Migros Magazine No 2 du 07/01/08 Page 16, Région Edition nationale

16Entretien MigrosMagazine 2,7janvier 2008
«Jétais un
malade comme
unautr
Responsable dudépartementde chirurgie de lInstitut Curie
à Paris,RémySalmon aété longuementhospitaliséàlasuite d’un
accidentde moto en lan2000. Ilraconte lenvers dudécordans
un livresaisissant.
Ce livre,vous l’avezécritpour vospatients
oupour vous-même?
Je l’ai écritcomme une sorte de trapie.
Notammentparce que j’avaisle sentiment
que,sinon,j’allaisoublierbeaucoup de sen-
sations,de réflexions,de souvenirs.Javais
envie de ne rien perdre de macouverte.
Celle d’un monde que je croyaisconnaître
pour le fréquenter tous lesjours depuis
vingt-cinq ans.Je dirige le départementde
chirurgie de l’Institut Curie, à Paris,j’ai de
nombreux collaborateurs sous mesordres,
j’aisoigné beaucoup de monde. Maisen juin
2000, cegraveaccidentde moto m’afait
passerde l’autrecôté dumiroir.J’étais un
accidentécomme lesautres,avecsapeur,sa
souffrance,sescraintes.
Une volonté de polémique envers laFa-
culté etvosconfrères?Vous manifestez
quand même une certaine déception vis-
à-visdu système de soins.
Passerde lablouseblanche du scialisteà
celle dupatient, c’est seretrouverdépouillé
de satoute-puissance pour entrerdansla
soumission. Dune vie oùmesmainsetmes
cisionspeuventciderdudestin de quel-
quunàun momentoùje n’étaisplus maître
dumien. Pourtant, ainsi que je le précise,
j’ainalementétéassezbien soigné. Chaque
faux pas, chaque hésitation ouperte de
tempsm’apparaissait simplementavecune
acuité quetout le monde n’apas.Au-delàde
leurs limites,les structureshospitalières
fonctionnentplutôtbien. Je n’éprouveaucu-
ne agressivité envers cesystème dontje
resteun pur produit.Enrevanche,lescaren-
cespolitiques,etleserrancesqu’ellesindui-
sent,m’énervent.
«Passerde lablouseblanche
du scialisteà celle
dupatient, c’est seretrouver
dépouillé de satoute-
puissance.»
Vous vous retrouvezaux urgences,en si-
tuation de totale dépendancevis-à-visdu
corpsmédical. De quoi avez-vous pris
conscienceà ce moment-là?
Duparfaitégoïsme dumalade,d’abord. In-
capable de prendre de ladistance,de com-
prendre que personne n’accourt immédiate-
mentlorsqu’il appelle. Onamal,on souffre,
et rien d’autre n’existe. Je me suiségalement
aperçucombien l’attente étaitgénératrice
d’angoisse.
D’où une incommunicabilitéavecle
chirurgien dontvous expliquezqu’il évo-
lue dans uncontextetotalementdiffé-
rent.
Lorsquece dernierfait satournée après une
série d’opérations,il vérifie certainspara-
tres techniquesetvous signale quetout
va bien. Ce n’est pasdu tout votreavis.Vous
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Entretien
MigrosMagazine 2,7janvier 2008
avezmal,sansdoutebien plus quevous ne
le pensiez,vous êtespeuttre inquiet,et
vous aimeriezque la convalescencesoit très
rapide. Sansmême évoquerdesproblèmes
fréquents et trèsconcrets comme l’impos-
sibilité de serendreaux toilettes tout seul.
Deux exriencesdumonde difrentes,
deux grillesd’interprétation dissemblables
d’une même réalité etdesmots qui n’ont
paslamême valeur.
Avous lire,l’un desenjeux majeurs de la
relation entre médecin etpatientest donc
celui de la communication.
