Janvier 2013 98
Dieu et l’absolu :
une question toujours actuelle
Entretien avec Jean Greisch*
ESPRIT – Votre dernier livre1se place sous les auspices d’une citation
de Merleau-Ponty : « La philosophie consiste à donner un autre nom
à ce qui a été longtemps cristallisé sous le nom de Dieu. » Est-ce à dire
que la théologie demeure un axe central de la philosophie moderne ?
Y a-t-il, selon vous, quelque chose d’inévitable à ce que la philosophie
rencontre la question de l’absolu ?
Mon interrogation porte sur le lien pluriséculaire que la philo-
sophie occidentale a noué entre la question philosophique de Dieu
et l’interrogation sur « l’être en tant qu’être2».
On peut certes tourner le dos à ce que Heidegger, emboîtant le
pas de Kant, désigne comme « ontothéologie », pour proclamer la
« fin de la métaphysique » et la nécessité d’un « autre commence-
ment de la pensée ». Il n’empêche qu’un tel renoncement ne peut
se faire qu’en connaissance de cause, ce qui est loin d’être le cas
chez ceux qui font comme si ce renoncement allait de soi et pouvait
s’accomplir en quelque sorte les yeux fermés. Des philosophes
aussi centraux au XXesiècle que Martin Heidegger3, ou Jacques
* Jean Greisch a enseigné à la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, dont
il fut doyen de 1985 à 1994. De 2009 à 2012, il était titulaire de la chaire Romano-Guardini
à l’université Humboldt de Berlin.
1. Jean Greisch, Du « non-autre » au « tout autre ». Dieu et l’absolu dans les théologies
philosophiques de la modernité, Paris, PUF, 2012.
2. Conformément au « cahier des charges » de la chaire Gilson, où ces « Leçons » furent
données en mars 2012.
3. Voir l’article de Sophie-Jan Arrien dans ce numéro, p. 68.
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