Ulcère de Buruli et chirurgie plastique, au dispensaire (PDF

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Annales de chirurgie plastique esthétique 49 (2004) 265–272
www.elsevier.com/locate/annpla
Ulcère de Buruli et chirurgie plastique,
au dispensaire
Buruli disease and plastic surgery
P. Knipper a,*, R. Zilliox b, C. Johnson c, P. Antoine d
a
25, rue de Bourgogne, 75007 Paris, France
1, rue Laborde, 69500 Bron, France
c
MSP/PNLUB 06, BP 2572, Cotonou, Benin
d
93, boulevard du Colonel-Baillet, 17200 Royan, France
b
Reçu le 27 février 2004 ; accepté le 10 mars 2004
MOTS CLÉS
Ulcère de Buruli ;
Chirurgie plastique ;
Mission humanitaire ;
Mycobaterium
ulcerans
KEYWORDS
Buruli ulcer;
Plastic surgery;
Humanitarian mission;
Mycobacterium
ulcerans
Résumé L’ulcère de Buruli est une infection sous-cutanée à Mycobacterium ulcerans qui
évolue à bas bruit et quasiment sans cri. Cette affection touche surtout les membres des
femmes et enfants qui vivent à proximité des points d’eau stagnante. Cette affection
détruit progressivement les tissus et engendre des séquelles cicatricielles très invalidantes. Il n’existe pas de traitement médical efficace. Cette présentation propose une prise
en charge efficace de l’ulcère de Buruli par des techniques simples de chirurgie plastique.
Nous relatons notre expérience d’une mission, au Bénin, dans le cadre du programme
national de lutte contre l’ulcère de Buruli.
© 2004 Publié par Elsevier SAS.
Abstract The Buruli ulcer is a skin infection with Mycobacterium ulcerans which progresses silently. This infection affects mostly women and children who live near stagnant
waters. Buruli ulcer is disease that has terrible consequences if not promptly diagnosed
and treated. It destroys progressively skin tissues and consequently leaves very important
scars. There is no efficient medical treatment. This presentation proposes to take care
efficiently of the Buruli ulcer by simple plastic surgery techniques. We relate our
experience of a mission in Benin, in the context of the national programme of struggle
against the Buruli ulcer.
© 2004 Publié par Elsevier SAS.
Introduction
L’ulcère de Buruli est une maladie infectieuse endémique due à une mycobactérie appelée Mycobacterium ulcerans. En 1897, Sir Albert Cook a décrit
* Auteur correspondant.
Adresses e-mail : [email protected] (P. Knipper),
[email protected] (R. Zilliox), [email protected]
(C. Johnson).
© 2004 Publié par Elsevier SAS.
doi: 10.1016/j.anplas.2004.03.010
en Ouganda des ulcères cutanés correspondant à
l’ulcère de Buruli, mais il n’a pas fait de publication
scientifique. En 1948, Mac Callum et ses collaborateurs ont publié les premiers cas confirmés en
Australie où la maladie a reçu le nom d’ulcère de
Bairnsdale [1]. En Afrique, on nomme cette maladie
« ulcère de Buruli » du nom du district ougandais où
l’on a notifié un grand nombre de cas dans les
années 1950.
266
Cette pathologie se présente, aujourd’hui et
dans sa version la plus spectaculaire, sous la forme
d’une grande ulcération cutanée qui aboutit à des
séquelles très invalidantes. Cette maladie s’observe surtout en zone intertropicale et existe sous
forme de foyers endémiques en Afrique, en Amérique, en Asie et en Océanie. Elle touche notamment
les membres des femmes et des enfants qui vivent
près des zones d’eaux stagnantes. Le mode de
transmission n’est pas vraiment élucidé et il
n’existe pas de traitement médical très efficace. Il
existe quelques publications sur cette maladie qui
reste peu connue mais l’Organisation mondiale de
la santé vient de créer un programme de sensibilisation au niveau mondial. Il s’agit de la troisième
infection à mycobactérie, chez l’homme, après la
tuberculose et la lèpre.
Aujourd’hui et de manière plus réelle, cette
pathologie s’observe le plus souvent en dispensaire
et, seule, la chirurgie plastique peut proposer une
solution thérapeutique efficace. Cette publication
présente l’expérience d’une mission de chirurgie
plastique dans un dispensaire du Bénin et dans le
cadre d’un programme national de lutte contre
l’ulcère de Buruli. Pendant cette mission nous
avons travaillé en parfaite collaboration avec le
personnel médical et paramédical béninois pour
essayer d’établir un consensus de prise en charge
de cette pathologie. Nous vous proposons un protocole simple, et pratique, mais adapté à cette maladie.
