C`est autour d`une table ronde animée par Bruno Laurioux

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Table ronde
« IL FAUT NOURRIR POUR VAINCRE. LA
NOURRITURE AUX ARMEES »
Table ronde autour de l’historien médiéviste Bruno
Laurioux, avec Patrice Faure (maître de conférences à
Lyon, spécialiste de l’armée romaine à l’époque
impériale), Stéphane Perreon (docteur spécialiste de
l’armée de Bretagne au XVIIIe siècle) et Emmanuelle
Cronier (historienne de la Première Guerre mondiale).
C’est autour d’une table ronde animée par Bruno Laurioux, médiéviste que cinq problématiques
ont été évoquées et chacun des historiens y ont répondu avec des exemples précis. Patrice Faure,
maître de conférences à Lyon, a ainsi évoqué le cas de l’armée romaine à l’époque impériale.
Stéphane Perreon a mené quant à lui une thèse sur l’armée de Bretagne au XVIIIe siècle.
Emmanuelle Cronier enfin, est spécialiste de la Première Guerre mondiale.
▪Le premier axe de réflexion évoqué est ce celui de la qualité et quantité de
nourriture donnée aux soldats : Mange-t-on bien dans les armées ?
Patrice Faure (antiquisant) souligne que dans l’armée romaine impériale (Ier et IIIe siècle), les
soldats mangent plutôt bien et varié. A la base de leur alimentation, il y avait des céréales
(froment, seigle) sous forme de bouillie. A cela s’ajoutent de la viande, des lentilles et quelques
fois des gâteaux (notamment lors de cérémonies). Cette liste correspond aux produits délivrés par
l’armée. Une partie de la solde des soldats était utilisée à agrémenter ces repas en achetant des
victuailles sur place aux populations locales, alors même qu’ à l’époque romaine, les moralistes
(membres des élites) ne souhaitaient pas que les soldats puissent s’acheter des victuailles
supplémentaires car cela les rapprochaient du rang des élites qui se distinguent justement par
l’abondance et le luxe de leurs tables.
Stéphane Perreon explique qu’au XVIIIe siècle, les soldats étaient nourris de pain (environ 700g
par jour), eau, vin (1 litre par jour environ), soupe et un peu de viande (1/2 livre de viande). Tout
le reste, comme le poisson et les légumes ne sont pas fournis par l’armée. C’était au soldat de se
les acheter s’il le souhaitait. Les officiers revendaient souvent leur pain car il était aux céréales et
les nobles ne mangeaient que du pain blanc, et donc ils s’achètent souvent eux-mêmes leur
nourriture.
Emmanuelle Cronier dresse la liste des aliments donnés aux soldats lors de la Première Guerre
mondiale : de l’eau, du café, de pain et une soupe (souvent avec du riz ou des macaronis, du
poulet, le tout dilué dans de l’eau).
▪La deuxième question se concentre sur le contrôle sanitaire de toutes ces
nourritures.
Patrice Faure : les animaux étaient tués sur place (près du champ de bataille), la viande est
ensuite consommée de suite. Les soldats boivent de la posca, un huile coupée par de l’eau, alors
que les officiers font venir des grands crus, des vins de qualité jusqu’à leur point de garnison.
Emmanuelle Cronier : A partir de la Grande guerre, on augmente les rations de viande (jusqu’à un
kilo par jour) car on considère que c’est ce qui permet de régénérer le sang des soldats. Or, le
cheptel français a diminué de 20% en quelques mois, ceci a posé un problème
d’approvisionnement en viande. C’est ainsi que les autorités françaises acceptent l’arrivée de
conserve de viande venant des Etats-Unis (Chicago) ou de viandes congelées provenant
d’Argentine notamment. Ceci a été une opportunité pour l’industrie agroalimentaire. C’est
d’ailleurs pendant la Grande guerre que se développent des plats semi-préparés comme du
cassoulet, des ragouts, qui étaient consommables froid ou chaud (après avoir ajouté de l’eau
chaude).
▪Comment les armées étaient-elles ravitaillées ?
Patrice Faure : à l’époque romaine impériale, il y avait tout un convoi qui suivait l’armée : des
marchands et des troupeaux (et du foin pour nourrir les bêtes). Mais progressivement, un système
de ravitaillement se met en place même s’il n’est pas centralisé à Rome. L’armée utilisait avant
tout les terres sur place et donc les céréales qui étaient cultivées dans les régions où la guerre se
déroulait. D’autres produits étaient importés du reste de l’empire (comme l’huile d’olive arrivant de
la partie méridionale de l’empire). Il y avait soit achat aux populations locales des denrées
nécessaires, soit réquisitions : les situations étaient variées.
Stéphane Perreon : au XVIIIe siècle, les armées faisaient des razzias (« on vit sur le pays »). Or,
après 1650, on interdit cette pratique car beaucoup de guerre s’étaient déroulées sur le territoire
français (comme la Fronde, guerres de religion) et cela endommageait le pays. La guerre se
civilise : on ne sert plus que dans les pays étrangers. D’ailleurs, un ministre de Louis XIV crée des
magasins aux frontières pour ravitailler l’armée quand elle passe les frontières.
