intégration régionale et géographie économique

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Intégration régionale et géographie
économique européenne : quelques
résultats empiriques
Regional Integration and European Economic Geography : an Empirical Study
Sébastien Dupuch & Hugues Jennequin&
CEPN CNRS-UMR 71-15
Université Paris Nord
sumé :
Les effets du processus d’intégration régionale sur la géographie économique européenne et les
structures productives nationales ont suscité ces dernières années un grand nombre de travaux à la fois
théoriques et empiriques. Cet article s’intéresse plus particulièrement à ce dernier aspect et se fixe un double
objectif : (i) effectuer un tour d’horizon des études sur la spécialisation des Etats-membres et la concentration des
activités industrielles afin de comparer les méthodes et les résultats obtenus qui peuvent sembler contradictoires.
(ii) réaliser notre propre évaluation de la concentration et de la spécialisation des activités des quinze pays de
l'Union Européenne sur la base de données d’emploi pour la période 1971-1994. Nos résultats vont dans le sens
d’une spécialisation nationale faible mais croissante et d’un renforcement de la concentration industrielle. Ces
évolutions traduisent un approfondissement des disparités entre les pays européens en particulier entre un centre
où se concentrent des activités à rendements croissants et intensives en biens intermédiaires et une périphérie
de plus en plus spécialisée dans des activités intensives en main d’œuvre.
Abstract :
The effects of regional integration process on European economic geography and national industrial
structures was recently the subject of many theoretical and empirical studies. This paper deals mainly with the
latter aspect and has two objectives : (i) surveying the evidence on State-members’ specialisation and industrial
concentration in order to compare both methods and results that sometimes appear contradictory. (ii) presenting
our own evaluation on specialisation and concentration in the EU with employment data covering the 1971-1994
period. Our results show a weak but increasing specialisation and a deepening concentration. The evidence also
indicates larger disparities across European countries. Scale-intensive industries and sectors subject to input-
output linkages tend to concentrate in the core countries while labour-intensive activities agglomerate in the
periphery of Europe.
& UFR Sciences Economiques
CEPN CNRS FRE 21-48
99 av. JB Clément 93430 Villetaneuse
[email protected]-paris13.fr
[email protected]-paris13.fr
Nous tenons à remercier C. Couharde, E.M.Mouhoud et A.Rieber pour leurs critiques et remarques sur une version précédente de cet article
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1. Introduction
L'achèvement du marché unique a relancé les interrogations relatives aux effets de l'intégration
régionale sur les structures productives nationales. On peut en attendre de profondes mutations des économies
que tentent d’appréhender les théories du commerce international. Quels sont les effets de l’intégration sur les
structures productives nationales ? Dans quelle mesure l’instauration de la libre circulation des biens et des
facteurs de production affecte la compétitivité des nations et la localisation des industries ? La situation de forte
concentration industrielle connue par les régions américaines suite à la phase d’intégration amorcée au siècle
dernier fournit un exemple particulièrement inquiétant pour le cas européen. On pourrait s'attendre ainsi à un
approfondissement des inégalités territoriales et à d’importants coûts d’ajustement.
Pour étudier ces questions, il convient de distinguer et de définir précisément les notions de
spécialisation et de concentration. Leur évolution au cours des dernières décennies fournit des éléments
instructifs quant aux relations qui unissent intégration et localisation. L’intégration européenne en réduisant les
coûts de transaction entre pays mais aussi en facilitant la mobilité des facteurs de production a provoqué un
bouleversement des spécialisations nationales et de la concentration industrielle. Ainsi les différents champs
théoriques du commerce international proposent diverses lectures des effets de l’intégration européenne que les
études empiriques se doivent d’éclaircir. Cependant, leurs conclusions peuvent apparaître divergentes. Afin de
clarifier les conclusions, nous présentons une revue de la littérature récente axée sur le cas européen ainsi que les
résultats de notre propre analyse empirique.
Si la concentration européenne a connu une constante progression au cours des trente dernières années,
la spécialisation se différencie dans la mesure où son intensité a diminué dans les années 70 avant de repartir à la
hausse par la suite. Cependant, la tendance générale reste croissante sur l’ensemble de la période. Les pays ont
néanmoins observé des évolutions sectorielles différentes. Ainsi, nous montrons que l’Europe connaît une
délocalisation des industries intensives en main d’œuvre vers la périphérie tandis que les pays du centre attirent
les activités à rendements croissants et à forte proportion de biens intermédiaires.
Afin de rendre compte des attentes théoriques en la matière, la seconde section présentera un rappel des
trois champs théoriques que sont les théories traditionnelles, les nouvelles théories du commerce international
(NTCI) et de la nouvelle économie géographique (NEG). La troisième section s’intéressera aux évolutions de la
spécialisation européenne tandis que la concentration et ses déterminants seront abordées dans la quatrième
section. Enfin, la dernière section conclura cette étude.
