Réadaptation permanente des compétences du médecin

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Rapport de la Commission nationale permanente
adopté lors des Assises du Conseil national de l’Ordre des médecins
du 12 Octobre 2002
Dr Jacques MORNAT (Rapporteur)
Drs Gérard LAGARDE, Jacques LUCAS, Bernard MONIER, Jean TOULOUSE
READAPTATION PERMANENTE
DES COMPETENCES DU MEDECIN
Tout change de plus en plus vite dans notre environnement : les gens, les moeurs, les techniques et
les lois. La carrière prévisible du médecin, environ une trentaine d’années, ne saurait plus se
contenter d’un diplôme initial, généraliste ou spécialisé, ni de l’incitation déontologique et
réglementaire à l’entretien de sa compétence.
L’évolution des techniques, les besoins de santé publique, la demande et l’attente des patients
changeantes et fluctuantes, les accords ou conventions avec les assurances maladies de demain,
enfin et peut être surtout la démographie déclinante et prévisible des médecins pour les 15
prochaines années font que la profession devra pouvoir s’adapter en permanence à son
environnement.
Les qualités nécessaires pour le médecin, déjà aujourd’hui et plus encore demain sont :
une compétence permanente donc, adaptable avec le temps, ce qui justifie au niveau de la formation
initiale les connaissances techniques, mais aussi l’aptitude primordiale à résoudre les problèmes
posés et à se remettre en cause en permanence à travers la formation médicale continue or,
actuellement la formation médicale est trop rigide pour favoriser la souplesse nécessaire et ce pour
des raisons historiques et géopolitiques.
RAPPEL HISTORIQUE
La réforme de 1984 des études médicales, pour aligner le curriculum français sur les dispositions
communautaires et permettre la libre circulation des patients et des soignants, a supprimé les CES et
instauré l’internat qualifiant.
Le CES permettait après l’achèvement des études médicales, de pouvoir, avant ou après la
soutenance de thèse de doctorat, à tout médecin d’entreprendre une spécialisation par les
moyens d’un enseignement théorique et pratique et sanctionnée par le succès à un examen national
annuel. Le Conseil Départemental, au vu de cet examen, qualifiait le récipiendaire comme spécialiste
ou compétent.
Une telle formation avait des inconvénients nombreux : trop théoriques notamment dans les
disciplines cliniques, d’inégale qualité selon les régions, insuffisamment encadrée très
souvent. Les jurys d’examens enfin, avaient des comportements parfois extrêmes, allant de
l’admission généralisée au quasi verrouillage.
Enfin les décisions communautaires imposaient en général, une formation plus longue et plus
encadrée.
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Elle avait en revanche, l’avantage de la souplesse : tout médecin pouvait tout au long de sa
carrière entreprendre une spécialisation.
Et ce, qu’elle qu’en fussent les motivations personnelles : âge, santé, famille, intérêt et désintérêt ,
progrès technologiques ou avantages financiers.
Mais aussi motivation publiques : création de spécialités ou sur-spécialités nouvelles, facilitation
d’accès en fonction des besoins du pays.
L’INTERNAT QUALIFIANT suscité par les dispositions communautaires, il unifie dans toute la
CEE, les formations des spécialistes tant en durée qu’en modalités d’enseignement.
L’avantage théorique évident , c’est la certitude pour les patients de trouver une compétence identique
minimum dans toute la CEE et pour les médecins de pouvoir exercer dans toute cette communauté
dans un ou plusieurs pays.
Mais le système a été pollué par l’instauration du numerus clausus. En France comme ailleurs, du
reste, la formation d’un médecin est coûteuse pour l’Etat formateur, et l’exercice professionnel, source
de dépenses pour le système de soins : la tentation est donc grande de restreindre l’accès à la
profession médicale.
Les migrations de diplômes intra-communautaires, espérées par les uns et redoutées par les autres,
vont retentir peu ou prou sur les démographies médicales. L’élargissement prochain vers l’est
européen va nécessiter des adaptations, il en est de même des accords d’un pays communautaire
avec des pays tiers.
Surtout l’inconvénient majeur est l’irrévocabilité de la filière spécialisée de tous les médecins
étant entendu que la médecine générale devient une spécialité, supprimant toute possibilité
d’adaptation.
FORMATION ACTUELLE DU MEDECIN FRANCAIS
L’exercice professionnel est subordonné à l’inscription au tableau de l’Ordre départemental des
médecins, lequel contrôle et enregistre la formation initiale, la spécialisation éventuelle et demeure
garant de la pérennité de la compétence du praticien.
