L’Encéphale (2013) 39, 284—291 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP THÉRAPEUTIQUE Déterminer la position du patient envers les soins psychiatriques avec le questionnaire Touriste-Plaignant-Client (TPC) : un outil simple pour évaluer l’alliance et la motivation Determine the patient’s position towards psychiatric care: a simple tool to estimate the alliance and the motivation C. Versaevel a,∗, D. Samama a, R. Jeanson a, C. Lajugie a, L. Dufeutrel b, L. Defromont b, V. Lebouteiller b, T. Danel d,1, A. Duhamel e, M. Genin e, J. Salleron e, O. Cottencin c a Secteur 59G07, établissement public de santé mentale Lille-Métropole, rue du Général-Leclerc, BP 10, 59487 Armentières cedex, France b Département d’information et de recherche médicale (DIRM), EPSM Lille-Métropole, rue du général-Leclerc, BP 10, 59487 Armentières cedex, France c Service d’addictologie, CHRU de Lille, boulevard Jules-Leclercq, 59037 Lille, France d Fédération de recherche en santé mentale du Nord-Pas-de-Calais (F2RSM), 3, rue Malpart, Lille, France e Unité de biostatistiques, pôle de santé publique, CHRU de Lille, 59037 Lille, France Reçu le 9 mai 2011 ; accepté le 28 novembre 2012 Disponible sur Internet le 26 mars 2013 MOTS CLÉS Psychothérapie ; Alliance thérapeutique ; Motivation ∗ 1 Résumé Objectifs de l’étude. — Pour la thérapie brève systémique (TSB), l’évaluation de la position du patient envers les soins est un préalable à la psychothérapie. Trois positions sont décrites. La position de « touriste » est celle d’un patient qui allègue ne pas avoir de problème et ne pas souffrir. Un tiers lui a demandé de venir, parfois avec menaces. La position de « plaignant » est celle d’un patient qui allègue souffrir, mais attribue la responsabilité de cette souffrance à autrui. Ces deux positions seraient des freins à l’efficacité de la thérapie. La position de « client » se différencie des deux positions précédentes. La personne dans cette position considère qu’il a un problème psychologique qui dépend de lui et est motivé à sa résolution. En théorie, le « client » est davantage motivé et son alliance thérapeutique meilleure. C’est pour cette raison que la TSB évalue la position du patient dans un premier temps, pour l’amener à se Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Versaevel). http://www.santementale5962.com. 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013. http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.11.010 « Le patient est-il touriste, plaignant ou client ? » 285 positionner en position de « client » dans un second temps. L’objectif de cette étude est d’évaluer le questionnaire Touriste-Plaignant-Client (TPC) identifiant la position du patient envers les soins et les élaborations théoriques de la thérapie systémique brève. Méthode. — Il s’agit d’une étude prospective, d’un suivi de cohorte de patients venant consulter un psychiatre pour la première fois. L’auto-évaluation des patients comprenait la position envers les soins, leur souffrance, leur motivation et l’alliance (échelle Haq-2). L’hétéro-évaluation par les psychiatres comprenait la souffrance perçue, la motivation perçue, la compliance et les diagnostics selon le DSM. Résultats. — La typologie de ces patients se compose d’une moitié de patients en position « plaignant », d’un quart en position « touriste » et d’un quart en position « client ». Le profil « client » bénéficie d’une l’alliance augmentée. Le profil « client » est perçu comme davantage motivé par le psychiatre. La motivation perçue par le psychiatre est en lien avec l’alliance. Ces résultats correspondent aux élaborations théoriques de la TSB. Conclusion. — Les réponses au questionnaire d’évaluation de la position du patient envers les soins (Questionnaire TPC) renseignent sur la motivation et l’alliance futures. Si le patient est en position de « touriste » ou de « plaignant », nous conseillons au psychiatre de « travailler » pour amener le patient en position de « client ». L’évaluation de la position du patient semble utile dans la pratique quotidienne de la psychiatrie puisque 75 % des patients ne sont pas dans une position favorisant un travail psychothérapeutique selon notre étude. © L’Encéphale, Paris, 