2. Aspects théoriques
Les notions de spécialisation et de concentration n'ont pas toujours été étudiées conjointement dans les
études d'économie internationale. La spécialisation des nations est une problématique née avec les premiers
développements du commerce international tandis que la problématique de la concentration des industries ne
s’est posée que récemment avec le renouveau de l’économie géographique. Savoir pourquoi une nation se
spécialise dans telle activité ou pourquoi tel secteur industriel se trouve davantage localisé dans un territoire
donné relève de mécanismes distincts. Qu'il s'agisse de l'impact de l'intégration sur la spécialisation ou sur la
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concentration, les différentes théories du commerce international et de l’économie géographique présentent
chacune des spécificités qui aboutissent à des enseignements différents. Ainsi, avant de décrire les résultats
empiriques en la matière au niveau européen, il est essentiel de revenir préalablement sur les conclusions établies
par les théories traditionnelles, les NTCI et par la NEG1.
Les théories traditionnelles : la problématique de la spécialisation
Selon les théories traditionnelles, toutes les nations disposent d’un avantage relatif dans un produit ou
groupe de produits donnés. Le libre échange conduit ainsi à une spécialisation complète chez Ricardo du fait du
différentiel de productivité tandis que les écarts de dotations factorielles rendent cette spécialisation incomplète
mais toujours présente chez Heckscher-Ohlin. De plus, puisque les échanges s'effectuent sur la base de
commerce inter-branche, tout mouvement de spécialisation s'accompagne d'un mouvement symétrique et de
même sens de la concentration. En effet, les pays étant spécialisés dans des biens distincts, il est naturel de voir
spécialisation et concentration évoluer de manière conjointe.
Cependant, ces affirmations ne sont vérifiées que sous l'hypothèse de libre échange. Considérer des
coûts de transaction non nuls modifie les conclusions. En effet, l'existence de barrières commerciales introduit
des distorsions et rend la spécialisation imparfaite, moins sensible aux attributs des nations. Les deux hypothèses
de rendements d'échelle constants et de coûts de transaction incitent donc les entreprises à se localiser près de la
demande. La production a alors un but purement local. L’intégration progressive des économies a deux effets
contraires. D'une part, en diminuant les entraves aux échanges, elle permet d'approfondir la spécialisation des
nations. D'autre part, l'intégration a pour propriété de provoquer la convergence des économies en termes de
rémunérations factorielles. Cette convergence, associée aux rendements d'échelle constants, est un facteur propre
à éliminer les degrés de spécialisation et de concentration.
Néanmoins, le cadre de la concurrence pure et parfaite introduite dans les théories traditionnelles
conditionne l’analyse de la spécialisation. La modification de ce cadre de base nous amène à raisonner désormais
sur la base des NTCI et permet de considérer les problèmes de localisation.
Spécialisation, concentration et concurrence imparfaite dans la NTCI
Les hypothèses de rendements croissants et de différenciation des produits modifient singulièrement
l'analyse. Ainsi, sur cette double base, la NTCI vont fournir des éléments, non seulement sur le degré de la
spécialisation, mais également sur celui de la concentration.
Les économies d'échelle sont sources d'agglomération. Qu'elles soient internes ou externes, elles
permettent de réduire les coûts unitaires. Par conséquent, le passage à des rendements croissants favorise le
regroupement géographique des industries. En outre, aux considérations d’offre s’ajoutent les considérations de
demande qui conduisent les entreprises à se localiser dans les régions qui présentent les débouchés les plus
importants (Krugman, 1980, Helpman & Krugman, 1985). Dès lors, l'intégration favorise la concentration et la
spécialisation. En effet, la baisse des coûts de transaction permet de se localiser dans une seule région tout en
bénéficiant d’économies d'échelle ce qui accroît à la fois la concentration et la spécialisation. De plus, cette
dernière peut être de nature intra-branche du fait de la différenciation des produits. Lorsque les pays ont des
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niveaux de développement relativement proches, ils se spécialisent dans des biens similaires. Par conséquent, la
spécialisation ne sera plus seulement inter-branche comme dans les théories traditionnelles, mais aussi intra-
branche (Brülhart, 1996).
Concernant la question de la concentration, une divergence sectorielle peut apparaître. Les pays avec les
niveaux de revenus les plus élevés auront ainsi tendance à attirer les industries à hauts niveaux technologiques.
Par conséquent, plus les pays auront des niveaux de revenus similaires, plus la concentration sera faible. A
l'inverse, des disparités importantes entraîneront une concentration marquée des industries (WIFO, 1999).
Dès lors, comment l'intégration peut affecter la spécialisation et la concentration ? Une intégration
croissante des économies nationales permet de profiter au mieux des économies d'échelle ce qui est un facteur de
concentration croissante. Concernant la spécialisation, il faut distinguer les pays développés des pays
périphériques (Krugman & Venables, 1990). En effet, les régions centrales aux tailles de marché supérieures
s'échangeront des biens similaires et verront leur spécialisation intra-branche s'accroître. Elles attireront
parallèlement des industries à haut contenu technologique et/ou nécessitant une main d’œuvre plus qualifiée.