LA FORMATION INITIALE
Elle est le résultat de plusieurs sévères sélections :
- scolaire tout d’abord = l’origine des futurs médecins jadis éclectique, est aujourd’hui l’apanage
exclusif des bacheliers scientifiques S (parfois D)
- universitaire ensuite = le numerus clausus
Ÿ imposé s’exerce à la fin du PCEM 1 avec sévérité puisque 85 % des candidats échouent :
Si les lauréats sont quasi certains de terminer leur médecine, pour la grande majorité, l’échec à 2
examens est une perte sèche de deux années de formation.
Ÿ Les premières années d’études sont archi-dominées par les sciences dites fondamentales,
« dont les applications pratiques ne sont pas immédiates », dit le Larousse , et totalement
absentes en sont les Sciences Humaines « ayant pour objet l’homme et ses comportements dit
le Larousse », ce qui semble paradoxal pour un futur médecin.
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Ÿ Le troisième cycle de la spécialisation, véritable école pratique est totalement déterminé par
l’issue du concours de l’Internat dit qualifiant.
Au terme de celui-ci, le futur praticien est irrévocablement voué à une spécialité sans plus pouvoir
en changer, sauf au tout début (Droit au remord) ou en repassant un Internat « Européen ».
LA FORMATION CONTINUE
La formation continue, riche et variée, tente de pallier cette rigidité et de pourvoir à un exercice
médical extrêmement divers.
Obligation déontologique longtemps plus latente qu'ardente, la certification et re-certification, seront
étalons de la compétence et l'Ordre en sera le garant.
A – La demande médicale est en effet variée :
Les besoins des patients, des praticiens et de la Santé Publique ont amené les structures hospitalouniversitaires et les collèges de professionnels à créer des formations nombreuses dont certaines
avalisées par l’Ordre.
Au sein de ce qu’il est encore convenu d’appeler la médecine générale, certaines compétences
ordinales devenant exclusives (allergologie, angéiologie) sont des quasi-spécialités. Certaines
thérapeutiques particulières abordent des domaines très divers parfois sans certitude scientifique,
posant même le problème de la compétence en cas d’exercice exclusif.
Au sein des spécialités "officielles", les progrès techniques ou les besoins ont généré des exercices
restreints : c’est la sur-spécialisation devenant de plus en plus technique et donc de plus en plus
inaccessible.
La pratique hospitalière a du créer des exercices "spécialisés" internes pour remplir ses missions :
médecine polyvalente, hygiéniste, urgentiste, hémobiologie, transfusion…
La médecine salariée n’est pas qu’hospitalière ou universitaire, mais aussi militaire, ou dans le corps
des sapeurs pompiers, dans les administrations publiques ou privées, les associations humanitaires
ou d’usagers, les assurances maladies…
Le salariat des médecins dépasse l’exercice médical puisque des confrères inscrits ou non au
tableau ont des activités professionnelles non médicales dans des domaines très divers : Assurance,
statistique, gestion, journalisme, laboratoires, consultants…
B - La réponse à ces demandes est fournie essentiellement par les Universités, les professionnels
(collèges, sociétés savantes, associations d’usagers ou de professionnels...).
Les ministères et facultés de médecine ont créé et créent toujours de multiples DU, DEA, DESC,
UV…lesquels sont ouverts soit aux seuls médecins et professionnels de santé, soit aux non
médicaux.
Les autres facultés (Droit, Lettres, Sciences) de leur côté, accueillent les médecins dans certains
enseignements.
Les sociétés savantes nationales assurant, congrès, bulletins et publications, dans leur cadre
respectif, participent au progrès médical.
Les professionnels, surtout généralistes, assurent sur les plans locaux et régionaux, une formation
continue de valeur, en partie encouragée par les assurances maladies.
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Ces réponses pérennisent actuellement l’exercice dans le cadre de la spécialité ou compétence
initiale mais sans permettre une véritable réorientation.
INFLUENCE EUROPEENNE
La communauté européenne, on l’a vu, joue un rôle déterminant sur la formation initiale du jeune
médecin européen en uniformisant celle-ci dans tous les pays.
Mais l’uniformisation va probablement entraîner la reconnaissance de modes d’exercices reconnus
ailleurs ( chiropractor, Heil pratiker) ou modifier le rôle respectif médecin-professionnel de santé
(opticiens, aide-cliniciens…)
La démographie médicale française sera bien sûr influencée par la démographie européenne des
pays limitrophes, et sans doute aussi, par l’élargissement communautaire à venir.
CONDITIONS D’EVOLUTIVITE DU PRATICIEN ET DE SA FORMATION
Pour pouvoir rester adaptable et mobile dans sa profession tout au long de sa carrière, le médecin doit
réunir des qualités spécifiques et des conditions d’apprentissage optima.
