La lettre du neurologue - n° 3 - vol. V - mars 2001
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atteinte isolée d’un ou de
plusieurs nerfs crâniens est
toujours une urgence diagnos-
tique : quel que soit le nerf touché, une
attitude thérapeutique urgente peut être
nécessaire. Dans tous les cas, la
démarche diagnostique ne sera pas
différée, au moins tant que les diagnos-
tics menaçants attachés à chaque attein-
te particulière d’un nerf ou d’un groupe
de nerfs crâniens n’auront pas été éli-
minés par les explorations adaptées. Le
bilan diagnostique, s’il peut être effectué
sans délai, ne nécessite pas systémati-
quement une hospitalisation. Celle-ci est
en revanche souvent justifiée par la
nécessité de préciser rapidement les
risques évolutifs, de pratiquer une ponc-
tion lombaire, d’établir une surveillance
ou de mettre en route un traitement. Le
diagnostic de localisation de l’atteinte
commence par la vérification qu’il ne
s’agit pas d’une atteinte de l’organe péri-
phérique moteur ou sensoriel mis en jeu
par le nerf impliqué : plaque motrice,
muscle, appareil récepteur visuel,
cochléaire ou vestibulaire. La détermina-
tion du site lésionnel repose ensuite sur
les caractéristiques sémiologiques de
l’atteinte neurologique : notamment les
territoires moteur et sensitif touchés, et
sur la parfaite connaissance de l’anato-
mie physiologique des nerfs crâniens.
Car, outre leurs trajets différents, les
nerfs crâniens ont des fonctions variées :
somato-motrices, somatosensitives, sen-
sorielles, viscéromotrices et viscérosensi-
tives. Certains sont monovalents (I, II,
III, IV, VI, VIII, XI spinal, XII), d’autres,
nerfs mixtes, sont polyvalents (V, VII, IX,
X). L’examen doit enfin s’attacher à
découvrir une éventuelle atteinte asso-
ciée qui permettrait de préciser mieux le
site lésionnel, notamment intra- ou
extra-axial, mais il peut n’apporter aucun
indice d’orientation même en cas d’at-
teinte centrale. En effet, l’atteinte isolée
des nerfs crâniens, III et VI surtout, mais
aussi IV, V, VII et VIII vestibulaire, a été
décrite lors de lésions du tronc cérébral
ischémiques ou démyélinisantes (1).
Le diagnostic étiologique et différentiel
repose, d’une part, sur l’anamnèse, les
antécédents, le mode de constitution de
l’atteinte, le contexte de survenue et l’al-
lure évolutive, d’autre part, sur les explo-
rations biologiques et radiologiques
adaptées à chaque cas. D’une manière
générale, un contexte infectieux (fièvre,
foyer connu, CRP élevée) doit conduire à
une exploration sans délai avec au mini-
mum imagerie et étude complète du LCR
aux urgences. En l’absence de certitude
sur le site lésionnel et d’imagerie norma-
le, le bilan neuro-physiologique compre-
nant EMG, études des réflexes de cligne-
ment et massétérin, potentiels évoqués
est parfois utile (1).
Chaque nerf crânien constitue un cas
particulier du fait de son anatomie
propre et de ses fonctionnalités. Certains
groupements de nerfs crâniens consti-
tuent aussi des urgences diagnostiques
spécifiques (atteintes ophtalmoplé-
giques, syndrome du trou déchiré posté-
rieur, par exemple). Nous envisagerons
les caractéristiques propres à l’atteinte
de chaque nerf crânien individuellement
et celles des groupements syndromiques
ainsi que les problèmes diagnostiques
particuliers que posent les polyneuro-
pathies crâniennes. Les atteintes du nerf
olfactif (I) et du nerf optique (II) sont
volontairement laissées de côté pour des
raisons de place. L’atteinte du nerf
cochléovestibulaire (VIII) ne sera pas
abordée ici car les vertiges aigus font
l’objet d’un article séparé.