Naturellement.Notammentparce que la
médecine devientde plus en plus technique
etqu’il devientdifficile d’expliquerles
choses simplement.Dautantquechaque
praticien aurason avis,etque le patientaura
peuttreacquisdesbien souvent,fausses
certitudes sur internet.Aumoins,il est
toujours possible de rassurer.Daffirmer
que nous faisons tout notre possible. Etpuis
ne pasmentir.Jecroisque lagrande majo-
rité désire lavérité.
Vous évoquezlamaladie àlamanière
d’unvoyage
Comme le voyagiste,le médecin ne pourra
tout prévoir,prémunirle patientcontretous
les risques.Etl’assurerde laréussitefinale,
qui dépend en partie duclientlui-même. Le
médecin,et scialementle chirurgien,ne
peut pasvoyageràlaplace dumalade. Il
peut tout auplus l’accompagner.
Spécialiste
ducancerdepuis
vingt-cinqans,Rémy
Salmon afailli rester
paralysé.
18 Entretien MigrosMagazine 2,7janvier 2008
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facteur chance danslamanière d’êtresoigné.
Une rouletterusseun peueffrayante,non?
C’est tout le problème des urgences,quirepré-
sentent unvraicasse-tête depuisleur création.
Dabord parce quecesont souventlesplus jeu-
nesetlesmoinsexrimentésquis’occupenten
premierlieudescaslesplus compliqués.Etpuis
suivantle jour,l’endroit,le momentde votreac-
cident,il paraîtclairquevous ne serezpaspris
en charge de lamême manière.
D’oùlaquestion du second avismédical.Vous
vous y montrezplutôtfavorable.
Dansmon cas, ce fut complètementindispensa-
ble puisque le premiermédecin avaitestimé qu’il
ne fallaitpasm’opérer.Alors que desexamens
complémentairesontdémontré lacessité d’une
intervention pour ne pas risquer un glissement
desvertèbreset,peuttre,rien de moinsquun
sectionnementde lamoelle épinière. Seule la
résonance magnétique (IRM)apule déceler.
Celane remetpasforcémenten cause l’avisdu
premierpraticien quiafaitaveclasituation,l’ur-
gence,lesmoyensdontil disposait.
Mais,forcément,aposteriori,celadonne un
peufroid dansle dos.
Oui,j’auraispu resterparalysé. Reste quesi le
second avismédical me paraît salutaire en cer-
taines situations,il pose d’autresquestions.
Dabord,lorsque le tempspresse, ce n’est pas
toujours possible. Même lapossibilité d’obtenir
une autreconsidération compétente n’est pas
évidente. Etpuis, à quiseerlorsque lesdeux
opinionsdivergentcomplètement,parexem-
ple?
Commentavez-vous résoluce dilemme?
Jai euconfiance en laréputation de cescia-
liste. Etpuis, contrairementaupremierconfrère
qui m’avaitexaminé,j’ai eule sentimentqu’il
s’occupait vraimentde moi. On ne see jamais
assezàson intuition profonde.
Vous appelezd’ailleurs le patientàdavantage
d’espritcritique.
Quelques semainesaprèsque l’on m’a coupé la
route en plein Paris,j’ai été le premieràm’ac-
crocherà ce que je qualifie de pensée magique.
Croire que l’on guériraplus vite en faisantl’éco-
nomie de lalonguerééducation,du tempsces-
«Le médecin
ne guéritpas,
il peut juste essayer
de soigner
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Entretien
MigrosMagazine 2,7janvier 2008
saireàla cicatrisation etàlaréparation des tissus.
Javaismal,j’avaisbesoin de retrouvermon auto-
nomie etmon librearbitre. La tentation est forte.
Malheureusement,le corpsne fonctionne pas
comme ça.
Cette prééminence de ladouleur appartientà
ceséléments importants dontvous ditesavoir
prispleinementconscience en les subissant.
