VOLCANO Chapitre 10

publicité
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
impeccablement conservée. Non pas qu’il était collectionneur, loin de là. Simplement, depuis son achat, cette voiture n’avait‐elle pas fait un trajet plus grand que celui qui séparait son domicile de la centrale. Il avait acquis l’un des derniers modèles commercialisés en 1980, dans la version la plus économique. Le compteur affichait fièrement 300.000 kilomètres. Il engagea une vitesse, à l’aide du levier situé à hauteur du volant, et s’engagea sur la route lentement. VOLCANO Chapitre 10 avril 2010 Après les investigations menées en Islande, avec l’aide de jeunes scientifiques très efficaces, le journal de Jean‐Louis Gullung avait été cité dans les quotidiens de la moitié de la planète. Le volcan redoublait d’activité, en ce mois d’avril, et le flot d’informations et d’articles ne tarissait pas. Les conséquences de l’éruption inopinée en Islande, entre le vingt mars et la fin du mois d’avril 2010, était à l’origine d’une moisson de données pour les jeunes vulcanologues. Toutefois ce déplacement à Reykjavik avait perturbé le calendrier des jeunes chercheuses aventurières. En effet, elles avaient initialement projeté une rencontre avec Nick Riff dans le but d’assister au trentième anniversaire de l’éruption volcanique du Mont Saint Helens. L’éruption majeure s’était produite le 18 mai 1980. L’expédition de Chris et Adèle les avaient littéralement propulsées sur l’avant de la scène. Elles se savaient redevables pour partie à Jean‐
Hervé FRANTZ.
Louis Gullung, qui leur avait demandé conseil pour l’éruption volcanique en Islande, un mois plus tôt. Le résultat de leurs relevés scientifiques en Islande portait véritablement ses fruits. La presse se faisait un large écho de leurs préconisations. Force était de constater que leur parole d’expertes était prise en compte tant pas la communauté scientifique, que par les média. Le trafic aérien avait été sérieusement impacté. Le milieu de l’aéronautique avait tenu compte des observations d’Adèle et Chris. Les particules en suspension dictaient la plus grande prudence aux pilotes. Le risque pour les réacteurs, les turbines et autres moyens de propulsion des appareils aériens était avéré. Chris éprouvait cette petite fierté d’avoir survolé le volcan en activité. Elle ressentait surtout le bonheur de l’accomplissement de leur rêve. Adèle avait été très surprise de découvrir, à leur retour en France, la commande d’une nouvelle mission d’observation et les fonds appropriés. Une enveloppe avait été déposée dans la boîte aux lettres de Chris. A l’intérieur, un ordre de mission précis, avec la description des recherches à mener. En prime, un extrait de compte avec le montant, c'est‐à‐dire les fonds alloués à l’opération. Un industriel, riche semble‐t‐il, avait des intérêts ou souhaitait investir sur la côte est des Etats‐Unis. Il était résolu à définir le risque de tsunami dans l’océan Atlantique et avait besoin du concours des jeunes femmes. Elles étaient prises au sérieux. La magie d’une mission réussie allait‐elle leur assurer la subsistance nécessaire pour vivre de cette passion ? Chris, les cheveux blonds vénitiens portés par le vent, avait convié ses amis à une sortie en montagne pour annoncer l’heureuse nouvelle. Elles avaient enfin décroché leur statut de scientifique. Cette annonce devant quelques amis dans le cadre d’une belle randonnée, avait libéré Adèle de ses doutes et inquiétudes. Sur le Grand Ballon, à près de 1424 mètres d’altitude, Chris avait déclaré lors de cette petite conférence en pleine nature : 78
78
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
‐ Chers amis, Adèle et moi avons une nouvelle à vous annoncer. Adèle s’attendait à tout. Elle connaissait le sujet qui devait être abordé. Mais de la part de son imprévisible amie, elle s’attendait à une nouvelle aventure chaque jour. Elle fut rassurée lorsque Chris développa le sujet. ‐ Nous avons le plaisir de vous annoncer que nous revenons d’Islande ! ». Elle marqua une pause sous les yeux interrogateurs de ce petit public composé de Jean‐Michel MASSON, Régis Minner, Anne‐Laure Voirin, Zoé et son frère Arthur Fayet. Elle poursuivit : ‐ Nous avons effectué une mission de reconnaissance et de récolte d’échantillons au‐dessus du volcan en activité dont parlent tous les médias depuis près d’un mois ». ‐ Nous sommes vulcanologues, ça‐y‐est ! Nous avons un second contrat », s’empressa de compléter Adèle. Elle était survoltée, aux antipodes de ses habitudes. Ces