s’inscrit la démarche réadaptative préconisée par Ylieff (1994) pour traiter les troubles séquentiels de l’habillage (ou d’autres activités d’autonomie : repas, toilette). Contention comportementale Les troubles émotionnels, de la personnalité, ou encore des conduites sociales sont souvent un obstacle majeur à la réinsertion familiale, sociale ou 185 professionnelle. Ce type d’approche s’appuie sur des techniques de conditionnement opérant à partir de paradigmes classiques de renforcement positif ou négatif. Elle suppose une analyse des comportements déviants à la recherche des facteurs déclenchants et des pics d’apparition. Après définition d’une conduite dominante à adopter, la thérapie va tenter de réprimer le ou les comportements inappropriés à l’aide de sanctions ou de gratifications. La technique du coût de réponse (Alderman et Ward, 1991 ; Wood, 1992) associée à la technique de surapprentissage cognitif a fait la preuve de son efficacité. Son utilisation doit cependant tenir compte d’un certain nombre de contraintes éthiques rigoureuses afin d’éviter tout débordement, et se conçoit davantage au sein d’une unité de rééducation fonctionnelle qu’au domicile du patient. Substitution et compensation par des aides externes La prise en charge s’appuie sur les interventions extérieures d’un tiers ou de moyens matériels, ainsi que sur l’organisation préalable de l’environnement et des tâches. L’objectif poursuivi est d’assurer la mise en oeuvre de l’activité au moment opportun, de réduire les interférences et d’assurer une supervision externe. Cette approche nécessite une analyse minutieuse des situations et des tâches. Les procédures reposent sur l’organisation temporelle des activités (planification, gestion du temps) et le contrôle des résultats (Ben Yishai et Diller, 1993). Ces techniques, très utilisées dans le cadre domestique ou institutionnel par les proches ou les équipes soignantes, n’ont pas fait l’objet d’évaluation spécifique d’efficacité, toujours difficile à réaliser. Ceci étant, dans une logique de substitution, il faut se souvenir qu’un système technologique sophistiqué reste asservi aux propositions du concepteur et non à la créativité de l’utilisateur potentiel, à supposer qu’il s’en serve. A l’inverse, l’intervention d’un tiers, trop substitutive peut, soit occulter les déficits soit maintenir le patient dans un rôle passif. La majorité des programmes rééducatifs organisent une réhabilitation multimodale, associant approche spécifique et holistique. Ainsi, dans le cas de JB (Aubin et al., 1999), le projet de rééducation a été organisé autour de la fonction la plus déficitaire et donc axé autour des troubles de planification. Un programme d’entraînement à des tâches de résolution de problèmes a été mis en place (trajets en bus, organisation de voyages), avec comme perspective une généralisation des procédures utilisées dans des situations de vie quotidienne. Dans ce cas précis et au delà de l’impact psychologique de la prise en charge, l’entraînement auquel a été soumise la patiente, a eu un effet bénéfique, tant sur la dimension cognitive entraînée que sur l’ensemble des comportements (reprise de la conduite automobile, gestion de tâches domestiques). A l’inverse, les tra- 186 vaux de Delazer et al. (1998), portant sur des résolutions de problèmes numériques, montrent une amélioration des performances dans la tâche concernée, mais ne témoignent d’aucune généralisation. L’orientation actuelle des programmes de rééducation évolue vers une prise en charge dans des situations de vie quotidienne, orientation déjà évoquée dans le cadre de l’évaluation, avec