Les Chrétiens d'Orient
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ETUDES et REFLEXIONS
Habib
Ishow
RAPPORTS ENTRE
CHRETIENS
ET
MUSULMANS
AU
MOYEN-ORIENT
L
es rapports entre les chrétiens et les musulmans au
Moyen-Orient ont toujours été extrêmement complexes,
i
I
car ils englobent non seulement les aspects religieux,
mais aussi et surtout les aspects politiques, économiques, sociaux,
culturels et linguistiques. Par conséquent, tous les événements qui
se produisent entre les chrétiens et les musulmans sont nécessai-
rement chargés d'un caractère religieux. La nécessaire brièveté de
cette étude ne permet qu'une approche limitée de ces rapports.
Afin d'en mieux saisir l'évolution, on se propose de les pré-
senter sur deux périodes : la première va des années précédant
l'expansion de l'islam à la fin de la Première Guerre mondiale, la
seconde, qui voit la naissance de structures politiques nouvelles,
couvre les années de 1918 à nos jours, ce qui nous permettra de nous
interroger sur leur évolution dans une perspective à long terme.
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REVUE DES DEUX MONDES DECEMBRE 1998
ETUDES et REFLEXIONS
Rapports entre
chrétiens et musulmans
au Moyen-Orient
On tentera d'exposer, dans cette première partie, l'importance
de la chrétienté à la veille de l'apparition de l'islam et les rapports
qui vont s'établir entre les chrétiens et les musulmans.
L'aire géographique des peuples chrétiens couvrait à peu
près le Moyen-Orient d'aujourd'hui. Donc, les chrétiens du Moyen-
Orient appartenaient à des peuples très divers ayant chacun son
histoire, sa langue, sa culture et ses coutumes. Les langues écrites
et parlées étaient le copte en Egypte, l'araméen en Palestine, au
Liban et en Syrie, le chaldéen en Mésopotamie et le persan en
Perse, le grec et l'arménien en Asie Mineure.
Deux empires englobaient alors les pays chrétiens. L'Empire
byzantin régnait sur l'Asie Mineure, la Syrie, le Liban, la Palestine
et l'Egypte. L'Empire perse (sassanide) s'étendait sur l'Iran et la
Mésopotamie.
Importance de la civilisation mésopotamienne
Le Moyen-Orient était alors le berceau de grandes civili-
sations et le centre culturel du monde méditerranéen. Il connaissait
une économie prospère fondée sur l'agriculture et les échanges
commerciaux. Les grandes villes, nombreuses dans cette région,
déployaient un dynamisme créateur de progrès. L'artisanat était
nombreux et raffiné dans tous les domaines. Les arts, l'architecture
et l'urbanisme connaissaient un grand essor.
Sur le plan du savoir, malgré des disputes et des conflits reli-
gieux, les savants et les intellectuels avaient intégré la pensée
grecque et les valeurs du christianisme, et créé de brillants cou-
rants de civilisation à Byzance, en Syrie, en Egypte et surtout en
Mésopotamie, où de grandes écoles existaient à Edesse (Ruha), à
Nisibe (Nissibin), à Ctésiphon, à Gondichapour, etc., qui ensei-
gnaient les sciences religieuses (théologie, Ancien et Nouveau
Testaments), les sciences (mathématiques, chimie, médecine, astro-
nomie, etc.), les langues (chaldéen et grec), la littérature et la phi-
losophie grecque.
L'importance de la pensée philosophique s'accrut encore
en Mésopotamie avec la fermeture de l'école d'Athènes par
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et
REFLEXIONS
Rapports entre
chrétiens et musulmans
au Moyen-Orient
l'empereur Justinien en 529, où une partie de ses maîtres se réfu-
gièrent dans l'Empire perse. Il faut aussi signaler le rayonnement
d'Alexandrie (Egypte), grâce à son école néoplatonicienne, à celle
de théologie et à sa bibliothèque, la plus importante de tout le
bassin méditerranéen.
Ces intellectuels et savants étaient les descendants et les héri-
tiers des fondateurs des grandes civilisations babylonienne, assy-
rienne et égyptienne, qui avaient exercé une influence
considérable sur toutes les sociétés méditerranéennes. Ce qu'on
appellera plus tard injustement la civilisation musulmane ou arabe
est essentiellement leur œuvre et l'œuvre d'auteurs persans.
