176 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 5 - septembre-octobre 2013
La maladie de Chagas :
uneparasitose latino-américaine émergente en dehors de ses zones d’endémie
MISE AU POINT
spécialistes de la transfusion, qui ne maîtrisaient pas,
à l’époque, le diagnostic sérologique de cette infec-
tion. Qui fallait-il traiter ? Comment se procurer les
2 seules molécules disponibles et comment les manier
étant donné le risque élevé d’effets indésirables ?
Une expérience de dépistage ciblé de la maladie
de Chagas a eu lieu en Île-de-France (11). Deux
cent cinquante-quatre personnes, en majorité des
adultes boliviens recrutés par une association de
migrants, ont bénéficié d’un dépistage. La séropré-
valence globale était de 23,6 % ; 87,4 % des sujets
positifs étaient boliviens. Parmi eux, respectivement
23,6 % et 22 % présentaient des signes fonctionnels
cardiaques et digestifs. Ces chiffres sont similaires
à ceux retrouvés dans d’autres enquêtes en Europe.
Cette étude a révélé les difficultés à aborder cette
population de migrants des pays andins consti-
tuée presque exclusivement de sujets en situa-
tion irrégulière, ne parlant pas français. En France
métropolitaine, les groupes à risque sont les sujets
originaires d’Amérique latine (migrants, enfants
adoptés), les enfants nés de mère sud-américaine,
les expatriés et les touristes ayant séjourné en zone
endémique. En ce qui concerne ce dernier groupe,
le risque de contracter la maladie de Chagas est
minime et ne concerne pas le tourisme traditionnel.
Les chiffres ne peuvent être qu’approximatifs,
mais sur 157 000 sujets vivant en France qui ont
pu être exposés, on estime qu’il y a entre 825 et
2 619 personnes infectées, dont 63 à 555 pourront
présenter une cardiopathie chagasique (12).
L’originalité de la France est d’être le seul pays
européen ayant un département situé en zone
endémique, la Guyane. La maladie de Chagas y
était considérée comme exceptionnelle mais, ces
dernières années, le nombre de cas diagnostiqués
est en très nette augmentation : 192 cas de 2000 à
2009 (12). Le risque transfusionnel dans ce dépar-
tement a conduit à stopper les dons de sang en avril
2005, obligeant à importer les produits sanguins de
métropole. Le dépistage chez les donneurs de sang
en France métropolitaine a été mis en place en 2007.
C’est le deuxième pays européen, après l’Espagne, à
pratiquer un dépistage ciblé des donneurs de sang.
Sur la période allant du 1
er
mai au 31 décembre 2008,
4 637 479 dons ont été collectés. Sur les 163 740 qui
ont été testés (3,5 %), 5 donneurs séropositifs ont
été trouvés (13). Tous étaient des sujets originaires
de zone endémique. Ce dépistage est coûteux et
pourrait éventuellement concerner des populations
plus ciblées.
Le dépistage des jeunes femmes à risque, latino-
américaines ou originaires de cette partie du monde,
pour prévenir une transmission congénitale, n’est
pas systématique en France. Le plus indiqué serait
d’effectuer une sérologie chez celles désirant une
grossesse, afin de les traiter avant. Le dépistage
des femmes enceintes, qui ne peuvent être traitées
pendant leur grossesse, permettrait de détecter une
éventuelle transmission dès la naissance et de traiter
les nouveau-nés, chez qui le traitement est efficace
et bien toléré.
La maladie de Chagas en France métropolitaine est
devenue une réalité. De nombreux praticiens peuvent
y être confrontés : infectiologues, internistes, cardio-
logues, gastroentérologues, pédiatres, gynécolo-
gues-obstétriciens, hématologues, généralistes. Si
le dépistage des donneurs de sang et des donneurs
d’organes est en place, celui des femmes risquant de
transmettre la maladie pendant leur grossesse n’est
pas encore systématique. Des observations récentes
de contamination transfusionnelle, de réactivation
chez des immunodéprimés et de formes congénitales
dont l’issue a été parfois fatale ont été rapportées
dans des pays voisins. Elles illustrent bien la néces-
sité de faire connaître les populations à risque et les
modes de transmission de cette nouvelle infection
d’importation. ■
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Références bibliographiques
L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
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