toutes les difficultés méthodologiques que cela peut comporter (en terme de construction des paradigmes, évaluation de l’efficacité, etc.). La prise en charge des troubles exécutifs reste encore un domaine peu investi et les travaux réalisés de manière scientifique sont très peu nombreux. Il est donc difficile de mesurer l’efficacité des traitements mis en place. Ce type de rééducation n’est pas totalement assimilable aux rééducations classiquement développées en neuropsychologie. Le cadre séméiologique hétérogène, les dissociations et le fractionnement dont il fait l’objet, complexifie grandement l’élaboration de programmes de prise en charge du syndrome dysexécutif. Le transfert des apprentissages à d’autres contextes reste problématique, les raisons pour lesquelles un transfert a lieu ou non ne sont pas franchement élucidées. Ceci doit conduire à être prudent quant aux attentes que l’on peut avoir en terme de résultats, mais ne doit pas donner à penser qu’il est inutile d’engager une prise en charge structurée. ♦ Conclusion Plusieurs types d'outils en phase avec les théories exécutives en vigueur sont aujourd'hui à la disposition des cliniciens soucieux de réaliser une analyse détaillée et précise des dysfonctionnements cognitivo-comportementaux des patients qu'ils prennent en charge. Néanmoins, ces outils sont encore peu normalisés, rendant toujours difficiles les interprétations. L'important travail entrepris par le Groupe de Réflexion sur l’Evaluation des Fonctions Exécutives devrait permettre de résoudre partiellement ce problème. Par ailleurs, ces outils ne prennent que peu en compte la dimension linguistique sinon au travers d'aspects très formels. Le développement d'études s'intéressant à la pragmatique du langage et de la communication chez les malades dysexécutifs paraît de ce point de vue nécessaire. La poursuite des progrès dans le domaine de l'investigation des fonctions exécutives devrait permettre de multiplier et d'optimiser les rééducations encore trop peu développées. 187 REFERENCES ALDERMAN, N., & WARD, A. (1991). Behavioural treatment of the dysexecutive syndrome : Reduction of repetitive speech using response cost and cognitive overlearning. Neuropsychological Rehabilitation, 1, 65-80. ALLAIN, P., ETCHARRY-BOUYX, F., & LE GALL, D. (2001a). A case study of selective impairment of the central executive component of working memory after a focal frontal lobe damage. Brain and Cognition, 45, 21-43. ALLAIN, P., JOUADE, A.S., LE ROCH, E., GAINCHE, Y., LE GUIET, J.L., & LE GALL, D. (2001c). 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Bruxelles : de Boeck. - Rééducations neuropsychologiques (1997). F. Eustache, J. Lambert & F. Viader. Bruxelles : de Boeck Université. - De la perception auditive à la compréhension (1997). J. Lambert & J.-L. Nespoulous. Marseille : Solal. - La rééducation en neuropsychologie : études de cas (1999). M.Van Der Linden, D. Perrier & P. Azouvi. Marseille : Solal. - Neuropsychologie des lobes frontaux (1999). M. Van Der Linden, X. Seron, D. Le Gall & P. Andrès. Marseille : Solal. - Psychologie cognitive (1999). P. Lemaire. Bruxelles : De Boeck & Larcier. - Leçons de parole (2000). J. Segui & L. Ferrand. Paris : Odile Jacob. - Neuropsychologie de l’enfant (2000). P. Gillet, C. Hommet & C. Billard. Marseille : Solal. - Actualités en pathologie du langage et de la communication (2001). G. Aubin, C. Belin, D. David & M.P. de Partz. Marseille : Solal. - Neurosciences cognitives (2001). M.S. Gazzaniga, R.B. Ivry & G.R. Mangun. Bruxelles : de Boeck. 