C'est le savoir philosophique et scientifique de la civilisation
mésopotamienne que les musulmans ont transmis, en partie, au
monde latin. Durant la période abbasside connue pour son éclat
(750-1258), les savants et les philosophes chaldéens ont joué un
rôle considérable dans le progrès de la connaissance, en particulier
dans celui de la philosophie et des sciences (médecine, astrono-
mie,
mathématiques, botanique, etc.). Ils avaient aussi traduit en
chaldéen, puis en arabe, les œuvres majeures de la science et de la
philosophie grecques (Platon, Aristote, Plotin, Hippocrate, Galien,
Euclide, Archimède...). Ils ont également élaboré les terminologies
savantes et les concepts de la langue arabe. Même l'alphabet dit
arabe dérive directement de l'alphabet chaldéen.
Il faut remarquer qu'il n'est pas fortuit que cette civilisation,
au cours de la période abbasside, se soit développée en Chaldée
et non pas dans la péninsule Arabique, où l'islam a vu le jour. Elle
a profité d'un milieu intellectuel favorable : des artistes, des lettrés,
des savants et des philosophes ont continué à développer la
connaissance dans tous les domaines, y compris ceux d'entre eux
qui se sont convertis à l'islam et ont pris des noms musulmans,
donc forcément arabes. Néanmoins, les uns et les autres demeu-
raient chaldéens et leurs œuvres faisaient partie intégrante de la
civilisation mésopotamienne, même quand la langue arabe, devenue
le véhicule de l'expression écrite, fut imposée par les nouveaux
occupants du pays. C'est pourquoi attribuer toute cette civilisation
à l'islam ou aux Arabes, même si certains de ces derniers y ont
participé, c'est occulter l'importance de la civilisation mésopo-
tamienne.
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REFLEXIONS
Rapports entre
chrétiens et musulmans
au Moyen-Orient
Ces considérations s'appliquent aussi à la civilisation égyp-
tienne, syrienne, grecque et arménienne en Asie Mineure après la
conquête de Byzance par les Turcs en 1453.
A ce propos, le philosophe Farabi (872-950), originaire de
Transoxiane en Asie centrale, disciple du philosophe chaldéen
Yuhanna Haylan, disait que
«
la sagesse avait commencé par exister
chez les Chaldéens en Mésopotamie ; de s'était transférée en
Egypte, puis en Grèce, elle avait été mise à temps par écrit
»,
et
que lui incombait, à lui, la tâche de ramener cette sagesse dans le
pays qui avait été son foyer.
D'ailleurs, d'après la tradition chaldéenne, Mahomet aurait
dicté les versets du Coran à un moine venu d'Edesse (Ruha), appelé
Rabban Bhira, ce qui veut dire en chaldéen le « moine savant ».
Devenu nestorien, ce dernier aurait été excommunié et chassé
d'Edesse dans la première moitié du VIF siècle de l'ère chrétienne.
Il aurait ainsi rencontré Mahomet quand celui-ci a commencé à
prêcher sa doctrine. Comme il était savant et connaissait les
langues, la Bible et l'Evangile, il serait devenu son secrétaire.
Avec l'expansion de l'islam dans la première moitié du
VIIe
siècle de l'ère chrétienne, les données politiques, écono-
miques, sociales, culturelles, linguistiques et religieuses de l'Orient
chrétien commencent à changer fondamentalement.
En effet, de 633 à 646, les armées arabes, composées de tri-
bus du Yémen, du Najd, du Hijaz et d'autres régions de la péninsule
Arabique, conquièrent très rapidement, sous la bannière de l'islam,
la Mésopotamie, la Perse occidentale et centrale, la Syrie, le Liban,
la Palestine et l'Egypte. Les pays envahis sont soumis aux pillages,
aux exactions et aux destructions, selon des traditions bien
connues dans le milieu tribal. Comment expliquer la facilité avec
laquelle ces armées ont battu les armées perses et byzantines ?
Trois séries de facteurs permettent de comprendre ces conquêtes,
donc l'expansion de l'islam dans les pays du Moyen-Orient.
Les deux empires byzantin et perse se caractérisaient alors
par une domination politique abusive et oppressive
;
une taxation
excessive
;
une intervention exagérée du pouvoir politique et reli-
gieux byzantin dans les affaires religieuses des Eglises jugées héré-
tiques ou schismatiques, principalement monophysites et
nestoriennes ; une grande faiblesse de ces deux empires qui se dis-
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