2013. KEYWORDS Psychotherapy; Therapeutic alliance; Motivation Summary Objectives. — For the brief systemic therapy (BST), the evaluation of the patient’s position towards the care is a prerequisite to psychotherapy. Three positions of the patient are described. The ‘‘tourist’s’’ position: the patient claims to have no problem and doesn’t suffer. Someone asks him to make an appointment, sometimes with threats. The ‘‘complaint’s’’ position: the patient claims to suffer, but attributes the responsibility of this suffering to others. These two positions are not good for beginning a therapy. The ‘‘customer’s’’ position differs from both previous positions. The ‘‘customer’’ considers that he has a psychological problem which depends on him and he is motivated in the resolution of it. In theory, the ‘‘customer’’ is more motivated and the therapeutic alliance is better. It is for this reason that the BST estimates the position of the patient at first, to bring the patient to the ‘‘customer’s’’ position. The objective of this study is to assess an interview which identifies the patient’s position towards the care, and to validate the theoretical elaborations of the brief systemic therapy. Method. — The study concerns the follow-up of outpatients who consult a psychiatrist for the first time. The evaluation of the patients checks their position towards care using the TouristComplaint-Customer (TCC) inventory, how they suffer, the therapeutic alliance (scale Haq2) and the compliance during care. The evaluation by the psychiatrists checks the suffering perceived, the motivation perceived and the diagnoses according to the DSM. Results. — The typology of these patients is made up of one half ‘‘complaint’’, a quarter of ‘‘tourist’’ and a quarter of ‘‘customer’’. The ‘‘customer’s’’ position is correlated with the therapeutic alliance and the motivation perceived by the psychiatrist. The motivation perceived by the psychiatrist is correlated with the therapeutic alliance. These results correspond to the theoretical elaborations of the BST. Conclusion. — the TCC inventory provides information on the motivation and the therapeutic alliance. If the patient is in ‘‘tourist’’ or ‘‘complaint’’ position, we recommend that the psychiatrist ‘‘work’’ to bring the patient to ‘‘customer’’ position. The evaluation of the position of the patient is simple and rich in information. We recommend that it be given a place in the daily practice of psychiatry. © L’Encéphale, Paris, 2013. Préalables théoriques L’évaluation des psychothérapies : importance de la motivation et de l’alliance Luborsky et al. ont démontré que toute psychothérapie bien menée, peu importe la technique utilisée, a de fortes chances de donner de bons résultats [1]. A alors été émise l’hypothèse que des « facteurs communs » d’efficacité étaient présents dans la majorité des psychothérapies. La plupart des experts s’entendent sur l’importance de la motivation et de l’alliance thérapeutique en tant que facteurs communs d’efficacité [2,3]. La motivation propre ou intrinsèque se traduit en termes d’implication, de détermination et d’engagement du patient. Le travail de synthèse de Norcross [4] et différentes méta-analyses [5—7] révèlent que l’alliance thérapeutique précoce évaluée par le patient est la variable la plus prédictive du devenir clinique des patients. Bordin [8] puis 286 Luborsky [9] ont proposé une définition « transthéorique » de l’alliance. Par la suite, Luborsky et al. ont développé des échelles pour mesurer l’ « alliance aidante » qui comprend deux axes [10] : le premier axe est caractérisé par le fait que le patient voit son thérapeute comme lui apportant aide et soutien. Basé sur le lien affectif, cet axe est nommé alliance de type I ou relationnelle. Le second axe est basé sur le fait que le patient a le sentiment d’un travail en commun, d’une coopération avec son psychothérapeute avec l’impression de partager la responsabilité de sa propre évolution et les mêmes objectifs. Basé sur des éléments cognitifs (pensées, croyances) et motivationnels, cet axe est nommé alliance de type II ou de travail. Prise en compte des facteurs communs d’efficacité dans la façon d’appréhender la psychothérapie