Matériel et méthode
Une équipe de chirurgie plastique
d’Interplast-France
Comprenant un anesthésiste, deux infirmières et
deux chirurgiens plasticiens, elle est intervenue en
mars 2003 dans un dispensaire d’Allada au Bénin.
Cette mission s’est déroulée dans le cadre d’un
programme national de lutte contre l’ulcère de
Buruli et comprenait, par conséquent, une formation théorique et pratique pour le personnel soignant local. Quarante-cinq patients ont été opérés
(Tableau 1). L’ulcère de Buruli a été observé en
phase évolutive et au stade de séquelles. Nous
avons opéré les patients dans des conditions correctes compte tenu du contexte. L’indication thérapeutique a été posée collégialement avant l’intervention. Tous les patients ont été revus en
postopératoire et les suites à distance ont été
prises en charge par l’équipe médicale locale.
Différents groupes de travail
Ils ont regroupé des infirmiers, des médecins et des
chirurgiens. Ces groupes ont travaillé sur l’ulcère
P. Knipper et al.
de Buruli et ont permis l’échange de différentes
expériences. Le but de notre action était d’opérer
des patients, de mieux connaître les différents
aspects cliniques de la maladie, de définir un protocole thérapeutique plus adapté à l’activité en
dispensaire et d’enseigner des techniques simples
de chirurgie réparatrice.
Résultats
La présentation de ces résultats ne veut, en aucun
cas, venir s’opposer aux différents travaux de la
littérature. La casuistique n’a, par ailleurs, aucune
prétention puisque la mission n’a opéré que 45 cas.
Le fait intéressant réside dans la présentation de
résultats concrets sur des cas observés en dispensaire et sur la réflexion des équipes locales et
étrangères sur cette même pathologie. Les résultats présentés se veulent être pratiques et correspondre à la réalité du quotidien. Nous renvoyons les
lecteurs pour des résultats plus exhaustifs sur l’excellent rapport fait par l’OMS sur l’ulcère de Buruli
(WHO/CDS/CPE/GBUI/2000.1) [2].
Résultats des interventions chirurgicales
Nous avons opéré 45 patients. Dans notre série,
nous avons 70 % de garçons et 30 % de filles. L’âge
moyen est de 20 ans, pour un minimum de quatre
ans et un maximum de 42 ans. Nous avons traité
25 ulcères en phase d’état et 16 ulcères au stade de
séquelles. Nous avons fait, également, quatre interventions diverses de chirurgie plastique.
Sur les 25 ulcères de Buruli en phase d’état, nous
avons pratiqué 80 % de greffes de peau.
Sur les 16 ulcères de Buruli au stade de séquelles,
nous avons pratiqué 25 % de greffe de peau et 75 %
de lambeaux (locaux et à distance).
Nous avons eu à déplorer une nécrose partielle
sur un lambeau et deux infections postopératoires.
Résultats des groupes de travail
Sur le plan épidémiologique
L’ulcère de Buruli constitue la troisième infection à
mycobactérie couramment rencontrée chez
l’homme. Il sévit dans la zone intertropicale entre
les tropiques du cancer et du capricorne. Quatre
continents sur cinq sont touchés par la maladie :
l’Afrique, l’Amérique, l’Asie et l’Océanie. L’ampleur de l’ulcère de Buruli n’est pas vraiment
connue avec précision au Bénin et dans le monde.
Au Bénin de 1988 à 1997, il a été détecté 2300 cas.
Au Ghana, le taux de morbidité est estimé à 3,19 %
Ulcère de Buruli et chirurgie plastique, au dispensaire
267
Tableau 1 Casuistique des patients opérés par l’équipe d’Interplast-France, en mars 2003, dans un dispensaire d’Allada au Bénin.
(UB, ulcère de Buruli ; GPT, greffe de peau totale).