paroles déclenchèrent rires, applaudissements et embrassades pour congratuler les deux jeunes femmes. Elles avaient si souvent rêvé et partagé leurs désirs d’exploration, que cette perspective devenait de moins en moins réelle ou réaliste. Plus elle abordait le sujet, plus leurs amis éprouvaient de la tendresse devant ce qu’ils imaginaient irréalisable et qu’ils classaient dans l’univers du fantasme insaisissable. Leur surprise, et leur ébahissement n’en était que plus grands ce jour. ‐ Mais vous n’avez rien dit, vous avez réussi à garder ce secret, c’est impensable ? » questionna Arthur. Le jeune homme était spécialiste dans l’industrie chimique et œuvrait également en conseiller, expert volontaire, pour les services d’incendie et de secours. Hervé FRANTZ.
Régis envisageait la situation sous un autre angle. Il surprenait souvent avec ses questions auxquelles personnes n’avait pensé, mais qui somme toute étaient très judicieuses. Il demanda simplement : ‐ Vous n’avez pas été inquiétées après vos déclarations qui ont occasionnées l’annulation de tous ces vols, sur la base de votre expertise ? C’est une perte considérable, je pense, et tout ça à cause de deux jeunes scientifiques. Puis il ajouta, pour détendre l’atmosphère : ‐ Votre mécène est probablement le propriétaire de liaisons maritimes qui a rempli ses bateaux grâce à vous. Les filles entrainèrent le groupe dans un rire libéré. ‐ Les filles, en tout cas moi je suis fière de vous ! Il faut leur montrer à ces mecs, qu’on n’a pas besoin d’eux ! », annonça Zoé dans un tonnerre d’applaudissements de la gent féminine. Chris sortit son appareil photo pour montrer quelques clichés de la première mission, comme s’il s’agissait de prouver que ce fantasme était inscrit, concrétisé, dans le vécu des deux complices. C’était également le moment qu’elles avaient choisi pour indiquer officiellement leur départ prochain pour l’Afrique. Elles se rendaient précisément aux Canaries, où elles allaient observer des pans de volcans qui menacent de s’effondrer dans l’océan. Elles avaient besoin d’aide et souhaitaient que cette aide puisse émaner de leur cercle d’amis. Bien sûr, l’appareil avec lequel elles survoleraient les iles ne serait en mesure d’emporter trois adultes et le matériel. Pour autant le concours de leurs amis serait appréciable dans l’assistance au camp de base qu’elles voulaient établir pour une plus grande autonomie d’observation. Avec le budget obtenu de manière inattendue, elles voulaient également faire partager leurs aventures à leurs connaissances. 79
79
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
‐
Voulez‐vous nous accompagner pour une mission de vulcanologie aux îles Canaries. Nous recherchons des personnes de confiance pour tenir le campement ainsi que la logistique ? ». Adèle posa sa question sur un ton fébrile. Elle prenait conscience, au moment où les paroles étaient prononcées, que la proposition pouvait être absolument déroutante. Les yeux grands ouverts, le souffle retenu, les sens en éveil pendant les quinze secondes de silence qui suivirent sa proposition, Adèle n’osa pas même avaler sa salive. L’explosion de joie qui s’était fait attendre répondit à l’interrogation. Et voilà que quelques jours plus tard, le 17 avril, ils prenaient l’avion avec moult bagages pesés et limités, pour leur expédition invraisemblable. Lors de leur départ, à l’aéroport, Sarah Ulysse les avait questionnés sur demande de Jean‐Louis Gullung, pour rédiger un article. Elle avait obtenu une place correspondant à trois mille signes et deux photos, une place remarquable dans un quotidien. Arthur avait observé la ravissante journaliste avec insistance. Il ignorait évidemment que Nick avait éprouvé le même intérêt pour Sarah Ulysse. Malgré les précautions d’Arthur, sa sœur Zoé n’avait pu résister à la tentation de lui pincer les fesses pour signifier qu’elle avait compris ce que son frère pensait. Bien entendu, il était difficile de rester insensible à la beauté acérée de la jeune journaliste aux cheveux foncés, aux yeux profonds, sincères et honnêtes et à la silhouette fine et ferme. Elle mesurait certes moins d’un mètre soixante, mais elle recélait de bien des qualités, de charmes et de traits de caractère prononcés. Arthur avait compris que Sarah était célibataire. Il regrettait presque d’embarquer dans l’appareil, de peur qu’elle ne succombe au charme d’un vulgaire étalon sans intérêt en son absence. Il se surprenait à être jaloux alors qu’il était loin de posséder ne serait‐
Hervé FRANTZ.