Intuitivement, certains courants de psychothérapie ont intégré les « facteurs communs d’efficacité » décrits ci-dessus. Décrivons les développements de différents courants. Les thérapies d’orientation psychanalytique Psychanalyse et motivation. La psychanalyse a décrit les mécanismes de défense comme des processus psychiques permettant de protéger le narcissisme de l’individu [11]. Quand le patient dit ne pas être en souffrance, le refoulement, le déni (refus inconscient de reconnaître une vérité) ou la dénégation (refus conscient d’admettre une vérité) sont évoqués. Quand il dit que son mal-être provient des autres, on parle de projection. Si ces mécanismes sont trop envahissants, le travail psychanalytique ne peut s’envisager. La psychanalyse nécessite un patient « en demande », c’està-dire motivé d’emblée au travail d’introspection. Psychanalyse et alliance. L’alliance est au départ un concept défini par le courant psychanalytique par Zetzel en 1956 [12]. Il existerait une part de l’alliance qui serait spécifiquement issue de l’application adéquate de la technique analytique, mais aussi une part non spécifique issue de la qualité des échanges intersubjectifs [13—15]. La part d’alliance non spécifique fait appel à la qualité du partage des émotions de base et à la communication de l’empathie. L’entretien motivationnel (L’EM) Entretien Motivationnel et motivation. L’EM est un développement théorique et un type d’intervention brève développé par Miller et Rollnick [16]. Ce courant postule qu’il existe une ambivalence normale et légitime dans chaque changement. L’aidant qui rencontre un patient ambivalent va alors souvent conseiller, persuader ou argumenter en direction d’une normativité (arrêter de boire, de fumer par exemple). L’ambivalence va donc prendre forme sur le plan relationnel : le patient va alors soutenir des arguments contraires, dénier, banaliser sa consommation, trouver des boucs émissaires. Miller et Rollnick évoquent le travail de Chamberlain et al. [17] qui ont détaillé les comportements signifiant une résistance des patients dans ces conditions : « ils contestent l’exactitude de l’expertise et prétendent ne courir aucun danger. Ils reportent la cause de leurs comportements sur les autres ». On évoque le concept de dissonance relationnelle dans ces cas. Plus l’entretien est une confrontation et plus le patient est résistant et moins il change. C. Versaevel et al. Plus l’intervenant est souple et plus l’alliance est bonne et le changement a des chances de se produire [18]. De cette façon, l’intervenant augmente la motivation propre au client, d’où le nom d’entretien motivationnel. Entretien motivationnel et alliance. L’EM prône le style relationnel de l’entretien centré sur la personne développé par Rogers dans le but de tisser une alliance solide [19]. Dans ce sens, l’aidant doit communiquer son empathie en reformulant les propos et les ressentis du patient. La thérapie systémique brève (TSB) Thérapie systémique brève et motivation. Cottencin et Doutrelugne identifient trois types de positionnement du patient envers les soins : le touriste, le plaignant et le client [20] : • le « touriste » (ou le « non-concerné » pour employer un terme moins péjoratif) dit qu’il n’a pas de problème et ne souffre pas. Il consulte parce que quelqu’un l’a envoyé, souvent avec des menaces (séparation, injonction de soins. . .). Comment envisager la thérapie avec un « touriste » qui n’a pas de réelle motivation aux soins a priori ? La TSB préconise soit de réaliser un entretien avec le patient et la personne qui lui a demandé de venir consulter pour éclaircir la demande, soit de travailler avec le patient en lui proposant des tâches d’observation ou définir des objectifs de vie future. . . • le « plaignant » (ou le projectif) dit souffrir, mais attribue la responsabilité de cette souffrance à autrui. Il se dit victime de sa femme, de son chef. . . Il tente de sauver une personne qui va mal et qui lui « résiste ». Dans tous les cas, c’est l’autre qui devrait consulter. De son point de vue, pourquoi le plaignant serait-il motivé à changer, puisque ce n’est pas « sa faute ». La TSB préconise par exemple de faire prendre conscience au plaignant de l’aspect