LES ATTEINTES DES NERFS
OCULOMOTEURS (2)
Devant une ophtalmoplégie, se manifes-
tant le plus souvent par une diplopie, le
raisonnement diagnostique consiste en
premier lieu à éliminer une atteinte
supra- ou internucléaire, puis à détermi-
ner cliniquement, et au besoin à l’aide
d’un Lancaster, quel(s) nerf(s) oculomo-
teur(s) est(sont) en cause. En cas de
symptomatologie variable, que ce soit
en intensité ou en topographie, il faut
systématiquement évoquer la possibilité
d’une myasthénie et pratiquer un test
diagnostique par l’injection d’un anti-
cholinestérasique d’action rapide. Quelle
que soit la topographie de l’ophtalmo-
plégie, le diagnostic de maladie de
Basedow (myopathie oculaire) doit aussi
être envisagé et un dosage de la TSH est
quasi systématique si l’imagerie est nor-
male. Le cadre des ophtalmoplégies dou-
loureuses regroupe la quasi-totalité des
causes d’ophtalmoplégies : le raisonne-
ment diagnostique initial ne diffère pas
de celui des ophtalmoplégies non dou-
loureuses, mais il doit être plus urgent.
Les causes compressives et infectieuses
doivent être recherchées en premier lieu.
Le diagnostic de maladie de Horton doit
rester la hantise en cas de syndrome
inflammatoire et les diagnostics de syn-
drome de Tolosa et Hunt et de migraine
ophtalmoplégique doivent rester des
diagnostics d’élimination.
En cas d’atteinte ophtalmoplégique
isolée chez l’adulte, le VI est le plus
AAtttteeiinntteess iissoollééeess ddeess nneerrffss ccrrâânniieennss
AAtttteeiinntteess iissoollééeess ddeess nneerrffss ccrrâânniieennss
T. de Broucker*
* Service de neurologie, hôpital Delafontaine,
Saint-Denis.
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En cas d’atteinte ophtalmoplégique
isolée chez l’adulte, le VI est le plus
souvent touché, le III est touché envi-
ron deux fois moins souvent que le VI et
le IV n’est atteint que dans 10 % des cas
(3). Chez l’enfant, la cause la plus fré-
quente des ophtalmoplégies isolées est
congénitale et concerne le IV en premier
lieu, puis le VI et enfin le III.
Le nerf moteur oculaire commun (III)
L’analyse sémiologique précise est capita-
le pour préciser le niveau de l’atteinte et
pour orienter efficacement les explora-
tions diagnostiques. Les atteintes
nucléaires du III peuvent s’accompagner
d’une parésie bilatérale de l’élévation
palpébrale. Les atteintes compressives
tronculaires s’accompagnent d’une para-
lysie première de la motricité intrinsèque
(mydriase unilatérale dans 90 % des III
anévrismaux), puis d’une atteinte plus ou
moins complète de la motricité
extrinsèque. Les atteintes vasculaires
ischémiques tronculaires sont purement
extrinsèques dans 80 % des cas, épar-
gnant la motricité pupillaire.