Patient
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
Clinique
Bride rétractile coude droit
Bride rétractile membre supérieur
Bride coude droit
Chéloïde nuque
UB membre inférieur droit
UB genou droit
Séquelle brûlure thorax
UB membre supérieur droit
Bride coude G + poignet droit
Bride rétractile coude G
UB œil droit
Bride creux poplité
UB + ostéite
Fente labiale, UB membre supérieur
UB œil droit
Bride poignet droit
UB membre supérieur gauche
Brides membre supérieur droit
UB membre inférieur gauche
Bride creux poplité
UB membre supérieur droit
Chéloïde nuque
UB avant-bras gauche
UB jambe droite
UB membre inférieur droit
UB membre supérieur droit
Bride creux poplité
UB membre supérieur droit
UB membre inférieur droit
UB membre supérieur gauche
UB membre supérieur gauche
UB membre inférieur droit
UB membre inférieur droit
UB membre supérieur gauche
Bride poignet droit
UB membre supérieur gauche
Bride membre supérieur droit
Bride coude droit
Bride membre supérieur droit
Bride coude droit
Chéloïde
UB membre inférieur gauche
UB membre supérieur gauche
UB membre supérieur gauche
UB membre inférieur droit
de la population. En Côte-d’Ivoire de 1995 à 1997,
5000 cas ont été recensés.
L’ulcère de Buruli s’observe dans les zones peu
drainées, marécageuses, inondables ou irriguées.
Le germe pathogène de cet ulcère est M. ulcerans.
Son mode de transmission est encore au stade d’hypothèse. Une inoculation directe par contact entre
l’homme et le milieu infectant, suite à un traumatisme cutané ou par l’intermédiaire d’un vecteur,
reste l’hypothèse la plus probable actuellement.
Traitement
Ténolyse + arthrolyse + GPT
Libération + lambeau inguinal
Arthrolyse + lambeau grand droit
Excision + suture
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + pansement
Plastie mammaire + GPT
Parage coude droit
Arthrolyses + GPT
Arthrolyse + GPT
Blépharoplastie + GPT
Arthrolyse + plastie Z
Exérèse + curetage osseux
Plastie labiale + exérèse
Blépharoplastie + GPT
Arthrolyse + GPT
Exérèse + GPT
Lambeau inguinal + GPT
Nodulectomie + greffe
Arthrolyse + lambeau
Exérèse
Exérèse + suture
Exérèse + greffe en filet
Lambeau + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Arthrolyse + GPT + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Arthrolyse + plastie en Z
Exérèse + greffe en filet
Lambeau inguinal + GPT
Arthrolyse + GPT
Arthrolyse + lambeau inguinal
Arthrolyse + GPT
Exérèse + suture
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
Exérèse + greffe en filet
L’ulcère de Buruli atteint les sujets quel que soit
l’âge, leur sexe, leur race, leur condition socioéconomique. Cependant, il a été remarqué une prévalence élevée aux âges extrêmes : les enfants de
moins de 15 ans et les sujets de plus de 60 ans. Le
sex-ratio est en faveur des garçons chez l’enfant et
le sex-ratio est en faveur de la femme chez
l’adulte.
Ces séances de travail ont permis de mettre
l’accent sur l’ampleur et la gravité de cette mala-
268
die et le lien étroit entre l’ulcère et son biotope
hydrotellurique particulier. Il existe de nombreuses
inconnues sur l’épidémiologie de cette affection :
sa prévalence réelle est sous-estimée, le réservoir
de germe pourrait être environnemental, son mode
de transmission est encore au stade d’hypothèse et
les facteurs de risque sont encore mal connus.
Sur le plan clinique
Il se dégage quelques points plus précis. Cette
pathologie cutanée se présente, initialement, sous
une forme non ulcérée. Il apparaît, ensuite, une
ulcération qui présente quelques caractéristiques.
Tardivement, nous l’observons au stade des séquelles.
Stade non ulcéré
Le nodule. Lésion sous-cutanée, ferme, palpable,
indolore ou très peu douloureuse, adhérente à la
peau mais non au plan profond, de la taille inférieure ou égale à trois centimètres de diamètre.
La plaque. Lésion indurée, surélevée, à limites
plus ou moins nettes, sèche, indolore, recouverte
d’une peau d’aspect cartonné gris–violacé ou décoloré.
L’œdème. Tuméfaction plus diffuse, ferme, ne
prenant pas le godet, aux limites mal définies,
indolore ou peu douloureuse et non inflammatoire.
