Une réalité romancée
L’opéra de Verdi est basé sur des faits et des personnages historiques. Mais le librettiste s’est permis quelques
digressions par rapport à la réalité. En effet, dans l’adaptation de Piave, Simon Boccanegra est un corsaire, alors
que c’est en réalité son frère, Edigio, qui parcourait les mers. Simon, lui, était un citoyen respectable issu d’une
illustre famille.
Par ailleurs, au XIV
e siècle à Gênes, le parti aristocratique des patriciens était au pouvoir et contrôlait le
gouvernement, tandis que les plébéiens (le parti populaire) ne pouvaient prétendre à des postes inuents. En
1339, les plébéiens se rebellèrent contre l’ordre établi et instaurèrent une nouvelle fonction de chef : le doge. Ils
nommèrent alors à ce poste Simon Boccanegra au suffrage populaire et accédèrent ainsi au pouvoir.
Si la situation initiale de l’œuvre est identique à la réalité historique, l’action politique et la vie de Simon telles
que les ont imaginées Verdi et son librettiste diffèrent grandement. En effet, si le compositeur a imaginé un doge
rassembleur et paciste, son inuence sur le peuple et son pouvoir étaient en fait bien moindres et les patriciens
ne laissèrent jamais véritablement un plébéien diriger Gênes. Ils poussèrent Boccanegra à l’exil cinq ans
seulement après son investiture et si le doge revint peu de temps après à son poste, il ne se démarqua jamais
par son héroïsme et sa force, comme le montre Verdi.
En revanche, le doge fut bien empoisonné ainsi que le dit le livret et ce fut en effet Gabriele qui lui succéda au
pouvoir. Mais ce dernier, issu d’une famille de plébéiens et non de nobles, se révéla être un chef inefcace.
Les deux Simon
Verdi a composé deux versions de Simon Boccanegra.
En effet, le compositeur, pour de multiples raisons, décida de revoir son opéra plus de vingt ans après en avoir
donné une première version et le présenta au public le 24 mars 1881 à la Scala de Milan. On attribue la remise
en chantier de Simon à plusieurs raisons : Verdi, très investi par le livret, décida de le revoir et de l’adapter à la
situation politique de l’époque, car il n’était pas satisfait du résultat de la première mouture. De plus, pour écrire
cette nouvelle version, Verdi travailla avec Arrigo Boito. Cela lui permit de tester la qualité de leur collaboration,
car il projetait de lui coner l’écriture du livret d’Otello, son grand projet d’alors.
Le Simon Boccanegra de 1857 était très novateur du point de vue de la caractérisation et Boito l’accentua encore
en donnant davantage de relief au héros. Avec Verdi, ils créèrent un Simon plus nuancé, alliant la tendresse d’un
homme et d’un père à la dureté et la controverse d’un chef d’État, et accentuèrent la sournoiserie de Paolo, qui
devint encore plus manipulateur. De plus, Boito procéda à de nombreuses coupes du livret original et conçut
un tableau entièrement nouveau à l’Acte I, « la salle du Conseil », que lui avait suggéré Verdi. Le compositeur
revit également la musique de l’œuvre, notamment le Finale, qu’il réécrivit complètement. Il modia de manière
générale l’orchestration de l’opéra, et en afna les moindres détails.
Le thème de la lutte du pouvoir
et de la politique
Un des thèmes omniprésents dans Simon Boccanegra est celui du pouvoir. Certains personnages sont guidés
par le pouvoir politique (comme Pietro et Paolo), tandis que d’autres, comme Fiesco, cherchent plutôt le pouvoir
moral, la domination (sur sa lle qu’il cherche à contrôler en la séquestrant).
Le personnage de Paolo, lui, sacralise ce que la soif de pouvoir a de plus abjecte et fourbe. Il est prêt à tout
pour acquérir la puissance et toutes ses actions sont menées dans ce but. Mais Verdi a également fait de ce
personnage un lâche qui n’agit que sournoisement, contrastant ainsi avec Simon qui lui est franc et droit.
Simon Boccanegra présente également des luttes à différents niveaux : une lutte sociale opposant les riches et
les pauvres dans l’accès au pouvoir (patriciens et plébéiens) et une lutte entre deux hommes qui représentent
chacun un clan, Fiesco et Simon.
À l’époque de la création de Simon Boccanegra, Verdi est passionné par l’histoire politique de son pays et met
en scène ses convictions et ses idéaux. Même si le pessimisme du compositeur est déjà présent dans cette
œuvre, il est encore plein d’espoir, loin encore du sarcasme dont il fera preuve plus tard avec Falstaff.