Les Scouts Musulmans de France
Nicole ROULLAND
Qui aujourd’hui en France connaît ce mouvement de jeunesse ? Mise à part les
intéressés, trop peu de gens sont au courant de l’existence de tels scouts. Et
pourtant, une attention particulière mérite d’être portée à leur sujet, surtout dans la
conjoncture actuelle, connaissant troubles religieux et confusions quant à la religion
musulmane.
Aux origines du scoutisme musulman en France
Créés en 1991 sur l’initiative d’un groupe d’amis, ce mouvement devait répondre au
manque d’infrastructures susceptibles d’accueillir des jeunes de culture musulmane
ou encore des jeunes issus de l’immigration.
Le processus de reconnaissance a donc commencé en 1991 avec le dépôt des
statuts des Scouts Musulmans de France. Cette date coïncide avec le
déclenchement de la Guerre du Golfe, ce qui n’a pas été sans poser de problème
quant à l’intégration des Scouts Musulmans de France dans la société française.
Leur tâche à été, à cette époque de tension entre Orient et Occident, d’incarner le
visage d’un Islam différent. Leur réussite à été saluée par le Scoutisme Français, qui,
en 1994 les a accueillis en son sein aux côtés des Eclaireuses et Eclaireurs
Unionistes de France (EEUdF, mouvement d’origine protestante et d’inspiration
chrétienne), des Scouts de France (SdF, mouvement mixte catholique), des Guides
de France (GdF, mouvement féminin catholique), des Eclaireuses et Eclaireurs de
France (EEdF, mouvement laïc) et enfin des Eclaireuses et Eclaireurs Israélites de
France (EEIF, mouvement juif), comblant ainsi le vide creusé par l’absence de
représentation de la jeunesse musulmane au sein de la grande famille scoute. C’est
enfin en 1995 que les Scouts Musulmans de France affermissent leur processus de
légitimation en intégrant l’Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS),
l’Association Mondiale des Guides et Eclaireuses (AMGE) et l’Union Internationale
des Scouts Musulmans (IUMS).
Nul fondateur n’est à l’origine de la création des Scouts Musulmans de France,
cependant, il n’est pas anodin de mentionner l’homme qui a su donner l’impulsion
nécessaire à la mise en forme du projet. Il s’agit du célèbre Cheikh Khaled
Bentounès, maître spirituel de la confrérie soufie Alaouia. Il agit comme sage et
référent spirituel au sein du mouvement, dont les orientations spirituelles s’inspirent
en grande partie de ses ouvrages.
L’étude d’un tel mouvement de jeunesse n’a d’intérêt que si l’on se penche plus en
avant sur la réalité contemporaine de l’intégration de l’Islam en France. Et cette
recherche engage deux réflexions : tout d’abord ce mouvement peut-il prétendre
permettre aux jeunes, entre autres, à ces jeunes issus de l’immigration, de se faire
une place à part entière dans la société française ? Secondement, ce mouvement
est-il en mesure d’aider à l’intégration et à la reconnaissance de l’Islam en France et
est-il apte à favoriser la naissance et la promotion d’un Islam français, d’une
organisation totalement indépendante des pays musulmans.
Les réponses données à ces interrogations peuvent suivre deux lignes directrices,
deux principes inspirés par les textes de la Fédération du Scoutisme Français, à
savoir le principe spirituel et le principe social, le premier ayant trait aux devoirs
envers Dieu, le second abordant les devoirs envers autrui.
Principe spirituel
Si les Scouts Musulmans de France ont pu intégrer sans difficulté la Fédération du
Scoutisme Français, c’est qu’il manquait à l’époque un mouvement de jeunesse, type
scoutisme, représentant l’Islam et qu’ils répondaient positivement aux critères, assez
strictes promulgués par les instances nationales du Scoutisme Français et
internationales de l’OMMS et de l’AMGE. Les Scouts Musulmans de France sont, et
cela est un fait indéniable, teintés religieusement, cependant, cette particularité ne
doit pas faire oublier les principes du Scoutisme Français en matière spirituelle, qui,
si il accepte de la part des associations à caractère confessionnel une conception de
"
la religion (la foi en un Dieu personnel vécue au sein d’une communauté de
croyants) comme une des sources principales de leur pédagogie et de leur
organisation
", il demande par ailleurs une ouverture à tous les jeunes, sans
discrimination de religion.
C’est ainsi, dans un souci de respect de ces principes, que les Scouts Musulmans de
France se doivent d’être un mouvement ouvert à tous, même si dans la pratique, le
public ciblé est en grande partie d’origine musulmane. Cependant, cette ouverture à
tous les jeunes n’est pas réalisée à contre cœur, elle permet aux responsables des
Scouts Musulmans de France de mettre en pratique et en lumière des convictions
sincères et profondes, énoncées avec la plus grande honnêteté concernant un
aspect très intérieur de la religion musulmane. En effet, l’Islam n’est pas une religion
à part. Elle fait partie du cercle des religions monothéistes et ses traditions, son
histoire ne peuvent être isolées, dissociées de celles du Christianisme ou du
Judaïsme : Noé, Abraham, Moïse, Jésus sont connus et reconnus par les
musulmans et même qualifiés d’envoyés de Dieu ou encore de prophètes
législateurs.