ce que les sentiments de la jeune Sarah. Pour l’heure, il avait pris place dans le vol qui les porterait vers des découvertes insolites. Ce jour même, l’activité du volcan Eyjafjöll redoublait et les vidéos postées sur internet et youtube se multipliaient, toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Dans l’avion, Adèle avait tenu à fêter l’anniversaire de Katia Krafft. La vulcanologue décédée au Japon lors d’une éruption volcanique fatale à tout un groupe, était née le 17 avril 1942. Tandis qu’elle tendait une petite part de gâteau sec à Arthur dans l’avion, le jeune homme murmura que ce jour correspondait également à son propre anniversaire. Zoé lui adressa un sourire tendre. Elle était fière de son grand frère bien qu’il avait été parfois rude avec elle pendant leurs jeunes années. ‐ Dis‐moi, Adèle, vous vous – connaissez, en volcan ? » interrogea Anne‐Laure. ‐ Ma foi oui », répondit Adèle avec une certaine lassitude. ‐ Non, je te demande ça parce que, la Katia Krafft dont tu nous as fait un petit rappel avant, elle est morte à cause d’un volcan, non ? » ‐ Euh, en effet », elle n’eut pas le temps de poursuivre que Jean‐
Michel MASSON intervint. ‐ Et pourtant elle était spécialiste depuis de nombreuses années. On risque quelque chose, nous, c’est dangereux ta mission ? » ‐ Je ne peux pas garantir que notre mission soit sans danger, en restant fidèle à ce que nous avons déjà évoqué ». ‐ Cela dit, nous allons sur un volcan qui n’est pas en activité, ce qui n’était pas le cas au Japon pour les époux Krafft », rassura Chris. ‐ Oui, nous allons observer une ile sur laquelle un volcan a grandit. Ensuite, la poche de magma s’est déplacée sous l’eau au rythme de la migration de la plaque tectonique. Cependant, 80
80
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
aujourd’hui, un flanc entier de l’ile se détache progressivement. Nous voulons poursuivre les études déjà débutées, constater le mouvement lent mais inexorable, et la précipitation possible de ce flanc de l’ile dans l’océan. Ce que nous mettrons en lumière à notre retour, c’est le danger consécutif de cette catastrophe. La date, nous ne pourrons pas la prédire ». Chris ajoutait justement que si ce flanc de l’ile se détachait et était projeté dans l’océan, les conséquences provoqueraient des dommages sur la coté est de l’Amérique. D’après toutes les modélisations, un tsunami serait inévitablement généré par la force de cette masse s’effondrant dans l’océan. Les jeunes femmes avaient pour objectif de contribuer à la vérification de ces craintes. Le courrier exprimait clairement le thème de la mission assignée. Mais elles n’y avaient réellement cru que lorsqu’elles purent utiliser l’argent déposé sur le compte. Avec une rapidité surprenante, après leur atterrissage sur l’ile, tout le groupe était assis à 2.600 mètres d’altitude dans les deux véhicules tout‐terrain loués avant le départ tôt. ‐ C’est extraordinaire, ces paysages lunaires et désertiques ne ressemblent à rien de ce que j’avais vu jusqu’à ce jour, je suis époustouflé ! ». Arthur regardait dans toutes les directions successivement. Il était heureux d’avoir pu se libérer suite à la proposition précipitée d’Adèle et Chris quelques jours plus tôt. Ils étaient bel et bien là, au milieu de l’océan, au large du Maroc et à 500 kilomètres environ à l’ouest du Sahara. Arthur se voyait passer quelques jours sur la « playa » de Ténériffe, flâner sur le sable doux et chaud. Au lieu de cela, ils avaient pris place dans des voitures dès leur arrivée, arpentant les routes et les pistes sablonneuses. Très vite, ils avaient quitté Santa Cruz de Tenerife, passant par Puerto de la Cruz. Le but Hervé FRANTZ.