L’exploration d’une atteinte du III s’impo-
se toujours en urgence, quel que soit le
type d’atteinte, car les atypies sont pos-
sibles et la hantise d’une rupture d’ané-
vrisme de la terminaison carotide ou de la
communicante postérieure doit rester au
premier plan tant qu’elle n’est pas éli-
minée. Le scanner cérébral sans et avec
injection de contraste est indiqué en
urgence principalement pour rechercher
un saignement sous-arachnoïdien. La
normalité du scanner imposerait d’étudier
le LCR à la recherche d’une hémorragie
sous-arachnoïdienne. Si l’hypothèse ané-
vrismale se confirme, l’exploration angio-
graphique diagnostique et thérapeutique
doit être effectuée en urgence dans un
centre disposant de praticiens rompus
aux techniques de traitements endovas-
culaires. L’IRM cérébrale avec ARM des
vaisseaux intra-crâniens est l’examen de
choix pour le diagnostic étiologique
d’une paralysie du III, car elle permet
non seulement d’explorer le III de son
origine nucléaire à la fente sphénoïdale,
mais aussi les structures avoisinantes
dont le sinus caverneux, le sinus sphé-
noïdal, le polygone de Willis et la termi-
naison de la carotide interne. De nom-
breuses causes peuvent être détectées
par l’IRM ou le scanner, comme la sinusi-
te sphénoïdale ou l’apoplexie hypophy-
saire, qui nécessitent des prises en
charge thérapeutiques urgentes, ainsi
que, dans des contextes en général diffé-
rents, des atteintes tumorales, infec-
tieuses ou inflammatoires dans lesquelles
l’atteinte du III s’accompagne d’atteintes
de structures de proximité conduisant à la
constitution de syndromes variables en
fonction du site de l’atteinte. Il en est de
même pour l’engagement temporal. L’IRM
peut enfin montrer des signes isché-
miques pédonculaires dans le cas rare
d’atteinte isolée du III intra-axial.
L’atteinte exclusive du III extrinsèque est
fortement évocatrice de III ischémique
tronculaire dont la première cause est le
diabète sucré. Mais même dans ces cas,
l’IRM et l’étude du LCR doivent être systé-
matiques en même temps que sont prati-
quées les explorations biologiques com-
prenant la recherche d’un diabète et
d’autres maladies systémiques (vascula-
rites).
L’atteinte du III peut être associée à l’at-
teinte d’autres nerfs crâniens (IV, V-1, et
VI, surtout). L’association syndromique
ainsi formée doit orienter le bilan radio-
logique. Le site le plus fréquemment tou-
ché est le sinus caverneux, où l’associa-
tion lésionnelle indique, d’arrière en
avant, le niveau de l’atteinte, et la fente
sphénoïdale.
Le nerf pathétique (IV)
Pris isolément, le pathétique est plus
rarement atteint chez l’adulte que les
deux autres nerfs oculomoteurs. La para-
lysie du IV se traduit par une diplopie
verticale maximale quand l’œil atteint
regarde en bas et en dedans. Les trau-
matismes crâniens représentent la pre-
mière cause de son atteinte. Le zona
ophtalmique peut s’accompagner d’une
paralysie du IV (gaine myélinique com-
mune au V-1 et au IV). Les anévrismes
sont très rarement en cause, car ils sont
le plus souvent supraclinoïdiens. Cette
possibilité impose toutefois la pratique
d’une IRM systématique ainsi que d’une
étude du LCR en cas de normalité de
l’IRM, étant donné le trajet relativement
long du IV dans les espaces sous-arach-
noïdiens, le rendant vulnérable aux pro-
cessus méningés infectieux, inflamma-
toires, ou tumoraux. Chez l’enfant,
l’atteinte du IV est le plus souvent
congénitale.
Le nerf moteur oculaire externe (VI)
La paralysie du VI survient rarement
isolément. C’est néanmoins la paralysie
oculomotrice la plus fréquente : son
atteinte uni- ou bilatérale n’est pas tou-
jours localisatrice car elle peut témoi-
gner d’une hypertension intracrânienne.
L’atteinte isolée du VI impose de prati-
quer un bilan comportant une IRM
(étude des tissus mous) et, éventuelle-
ment, un scanner (étude des structures
osseuses), car la lésion peut siéger, au
cours de son trajet protubérantiel, dans
les espaces sous-arachnoïdiens, ou de la
pointe du rocher à la fente sphénoïdale.
Le syndrome de Gradenigo comporte une
atteinte du V moteur et sensitif associée
au VI et doit faire rechercher une lésion
de la pointe du rocher. L’imagerie peut
aussi montrer une pathologie respon-
sable d’une paralysie indirecte du VI
(hypertension intracrânienne) : tumeur,
hydrocéphalie, etc. L’étude du LCR est
indispensable en cas de normalité de
l’imagerie avec prise de la pression d’ou-
verture. Elle doit notamment comporter
une étude anatomopathologique fiable.