interactionnel de sa souffrance et que de ce fait, s’il change, l’autre changera également ; • le « client » se différencie de ces deux positionnements précédents. Ce dernier considère qu’il a un problème psychologique qui dépend de lui et il est motivé à la résolution de ce dernier. Les stratégies qui sont employées et décrites ci-dessus face au « touriste » et au « plaignant » (non exhaustives) visent à les amener progressivement en position de « client ». Pour la TSB, la souffrance est un moteur du changement. Thérapie systémique brève et alliance. Tout comme la souffrance, l’alliance est également considérée comme un moteur du changement. En théorie, l’alliance est aussi fonction de la position envers la thérapie, c’est-à-dire que l’alliance sera meilleure a priori si le patient est en position de « client ». Diverses stratégies, issues de l’hypnose ericksonnienne, sont utilisées pour tisser une alliance de bonne qualité : approche souple et indirecte, envisager le problème sous le même angle que le patient et parler son langage. En résumé Que l’on parle de dénégation ou de projection (psychanalyse), de dissonance en contestant le problème ou en « Le patient est-il touriste, plaignant ou client ? » reportant sa cause sur autrui (EM), de position « touriste » ou « plaignant » (TSB), ces appellations différentes recouvrent deux phénomènes synonymes de freins au processus thérapeutique. L’hypothèse théorique est donc que la position du patient envers son problème et les soins influence l’alliance et les résultats de la psychothérapie. Étude des liens entre la position envers les soins, la souffrance, la motivation et l’alliance chez une population de patients venant consulter pour la première fois un psychiatre dans un centre médico-psychologique (CMP) Objectifs de l’étude Cette étude a la volonté d’évaluer un questionnaire permettant d’identifier la position du patient envers les soins et de valider en partie les élaborations théoriques décrites ci-dessus. Cette étude a obtenu l’autorisation du CCP Nord-Ouest IV le 10 novembre 2010 et un numéro d’enregistrement à la CNIL. Méthodologie Échantillon L’étude porte sur une population de patients venant consulter dans un CMP. Les critères d’inclusion des patients sont les suivants : être majeur, consulter au CMP pour la première fois, ne pas consulter dans un contexte d’urgence, ne pas avoir bénéficié d’un entretien infirmier d’accueil en urgence avant la consultation, ne pas consulter en vue d’une démarche auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et ne pas être sous mesure de protection des biens. Sur une période de six mois, 150 patients ayant demandé un rendez-vous correspondaient aux critères d’inclusion. Sur les 113 patients ayant effectivement honoré leur rendezvous, 104 ont accepté de participer à l’étude. L’âge moyen est de 42,6 ans. Il y a 63 % de femmes. 62 % vivent en couple. soixante-deux pour cent ont un emploi. Soixante-cinq pour cent ont un ou des enfants. Cela correspond aux caractéristiques des patients suivis en ambulatoires selon Anguis et al. [21]. Concernant les diagnostics (établis par les psychiatres suivants les critères du DSM IV [22]), ces patients présentent les troubles suivants : 46 % de troubles anxieux (dont 10 % de troubles paniques, 22 % de troubles anxieux généralisés, 10 % de troubles phobiques et 4 % de troubles obsessionnels et compulsifs), 41 % de troubles dépressifs, 16 % d’addiction ou abus (dont 10,5 % vis-à-vis de l’alcool et 4,5 % vis-à-vis du cannabis), 24 % de troubles de la personnalité (dont 8 % de troubles borderline et 10 % de personnalité dépendante), 2 % de troubles du comportement alimentaire et 1 % de troubles psychotiques. Les psychiatres participant à l’étude ont estimé que pour 84 % des patients, une psychothérapie était indiquée. Il est donc pertinent d’évaluer la position envers les soins (ou la thérapie) et l’alliance thérapeutique qui ont été modélisées dans ce contexte. Procédure Les patients devaient remplir des autoquestionnaires. Avant leur première consultation, la position envers les soins, leur 287 motivation et leur souffrance alléguées étaient évaluées. Après leur première consultation, l’alliance était évaluée. Avant leur