Stade ulcéré
L’ulcération. Elle est plus ou moins étendue,
unique ou multiple, indolore ou peu douloureuse, à
fond tapissé par une nécrose graisseuse d’aspect
blanc-jaunâtre, à bords décolorés et dévitalisés
parfois noirâtres. Les berges semblent surélevées.
L’étendue de l’ulcère est souvent plus grande
que ne laisse croire l’inspection clinique.
Stade cicatriciel
Ce stade est représenté par une cicatrice atrophique, étoilée, affaissée, rétractée avec ou sans séquelles. Les séquelles sont secondaires à la rétraction engendrée par le processus de cicatrisation
(déformation d’un orifice naturel, flessum des
membres, etc.).
Formes cliniques
L’ulcère peut se présenter sous d’autres formes
cliniques :
• la forme disséminée : elle se manifeste par la
présence des formes cliniques similaires ou non
et situées sur différents sites anatomiques ;
• la forme mixte : il s’agit de la présence concomitante de différentes formes d’ulcère de Buruli ;
• la forme osseuse : elle constitue une ostéomyélite à M. ulcerans.
P. Knipper et al.
Sur le plan paraclinique
Le médecin local accorde une grande importance à
la clinique puisque l’ulcère de Buruli se présente
souvent en dispensaire où les examens de laboratoire sont plus difficiles à obtenir. Cependant, la
confirmation du diagnostic peut être obtenue par :
• l’examen direct qui identifie le BAAR (bacille
acido-alcoolorésistant sur la coloration de
Ziehl-Neelsen) ;
• la culture, sur le milieu de Löwenstein-Jensen,
qui est lente et exigeante. Elle identifie le
M. ulcerans après un minimum de six à huit
semaines ;
• l’histologie qui montre des lésions de nécrose
contenant des BAAR ;
• la PCR plus récemment. Il s’agit d’une méthode qui permet d’amplifier artificiellement
des quantités infimes d’ADN pour qu’elles atteignent une concentration facilement décelable par le laboratoire. Cette technique est
rapide mais coûteuse.
Sur le plan du diagnostic différentiel
Nous avons eu beaucoup de difficultés. Nous parlons évidemment de la difficulté de faire un diagnostic clinique précis de la part de l’équipe de
médecins étrangers. En effet, il existe beaucoup de
pathologies qui engendrent des ulcères plus ou
moins similaires. Seuls les médecins locaux ont
l’habitude et, donc, l’expérience pour évoquer le
diagnostic différentiel. La difficulté est d’autant
plus importante que les lésions sont observées à des
stades différents ou compliquées par des infections
diverses, etc. L’appréciation clinique nécessite
donc un apprentissage. En pratique, devant un ulcère de Buruli, nous devons éliminer d’autres étiologies :
• devant un nodule :
C un lipome ;
C un kyste ;
C une onchocerchose ;
C un furoncle ;
C une adénite ;
C une mycose ;
• devant une plaque :
C un phlegmon ;
C la lèpre ;
C une mycose ;
C un psoriasis ;
C un hématome « vieilli » ;
C une piqûre venimeuse ;
• devant un œdème :
C un phlegmon ;
C un éléphantiasis ;
C un œdème d’origine rénal, cardiaque, etc. ;
C un œdème dû à une malnutrition ;
Ulcère de Buruli et chirurgie plastique, au dispensaire
269
C un traumatisme ;
C une ostéomyélite ;
C une cellulite cutanée infectieuse ;
• devant un ulcère :
C une fasciite nécrosante ;
C un ulcère phagédénique ;
C la leishmaniose ;
C un pian ;
C un ulcère d’origine vasculaire ;
C une tuberculose cutanée ;
C un ulcère drépanocytaire ;
• devant une cicatrice :
C une séquelle de brûlure ;
C une ankylose secondaire à une tuberculose
cutanée ou osseuse ;
• devant une forme osseuse :
C les ostéomyélites d’étiologies diverses
Discussion
L’ulcère de Buruli représente pour
le plasticien l’association de différentes
pathologies qu’il connaît mieux
Devant la lésion initiale, nous percevons un air de
fasciite nécrosante mais dans une version plus
« soft », plus chronique. Nous retrouvons, également, le terrain de l’escarre qui évolue sur un
paysage de dénutrition. Au stade des séquelles,
nous observons des rétractions qui nous rappellent
étrangement les séquelles de brûlure. Le chirurgien
plasticien va retrouver ces trois types de pathologies dans l’ulcère de Buruli. Il va donc appliquer les
différents principes de chirurgie réparatrice sur
une même pathologie. L’ulcère de Buruli est une
pathologie pour la chirurgie plastique.