Il est à noter enfin que l’atteinte
uni- ou bilatérale du VI peut être une
complication exceptionnelle de la
ponction lombaire.
Les paralysies multiples des nerfs
oculomoteurs
L’atteinte bilatérale aiguë des nerfs ocu-
lomoteurs est une urgence diagnos-
tique. L’apoplexie hypophysaire en est
une étiologie. Elle est due à un infarc-
tus lié à la présence d’un adénome. Elle
se manifeste de façon très variable et
souvent bruyante par des céphalées
aiguës, un syndrome méningé, une
amaurose bilatérale, un trouble de la
conscience d’intensité variable. L’imagerie
peut montrer un infarctus souvent
hémorragique de la glande hypophyse à
l’intérieur d’une selle turcique élargie.
L’étude du LCR montre une réaction
méningée plus ou moins hémorragique
normoglycorachique à majorité de
polynucléaires neutrophiles. Le bilan
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thérapeutique. La neurochirurgie ne doit
être envisagée que dans un deuxième
temps, en l’absence d’amélioration cli-
nique au bout de 24 à 48 heures de trai-
tement médical bien conduit, en milieu
de soins intensifs ou de réanimation.
L’association d’une ophtalmoplégie
bilatérale aiguë à une aréflexie et à une
ataxie constitue le syndrome de Miller-
Fisher, dont la parenté nosologique avec
le syndrome de Guillain-Barré est de
moins en moins mise en doute, avec
présence d’anticorps anti-GQ1b.
L’imagerie est normale. Le LCR est anor-
mal dans la moitié des cas, sous la
forme d’une hyperprotéinorachie isolée.
D’autres causes moins fréquentes doi-
vent aussi être évoquées, la méningite
tuberculeuse en particulier, voire la
diphtérie. Le diagnostic différentiel
d’avec les affections de la jonction neu-
romusculaire, le botulisme et la myas-
thénie, doit être évoqué de principe en
urgence, ainsi que les affections tou-
chant le tronc cérébral, en particulier
l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke.
Les atteintes unilatérales multiples des
nerfs oculomoteurs doivent faire recher-
cher en premier lieu par l’imagerie une
lésion du sphénoïde (syndrome de
Jacod), du sinus caverneux (syndrome de
Foix-Jefferson) et de la fente sphénoïda-
le (syndrome de Rochon-Duvigneaud).
Dans tous les cas, le trijumeau est plus
ou moins touché, de sa branche ophtal-
mique en avant, à l’ensemble de ses
branches en arrière. Le syndrome de
Tolosa et Hunt est une cause d’ophtal-
moplégie unilatérale multiple doulou-
reuse par atteinte inflammatoire du sinus
caverneux qui doit rester un diagnostic
d’élimination. L’IRM serait évocatrice en
montrant une paroi latérale convexe et
régulière, et surtout une augmentation
de la distance séparant la lumière caroti-
de de la paroi latérale du sinus.
L’atteinte du sympathique oculomoteur :
le syndrome de Claude Bernard-Horner
(CBH)
L’existence d’un CBH, le plus souvent
dans un contexte céphalalgique, permet
d’affirmer une lésion sur le trajet du
sympathique intra-axial ou cervical, le
long de la carotide interne. À côté des
causes intra-axiales, qui ne laissent
jamais le CBH isolé, sa constatation
dans un contexte de céphalée aiguë doit
faire éliminer une dissection carotide
paucisymptomatique par un écho-doppler
cervical et une IRM. Une dissection de
la carotide intracrânienne doit être
recherchée en cas d’atteinte associée du
III, du IV ou du VI. Le syndrome para-
trigéminal de Raeder (association d’une
atteinte des V-1 et V-2 à un CBH) peut
s’observer dans les atteintes de la pointe
du rocher, justifiant une exploration
radiologique orientée.
