Narrativité et responsabilité éthique dans la prise en charge des patients en soins palliatifs. Réflexion théologique sur la portée éthique des récits de vie à partir d’une approche reconstructive de l’identité. Yves Michel NKAILANGA Ce projet de thèse entend apporter une contribution aux débats contemporains sur la prise en charge des patients en soins palliatifs, en réfléchissant sur les contours éthiques d’un projet de soin cohérent appréhendé comme acte d’accompagnement du patient dans sa souffrance. A partir de l’approche reconstructive thématisée par Ferry et consistant à valoriser les éléments réflexifs qui tissent l’identité individuelle et collective et leur assurent une structure cohérente et significative1, il essaie d’explorer la portée éthique des récits de vie des patients comme lieux d’une narrativité susceptible de soutenir la responsabilité éthique. Autrement dit, le récit de vie du patient peut servir de médiation pour penser la pratique de soins et permettre la mise en œuvre d’une mutuelle signification dans le contexte de fin de vie, en tant que discours organisateur d’un mode particulier de présence à la souffrance de l’autre à travers ce qui fait sens pour lui. En donnant au patient l’opportunité de se raconter, cette narrativité suggère une posture éthique du soignant appréhendée moins comme celle de transmetteur d’une norme décisionnelle, mais de co-acteur des enjeux de son récit. La portée éthique d’une telle posture permettrait à notre avis de décaler la question de ce qui est bien pour l’autre, pas dans la formalisation, mais dans la co-construction d’une décision à prendre et d’une manière d’être présent à la souffrance de l’autre. La fécondité heuristique et pratique de la notion d’identité reconstructive articulée avec la notion de récit de vie permettrait de penser à nouveau frais le rapport soignant-soigné dans le champ clinique et, par conséquent, à enrichir le regard porté au patient tant au niveau du processus décisionnel qu’à celui de la réflexion critique sur les pratiques de soins. Voilà qui permettrait de réfléchir autrement certaines questions préoccupantes de l’éthique clinique aujourd’hui, comme par exemple celle des directives anticipées, en suggérant d’inscrire la prise en charge des patients davantage dans une démarche moins mécanique et moins « protocolisée », qui prenne en compte l’expérience singulière du patient. Les récits de vie représentent un lieu d’un possible dialogue théologique entre ressources chrétiennes et pensées contemporaines. Ce que Ferry dit de l’identité reconstructive peut représenter un horizon sous lequel nous pouvons relire « l’efficacité performative »2 des paraboles de Jésus en tant que récits de sens. Une des particularités des paraboles est de permettre un récit où l’auditeur devient partie prenante de l’autre. Elles suggèrent un travail de reconstruction à travers lequel l’auditeur découvre l’univers de l’autre et essaie de dire la visée de ce qui devrait être l’enjeu d’être à l’écoute de son récit. Comme mode de discours, nous pensons qu’elle peut avoir une valeur opératoire pour penser un projet thérapeutique, notamment en permettant à l’autre d’être respecté en tant que sujet de soin et en suggérant d’envisager, à travers l’écoute, la responsabilité médicale comme expérience conjointe entre soigné et soignant, qui permet à ce dernier d’entrer dans le projet de l’autre, et au soigné d’être au cœur des enjeux liés à ses soins. 1 J.-M. FERRY, L’éthique reconstructive (Humanités), Paris, Cerf, 1996, p. 32. J. LADRIÈRE, Langage auto-implicatif, théologie et philosophie. À propos d'un ouvrage de M. D. Evans, dans Revue Philosophique de Louvain, 85 (1967), p. 115-122, ici p. 118. 2