Au stade initial
Nous proposons de raisonner comme dans la fasciite
nécrosante. Il est bon de rappeler que les mycobactéries produisent une toxine qui a une affinité pour
les adipocytes et des effets cytotoxiques sur ces
cellules. La nécrose qui en résulte installe un milieu
favorable à la prolifération rapide des mycobactéries dans l’espace sous-cutané. L’atteinte est donc,
initialement, sous-cutanée mais la rapidité de diffusion nous évoque celle rencontrée dans la fasciite
nécrosante (Fig. 1). Nous proposons, donc, d’emblée une exérèse large au-delà de ce que l’on voit.
Nous aspirons, avec probablement un peu d’excès,
au parage de l’unité anatomique voire de l’unité
esthétique (parage de l’unité jambe pour un ulcère
du quart inférieur de jambe, parage de l’unité
avant-bras pour un ulcère de l’extrémité inférieure
Figure 1 Ulcère de Buruli du genou gauche se présentant sous la
forme d’une grande ulcération.
de l’avant-bras, etc.). En effet, les « emboles »
septiques sont parfois très distants de la lésion
initiale et ils sont invisibles sur le plan clinique.
Source de récidives fréquentes, ils obligent le plus
souvent les médecins locaux à faire des exérèses
itératives. Ces exérèses sont rassurantes mais elles
sont une source de nombreuses souffrances, de
traumatismes complémentaires, de risques supplémentaires, etc. Nous n’accablons pas le médecin
qui travaille au dispensaire et qui, finalement,
adapte parfaitement son geste aux conditions locales. Nous comprenons la résistance du chirurgien
sur place à faire un large parage puisqu’il ne
connaît pas bien les possibilités de couverture
qu’offre la chirurgie plastique. Généralement, il
n’a pas de bloc opératoire et il ne possède pas une
bonne hémostase. En revanche, le chirurgien plasticien qui sait couvrir immédiatement une perte de
substance pourra se permettre un parage plus
large. Finalement, c’est la non possibilité de fermer une perte de substance qui « interdit », en
quelque sorte, au chirurgien local de faire un grand
parage. La chirurgie plastique, permettant une
couverture plus étendue, autorisera un parage
d’emblée plus large.
La deuxième réticence à une couverture immédiate que nos collègues béninois nous ont évoquée
est la notion de récidive. Il est vrai que la récidive
270
reste toujours possible mais celle-ci sera d’autant
plus logique que l’exérèse sera minime devant un
ulcère débutant. Si le parage est immédiatement
plus large, nous limiterons forcément les récidives
locales. Nous devons raisonner comme pour le cancer. Des travaux ultérieurs nous préciseront probablement la marge de sécurité à observer mais,
aujourd’hui, nous pouvons imaginer que plus le
parage est large moins les récidives seront visibles.
De surcroît, la couverture fait souvent appel à une
greffe de peau en filet puisque les zones à couvrir
sont relativement importantes. La récidive sera,
alors, instantanément perçue et autorisera un petit
geste complémentaire qui ne compromettra pas le
reste de la greffe de peau.
La troisième réticence invoquée a été la notion
de bourgeonnement. En effet, il est encore ancré
qu’une greffe de peau doit être faite sur un bourgeon bien charnu. Les patients que nous avons
observés, en attente de leur greffe, souffrent aux
différents pansements, perdent beaucoup de calories, infectent leurs plaies, s’enraidissent puisqu’ils
restent immobiles, etc. Nous voulions rappeler que
la greffe de peau peut être appliquée immédiatement sur un muscle et qu’il n’est pas nécessaire
« d’attendre » avant de greffer. Le patient sera
cicatrisé d’autant plus vite et la mobilisation du
membre sera d’autant plus rapide. Pour être encore plus clair, nous proposons un parage large
d’emblée et une couverture immédiate par une
greffe en filet chaque fois que cela est possible.
Quand une structure noble est exposée ou qu’une
articulation est concernée, nous conservons le principe de l’exérèse large mais nous proposons de
couvrir avec des moyens un peu plus sophistiqués
comme une greffe de peau totale ou un lambeau.