Absolument.Jai découvert cettesouffrance qui
vous mange le cerveau.Votreseule envie consis-
teàlavoir s’en aller.C’est parfoisinsupportable,
au senspropre. Jesuiscancérologue,etfaire en
sorte que mespatients ne souffrentplus constitue
sormaisl’une de mespriorités.Al’institut Cu-
rie,nous avonsd’ailleurs maintenant une appro-
che difrenciée,indépendante de lamaladie,de
cette question. Etpuisje croisquesi on ne peut
pasme demanderd’êtreunsurhomme,on peut
exigerde moi un peude compassion.
Reste,donc, quecertainesdouleurs sontiné-
vitables.
En effet.C’est le casde larééducation,juste-
ment.Jevoyaislamienne comme une période de
vacances,avecdeslecturesaucafé entre deux
séancesde physiotrapie. Danslesfaits,j’avais
malà chacun de mesgestesetde mesdéplace-
ments.Et une seule envie:me recoucher.Les
musclesfondent très vite. Etles stimulern’est
alors pas trèsagréable. Néanmoins totalement
indispensable. Jai notammentle souvenird’une
salle de musculation déserteà Noël dansle Val-
de-Travers,oùnous possédons une maison de
famille. C’était sinistre. Voilàune autre de mes
couvertes:la convalescencecorrespond sou-
ventàtout autrechose quàde latente.
Cette longue hospitalisation vous afaitévo-
luerdansvotre métier.Dansvotrevie aussi?
Malgré le poidsde l’habitude etduquotidien,il
me semble que oui. Ce genre d’événementvous
rappelle votrenitude,vous faitprendre
conscience que nous ne sommesque de passage.
Etquautantlui donner unsens.Jesuispasséà
travers une épreuve,une exrience porteuse de
sens,qui me donne un nouveau regardsur ma
pratique et sur mavie.
Vous pensezquece livreserautile àd’autres,
àvoscollègues?
Ehbien je caresse le rêve,un peu utopiste peut-
être,que mesjeunesconfrères,quecertains
chirurgiensen formation y trouverontl’occasion
d’adopter unregard plus àl’écoute d’autrui,plus
humain.
Aujourd’hui,vous êtesguéri?
La guérison constitueune notion plutôtoue. Et
lescancérologues sontlespremiers àne pas
aimer répondreàlaquestion:«Vais-je guérir
Le médecin ne guéritpas,il peut juste essayerde
soigner.Je peux ànouveauexercermon métier,
maisj’aiconservé des séquelles,je doisdavan-
tage tenircompte de meslimites.Jaccepte que
leschosespuissentévolueràleur rythme,que je
ne peux pas tout leur imposer.Etje m’énerve
moinsdanslesembouteillages.
Etlamoto,c’est ni?
Jai éprouvéune sorte de casde conscience lors-
que malle m’ademandé de pouvoir utiliser un
scooter.Maisj’imagine qu’elle l’auraitfaitde
toutefon. Maismoi,non, c’est ni. Jaibien
essayé de monteren selle,pour voir.J’étaismort
de peur.En matre de deux roues,je préfère me
limiteraux baladesàvélo dansle Jura.
Propos recueillisparPierreLéderrey
PhotosMathieuRod
Alire: DrRémySalmon, «Tout ce que leschirurgiensne peuvent
pas vous dire», Ed.Anne Carrre, 2007
Age: 63 ans.
Etatcivil: marié, père d’une lle de 17ans.
Son épouse est originaire duVal-de-Travers
(NE), oùlafamille possède une maison de
vacances.
Nationalité: fraaise.
Profession: chirurgien depuis une trentaine
dannéesetactuel directeur dudépartement
de chirurgie de lInstitut Curie, à Paris.
Hobbies:ancien joueur de squash de niveau
international, adepte de longuesbaladesàvélo
dansle Jurasuisse etfraais.
Bio express
RémySalmon: «Alhôpital, jai découvert cettesouffrance quivous mange le cerveau.»
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