quatrième consultation, leur souffrance était réévaluée. Les sept psychiatres du centre devaient remplir des questionnaires évaluant les diagnostics, la souffrance et la motivation perçue chez le patient après la première consultation. Outils Concernant les questionnaires patients : La souffrance alléguée était évaluée par une échelle analogique de 0 (sans souffrance) à 10 (la pire imaginable). Une variable amélioration a été créee en soustrayant la souffrance à la quatrième consultation de celle à la première. La motivation alléguée était évaluée par une échelle analogique de 0 à 5. Nous avons créé un questionnaire évaluant le positionnement envers les soins psychiatriques en se référant à la typologie touriste/plaignant/client (se conférer à l’Annexe A). L’alliance était évaluée avec l’échelle Haq-2 (Validation française par le Bloc’h et al. [23]). Concernant les questionnaires psychiatres : l’évaluation de la souffrance et de la motivation perçues se faisait par une échelle analogique de 0 à 5. Il était notifié si les patients présentaient une lettre de liaison de leur médecin traitant et honoraient leur rendez-vous ou pas (compliance). Pour les études statistiques, différents outils ont été utilisés suivants les variables à analyser. Résultats Positionnement envers les soins : typologie Appelons « touristes globaux » (TG), les patients qui répondent positivement (oui ou plutôt oui) à la question : « Êtes-vous venus parce que quelqu’un vous l’a demandé ? » et dont la souffrance < ou = à 4/10. Ils sont 25 %. Appelons « plaignants globaux » (PG), ceux qui répondent positivement à la question : « Pensez-vous être victime du comportement d’une autre personne ? ». Ils sont 55 %. Appelons « clients » (C), ceux qui répondent oui ou fortement oui à la question : « Venez-vous consulter parce que vous voulez changer des choses en vous ou dans votre comportement ? » et qui ne sont ni TG, ni PG. Ils sont 24 %. Notons qu’il n’y a pas de distribution différente entre les différents profils et le sexe. Il est intéressant de regarder le profil de la position des patients (C, TG ou PG) suivant leur diagnostic (Fig. 1). Le patient « anxieux » est davantage dans la peau d’un « client » et projette peu sa souffrance sur autrui. Le patient « dépressif » est celui qui semble le plus avoir conscience de souffrir (très peu « touriste »). Cependant, il attribue souvent à autrui la cause de sa souffrance (aspect « plaignant »). Concernant les patients qui souffrent d’addictions et de troubles de la personnalité, ils semblent les moins aptes à prendre conscience de leurs problèmes et à considérer que la solution à leur problème dépend d’eux. Afin de mieux évaluer les différences entre ces typologies, il a été défini deux variables sensées être davantage discriminantes sur le plan statistique : les touristes purs (TP) sont les TG qui ne sont ni PG, ni C. Ils sont 12 %. Les plaignants purs (PP) sont les PG qui ne sont ni TG, ni C. Ils sont 41 %. 288 C. Versaevel et al. Figure 1 Répartition des différentes positions (TG, PG et C) suivant les diagnostics. Concernant la compliance Parmi les 104 patients acceptant de participer à l’étude, il ne reste que 50 patients compliants jusque la quatrième consultation (soit 47,5 %). Avant la quatrième consultation ou au cours de cette dernière, il y a 14 patients qui ont arrêté le suivi en accord avec le médecin psychiatre (ils étaient « en rémission » ou il n’y avait plus nécessité de suivi). Il y a donc 40 (38,5 %) patients non compliants (ne sont pas venus alors qu’une consultation était prévue). Pour la compliance, il n’y a pas de distribution significativement différente dans les deux catégories (compliant ou pas) suivant l’appartenance à un profil (C [p = 0,79], TP [p = 0,5], PP [p = 0,47]) (test du Chi2 ). Il n’y a pas non plus de corrélation entre l’observance et l’alliance (p = 0,14), ni avec la souffrance alléguée avant la première consultation (p = 0,31) (test de Student). En revanche, il y a une corrélation avec le fait que le patient transmette une lettre de liaison de son médecin traitant (p = 0,0013) (Chi2 ). Relations entre les différentes variables Il existe un lien statistique entre la souffrance alléguée par les patients