avait été exposé par Adèle. Il fallait rejoindre rapidement le parc naturel « Parque Nacional del Teide » dont le sommet volcanique, « Chahorra, El pico Del Teide », s’élevait à plus de 3.600 mètres d’altitude. Ce sommet témoignait de la puissance de la Terre au moment de la libération l’énergie de ses entrailles. Ce périple était épuisant. Accomplir une progression de cinquante kilomètres dans des conditions aussi sommaires était bien plus long que se déplacer d’une distance identique en France métropolitaine, sur une voie rapide. Ce détail était probablement le premier que le petit groupe n’avait pas visualisé lors de ses soirées d’organisation en Alsace. Evoluer à une telle altitude eut pour conséquence de déclencher les premiers signes du mal des montagnes pour les moins habitués du groupe. Quelques‐
uns en étaient quittes pour un bon mal de tête. Ils avaient tous pour intention d’atteindre le sommet du volcan, et peu à peu, ils désespéraient de pouvoir accomplir cet objectif, faute de temps. Les observations scientifiques des deux jeunes vulcanologues allaient être chronophages, autant qu’intéressantes. ‐ Mes amis voici Pico de Teide, vu de son pied ! » déclara Anne‐
Laure en reprenant son souffle. ‐ Il n’y a rien du tout ici, c’est complètement dingue », compléta Régis très habitué à de tels efforts en altitude. Ils s’étaient autorisés une sortie sport et nature, chaussures de marche aux pieds, équipements de montagne de rigueur, sous le ciel bleu azur. Ici la rare végétation qui pouvait résister lorsqu’il n’y avait pas de neige, n’était que touffes éparpillées vertes ou brunes et qui semblaient totalement brûlées par le soleil. ‐ Nous sommes à moins de deux kilomètres du sommet, d’après mon GPS, et pourtant nous sommes mille mètres plus bas que lui, c’est impressionnant » indiqua Zoé. 81
81
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
Comme les autres, elle ne s’était pas attendue à de tels dénivelés, en scrutant les cartes et images sur internet, avant le départ. La pierre était tantôt ocre et friable, tantôt noirâtre, roche volcanique refroidie et fragmentée depuis de nombreuses décennies. En dépit des efforts et des péripéties qu’ils avaient rencontrés pour arriver jusqu’à cet endroit, tout ce petit monde était ravi. Occasionnellement, quelques fleurs violettes apportaient une touche rassurante dans le paysage rocailleux inhospitalier. Partout autour d’eux, se dévoilaient des cratères plus petits, mais aux contours distinctement conservés qui ne laissait place à aucun doute. Le volcanisme ici était bien réel, malgré l’absence de manifestation violente récente. L’ile ne comptait que quelques kilomètres de circonférence. A 2.600 mètres d’altitude, le regard se percevait l’océan, où se mêlait le bleu profond de l’eau au bleu du ciel. Seuls quelques nuages blancs glissaient lentement à une altitude d’environ deux mille mètres, un peu plus bas que leur niveau. Ces nuages venaient lentement s’agglutiner, stoppés par les contreforts et reliefs de l’ile volcanique. Après trois journées de détente et d’acclimatation, le programme évolua dans une direction plus scientifique. Sur un sommet, les vulcanologues entourées de quelques‐uns de leurs amis fidèles qui avaient pu se libérer pour les accompagner aux Canaries, apportaient des renseignements complémentaires au sujet de leur mission. Il s’agissait d’étudier des iles volcaniques. ‐ Voici le but de notre mission d’observation. Tous les volcans naissent, grandissent, et généralement s’élèvent. Un problème pourtant augmente à mesure que le volcan s’étend. Lorsque le volcan s’élargit, l’intérieur est comme une marmite qui s’élargit de pair. Le couvercle du volcan soumis aux tensions et aux forces, présente parallèlement un risque grandissant Hervé FRANTZ.