LE NERF TRIJUMEAU (V)
L’atteinte isolée du trijumeau ou de
l’une des ses branches constitue rare-
ment une urgence neurologique. La
symptomatologie peut être de nature
déficitaire (hypo- ou anesthésie), ou
douloureuse, à type de douleur névral-
gique. De façon générale, la constata-
tion d’un trouble sensitif objectif, d’une
diminution du réflexe cornéen, ou d’une
atteinte motrice trigéminée imposent
une exploration complémentaire (ima-
gerie, électrophysiologie, LCR, biologie
systémique) dont le caractère urgent
doit être apprécié en fonction du
contexte. Les causes d’atteintes trigé-
minées sont diverses : sclérose en
plaques, anévrisme du tronc basilaire,
lésions de la pointe du rocher (syndrome
de Gradenigo), du sinus caverneux, du
sphénoïde et du rocher, de la fente
sphénoïdale, voire de l’orbite. Dans la
très grande majorité des cas, des
symptômes associés permettent un dia-
gnostic topographique. En cas de neuro-
pathie isolée, à côté du zona ophtal-
mique, qui est exceptionnellement sine
herpete, les diagnostics de maladies
systémiques doivent être évoqués : syn-
drome de Gougerot-Sjögren, scléroder-
mie et autres connectivites, atteinte
métastatique d’un cancer solide ou d’une
hémopathie en cas de neuropathie men-
tonnière. L’atteinte isolée du V2 peut se
voir dans certaines néoplasies ORL.
Un trismus aigu unilatéral traduit le plus
souvent une infection locorégionale
(phlegmon de l’amygdale, cellulite d’ori-
gine dentaire) dont les signes propres
sont le plus souvent évidents. Il peut
être dû à un spasme masticatoire uni-
latéral, notamment dans le cadre d’une
dystonie aiguë due aux neuroleptiques.
Un trismus bilatéral aigu est un signe
quasi pathognomonique du tétanos
(tétanos céphalique de Rose). Il impose
le transfert sans délai en milieu de réa-
nimation pour mise en œuvre immédiate
du traitement spécifique et symptoma-
tique : tout retard diagnostique fait cou-
rir le risque d’asphyxie aiguë par spasme
laryngé.
LE NERF FACIAL (VII)
L’atteinte aiguë isolée du nerf facial
pose un problème différent de l’atteinte
des autres nerfs crâniens, car elle est le
plus souvent idiopathique. Le diagnos-
tic positif de l’atteinte du nerf facial est
généralement facile. Les atteintes asso-
ciées de l’intermédiaire de Wrisberg, du
nerf du muscle de l’étrier, de la corde
du tympan sont autant d’éléments
de confirmation qui peuvent aider
à préciser le site de l’atteinte. La
recherche d’une atteinte des nerfs voi-
sins (VIII, V, oculomoteurs) doit être
systématique. En cas de paralysie facia-
le isolée aiguë, le problème est de ne
pas affirmer trop vite le diagnostic de
paralysie faciale a frigore et de savoir
détecter certains signaux d’alerte
cachés dans l’anamnèse ou dans l’exa-
men clinique. Ainsi les méningoradi-
culites faciales aiguës ou les paralysies
post-traumatiques peuvent imposer un
traitement urgent. Il ne s’agit pas tant
du zona du ganglion géniculé, dont le
diagnostic est orienté par l’éruption
zostérienne de la partie antérieure du
conduit auditif externe (zone de
Ramsay-Hunt), ou des atteintes post-
infectieuses de la varicelle ou de la
mononucléose infectieuse, que de la
primo-infection VIH, de la maladie de
Lyme ou de la rhombencéphalite listé-
rienne. Le nerf facial est aussi le pre-
mier nerf crânien touché dans la sarcoï-
dose. L’interrogatoire est d’une impor-
tance primordiale pour l’évocation du
diagnostic ainsi que les examens com-
plémentaires appropriés au moindre
doute : étude du LCR, sérologies VIH,
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borréliose, enzyme de conversion de
l’angiotensine, radio de thorax. En cas
d’évolution progressive ou en cas
d’antécédent traumatique, une imagerie
du rocher sera réalisée (scanner avec
fenêtres osseuses) à la recherche d’une
pathologie locorégionale (pétrosite gra-
nulomateuse, cholestéatome). En l’ab-
sence d’élément d’orientation et devant
un tableau typique de paralysie faciale
idiopathique, la mise en route rapide
d’un traitement corticoïde bref, assorti
d’une protection oculaire systématique,
est justifiée. Le traitement antiherpé-
tique, du fait de l’implication de plus en
plus vraisemblable du virus HSV-1 dans
la physiopathologie, est proposé dans
les cas d’atteinte massive (4).