191 En langue anglaise : - Cognitive neuropsychology and cognitive rehabilitation (1994). M.J. Riddoch & G.W. Humphreys. Hove : Erlabaum. - Handbook of memory disorders (1995). A.D. Baddeley, B.A. Wilson & F.N. Watts. Chichester : Wiley. - Methodology of frontal and executives function (1997). P. Rabbit. Hove : Psychology Press. - Spoken word production and its breakdown in aphasia (1997). L. Nickels. London, UK : Taylor and Francis. - The rehabilitation of executive disorders (1999). C.A. Mateer. Cambridge : Cambridge University Press. Des ouvrages plus généraux : - A la recherche de la mémoire : le passé, l’esprit et le cerveau (1999). D. L. Schacter. Bruxelles : de Boeck. - Les origines de l’esprit moderne (1999). M. Donald. Bruxelles : de Boeck. - Langage et pensée (en préparation). F. Eustache, J. Segui, J. Lambert & F. Viader. Bruxelles : de Boeck. Parmi les revues : - La revue de Neuropsychologie avec 2 numéros spéciaux : Neuropsychologie de l’enfant : mémoire, attention et fonctions exécutives (2000), vol 10 N°3. La mémoire à long terme (2000), vol. 10, N°1. En langue anglaise, les revues Aphasiology et Neuropsychological Rehabilitation comportent surtout des articles à visée clinique sur l’évaluation et la rééducation. Il faut également mentionner « aphasia therapy file » collection dirigée par S. Byng, K. Swinburn et C. Pound (Hove, Psychology Press) qui édite de façon régulière des ouvrages destinés aux cliniciens avec des exemples très détaillés de thérapies (description des objectifs, des exercices ainsi que mise en place et mesure de l’efficacité). Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie, microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur. 192 DERNIERS NUMÉROS PARUS N °2 04 : REPÉRAGE ET DÉPISTAGE DES TROUBLES DU LANGAGE - Rencontre : Nécessité du dépistage et du traitement précoce en orthophonie (P. FERRAND) — Données Actuelles : Prédire et dépister précocement les dyslexies de l’enfant : quelques questions théoriques et méthodologiques (S. CASALIS) Influence des compétences phonologiques, mnésiques et syntaxiques sur l’apprentissage de la lecture et son dysfonctionnement. Etude longitudinale de la grande section de maternelle au CP (M. PLAZA) — Examens et interventions : Le D.P.L. 3 : mises en perspective (F. COQUET) - ERTL4 et ERTLA6, des outils de repérage à l’usage des médecins (B. ROY, C. MAEDER, A. KIPFFER-PIQUARD, J.-P. BLANC, F. ALLA) Du PEL 92 au TDP 81, une action de prévention et de dépistage en Guadeloupe (E. EZELIN) - Des outils pour le dépistage et le diagnostic précoces des troubles d’acquisition du langage : le Questionnaire « Langage et Comportement 3 ans 1/2 », la Batterie d’Évaluation Psycholinguistique (BEPL-A et B) (C. CHEVRIE-MULLER) - La BREV : une batterie clinique d’évaluation des fonctions cognitives chez les enfants d’âge scolaire et préscolaire (C .B I L L A R D, S. VOL, M.O. LIVET, J. MOTTE, L. VALLÉE, P. GILLET, A. GALLOUX, AG. PILLER) — Perspectives : TDP 81 dans le département de la Somme (C .A D J ERAD, M. BARBIER, L. LESECQ) - Le dépistage des troubles du langage chez l’enfant. Une contribution à la prévention de l’illettrisme (C. BILLARD) N °2 05 : LES MALADIES RARES - Rencontre : Génétique et troubles du langage : dans quelles circonstances adresser un enfant au généticien (A. MUNNICH, S. JACQUEMONT) — Données Actuelles : Les maladies monogéniques (M.