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Peut-on reprocher à certains aumôniers d’avoir dépassé des limites en nouant des liens d’amitié avec certains
prisonniers ? Tout en respectant le secret pastoral, les trois aumôniers encore en vie racontent cette expérience
inoubliable de leur ministère difficile, passionnant mais duquel on ne sort vraiment pas indemne.
«Les 7 de Spandau » focalise le ministère des aumôniers militaires sur un aspect très concret : la visite des
prisonniers, ce n’est qu’une petite partie de notre travail.
Aujourd’hui, avec ses trente-deux aumôniers plein-temps et une cinquantaine d’aumôniers de réserve activés à
raison de 1200 jours par an, l’aumônerie accompagne des personnels de la Défense partout dans le monde, ainsi
que sur les bâtiments de combat. Des aumôniers qui loin de leur famille et du confort, suivent ces femmes et ces
hommes qui, au cœur des violences humaines, dans un environnement souvent hostile, risquent leur vie pour
protéger et défendre des valeurs toujours fragiles : paix, liberté.
Isabelle, tu rentres d’Afghanistan où tu as exercé ton ministère pendant quatre mois, c’est au cours de ce mandat
que dix jeunes militaires ont perdu la vie. Ministère lourd, difficile, comment le définirais-tu ?
IM : L’aumônier, c’est incontestablement celui qui accompagne, qui est présent et qui peut tout entendre et tout
écouter. Et ce n’est pas anodin, car s’il est important d’être écouté, ce n’est malheureusement que rarement
possible pour les personnels militaires.
Le passage de l’aumônier dans les unités offre cette occasion. Accompagner les militaires signifie que
l’aumônier est prêt à partir en mission avec eux, à partager les risques avec eux, cette présence à leurs côtés se
concrétise dans l’escorte, le suivi, et le soutien.
L’accompagnement c’est aussi parfois, savoir devancer, rattraper ou tempérer.
Il y a beaucoup d’amour dans l’acte d’accompagner, un amour qui permet à l’autre de montrer sa faiblesse en
sachant que jamais de mon côté je n’en profiterai pour montrer ma force.
Et c’est alors comme une musique qui commence, une musique vivante qui est jouée avec des instruments
vivants, un duo, celui de l’échange où le militaire peut se dire sans crainte d’être jugé, dans la confidentialité, en
dehors de toute hiérarchie.
Et jamais une note ne ressemble à une autre, dans toute une vie. Parce que vraiment Dieu ne fait pas de
photocopies avec les hommes, nous sommes tous si différents. Alors le pasteur, l’aumônier aux armées est celui
qui entend et qui permet à chacun de retrouver sa voie, sa ligne mélodique unique.
L’accompagnement par l’aumônier vient mettre en lumière Celui qui fait de la « haute couture » de nos vies,
celui auprès de qui on peut reprendre son souffle, le Dieu en qui je crois.
Le défi d’un aumônier, c’est d’arriver à rejoindre son prochain, non pas avec des mots pré-formatés, mais avec
la simplicité du cœur, dans un langage d’aujourd’hui, c’est le rejoindre en étant à l’écoute d’une parole faite
chair, qui sent battre le cœur de celui qui est accompagné, et qui permet l’émergence d’une parole qui sera
entendue. C’est enfin offrir une espérance qui permet d’affronter nos réalités.
Au quotidien aliénant s’ouvre des routes nouvelles libératrices.
BD : Merci Isabelle pour cette réponse qui est une vraie confession de foi. Qu’est–ce qui t’aura le plus marqué
de ce séjour en Afghanistan ?
IM : Sans hésitation l’embuscade meurtrière et la mort de nos dix soldats.
Ce soir là s’est levé un vent de solidarité pratiquement palpable. Tous nous étions concernés. La gravité des
entretiens avec les blessés ou les camarades des militaires tués montrait qu’on allait à l’essentiel, pas de parole
fausse ou fuyante, on était dans une parole de vérité. Ce soir là, après chaque entretien avec un militaire, je
proposais de prier, tous ont accepté. Aucun n’a refusé.
Ce soir là, la mort a fait irruption dans chacune de nos vies, et les questions concernant la mort, la vie se sont
faites criantes. Pourtant la mort est omniprésente ; à l’aéroport de Kaboul, sous la pancarte « Welcome to
Kaboul », les drapeaux de toutes les nations présentes dans ce pays sont en permanence en berne.
Cet événement dramatique restera en chacun de nous comme une cicatrice.
Je prie que ces cicatrices au lieu de nous défigurer par l’amertume qu’elles génèrent, nous embellissent et nous
permettent de continuer à vivre. Qu’elles nous rendent plus présents à notre quotidien, plus vrais, plus humains,
plus fraternels.
C’est souvent, dans les moments les plus dramatiques que seul Dieu peut entendre notre cri, alors c’est vers lui
que l’on se tourne.
Chant : Cantique pour piano et deux voix. "Je n'ai que toi dans le ciel". Recueil JEM - J'aime l'Eternel vol 2.
BD : Mais prendre tant de risques, alors que tu pourrais être ici en France, pasteur dans l’une de nos églises, est-
ce que c’est vraiment raisonnable ?
IM : Pour moi ce qui est important c’est de rejoindre ces hommes et ces femmes là où eux-mêmes encourent
des risques énormes et là où de vraies questions émergent. La plupart ont de vraies questions, qu’ils n’oseraient