LES NERFS DU CARREFOUR ORO-
PHARYNGO-LARYNGÉ (IX, X, XI, XII)
Les quatre derniers nerfs crâniens ont
des fonctions complémentaires dans la
phonation, l’articulation et la dégluti-
tion. Leurs rapports anatomiques sont
proches tant dans le tronc cérébral que
pendant une partie de leurs trajets.
L’examen clinique d’un patient présen-
tant une symptomatologie du carrefour
est simple. Il doit être systématique-
ment complété d’une étude des cordes
vocales en laryngoscopie, surtout s’il
existe une dysphonie ou une sympto-
matologie respiratoire comme dans le
syndrome de Gerhardt. Le diagnostic
différentiel le plus fréquent se fait avec
le syndrome pseudo-bulbaire qui peut
être discuté en cas d’atteintes de la
phonation et de la déglutition d’instal-
lation aiguë. L’examen permet alors le
plus souvent d’en faire le diagnostic sur
la dissociation automatico-volontaire
lors de l’étude des réflexes locaux,
l’atonie bilatérale symétrique, l’absence
d’amyotrophie linguale, la labilité émo-
tionnelle. Le diagnostic différentiel
doit aussi éliminer les pathologies de la
jonction neuromusculaire : myasthénie
surtout par le test au chlorhydrate
d’edrophonium, et botulisme.
Le nerf glosso-pharyngien (IX)
Le IX est un nerf mixte à vocation essen-
tiellement sensitive et viscérale. Les
paralysies isolées du IX sont exception-
nelles : elles sont le plus souvent associées
à une atteinte du X et du XI bulbaire,
que ce soit dans le tronc cérébral ou le
long de son trajet. La névralgie du IX est
l’expression principale de la pathologie du
IX. Elle est dix fois moins fréquente que la
névralgie du trijumeau, mais sa sympto-
matologie peut être impressionnante,
voire menacer le pronostic vital. La dou-
leur est de type fulgurante, siégeant à la
base de la langue et à la paroi latérale du
pharynx. Elle peut s’accompagner d’une
hypertonie vagale paroxystique avec syn-
copes vasoplégiques de gravité variable
pouvant poser des problèmes thérapeu-
tiques difficiles. La névralgie du IX est le
plus souvent idiopathique ou liée à un
conflit vasculo-nerveux, elle peut être due
rarement à un zona.
Le nerf pneumogastrique (X)
Le X est un nerf mixte dont le territoire
d’innervation motrice est capital pour
toutes les fonctions oro-pharyngo-
laryngées. Dans le tronc cérébral, son
atteinte n’est qu’exceptionnellement
isolée. Ses particularités anatomiques, en
particulier le niveau d’émergence de ses
collatérales, expliquent la symptomatolo-
gie observée en cas d’atteinte tronculaire
: l’émergence du nerf laryngé supérieur en
aval du trou déchiré postérieur explique
la paralysie complète (abducteurs et
adducteurs) de la corde vocale en cas
d’atteinte en amont, et la paralysie des
abducteurs de la corde vocale en cas d’at-
teinte en aval. Le syndrome de Gerhardt,
qui comporte une atteinte aiguë ou sub-
aiguë bilatérale des nerfs laryngés infé-
rieurs ou récurrents, réalise une urgence
vitale par menace d’asphyxie laryngée,
due à la paralysie des muscles dilatateurs
de la glotte. La symptomatologie associe
une dyspnée inspiratoire d’aggravation
progressive, du fait de l’inflammation des
cordes vocales, à une vocalisation res-
pectée, du fait du fonctionnement des
muscles crico-arythénoïdiens innervés par
les nerfs laryngés supérieurs. Il peut aussi
s’agir d’une symptomatologie asphyxique
nocturne récidivante. L’examen laryngo-
scopique permet de confirmer le diagnostic
en montrant des cordes vocales affrontées
en adduction. Le traitement peut néces-
siter une trachéotomie d’extrême urgence.