La couverture immédiate permet une cicatrisation
plus rapide et, par conséquent, une mobilisation
plus précoce. La finalité de notre intervention dans
la chirurgie de l’ulcère de Buruli ne s’arrête pas à
l’éradication de cet ulcère. Par ailleurs, celui-ci
peut parfaitement guérir tout seul après une évolution douteuse et une immunité hasardeuse. Le but
de notre traitement sera atteint quand le patient
sera guérit de son ulcère mais avec un membre
couvert et surtout fonctionnel.
Toutes ces ambitions chirurgicales ne doivent pas
nous faire oublier que nous sommes en présence
d’une pathologie qui touche des patients le plus
souvent dénutris. L’expérience de nos collègues
locaux nous a démontré l’importance des carences
observées chez ces patients. Nous avons, donc,
appris à raisonner comme pour le traitement de
l’escarre. En effet, avant de se lancer dans une
quelconque procédure chirurgicale, nous devons
P. Knipper et al.
faire « renaître » ces enfants. Idéalement, nous
proposons un programme de nutrition avant d’envisager un parage suivi d’une reconstruction. Comme
en présence d’une escarre, le programme de reconstruction commence par un projet de nutrition.
Il est inutile de faire une belle reconstruction si le
patient est en phase de catabolisme ou si son état
ne permet pas une bonne cicatrisation. La plus
belle greffe ne résistera pas au bourgeon défaillant
du carencé et le plus beau lambeau verra sa déhiscence chez le malnutri.
Au stade de séquelles
Nous observons souvent des déformations qui rappellent les séquelles de brûlure avec une cicatrice
dystrophique et rétractée. Cette rétraction entraîne :
• au niveau de la face : des rétractions périorificielles avec des déformations buccales,
des ectropions, etc. (Fig. 2) ;
• au niveau du membre supérieur : un flessum du
coude, un flessum du poignet, une hyper extension des articulations métacarpophalangiennes, etc. (Fig. 3) ;
• au niveau du membre inférieur : un flessum du
genou et de la cheville, etc. (Fig. 4).
Figure 2 Séquelles d’ulcère de Buruli de la région périorbitaire
droite avec une rétraction typique des tissus périorificiels aboutissant à un ectropion de la paupière supérieure droite.
Ulcère de Buruli et chirurgie plastique, au dispensaire
271
couverture par un lambeau ; quand la libération
nous semble modérée, nous préférons une greffe de
peau totale.
Prise en charge pratique d’un ulcère
de Buruli
Cette prise en charge résulte de notre expérience
en mission et de notre travail en collaboration avec
l’équipe du dispensaire d’Allada. Nous distinguons,
pratiquement, deux présentations cliniques : le
patient ayant un ulcère de Buruli au stade initial et
le patient ayant un ulcère au stade de séquelles.
Figure 3 Séquelles d’ulcère de Buruli du membre supérieur droit
avec sa présentation clinique relativement typique : flessum du
coude, flessum du poignet et hyperextension des articulations
métacarpophalangiennes.
Figure 4 Séquelles d’ulcère de Buruli de la cuisse et du genou
gauche avec sa présentation typique en flessum.
Il existe, selon notre expérience, une atteinte
articulaire différente dans les séquelles de l’ulcère
de Buruli. En effet, dans les séquelles de brûlure la
simple libération des tissus rétractés permet d’obtenir une arthrolyse relativement facile et efficace.
En revanche, la rétraction articulaire observée
dans l’ulcère de Buruli semble correspondre à une
atteinte plus intrinsèque de l’articulation et
l’arthrolyse nous a semblé plus difficile et moins
efficace. Nous avons revu notre ambition chirurgicale au cours de la mission devant le peu d’efficacité de nos arthrolyses et des indications de lambeau se sont transformées en greffe de peau totale
devant la faible amplitude de la libération articulaire obtenue. Quand une radiographie est possible,
elle nous semble indispensable en préopératoire
pour apprécier la faisabilité d’une véritable arthrolyse et pour prévoir, en conséquence, la réparation
la plus adaptée. Quand une grande libération articulaire nous semble possible, nous prévoyons une
Prise en charge de l’ulcère de Buruli au stade initial
de nodule, de plaque, d’œdème ou d’ulcère :
• confirmation du diagnostic par un examen clinique ou paraclinique ;
• appréciation et prise en charge globale du patient (état général, antécédents, tares associées, contre-indication, etc.) ;
• programme de nutrition si nécessaire ;
• intervention : parage large, voire très large, de
la lésion dans un environnement chirurgical
satisfaisant (asepsie, bonne hémostase, matériel adéquat : dermatome, expandeur, etc.) ;
• greffe de peau mince immédiate (pleine ou en
filet) permettant une cicatrisation rapide ;
• soins quotidiens simples sous la douche et avec
du savon (seulement dans les pays où l’eau
n’est pas restreinte) ;
• mobilisation rapide du membre, dès que le
patient est cicatrisé ;
• pressothérapie circulaire simple par des « genouillères » fabriquées localement sur la greffe
et sur la zone donneuse ;
• surveillance régulière d’une récidive locale ;
• éducation des patients sur la maladie.