Bien évidemment au sein des activités des Scouts Musulmans de France, on
retrouve, comme dans les autres mouvements confessionnels, des moments
spirituels. Il ne s’agit en aucun cas de moments d’évangélisation, mais bien de temps
de partage d’expériences, de questionnements et de lecture du Coran et si besoin
est, de redéfinition de concepts intrinsèques à l’Islam. Les Scouts Musulmans de
France étant destinés en particulier à des jeunes défavorisés, les responsables
profitent de ces moments particuliers pour faire passer un message important :
l’Islam n’est pas l’exclusivité des extrémistes, ni celle des fanatiques. Et c’est à ces
jeunes, conscients de la richesse de leur culture de proposer au reste de la société
française une image positive de leur religion afin de contrer toutes celles, négatives
véhiculées par les médias depuis maintenant quelques années.
Ces moments spirituels sont, pour la plupart des jeunes, la seule source de
connaissance religieuse. Chez eux, c’est un Islam coutumier qu’ils pratiquent plus
qu’une croyance personnelle et réfléchie. Afin de protéger l’intégrité du mouvement,
les Scouts Musulmans de France n’ont que très peu de rapports avec les mosquées.
En effet, ces jeunes scouts ont une cause à défendre, celle de la sauvegarde de la
richesse culturelle et littéraire de leur religion et les nombreuses querelles intestines
de la communauté musulmane de France ne peuvent que mettre cette quête en
péril.
Si les Scouts Musulmans de France ne fréquentent pas les mosquées, ils n’en
oublient pas pour autant les enseignements religieux qui incombent à la religion
islamique. Par exemple, les Scouts Musulmans de France donnent la possibilité aux
jeunes de vivre leur foi : ceux qui le veulent (car ce n’est pas une obligation) peuvent
faire leurs prières quotidiennes, cependant, il est primordial que cela nuise aux
activités en cours et souvent les prières se limitent au nombre de deux, le matin et le
soir.
Enfin, c’est au sein des textes de référence que les Scouts Musulmans de France
affirment leur attachement à l’Islam. Tout d’abord, il est important de montrer que
dans un souci de respect des principes du Scoutisme Français énoncés plus haut
(ceux concernant l’ouverture du mouvement à tous, sans distinction de religion), les
objectifs pédagogiques des Scouts Musulmans de France, tout en affirmant un
caractère spirituel indéniable, ne font aucun allusion spécifique à l’Islam (il n’y est ni
question de Coran, ni de Mahomet, ni d’Allah). Pour exemple, citons le projet
pédagogique édicté par les Scouts Musulmans de France :
" Eduquer et développer
ses sens. S’ouvrir aux autres et agir dans la solidarité. Se découvrir par l’action en
ville et dans la campagne. Acquérir et transmettre une expérience fondée sur la
mémoire du savoir-faire de l’homme. Eveiller et vivre les valeurs spirituelles de la
vie "
.
Ce sont ensuite dans les outils pédagogiques proposés par le mouvement que sont
introduites des références explicites aux principes propres à l’Islam. Les citations du
Coran prennent une place non négligeables au sein du carnet destiné aux plus
jeunes, les voyageurs, d’autant plus que les territoires rencontrés par les jeunes
scouts portent les noms des grands prophètes reconnus par l’Islam : Adam, Noé,
Abraham, Moïse, Salomon, Jésus et Mahomet. Chaque nom est accompagné d’une
citation du Coran. Pour Mahomet, on peut lire :
" O toi, le Prophète ! Nous t’avons
envoyé comme témoin, comme annonciateur de bonnes nouvelles, comme
avertisseur et comme celui qui invoque Dieu "
(XXXIII, 45-46).
Pour certains, ces moments spirituels ou encore ces références à l’Islam au sein des
documents peuvent donner l’impression d’une non-ouverture aux jeunes non-
musulmans. Cependant, c’est un fait que jeunes juifs, chrétiens ou athées sont les
bienvenus au sein du mouvement. Mais comme les autres mouvements
confessionnels, les Scouts Musulmans de France marquent leur distinction. Les
parents qui inscrivent leurs enfants dans ce mouvement sont informés de cette
spécificité et c’est donc en connaissance de cause qu’ils y souscrivent.
Pour achever cette partie et afin de clarifier les rapports qu’il peut y avoir entre les
Scouts Musulmans de France et l’Islam de France, faisons un parallèle avec le
mouvement des Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France, mouvement
protestant qui en 1994 pouvait se considérer comme un lieu reconnu par les Eglises
pour former les cadres de l’Eglise de demain. En effet, à cette époque, on pouvait
estimer que 80% des conseillers presbytéraux, ainsi que 70% des pasteurs étaient
passés par les EEUdF. Partant de ces données, on peut espérer que les Scouts
Musulmans de France suivront les mêmes chemins empruntés par leurs aînés et
peut-être que ces jeunes scouts d’aujourd’hui constitueront le clergé musulman
français de demain. L’Islam français a peut-être une chance d’amorcer un
changement de configuration et un remaniement institutionnel en laissant ses
commandes à de jeunes musulmans français. Car une enquête concernant la
gestion des mosquées montre que seuls 4% des imams, en 1990, avaient la
nationalité française, ce qui ne va pas sans poser de difficultés quant à la
représentativité de l’Islam en France et ne permet que très difficilement des relations
avec les instances de autres religions ou avec les autorités politiques. L’arrivée de
jeunes imams français, pourquoi pas issus des Scouts Musulmans de France,
pourrait donner un souffle nouveau à l’Islam de France.
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