Emmanuelle Cronier : D’août 1914 à novembre 1914, pendant la guerre de mouvement, les
soldats se déplacent avec leur matériel pour faire la cuisine et des marchands ambulants et des
civils locaux vendent certains produits aux soldats comme des œufs, des légumes… A partir de
1915, l’armée française se dote de cuisines roulantes (alors que cela existait déjà dans les autres
armées notamment en Russie). Il y avait environ 4 cuisiniers qui cuisinent pour environ 150
soldats.
Progressivement l’armée a souhaité améliorer l’ordinaire des soldats afin de leur remonter le
moral : c’est ainsi que les colis ont pris beaucoup d’importance. Pendant la Grande Guerre, les
chocolat Meunier font ainsi fortune.
▪La guerre a-t-elle été un facteur d’unification ou de diversification des goûts
culinaires ?
Patrice Faure : A l’époque romaine, les guerres ont contribué à l’apparition de nouveaux produits
amenés par les soldats pour les populations locales : c’est ainsi que l’huile d’olive se répand ou
que les archéologues ont retrouvé des ostraka prouvant que des soldats en poste en Egypte se
faisaient envoyer des légumes et notamment des choux.
Stéphane Perreon : Au XVIIIe siècle, la pomme de terre est introduite dans le ravitaillement des
armées et certaines garnisons s’occupent de potagers mais qu’ils font labourer par des paysans
locaux qui prennent donc connaissance de nouvelles plantes. En outre, ce sont souvent les sodlats
qui doivent s’adapter aux goûts culinaires locaux (comme le seigle en Bavière ou le froment en
Italie).
Emmanuelle Cronier : Pendant la Grande Guerre, il y a des moments d’échanges culinaires à
l’arrière du front. Ainsi, les soldats français ont découvert le thé anglais, les Américains, en poste à
Bordeaux, découvrent les vins bordelais. En outre, l’ouverture des colis venant de régions
différentes selon l’origine du soldat permet de faire découvrir de nouveaux produits aux soldats.
Emmanuelle Cronier s’est également attardée sur le cas particulier des troupes coloniales qui ont
des rites culinaires particuliers. Ainsi, l’armée britannique, craignant une nouvelle révolte des
Indiens incorporés dans ses rangs (ces derniers s’étaient révoltés en 1857 : la révolte des
cipayes : dont la raison la plus fameuse est l'utilisation de graisse animale dans la fabrication des
cartouches du fusil Lee-Enfield utilisé dès la fin 1856. En effet, les soldats doivent déchirer les
cartouches avec leurs dents avant de les charger dans leur fusil, ce qui est, au vu de cet usage,
inconcevable pour les soldats hindous et musulmans qui suspectent, les uns l'emploi de graisse de
bœuf, les autres celui de graisse de porc) apporte beaucoup de soin au ravitaillement de ses
troupes coloniales et fait par exemple, venir le blé complet d’Inde.
▪Comment partage-t-on la nourriture dans les armées ?
Patrice Faure : A l’époque romaine, il n’y a pas de réfectoire dans les garnisons afin d’éviter que le
soldats ne soient tous regroupés et puissent discuter voire se révolter. On les incite donc à
manger par petits groupes de 8 le plus souvent, les mêmes qui vivent ensemble sous la même
tente. En outre, Patrice Faure rappelle que même un centurion a des esclaves qui lui préparent sa
nourriture. Quelques fois, les empereurs partageaient leur repas avec soldats mais c’était une
pratique très rare et mal vue par les officiers.
Séphane Perreon : Aux XVII-XVIIIe siècles, ce sont 6 hommes dans l’armée de terre et 8 hommes
dans la marine qui préparent ensemble leur soupe (quelques fois, c’est le plus jeune des soldats
qui doit « s’y coller »).
Emmanuelle Cronier : Chaque section (soit entre 15 et 20 hommes) détache tous les soirs un
homme qui est ainsi chargé d’aller chercher l’approvisionnement en nourriture à environ 5 à 6 km
à pied. Il ramène tout ceci au caporal qui assure ensuite la distribution aux soldats de la section.
Quelques fois, certains, pendant ce trajet, doivent faire face à des bombardements, d’autres
tombent dans la boue…situations diverses qui peuvent engendrer des tensions entre les soldats.
Cette table ronde a ainsi mis en évidence l’importance des stratégies d’approvisionnements
des armées de l’Antiquité au XXe siècle. « Nourrir les soldats » est donc un enjeu essentiel pour
les armées dont l’objectif est la victoire. Cette étude a, de ce fait, montré que la nourriture était
une entrée d’étude pertinente pour comprendre les sociétés en guerre quelles que soient les
époques.
Claire LLANES
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