Pascale SARDIN Les traducteurs [de théâtre] sont-ils [nécessairement] des corsaires ? Trois dramaturges irlandais à l’épreuve du feu (John Millington Synge, Samuel Beckett, Brian Friel) Extrait 1 - J. M. Synge, Le Baladin du monde occidental, traduction de Maurice Bourgeois, Paris, Éditions de l’amicale, 1942 (traduction de 1913), p. 14. (Pegeen, le personnage féminin principal, prépare son mariage et écrit une lettre où elle énumère les articles dont elle aura besoin à cette occasion) : Six mètres d’étoffe pour faire une robe jaune. Une paire de bottines à lacets avec de hauts talons et des œillets de cuivre. Il faut un chapeau le jour d’un mariage. Un peigne fin. Envoyer le tout avec trois rondelles de bière dans la charrette à paniers de Jimmy Farrell, le soir de la foire qui vient, à M. Michel-Jacques Flaherty. Avec les meilleurs compliments de la saison. Marguerite Flaherty. Extrait 2 - J. M. Synge, The Playboy of the Western World, Malcolm Kelsall, éd., Londres, New Mermaids, 1997 /Le Baladin du monde occidental, traduction de François Regnault, Genève, Éditions Zoé, 1993, (traduction révisée). Quant à Maurice Bourgeois, il passe sur cette difficulté du texte alors que Françoise Morvan la clarifie en note :“Deux explications sont proposées pour la dispense : le fait que Shawn et Pegeen soient cousins issus de germains et, par certains éditeurs, le fait que le mariage ait lieu durant le Carême. La première explication est confirmée par un brouillon de la pièce [...].” (J. M. Synge, Théâtre, Arles, Actes Sud, 1996, p. 171) Extrait 3 - Brian Friel, Translations, Plays 1, Londres, Faber & Faber, 1996 /La Dernière classe, traduction de Pierre Laville, L’avant-scène théâtre, 756, janv. 1984. (Translations raconte un épisode de l’histoire de l’Irlande où le génie britan­ nique se rend dans les comtés irlandais pour tracer des cartes d’état-major et angliciser les toponymes gaéliques. Pour cette tâche, il emploie Owen, le fils du maître de la“hedge school”. L’acte deux s’ouvre sur une scène comique où Owen aide l’officier anglais Yolland à traduire certains lieux-dits gaéliques apparemment imprononçables et intraduisibles en anglais. L’humour du pas­ sage (en partie perdu dans cette traduction tronquée) repose sur l’absurdité du processus de nomenclature où la motivation des toponymes, pourtant érigée en principe, est désavouée. Ainsi, une petite plage dont le nom signifie littéra­ lement“ e m b o u c h u r e de la rivière” est finalement nommée “burnfoot”, littéralement“brûle-le-pied”, par une approximation phonétique grotesque. Extrait 4 - Samuel Beckett, A Piece of Monologue, Collected Shorter Plays of Samuel Beckett, Londres, Faber & Faber, (1984) 1990 / Solo, in Catastrophe et autres dramaticules, Paris, Éditions de Minuit, 1986.