I – Intérêt pour la relation humaine et humaniste
- encouragée par une formation non exclusivement scientifique et un recrutement donnant sa place
aux sciences humaines et à la culture générale.
- développée par l’enseignement minimum de l’abord psychologique du malade, du patient, de
l’usager.
- renforcée par le travail en commun, la relation avec autrui, nécessaire au travail en réseau et à la
pluridisciplinarité.
II – Polyvalence de la formation initiale
- apprendre à résoudre en privilégiant l’esprit de synthèse et le raisonnement plutôt que la mémoire de
plus en plus assurée par l’ordinateur.
- appréhender les connaissances scientifiques nécessaires mais pas aux dépens des apprentissages
professionnels plus concrets et cliniques.
- initier à la déontologie : confidentialité, information du malade, respect d’autrui, responsabilité du
soignant, tout cela par le moyen de l’approche précoce du malade dans son environnement.
- informatisation systématique et précoce de l’enseignement théorique et pratique.
- formation en santé publique, éducation sanitaire, prévention et droit de la personne bioéthique,
gestion.
III – Entretien permanent des compétences
Dans le cadre de la compétence acquise initialement, favoriser et contrôler la qualité de celle-ci.
Faciliter au praticien l’acquisition de compétences nouvelles dans le cadre de son exercice par une
réorientation majeure, à son gré ou face à des exigences de santé publique.
IV – Prise en compte des facteurs d’environnement prévisibles à terme
- La démographie médicale pour les 15 années à venir nous promet une raréfaction médicale
globale, un taux de spécialisation restant élevé, une croissante féminisation, toutes notions qu’il
faudra prendre en compte, alors que paradoxalement, les besoins vont aller croissants imposant des
adaptations et des reconversions de tous les exercices actuels.
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- Le progrès technologique incessant va induire des sites de sur-spécialisation, le besoin de nouvelles
compétences va surgir, justifiées par l’éducation sanitaire, la croissante judiciarisation, la
médicalisation et expertisation croissante de la vie publique et sociale.
- L’informatique et les médias vont aussi révolutionner le rapport avec le patient plus informé et donc
demandeur d’explications singulières (colloques) ou plurielles (associations) pour être mieux informé.
- Comme tout citoyen, le médecin femme ou homme, va revendiquer son droit légitime à profiter des
acquis socio-culturels de l’ensemble de la population.
PROPOSITIONS PROSPECTIVES
Afin de permettre une grande souplesse d’adaptation du praticien à son environnement, il convient
d’intervenir sur la formation initiale et continue, ainsi que sur certaines règles visant à favoriser les
changements.
MODIFIER LA FORMATION INITIALE
a) Sélection du futur médecin
•
celui-ci doit avoir un profil adéquat à l’exercice de la profession : aptitude technique intellectuelle,
physique et psychologique.
•
Etre muni d’une formation scientifique suffisante mais non exclusive faisant une part à une
culture générale de bon niveau et à une initiation à la psychologie.
•
•
accéder à l’utilisation de l’informatique et du télé-enseignement.
être familiarisé au travail en groupe et en atelier
b) Cette sélection pourrait résulter de la création d’un tronc commun d’accès aux professions de
santé, sorte de DEUG de Santé étalé sur deux années ( 1er cycle)
qui permettrait une formation sanitaire de base commune à ces professions de santé : médicales et
dentaires comme c’est déjà le cas, mais aussi sages-femmes, infirmiers, kinésithérapeutes…
qui serait sanctionné par un diplôme d’études supérieures ouvrant droit, soit à entrer dans le 2ème
cycle professionnel, médecine ou autre profession de santé, soit à se réorienter par équivalence vers
d’autres études universitaires : scientifiques, juridiques, littéraires etc.
a contrario, faut-il aussi prévoir pour les professionnels de santé, dans certaines conditions, la
possibilité d’un accès facilité à la carrière médicale ( recrutement interne type ENA) ?
c) Le deuxième cycle serait, lui, spécifiquement médical :
assurant bien entendu la formation professionnelle adéquate sur la pathologie générale et les
thérapeutiques
mais aussi imposer le contact précoce entre le médecin futur, le patient et les lieux de soins et par ces
moyens initier à la prévention, à l’éducation sanitaire, à la déontologie (confidentialité, information du
patient, droit de la personne…)
assurer enfin une initiation à la pratique du professionnel : responsabilité, assurance, convention,
gestion, fiscalité….