d’effondrement dans son antre en libérant un nuage de poussières, de cendres, et de magma », expliqua Adèle. Les jeunes vulcanologues poursuivirent leurs explications en évoquant la situation particulière de La Palma, une ile entièrement volcanique. 500.000 ans s’étaient écoulés depuis le dernier effondrement connu sur cette ile. Il concerna un volcan au nord de l’ile, le Taburiente. De l’effondrement était restée une gigantesque caldeira, tel un amphithéâtre de dix kilomètres de diamètre bordé d’abruptes falaises. Pour autant, la menace planait toujours en 2010. La problématique était triple. Certes les lois de la gravité expliquaient le risque pour un volcan dont les parois avoisinaient les trente degré d’inclinaison. De fait, le glissement de terrain était à craindre. Mais encore, la montée de magma frais provoquerait probablement des gonflements supplémentaires sur les côtés chargeant un peu plus les flancs. Chris indiqua qu’elle craignait une désorganisation des masses de matière, en raison d’un équilibre déjà précaire. Et s’il fallait insister, la nature avait prévu d’accompagner régulièrement ses éruptions par des secousses sismiques pour bouleverser les dernières résistances. Dans ces conditions, il y avait fort à craindre que tout l’édifice volcanique vacille et s’effondre. Ainsi était donc la situation. ‐ Sous la croûte du volcan, il faut imaginer différentes couches. Tout d’abord, nous trouvons une surface froide et durcie par le temps. Piégée entre cette structure et le magma bien plus bas, se trouve une nappe phréatique maintenue sous pression par réchauffement ». ‐ Oui Adèle, la chimie explique ce phénomène », intervint Arthur, et il poursuivit : ‐ Vous voyez ce qu’est un litre d’eau à l’état liquide, c’est un volume d’un litre contenu dans une bouteille. Par contre, lorsque le litre d’eau est entièrement soumis à une 82
82
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
‐
‐
‐
‐
température supérieure à cent degrés Celsius en quelques secondes, toute l’eau se vaporise. Quand l’eau liquide devient de la vapeur, un litre de liquide se transforme en 1.800 litres de vapeur, soit 1.800 bouteille de vapeur. Vous comprenez aisément qu’avec une telle transformation piégée par le couvercle du volcan, c’est une véritable propulsion de bouchon de champagne qui va se produire dans le cas qu’Adèle évoque. C’est assez terrifiant ». Tout est question de temps, et nous cherchons à établir le risque pour inciter les autorités à mettre en place un système fiable d’avertissement des populations, particulièrement pour celles qui courent le plus grand risque sur le pourtour Atlantique. Il est cependant difficile de demander à des élus de prendre des mesures pour un danger qu’ils n’ont jamais rencontré de mémoire d’homme, et c’est bien le plus navrant », poursuivit Chris. C’est la côte est des Etats‐Unis, les Caraïbes, qui seront dévastées selon ce que tu nous expliques ! », interrogea Zoé qui avait été très attentive. Notre site d’observation est certes moins intéressant que lors de notre virée islandaise avec Jean‐Louis Gullung, où nous avons assisté en direct à l’éruption mais nous ne pourrions pas nous approcher ici comme nous le souhaitons pour atteindre notre objectif diamétralement différent. » La Cumbre Vieja a connu une évolution fulgurante et dissimule sournoisement la fureur de ses entrailles. Deux éruptions récentes ont eu lieu. La plus récente en 1971 sans trop de conséquences. Toutes deux ont donné lieu à des expulsions de lave et de cendre. La précédente en 1949 a surpris les habitants qui n’avaient pas connu de secousse durant les deux siècles Hervé FRANTZ.
