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Entretien
MigrosMagazine 2,7janvier 2008
saireàla cicatrisation etàlaréparation des tissus.
J’avaismal,j’avaisbesoin de retrouvermon auto-
nomie etmon librearbitre. La tentation est forte.
Malheureusement,le corpsne fonctionne pas
comme ça.
Cette prééminence de ladouleur appartientà
ceséléments importants dontvous ditesavoir
prispleinementconscience en les subissant.
Absolument.J’ai découvert cettesouffrance qui
vous mange le cerveau.Votreseule envie consis-
teàlavoir s’en aller.C’est parfoisinsupportable,
au senspropre. Jesuiscancérologue,etfaire en
sorte que mespatients ne souffrentplus constitue
désormaisl’une de mespriorités.Al’institut Cu-
rie,nous avonsd’ailleurs maintenant une appro-
che différenciée,indépendante de lamaladie,de
cette question. Etpuisje croisquesi on ne peut
pasme demanderd’êtreunsurhomme,on peut
exigerde moi un peude compassion.
Reste,donc, quecertainesdouleurs sontiné-
vitables.
En effet.C’est le casde larééducation,juste-
ment.Jevoyaislamienne comme une période de
vacances,avecdeslecturesaucafé entre deux
séancesde physiothérapie. Danslesfaits,j’avais
malà chacun de mesgestesetde mesdéplace-
ments.Et une seule envie:me recoucher.Les
musclesfondent très vite. Etles stimulern’est
alors pas trèsagréable. Néanmoins totalement
indispensable. J’ai notammentle souvenird’une
salle de musculation déserteà Noël dansle Val-
de-Travers,oùnous possédons une maison de
famille. C’était sinistre. Voilàune autre de mes
découvertes:la convalescencecorrespond sou-
ventàtout autrechose qu’àde ladétente.
Cette longue hospitalisation vous afaitévo-
luerdansvotre métier.Dansvotrevie aussi?
Malgré le poidsde l’habitude etduquotidien,il
me semble que oui. Ce genre d’événementvous
rappelle votrefi nitude,vous faitprendre
conscience que nous ne sommesque de passage.
Etqu’autantlui donner unsens.Jesuispasséà
travers une épreuve,une expérience porteuse de
sens,qui me donne un nouveau regardsur ma
pratique et sur mavie.
Vous pensezquece livreserautile àd’autres,
àvoscollègues?
Ehbien je caresse le rêve,un peu utopiste peut-
être,que mesjeunesconfrères,quecertains
chirurgiensen formation y trouverontl’occasion
d’adopter unregard plus àl’écoute d’autrui,plus
humain.
Aujourd’hui,vous êtesguéri?
La guérison constitueune notion plutôtfl oue. Et
lescancérologues sontlespremiers àne pas
aimer répondreàlaquestion:«Vais-je guérir?»
Le médecin ne guéritpas,il peut juste essayerde
soigner.Je peux ànouveauexercermon métier,
maisj’aiconservé des séquelles,je doisdavan-
tage tenircompte de meslimites.J’accepte que
leschosespuissentévolueràleur rythme,que je
ne peux pas tout leur imposer.Etje m’énerve
moinsdanslesembouteillages.
Etlamoto,c’est fi ni?
J’ai éprouvéune sorte de casde conscience lors-
que mafi lle m’ademandé de pouvoir utiliser un
scooter.Maisj’imagine qu’elle l’auraitfaitde
toutefaçon. Maismoi,non, c’est fi ni. J’aibien
essayé de monteren selle,pour voir.J’étaismort
de peur.En matière de deux roues,je préfère me
limiteraux baladesàvélo dansle Jura.
Propos recueillisparPierreLéderrey
PhotosMathieuRod
Alire: DrRémySalmon, «Tout ce que leschirurgiensne peuvent
pas vous dire», Ed.Anne Carrière, 2007
Age: 63 ans.
Etatcivil: marié, père d’une fille de 17ans.
Son épouse est originaire duVal-de-Travers
(NE), oùlafamille possède une maison de
vacances.
Nationalité: française.
Profession: chirurgien depuis une trentaine
d’annéesetactuel directeur dudépartement
de chirurgie de l’Institut Curie, à Paris.
Hobbies:ancien joueur de squash de niveau
international, adepte de longuesbaladesàvélo
dansle Jurasuisse etfrançais.
Bio express
RémySalmon: «Al’hôpital, j’ai découvert cettesouffrance quivous mange le cerveau.»