Prise en charge de l’ulcère de Buruli au stade
de séquelles
Nous distinguons les séquelles de l’évolution naturelle de l’ulcère de Buruli et les séquelles des
traitements effectués antérieurement. À ce stade,
l’objectif premier reste l’amélioration d’une fonction. Si une articulation est détruite par une atteinte osseuse ou si le rétablissement de la fonction
ne semble pas opérant, nous préférons l’abstention
thérapeutique.
Séquelles d’une évolution naturelle
Nous raisonnons comme pour les séquelles de brûlure où le but est de traiter les conséquences de la
rétraction tissulaire. Nous pouvons être amenés à
faire l’exérèse simple d’un placard fibreux et couvrir par une greffe de peau. Nous pouvons, égale-
272
ment, devoir libérer une articulation (avec les réserves déjà énoncées précédemment) et faire un
lambeau.
Séquelles des traitements antérieurs
Nous observons, heureusement, de plus en plus de
patients déjà traités. Ils se présentent de manière
un peu caractéristique : membres greffés mais enraidis par l’absence d’une rééducation précoce et
efficace avec, fréquemment, des chéloïdes sur la
zone donneuse. Nous proposons, sous anesthésie
locorégionale ou générale, une mobilisation articulaire. En fonction de l’efficacité, nous pouvons être
amenés à sectionner une bride et à couvrir la perte
de substance par une greffe de peau totale. Plus
rarement, l’articulation libérée nécessitera la couverture par un lambeau. Dans tous les cas, cette
arthrolyse sera suivie d’une mobilisation simple
mais précoce et à long terme. L’impossibilité d’une
rééducation postopératoire efficace ou d’une prise
en charge correcte de cette articulation contreindiquera toute tentative d’arthrolyse.
Conclusion
L’ulcère de Buruli est une infection sous-cutanée à
M. ulcerans qui évolue à bas bruit et quasiment sans
cri. Cette affection, peu connue, détruit rapidement les différents tissus et engendre des séquelles
cicatricielles très invalidantes. Les déformations
résiduelles rappellent les séquelles de brûlures.
Cette affection touche surtout les membres des
femmes et des enfants qui vivent à proximité des
P. Knipper et al.
points d’eau stagnante et peut apparaître sur fond
de dénutrition. Il n’existe pas de traitement médical efficace, à ce jour. La chirurgie réparatrice
peut proposer une alternative thérapeutique intéressante.
Notre expérience d’une mission au Bénin, dans le
cadre du programme national de lutte contre l’ulcère de Buruli, nous a permis de dégager un consensus simple :
• pour l’ulcère au stade initial : parage très large
de l’ulcère et greffe de peau immédiate permettant une cicatrisation rapide pour une rééducation
précoce ;
• pour l’ulcère au stade de séquelles : correction
des rétractions tissulaires secondaires comme les
séquelles de brûlures et lutte contre l’enraidissement articulaire.
Remerciements
Nous remercions la sœur Julia, l’ensemble du
personnel du dispensaire d’Allada au Bénin, tous
nos frères de sang et de lutte contre l’ulcère de
Buruli pour leur précieux enseignement sur la partie visible et invisible de cette pathologie sans cri.
Références
[1]
[2]
Mac Callum P. A new mycobacterail infection in man,
Clinical aspects. J Path Bact 1948;60:93–101.
Organisation mondiale de la santé, Asiedu K, Scherpbier R,
Raviglione M. Ulcère de Buruli. Infection à Mycobacterium
ulcerans. OMS; 2000 Dr, Dr, Dr, WHO/CDS/GBUI/2000.1.
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