et la souffrance perçue par le psychiatre (p < 0,001). Le coefficient de corrélation est de 0,43. Il existe également un lien entre la souffrance alléguée par les patients et la motivation perçue par le psychiatre (p = 0,03). Le coefficient de corrélation est de 0,21. La motivation aux soins perçue par le psychiatre est moindre pour les « touristes globaux » (TG) (p = 0,006). La motivation aux soins perçue par le psychiatre est plus élevée chez les « clients » (C) (p = 0,0099). Il existe un lien statistique entre le profil « client » et l’alliance (p = 0,048). Il existe un lien entre l’alliance et la motivation perçue par le psychiatre (p < 0,0001). Le coefficient de corrélation est de 0,38. Discussion L’hypothèse est-elle validée ? La position du client influence-t-elle l’alliance et les résultats de la psychothérapie ? Même si certains tests ne sont pas significatifs et notamment ceux avec la variable « amélioration », les résultats tendent globalement à asseoir cette hypothèse. Les patients en position de « clients » ont une meilleure alliance précoce et une motivation aux soins perçue par le psychiatre plus forte, elle-même étant corrélée à la souffrance alléguée par le patient. Ces résultats valident les élaborations théoriques de la thérapie systémique brève : plus le patient perçoit sa souffrance et sa responsabilité dans cette dernière, plus il est motivé aux soins, plus l’alliance est bonne et plus il s’améliore (c’est ce dernier élément que nous n’avons pas démontré, mais toutes les études lient alliance et amélioration). Le profil « client » démontre une meilleure alliance « très » précoce dans notre étude (après une rencontre). Cette alliance qui se tisse lors de la première consultation est fragile et partielle comme le constatent Perono et Grabot [24]. Il aurait été intéressant d’établir une corrélation à la troisième ou quatrième consultation, moment où l’alliance est plus stabilisée selon Despland et al. [13] et Horvath et al. [6]. Cependant, Luborsky et Morgan [25] suggèrent que beaucoup de patients forment une alliance forte immédiatement à la première consultation, notamment dans les entretiens de conseil psychologique. De plus, évaluer l’alliance après la première consultation limite le facteur de confusion résultant de l’amélioration de l’alliance par l’amélioration clinique [26,27]. Que peut apporter l’évaluation de la position envers les soins ? Dans ces positions vis-à-vis des soins apparaît à la fois l’importance du milieu dans l’orientation vers les soins psychiatriques et la problématique relationnelle qui domine les consultations. En effet, 25 % des patients (position TG) déclarent être venus parce qu’un tiers le leur a demandé, voire même menacé pour la moitié d’entre eux (réponse à la question 3 du questionnaire TPC). 55 % des patients (position PG) incriminent un tiers comme étant la cause de leur souffrance. Ce qui amène ce résultat interpellant : la majorité des patients ne sont pas dans une position favorisant la psychothérapie (entre 53 % [TP + PP] et 80 % [TG et PG]). Globalement, la somme des TG (25 %) + PG (55 %) + C (24 %) avoisine 100 (104 %). Le même phénomène se reproduit dans les typologies par diagnostic (Fig. 1). Même si l’on se souvient que le profil « client » se définit en excluant les « Le patient est-il touriste, plaignant ou client ? » 289 profils « touristes » et « plaignants », ces faits démontrent une certaine adéquation du modèle théorique à la clinique. Cependant, en poussant plus loin l’exploration, on retrouve un certain chevauchement dans la typologie des profils. Il n’existe que 46 % de touristes purs chez les touristes globaux et 75 % de plaignants purs chez les plaignants globaux. Cela doit nous inciter à la prudence. Bien sûr, aucun questionnaire ne pourra résumer la complexité de la souffrance humaine et le rapport à la thérapie. Ce questionnaire permet simplement de repérer grossièrement certains obstacles à la thérapie. Est-ce utile ? Nous pensons que oui. En quatre questions en début de thérapie (en effet, la question 3 est facultative), il est possible de déterminer ces obstacles. L’objectif n’est pas de sélectionner les patients les plus aptes à bénéficier de thérapies. Il est