La prise en charge immédiate comprend
l’oxygénothérapie, un aérosol anti-
inflammatoire, l’injection de corticoïdes
et l’appel de l’ORL. Les causes du syndrome
de Gerhardt sont multiples. Siégeant très
rarement en amont des foramens jugu-
laires, il est alors dû à l’atteinte bila-
térale bulbaire des deux tiers inférieurs
des noyaux ambigus (SLA, atrophie multi-
systématisée, gliomes, syringobulbie), les
lésions touchent le plus souvent les deux
nerfs récurrents, lésés en même temps
lors d’une intervention thyroïdienne ou
œsophagienne.
Le nerf spinal (XI)
Le XI est un nerf purement moteur. Son
atteinte se confond le plus souvent avec
l’atteinte du X. Les pathologies neurolo-
giques urgentes qui l’impliquent concer-
nent généralement plusieurs nerfs de la
région dans le foramen jugulaire ou
l’espace sous-parotidien postérieur.
L’atteinte de son noyau, de sa racine cer-
vicale ou de son tronc entraîne une para-
lysie du trapèze et du sternocléidomas-
toïdien. Une pathologie médullaire située
au niveau de C1-C2 peut donc se mani-
fester ainsi.
Le nerf grand hypoglosse (XII)
Le XII est un nerf purement moteur inner-
vant l’hémilangue homolatérale. Sa para-
lysie isolée est rare mais peut être
observée dans toutes les lésions intrabul-
baires touchant le noyau hypoglosse,
dans les pathologies méningées ou
osseuses de la base du crâne, dont les
malformations de la charnière. Une
atteinte aiguë du XII, douloureuse ou
non, doit faire évoquer une dissection de
la carotide interne cervicale dans l’espace
sous-parotidien postérieur. L’IRM est
l’examen de choix du diagnostic. Un syn-
drome douloureux aigu de l’hémilangue
lors de la rotation rapide du chef a été
décrit sous le nom de neck-tongue syn-
drome : il est en fait dû à la compression
de la racine sensitive de C2 qui véhicule
quelques fibres sensitives de la langue
venant du XII.
Les atteintes multiples des derniers
nerfs crâniens
Atteintes bulbaires
Les lésions bulbaires sont fréquemment
responsables de paralysies des derniers
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nerfs crâniens. Leur paralysie, de confi-
guration variable, n’est jamais isolée et
s’inscrit dans le cadre de syndromes faci-
lement reconnaissables comme le syn-
drome de Wallenberg ou le syndrome de
l’hémibulbe de Babinski-Nageotte. Dans
le syndrome de Wallenberg, la constata-
tion d’une paralysie du XII est un signe
de gravité par extension interne de la
zone infarcie, au même titre que le
hoquet.