Pour leur part, les nations périphériques attireront principalement des industries à faible contenu technologique
et/ou nécessitant une main d’œuvre moins qualifiée. Leurs échanges mutuels se feront également sur la base
d'une spécialisation intra-branche. Cependant, pour l’ensemble de la zone européenne, la différence des niveaux
de développement se répercute à la fois sur le côté demande (revenus plus importants, recherche de la variété) et
sur le côté offre (possibilités et rentes technologiques). Ceci conduit à une spécialisation accrue des nations dans
des industries au contenu différent en technologie et en croissance. La spécialisation sera donc intra-branche
mais sur la base de qualité différente puisque les industries "technologiques" se regrouperont au centre, au
détriment des pays du sud.
Les NTCI soulignent donc l'influence des économies d'échelle et de la différenciation des produits.
Cependant, la question de la localisation y reste implicite. Les modèles issus des nouvelles théories de la
localisation endogénéisent la répartition spatiale des activités, ce qui a particulièrement enrichi l'analyse de la
concentration sectorielle.
Economie Géographique : la question de la localisation des industries
L'économie géographique met en évidence les différents mécanismes d’agglomération et de dispersion.
On distingue ainsi les forces centripètes, qui poussent à la concentration des activités, et les forces centrifuges
qui incitent à la dispersion. Les raisonnements s’éloignent alors de la problématique de la spécialisation pour
traiter de la concentration des industries. En effet, c'est l’agglomération des firmes et des consommateurs qui est
ici expliquée.
Alors que pour les deux autres grands champs théoriques, l’impact de l’intégration sur la spécialisation
et la concentration s’assimile à des relations monotones, l’économie géographique offre des résultats plus
complexes. Il est nécessaire à cet effet d'effectuer une distinction entre main d'œuvre mobile et immobile puisque
selon l'hypothèse choisie, l’effet de l'intégration n'est pas le même (Jennequin, 2001).
En premier lieu, la mobilité parfaite de la main d’œuvre entre deux régions identiques permet d’égaliser
les différentiels de salaires régionaux. Un double effet taille de marché apparaît alors. D'une part, tout
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regroupement industriel permet d’augmenter le pouvoir d’achat réel des consommateurs localisés dans la région
centrale, ce qui attire la main d’œuvre de la région périphérique. D’autre part, l’agglomération des travailleurs
permet d’accroître les débouchés pour les entreprises, qui affluent en plus grand nombre. Le modèle centre-
périphérie de Krugman part de ce double effet taille de marché pour analyser l’impact d’une plus ample
intégration sur les économies régionales (Krugman, 1991). Une baisse des coûts de transaction enclenche ainsi la
causalité cumulative. Une concentration totale des activités est attendue dès que l’intégration atteint un certain
seuil. Cette relation est monotone dans la mesure où aucun renversement de tendance ne s’observe par la suite.
La situation diffère lorsque la main d‘œuvre est supposée immobile, comme il est d’usage de le
considérer en Europe ainsi qu’au niveau international. Un écart salarial subsiste alors entre les deux régions. Des
relations amont aval à la Hirschman induisent une répartition asymétrique des activités pour un niveau suffisant
d’intégration. Un nouveau schéma de type centre-périphérie s’observe alors, mais la relation n’est pas linéaire
dans la mesure où la poursuite de l’intégration rend l’écart salarial régional de plus en plus attractif pour les
industries. Celles-ci se délocalisent pour profiter d’un avantage coût. La répartition des activités redevient dès
lors symétrique (Venables, 1996). Cette situation décrit ainsi une relation non monotone entre intégration et
concentration2.
En conséquence, deux traits majeurs différencient les champs théoriques. D’un côté, les origines des
mécanismes sont distincts et font appel à des hypothèses spécifiques utilisées par chacun des corpus. D'un autre
côté, des divergences apparaissent au niveau de la spécialisation et de la concentration. D’une spécialisation
inter-branche attendue par les théories traditionnelles, la possibilité d’une spécialisation intra-branche émerge au
regard des NTCI. En outre, la distinction entre les pays du nord et du sud laisse augurer d’un double
retournement de tendance. Une convergence des degrés de concentration suite aux avantages coût liés aux
différentiels salariaux d'une part ; une divergence sectorielle entre un nord technologique et un sud plus
manufacturier d'autre part.
Ces affirmations théoriques méritent toutefois d’être appuyées par des analyses empiriques. Les deux
sections s’appuient sur une comparaison des travaux existants et sur notre propre évaluation de la spécialisation
et de la concentration en Europe. Nous verrons ainsi que leurs niveaux respectifs se sont accrus au cours des
trente dernières années.
3. L’évolution de la spécialisation européenne
Comment a évolué la spécialisation des nations européennes ces trente dernières années ? Quel est au
final l’impact de l’intégration européenne sur la spécialisation des Etats-membres? L’analyse empirique qui suit
tente de répondre à ces questions tout en effectuant un tour d’horizon des autres travaux en la matière.
L’approche de la spécialisation se fait ici en termes de structures productives et non de commerce international.
Néanmoins, nous verrons par la suite que ces deux approches restent liées dans la mesure où l’évolution de la
nature des échanges fournit des indications sur la spécialisation des pays.
Une première esquisse a été donnée par Krugman en 1991 qui, à partir de données d’emploi et sur une
classification industrielle assez générale (2-digit) a comparé les niveaux de spécialisation européens et
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