de repérer les freins à la thérapie de façon à les lever pour amener le patient en position de « client », de collaborateur actif, de telle sorte que la psychothérapie soit la plus aidante possible. En évaluant la position du patient et en l’amenant à être davantage « client » de sa thérapie, nous abordons explicitement et modifions les attentes du patient, en sachant que ces dernières influencent l’alliance [27,28]. Pour Frieswyck et al. [29], l’activité du thérapeute est un facteur influençant le développement de l’alliance, mais n’en constitue pas une composante même. Il estime que la tâche du thérapeute serait d’amener le patient à collaborer. L’alliance n’est que la conséquence de cette collaboration effective. Cette modélisation permettrait peut-être de sortir du paradoxe de la détérioration de la relation thérapeutique en voulant l’améliorer. En effet, partant des études ayant démontré que l’alliance était liée à l’empathie du thérapeute, des expériences de formation des thérapeutes à l’empathie ont été réalisées pour vérifier si l’alliance était de meilleure qualité après cette formation. Malheureusement, Henry et al. [30] ont constaté une détérioration de la relation après cette formation. Pré-déterminants de l’alliance côté patient : -1 Représentations de sa souffrance et de ses difficultés (ce qui détermine sa position envers la thérapie évaluée par le questionnaire TPC+++) -2 Représentations de l’aide du thérapeute (attentes relationnelles) -3 Représentation des objectifs (attentes de résultats) -4 Motivation propre -5 Style d’attachement -6 Capacités d’accès à l’intersubjectivité Pré-déterminants de l’alliance côté thérapeute : -Représentations des troubles psychiques, des modalités et des objectifs thérapeutiques. -Styles d'attachement -Capacités d’accès à l’intersubjectivité -Expérience de la thérapie Schéma 1 Tout comme le psychanalyste favorise l’alliance en adaptant ses interventions aux mécanismes de défense du patient, nous pensons qu’il est également possible de favoriser l’alliance en adaptant les interventions du psychiatre à la position du patient. L’avantage du modèle de la position du patient issu de la TSB est qu’il est probablement plus simple et plus rapidement assimilable que l’art de l’analyse psychique. Seulement, s’il est vrai que les patients ayant un profil « client » démontrent une meilleure alliance thérapeutique, il n’est pas prouvé qu’amener un « plaignant » ou un « touriste » en position de « client », par le biais des interventions décrites en TSB, favorise l’alliance, la motivation et l’amélioration. Vers une redéfinition des déterminants de l’alliance Ce qui est mis en évidence dans ces résultats est l’impact des représentations préexistantes du patient identifiées dans le questionnaire TPC sur l’alliance. Ce résultat n’était pas ou très peu retrouvé dans les travaux préexistant à ce travail. L’alliance était considérée comme résultant de l’interaction seule. Cela précise les déterminants de l’alliance (se conférer au Schéma 1) : on peut dire aujourd’hui qu’il existe clairement des facteurs qui interviennent avant l’interaction (le diagnostic, la sévérité symptomatique [souffrance], ses capacités relationnelles (style d’attachement), ses attentes, sa motivation et surtout sa position envers les soins [6,31]) et des facteurs qui interviennent durant l’interaction. Dans la relation, si le thérapeute interagit avec le patient sans faire référence à une théorie, l’alliance qui se tisse est dite non spécifique. Si au contraire il interagit sur la base d’une théorie, l’alliance qui s’en dégage est dite spécifique. Comme il existe différentes théories, il existe donc différents types d’alliances spécifiques. Déterminants de l’alliance dans le contexte de l’interaction : Patient Alliance non spécifique : -adéquation de l’attachement des protagonistes -Qualité des échanges intersubjectifs (empathie, souffrance et motivation) -Adéquation non consciente des représentations et des attentes des protagonistes Alliances spécifiques : -adéquation des interventions du thérapeute aux conflits, problématiques, défenses et positions du patient. -Adaptation consciente des interventions du psychiatre pour amener le patient en position de client -… Thérapeute Déterminants et prédéterminants de l’alliance. 