Syndrome du trou déchiré postérieur
(Vernet)
L’atteinte conjointe du IX, du X et du XI,
épargnant le XII dont la sortie du crâne
se fait par le trou condylien, est caracté-
ristique mais non spécifique d’une lésion
compressive du trou déchiré postérieur
(foramen jugulaire). Dans le cadre de
l’urgence, le bilan doit rechercher en pre-
mier lieu une cause infectieuse, le plus
souvent ORL, par le scanner (avec
fenêtres osseuses), complétée d’une
IRM, si nécessaire, pour déceler notam-
ment une thrombose associée de la
veine jugulaire interne, mais aussi une
dissection carotide. Le doppler cervical
peut alors orienter le diagnostic en
urgence s’il montre un frein circulatoire
distal. Un antécédent de traumatisme
récent doit faire rechercher une fracture
de la base par un scanner millimétrique
en fenêtres osseuses. Les autres causes
sont d’évolution plus progressive
(tumeurs nasopharyngées, glomiques,
osseuses, méningées, cholestéatome).
Syndrome de Collet et Sicard
Il associe les atteintes du IX, du X, du XI
et du XII. Sa constitution aiguë doit faire
évoquer, outre une cause tumorale rare-
ment aiguë, une dissection sous-adventi-
cielle de la carotide interne dans l’espace
sous-parotidien postérieur, en avant du
corps de C2 (5). Les quatre troncs ner-
veux sont comprimés par l’hématome
périartériel, ainsi que le sympathique
péricarotidien (syndrome de Villaret). Le
signe de Claude Bernard-Horner n’est pas
constant. Le diagnostic de dissection
repose sur l’IRM qui montre l’hématome
pariétal à partir du cinquième jour.
L’écho-doppler n’aide pas toujours à ce
diagnostic du fait des conditions anato-
miques et de la persistance possible d’un
flux artériel. Les autres causes d’atteinte
conjointe des quatre derniers nerfs
crâniens au niveau du condyle occipital
antérieur entraînent des tableaux sou-
vent plus progressifs et surtout sans syn-
drome de Claude Bernard-Horner. Leurs
causes sont variées : tumeurs (base du
crâne, rocher, parotide, hémopathies),
anévrismes de l’artère cérébelleuse
postéro-inférieure, infections de l’espace
sous-parotidien postérieur.
LE SYNDROME DE GARCIN
Il consiste en l’atteinte progressive et
souvent douloureuse de l’ensemble des
dix derniers nerfs crâniens d’un côté,
assemblant progressivement les syn-
dromes des derniers nerfs crâniens, de
l’angle ponto-cérébelleux et des nerfs
oculomoteurs. Seuls les nerfs olfactif et
optique sont épargnés. Le bilan diagnos-
tique repose sur l’imagerie (scanner et
IRM). En cas de normalité, l’étude du
LCR, notamment anatomopathologique,
est indispensable. Les causes du syndrome
de Garcin sont principalement l’exten-
sion à la base du crâne de tumeurs naso-
pharyngées, les tumeurs primitives ou
métastatiques de la base du crâne et les
infiltrats des hémopathies.
LES POLYNEUROPATHIES DES NERFS
CRÂNIENS
À côté de l’extension aux nerfs crâniens
du syndrome de Guillain-Barré, qui doit
être une des hantises du clinicien sur-
veillant l’évolution d’un patient, et du
syndrome de Miller-Fisher évoqué précé-
demment, les polyneuropathies crâ-
niennes bilatérales posent des pro-
blèmes diagnostiques souvent difficiles.
L’association d’une diplégie faciale à une
atteinte oropharyngée, sans autre ano-
malie qu’une dissociation protéinocyto-
logique du LCR, a été décrite comme une
variante sémiologique du syndrome de
Guillain-Barré. Des atteintes multiples
de nerfs crâniens ont été décrites dans
le contexte d’une infection par Listeria
monocytogenes, par le virus Epstein-
Barr, par le VIH, par d’autres virus ou
organismes apparentés ou lors de
méningites mycosiques. La tuberculose,
la sarcoïdose, la maladie de Wegener
doivent aussi être systématiquement
recherchées.
RRÉÉFFÉÉRREENNCCEESS BBIIBBLLIIOOGGRRAAPPHHIIQQUUEESS
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Crédit photos : Photodisc©
Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny sur Marne - Dépôt légal 1er trimestre 2001. © février 1997 - Edimark SA.
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