précédents. Mais plus encore, les très fortes secousses sismiques ont laissé place à une véritable déchirure de l’ile sur une distance visible de trois kilomètres au moins d’après nos informations ». ‐ Bonelli Rubio, un espagnol spécialisé dans la sismologie, a remarqué un affaissement effrayant de quatre mètres au droit de cette déchirure. La chute vers l’océan est en route. Suivi par GPS, le constat est flagrant. Le glissement se fait régulièrement », s’empressa de préciser Chris. Ce site très peu peuplé, en comparaison avec les grandes villes japonaises, n’attirait pas vraiment l’attention de l’opinion publique. Aucune chance de mobiliser les médias pour mettre sous les projecteurs cette menace dont les américains n’avaient pas conscience. ‐ Je commence à comprendre pourquoi personne n’est encore en mesure d’avertir efficacement ces millions de victimes potentielles. Les éruptions sont absolument imprévisibles, malheureusement » commenta Régis à son tour. Voici ce que regrettait également le petit groupe. Savoir que des innocents allaient périr, sans qu’il ne soit possible de mettre en garde qui que ce soit, désespéraient les membres du groupe qui découvraient la situation grâce aux projecteurs de Chris et Adèle. ‐ Si je comprends bien, repris Zoé, le sommet du volcan qui s’effondre dans le cœur du volcan va éclabousser les alentours ? » ‐ Oui, c’est bien ça, et toute la matière qui s’était asséchée et refroidie petit à petit, est remise dans le contenant qui ne possède pas de place pour l’accueillir », répondit Adèle. ‐ Mais ce que nous allons observer dans nos études, ce sont les cratères pour lesquels le sommet du volcan ne s’est pas 83
83
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
effondré dans le volcan, mais entraine la rupture de toute une face », précisa Chris. Elle qui avait pour habitude d’être toujours à l’affut d’une plaisanterie, particulièrement avec son amie Zoé, était à présent très sérieuse. ‐ Les enjeux sont très importants et nous avons été engagées par un groupe industriel très important, semble‐t‐il, qui souhaite que nous déterminions trois points. Tout d’abord, il faut identifier les mécanismes de rupture, puis dresser des signes avant‐coureurs en mettant en lumière les manifestations préliminaires. Enfin, il s’agit de contribuer au dimensionnement des dégâts qui pourraient être consécutifs à l’effondrement dans la mer ». ‐ Je ne comprends pas bien, Chris, quels dégâts ? » demanda Régis. ‐ Tu as raison, Chris et moi, nous savons de quoi nous parlons, vous non. Je m’explique : le morceau de volcan que nous allons étudier en détail est sur une autre ile. Pour vous représenter ce que nous appelons vulgairement un morceau, vous devez imaginer. Il s’agit d’un volume dont la base représente cinq kilomètres de large sur vingt kilomètres de long pour une hauteur de 2.000 mètres » compléta Adèle. ‐ Un volume total de 200.000 millions de mètres cube de montagne ! », annonça Arthur. Son cerveau de chimiste entraîné au calcul avait modélisé le flanc de montagne qui était concerné, et en était sidéré. ‐ Oui Arthur. C’est considérable. Et nous pensons que ces phénomènes se sont déjà produits », ajouta Chris. ‐ Aux Bahamas, c'est‐à‐dire de l’autre côté de l’océan, d’énormes blocs de corail reposent de manière inexpliquée dans les terres. Comme quelques scientifiques de renom, nous pensons qu’il Hervé FRANTZ.