-L. BRIARD) - Disomies uniparentales (S. LYONNET) - Syndromes microdélétionnels (A. MONCLA) - Expansions instables de répétitions de trinucléotides (J. AMIEL) — Examens et interventions : Syndrome de Prader-Willi (A. MONCLA) - Syndrome de Prades-Willi : prise en charge médicosocio-éducative (A. POSTEL-VINAY) - La prise en charge orthophonique du jeune enfant Prader-Willi (I. BARBIER) - Syndrome de Moebius (M. LE MERRER) - Conduite orthophoniste dans la rééducation de l’enfant atteint d’un syndrome de Moebius (I. EYOUM) - Micro-délétion 22q11, Syndrome de DiGeorge (N. PHILIP) - Bilan des troubles du langage chez l’enfant avec une délétion du 22q11 (C.COUTANCEAU) - Syndrome de Rubinstein-Taybi (D. LACOMBE) - Prise en charge orthophonique de l’enfant avec un syndrome de Rubinstein-Taybi (C. TOFFIN) - Syndrome de Robin (ou séquence de Robin) (V. ABADIE) L’oralité perturbée chez l’enfant avec Syndrome de Robin (C. THIBAULT, C. BRÉAU) - Syndrome de Franceschetti-Klein (P. EDERY, Y. MANACH) - Prise en charge de l’enfant aplasique auriculaire majeur bilatéral (C. TOFFIN) - Dystrophie musculaire de Duchenne de Boulogne (M.-L. BRIARD) - Dystrophie myotonique de Steinert (S. MANOUVRIER, M.-L. BRIARD) - Maladie de Steinnert. Troubles cog,itifs chez l’enfant (M. GARGIULO, N. ANGEARD) - Prise en charge des troubles de déglutition de l’enfant présentant une pathologie neuro-musculaire (M.-F. ABINUN, C. GOLOVTCHAN) - Syndrome de l’X fragile (A. POSTEL-VINAY, M.-L. BRIARD) - Prise en charge médico-socio-éducative (M.L. BRIARD) — Perspectives : La communication augmentée : un système original, le programme Makaton (S. FRANC) Expérience belge du dépistage du syndrome X fragile : questionnaire X fragile (J.P. FRYNS, M. BORGHGRAEF) - Importance de la guidance parentale (I. BARBIER) - Les troubles du langage oral des enfants atteints d’anomalies héréditaires du métabolisme des protéines (I. PASQUIER, G. TOUATI, M. TOUZIN) N °2 06 : LE BÉGAIEMENT - Données Actuelles : Le bégaiement : hypothèses actuelles (J. MARVAUD) - A propos du bégaiement (J. MARVAUD, A.-M. SIMON) - Bégaiement acquis : une étude rétrospective (J. VAN BORSEL) - Synthèse de l’étude récente de E. Yairi sur les facteurs prédisposant à la chronicisation du bégaiement chez le jeune enfant (C. HAFFREINGUE) — Examens et interventions : Bilan du bégaiement chez la personne adulte (M.-C. MONFRAIS-PFAUWADEL) - Bredouillement (D. HANSEN) - Troubles d’évocation de mots associés au bégaiement (N. TEITLER-BREJON) - De retour de Northwestern (V. BOUCAND) — Perspectives : Elaboration du psychisme - Elaboration du bégaiement chez l’enfant (C. BEAUBERT) Le traitement du bégaiement : son approche selon différents pays, influences diverses et leçons générales (D. A. SHAPIRO) N °2 07 : AUTISME - Rencontre : Orthophonie et autisme : les attentes des parents (C. MILCENT) — Données Actuelles : Les troubles autistiques : données actuelles (C. BURSZTEJN) — Examens et interventions : Problèmes posés par le diagnostic précoce de l’autisme infantile chez le très jeune enfant (A. DANIONGRILLIAT, C. BURSZTEJN) - L’évaluation des compétences communicatives chez l’enfant autiste (M.-J. FERNANDES) - L’imitation dans la prise en charge orthophonique de l’enfant autiste (N. DENNIKRICHEL, C. ANGELMANN, S. BOUR) - Le programme Makaton pour des enfants autistes : expérience d’une institution, expérience institutionnelle (N. SARFATY) - Le système P.E.C.S. - Un système alternatif au langage (C .B RO U S S E) - Intérêt et limite de l’utilisation de l’ordinateur avec des enfants autistes (A. BARRÉ) — Perspectives : Les enjeux de l’intervention précoce chez l’autisme (B. ROGÉ, G. MAGEROTTE, J. FREMOLLE-KRUCK) - Témoignage sur l’évaluation et sur la prise en charge précoce d’un enfant autiste (F. CUNY, B. MARAIS) - Les Centres de Ressources pour l’Autisme - Principes généraux et illustration du fonctionnement du CRA du Languedoc-Roussillon (C. AUSSILLOUX, A. BAGHDADLI)