290 La compliance (ou observance) est-elle un bon reflet de l’alliance ? Taube et al. [32] ont montré que 42,7 % des patients consultant en ambulatoire venaient à moins de cinq séances. Cela se rapproche de nos constatations (38,5 %). Bordin suggère qu’une des causes de ces ruptures de la part du patient est une alliance thérapeutique faible [8]. On pourrait s’attendre à ce que les « clients » soient davantage compliants, du fait d’une motivation et d’une alliance meilleure et que la compliance soit corrélée à l’alliance. Mais ce n’est pas ce que montrent nos résultats. En effet, il faut se rendre compte que les autres profils ont d’autres motifs pour honorer leurs rendez-vous. Le « plaignant », tout d’abord, consulte non pas pour changer, mais pour se faire plaindre, se sentir compris et recevoir un soutien affectif. Ensuite, le « touriste » se rend aux consultations parce qu’il a reçu des menaces dans la moitié des cas. Au final, la compliance n’est pas donc pas que le reflet de l’engagement authentique dans les soins. Ce qui corrobore cette affirmation est la constatation que la seule variable qui est corrélée à la compliance est le fait que le patient transmette une lettre de liaison de son médecin traitant. Il sait que son médecin va lui « demander des comptes ». En fait, les contextes relationnels, institutionnels et parfois médico-légaux entourant les consultations au CMP influencent également la compliance. L’alliance comme reflet d’une intersubjectivité partagée C. Versaevel et al. Remerciements À Marie-France Danckaert et Delphine Huchette, secrétaires au CMP Erasme, pour leur investissement dans ce travail. Annexe 1. Questionnaire Touriste-Plaignant-Client (TPC) évaluant la position du patient envers les soins psychiatriques 1. Quel est votre état de souffrance psychologique actuelle (ces derniers jours), entre 0 et 10 ? (0 représente un état de bien-être et 10 représente la pire souffrance que vous pouvez imaginer) Entourez ce chiffre : 0 / 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 / 7 / 8 / 9 / 10. 2. Êtes-vous venu parce que quelqu’un vous l’a demandé ? Entourez votre réponse : Oui / plutôt oui / plutôt non / non. 3. Si vous avez répondu oui à la question no 2, avez-vous reçu des menaces si vous ne veniez pas consulter ? Entourez votre réponse : Oui / plutôt oui / plutôt non / non. 4. Pensez-vous être victime du comportement d’une autre personne ? Entourez votre réponse : Oui / plutôt oui / plutôt non / non. 5. Venez-vous consulter parce que vous voulez changer des choses en vous ou dans votre comportement ? Entourez votre réponse : Fortement oui / oui / plutôt oui / plutôt non / non / fortement non. Références La souffrance alléguée par le patient est en lien avec la souffrance perçue par le psychiatre. Aussi, la position du patient en « client » est en lien avec la perception de la motivation du patient par le psychiatre. Ces résultats mettent encore une fois en évidence l’importance de la mutualité, notamment concernant les émotions de base (dont la souffrance) et l’engagement dans la relation (aspect motivationnel), dans la création d’une alliance non spécifique. Ces éléments apparaissent dans le Schéma 1. Conclusion Il serait intéressant en pratique clinique quotidienne de s’inspirer du questionnaire TPC puisque d’après notre étude 75 % des patients ne sont pas dans une position favorisant un travail psychothérapeutique. Cependant, il ne faudrait surtout pas tomber dans le piège de coller une étiquette de « touriste » ou de « plaignant » en début de thérapie entraînant des « prédictions » autoréalisantes par effet Pygmalion. Au contraire, cela doit permettre d’identifier et de contourner les freins à la thérapie, de façon à optimiser les soins. Amener le patient en position de client à la psychothérapie, n’est-ce pas déjà de la psychothérapie ? Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. [1] Luborsky L, Singer B, Luborsky L. Comparative studies of psychotherapies : is it true that « everybody has won and all must have prizes ? Arch gen Psychiatry 1975;32(8):995—1008. [2] Catty J. 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