‐
‐
‐
‐
s’agit de la conséquence d’un tsunami provoqué par l’effondrement d’une paroi de volcan de ce côté de l’océan, voici probablement cent mille ans », commenta Adèle. De notre vivant une telle catastrophe ne s’est jamais produite, comment voulez‐vous dimensionner la hauteur des vagues de ce tsunami improbable ? » ajouta Arthur. Tu as également raison sur ce point. Nous ne pouvons pas nous référer à des modèles fiables et c’est bien la raison pour laquelle il faut recueillir tous les indices possibles sur le site. Cependant, des amis travaillent à ce dimensionnement. Par exemple, un homme ou plutôt une référence dans notre domaine, monsieur Bill Mc Guire, docteur en volcanologie, a étudié ces phénomènes et enrichi considérablement les connaissances. Monsieur Mc Guire a rédigé des ouvrages sensationnels qui recèlent des mines de renseignements. Ses cours dans le domaine de risques géophysiques sont extraordinaires, nous avons eu la chance d’y assister. Cet homme a rassemblé une quantité impressionnante de données. Il suppose qu’environ six heures seulement après l’effondrement de la Cumbre Veija, près d’ici, de l’autre côté de l’océan le tsunami atteindrait par endroit des vagues dont la hauteur des crêtes serait de vingt mètres tandis qu’au même moment des zones subiraient des creux d’une profondeur identique ». Vingt mètres de hauteur ? Des vagues ? Mais c’est insensé ! sachant que de surcroit l’onde aurait à franchir trois à quatre mille kilomètres sur l’eau, je suis sceptique » déclara Jean‐
Michel MASSON, bien plus sportif que scientifique. Je comprends ton étonnement Jean‐Mi », repris Arthur. 84
84
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
Le frère de Zoé se représentait la scène le plus précisément possible et y parvenait plutôt bien. Il ajouta : ‐ Cela‐dit, il faut plutôt prendre en compte que cette masse de plusieurs centaines de millions de mètres cubes précipitée dans l’eau avec force va prendre un élan sur ces milliers de kilomètres. En tant que chimiste, je tente d’imaginer la réaction qui me semble en réalité assez simple. Un volume d’eau est poussé. Il n’y a pas de place. Il bouscule donc les volumes d’eau environnante avec la force de l’énergie libérée par la chute. Il ne peut pas y avoir d’équilibre des forces avant que toute la place ait pu être reprise ». Arthur, tout en livrant ses sentiments au sujet d’un tel événement, prenait un air grave. ‐ Effectivement, dans les principes retenus pour élaborer des zones impactées, monsieur Mc Guire développe sa théorie avec une approche similaire. Il prétend que tant que la vague ne se sera pas étalée sur une surface libre, elle poursuivra sa course folle en bousculant à chaque fois les volumes environnants » enchaina Adèle, et Chris de poursuivre : ‐ Après cette première vague, quelques résidus subsisteront de la même manière que lorsque vous faites tomber un caillou dans un seau ». ‐ Sacré caillou ! » lâcha Jean‐Michel qui comprenait à son tour grâce à la vulgarisation du phénomène. Il ajouta : ‐ Les filles, vous m’impressionnez ». Avec une touche d’humour, Zoé s’empressa d’essayer de dédramatiser la situation : ‐ Lorsque nous passerons nos vacances aux Bahamas, nous pourrons dire fièrement que nous connaissons, nous, les scientifiques qui ont fait construire les murs de vingt mètres de Hervé FRANTZ.