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d) Le troisième cycle est véritablement l’école pratique médicale
w inauguré par le succès à un examen ou concours, discuté dans ses modalités, il permet l’accès à
la formation spécialisée (la médecine générale est désormais une spécialité comme les autres).
w un bilan d’orientation doit permettre au lauréat comme aux éliminés d’envisager un avenir
personnalisé :
pour les lauréats, choix de telle ou telle formation en fonction de leurs goûts, aptitudes ou de besoins
prévisibles.
pour les autres, obtention d’un diplôme médical ne donnant pas droit à l’exercice de la médecine, mais
permettant d’entrer dans la vie active, ou d’avoir accès à un 3ème cycle non médical.
w un bilan de santé obligatoire doit être associé à l’orientation permettant de dépister autant que
possible les inaptitudes physiques ou psychiques à l’exercice de la médecine de soins ou de certains
modes d’exercices spécialisés.
w l’enseignement sera constitué d’un tronc commun court et unique pour tous, puis de troncs
secondaires communs à plusieurs spécialités, enfin de l’étape terminale aboutissant à la qualification.
Cette école pratique sera une initiation à la décision et responsabilité diagnostiques et
thérapeutiques par les moyens du compagnonnage des jeunes seniors et l’encadrement des plus
expérimentés.
e) Le succès à l’examen d’entrée de 3ème cycle doit être un acquis définitif
w qui puisse permettre tout au long de la formation spécialisée de changer d’avis et de se réorienter
après un entretien pédagogique spécialisé.
Ne serait-il pas souhaitable enfin que certaines activités médicales, non soignantes (santé publique,
médecin conseil…) ne soient conférées qu’après pratique d’une durée raisonnable d’exercice clinique
inclus dans leur formation.
MODIFIER LA FORMATION CONTINUE
C’est d’abord garantir le droit permanent à la spécialisation la carrière durant, ce qui permet
d’établir LES PASSERELLES tant attendues par la profession.
Cette remise en cause volontaire doit être définie, puisque éminemment variable avec chaque
praticien par un projet de compétence :
modulé par un jury comportant, outre l’intéressé, un enseignant universitaire de la spécialité
en cause et deux professionnels non universitaires exerçant la spécialité.
définissant les acquis théoriques et techniques nécessaires et les moyens d’y parvenir : modules ,
DU, stages, UV. DEA, DESC, à partir d’un bilan de compétences actualisé et de l’évaluation des
pratiques professionnelles.
Le succès entraînant la qualification nouvelle serait décidé par un jury représentatif de la spécialité et
le Conseil de l’Ordre l’entérinerait sans préjuger des nécessités ultérieures d’accréditation.
Quand aux modalités pratiques, elles devront être :
- accessibles à tous et donc adaptées aux conditions de l’exercice autant que possible.
- variables avec le niveau acquis de spécialisation précédent
- non coûteuses et rémunérées lorsqu’elles répondront à des besoins notoires de santé publique.
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- possibilités de contrats d’engagement éventuels
- facilités de financement diverses à envisager
FAVORISER LES CHANGEMENTS
Pour favoriser la mobilité plutôt que la stagnation, il paraît souhaitable d’intervenir à plusieurs
niveaux :
- faciliter les passages du statut privé au statut hospitalier et vice et versa, ce qui pose les
problèmes de remise en cause des statuts et des émoluments.
- encourager l’assistanat temporaire ou non, l’association temporaire, qui sont déjà des réalités
ainsi que le salariat médical dans le cadre des S.E.L, encore discuté, toutes mesures facilitant les
exercices qui permettent plus de mobilité à des praticiens qui le souhaiteront de plus en plus, d’où
l’importance d’une réflexion sur les modalités contractuelles qui incombent à l’Ordre.
Les disparités géographiques vont de toute évidence, entraîner des décisions conventionnelles ou
politiques, incitatives ou contraignantes tôt ou tard pour y porter remède.
Enfin les pouvoirs publics en cas de besoins urgents, devraient pouvoir instituer des formations de
types CES pour faire face à des besoins spécifiques.
CONCLUSION
Un médecin capable tout au long de sa carrière de s’adapter à son gré à l’environnement, devient une
nécessité dès aujourd’hui et plus encore demain ; adaptation qualitative ou géographique, elle seule
permettra, nonobstant une attractivité financière suffisante, de procurer à la Société un corps médical
parfaitement adaptable à sa mission dans un contexte démographique défavorable.
Les pouvoirs publics qui maîtrisent l’accès à la profession (numerus clausus), les conditions
d’exercice, (budget de la sécurité sociale et conventions), et qui définissent les besoins de la santé
publique ont une signalée responsabilité devant les patients, les médecins et les jeunes français.
Il ne faut pas se tromper : toute marge d’erreur sera plus ou moins corrigée par "l’Europe des blouses
blanches" prochainement élargie, voire le large recours à nouveau à des "diplômes étrangers", ce qui
ne saurait satisfaire les jeunes français, légitimement attirés comme nous tous, par la noblesse de
cette profession.
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