hauteur tout autour de l’ile pour protéger habitants et touristes ». Sur ces paroles tous se mirent à rire, finalement peu persuadés qu’une action de protection des populations puisse se décliner de cette manière. ‐ Une sirène, comme au Japon, banane, c’est avec une sirène et des exercices d’évacuation d’urgence que nous pourrons sauver des vies tout en sirotant notre menthe à l’eau sur la plage des Bahamas l’année prochaine ». ‐ Tu en fais une sacré, toi, de sirène », ajouta Jean‐Michel hilare. Le téléphone de Zoé vibra pour annoncer la réception d’un SMS. Lieutenant de sapeurs‐pompiers volontaires, et Chef du centre de secours d’Ensisheim, elle avait à cœur de toujours savoir ce qui se passait sur son secteur d’intervention. ‐ Ben mince ! On me signale que mes gars sont intervenus suite à une explosion de gaz. Le bilan est d’un mort et plusieurs dizaines d’habitations endommagées ». Au même moment, Pierre sortit d’une banque suisse, satisfait. Son profil particulier était méconnaissable. Habituellement, il portait ses cheveux bouclés et long en bataille, et sa barbe fournie contribuait à accentuer sa mine patibulaire. Ce jour‐là pourtant, en plein centre d’une ville suisse, il était entré dans un établissement adhérent à l’Association suisse des banquiers. Les questions traditionnelles, destinées à vérifier qu’il n’était pas politiquement exposé, ou si les fonds provenaient d’un crime. Bref, la femme avait procédé à la récolte des informations en vue de savoir si la notoriété de l’établissement pouvait être entachée par le client potentiel. Le passeport, neuf, avait d’abord attiré l’attention de la commerciale, 85
85
LIVRE TREMBLEMENT NUCLEAIRE
Georgette Renisen. Puis, elle avait rempli l’ensemble des formulaires avec le nouveau client. ‐ Je reprends : monsieur Wehr Olivier, vous êtes domicilié à Ottmarsheim dans le Haut‐Rhin, en France, c’est bien cela ? » ‐ Absolument », répondit Pierre Heinrich en reprenant son passeport et une quittance d’électricité. GAZ Chapitre 11 avril 2010 Serge Thrust pensait que le stockage de gaz, au milieu de la plaine d’Alsace, était une bonne idée. Sur le plan géologique, les conditions étaient réunies pour disposer des meilleures conditions de sécurité. Côté réalisation par contre, il avait été très surpris d’apprendre que le stockage se ferait par 1300 mètres de profondeur, c'est‐à‐dire en‐
dessous de la nappe phréatique. Il avait pesé le pour et le contre. A une telle profondeur, pour une durée d’exploitation à l’échelle de l’espèce humaine, Serge avait d’abord pensé que la technique choisie était la meilleure. Puis, une analyse poussée, et l’utilisation de l’A.D.S.40 avaient révélé qu’il valait mieux créer ces cavités au‐dessus de la nappe phréatique. En cas de séisme, la perturbation du sol serait réelle dans les deux cas. Cependant, avec les stockages de gaz constitués de trous par dissolution du sel sous la nappe et ces millions de mètres cube d’eau, Serge avait étayé une hypothèse qu’il ne se Hervé FRANTZ.
satisfaisait pas d’accepter. Il avait rédigé son compte‐rendu en indiquant qu’en cas de tremblement de Terre, les cavités situées à une profondeur de 700 mètres ne s’écrouleraient pas avec un effet domino. Cependant, si le stockage à une profondeur de 1300 mètres était retenu, il ne résisterait pas à un séisme. Cette réponse avait semblé absurde à Michel Erton qui y voyait uniquement un prétexte pour entraver ces intentions et les investissements prometteurs. La démonstration de Serge était pourtant très claire et un esprit ouvert la comprenait aisément. Serge avait précisé que sa création d’une cavité, sous la nappe phréatique, était une mauvaise idée. Selon lui, les salles de plusieurs centaines de milliers de mètres cubes, creusée par adjonction de liquide pour dissoudre une partie du sel, était dangereusement reliées aux bâtiments d’exploitation de surface par des tuyaux qui traversaient la nappe phréatique. Il avait mis en évidence qu’un tremblement de terre occasionnerait des ondes qui agrandiraient le diamètre des trous dans lesquels les tuyaux étaient passés. Par‐dessus tout, il avait averti que, suite à un séisme, l’eau de la nappe située à 800 mètres de profondeur risquait de s’engouffrer rapidement par le même chemin que les tuyaux de gaz pour remplir les cavités et poursuivre la dissolution du sel. Toute l’eau qui chuterait dans les salles de stockage de gaz formerait une véritable aspiration, au niveau supérieur. Serge avait défini les conséquences de la manière suivantes, en conclusion de son rapport : ‐ J’émets un avis favorable à la création du stockage de gaz à une profondeur de 700 mètres. Je vous invite à ne pas retenir l’hypothèse d’un forage qui traverserait la nappe phréatique. J’en appelle à votre clairvoyance. Lors du prochain tremblement de Terre important, les cavités creusées à 1300 mètres de profondeur serait remplies avec l’eau de la nappe localisée à 800 mètres de profondeur. Une aspiration des 86
86
Téléchargement