UN SIECLE D’HISTOIRE DU MOYEN – ORIENT : 1916-2016 D’après Jean-Michel LAMBIN Agrégé d’histoire, professeur honoraire en classes préparatoires Directeur de collection de manuels scolaires d’histoire chez Hachette A l’occasion de l’Assemblée Annuelle de Lille Métropole Nord Jean-Michel Lambin est historien ; il apporte l’éclairage de l’histoire et non un point de vue politique ou diplomatique. Les faits historiques éclairent le présent. En 1916, l’Empire Ottoman existe encore. Cet empire centré sur le nord-ouest de l’Asie Mineure s’est étendu à certaines époques jusqu’aux confins de la Perse, du Caucase ou même jusqu’à Vienne. Vienne c’est l’arrêt du 2ème Jihad par Jean III Sobielski, roi de Pologne (1683). Il joua le même rôle que Charles Martel avec les Arabes en 732. Jamais les Turcs ottomans n’iront au-delà de Vienne ; d’où l’importance que les Polonais attachent aujourd’hui à cette expansion. 1918 : l’histoire s’enracine dans le passé. Avant d’être musulman, le Moyen-Orient était chrétien. La Croisade c’est la réponse au Jihad. Avant le Jihad, Jérusalem était chrétien. Les Chrétiens d’Orient sont chez eux depuis 20 siècles (St Paul à Damas). Quand ils sont contraints de quitter le pays, c’est un désastre pour la civilisation (cf. le livre Aristote au Mont Saint Michel, les racines grecques de l‘ Europe chrétienne, de Sylvain Guggenheim, éd du Seuil, 2008). Historiquement les envahisseurs sont les Arabes et les Turcs. Ces affrontements sont enracinés dans un passé lointain. Trois périodes au XXème siècle - 1916-1924 - Après 1945 A partir de 1979, irruption de l’islamisme – Khomeiny Première période En 1914, le Sultan ottoman est aussi calife c’est-à-dire qu’il détient le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Il appelle à la guerre sainte dans les empires coloniaux français et anglais. Echec. 1915, génocide des Arméniens par un gouvernement nationaliste d’inspiration laïque et franc maçon, les Jeunes Turcs. 1916, Sykes, officier, député conservateur anglais et Picot, diplomate français à Beyrouth, en prévision de la défaite de l’Empire Ottoman et, avec l’accord de l’allié russe, préparent la répartition des territoires arabes entre influences française, anglaise et russe. Ces frontières ont duré à peu près jusqu’à aujourd’hui. Fin 1917 Trotsky livre ces accords qui sont publiés dans le Manchester Guardian ; les trois puissances, France, Grande-Bretagne et Russie ont donc décidé des limites de territoire. Dans la « Déclaration » Balfour, à l’inverse, les Anglais évoquent et promettent aux juifs un foyer national juif (« national home »). 1920 Traité de Sèvres avec l’Empire ottoman, avec par exemple entre Ottomans et Grecs, le retour aux Grecs des îles de la mer Egée (sauf Rhodes et le Dodécanèse, aux italiens) et de la Grèce d’Asie (côte ouest de la Turquie) territoires qui sont peuplés de Grecs depuis 3000 ans. Ce traité prévoit la création d’un Etat kurde est prévu. Un Etat arménien est créé, immédiatement attaqué par les troupes turques de Mustapha Kemal. 1920 A la conférence de San Remo, le vilayet de Mossoul est laissé par la France à la Grande Bretagne. 1924 Mustapha Kemal, laïc, abolit le califat, cœur du pouvoir politique et spirituel pour tous les musulmans et qui avait été créé à la mort de Mahomet. Les Musulmans ne s’en sont jamais remis. En 2014, Abou Bakr al-Baghdadi a cherché à montrer la filiation de l’Etat Islamique avec le 1er califat, en créant un califat à Mossoul. 1928 Egypte : création de la Confrérie des Frères Musulmans par Hassan al Banna (grand père de l’islamiste Tariq Ramadan) dont le but est de créer, en lieu et place du califat, un Etat islamique et d’étendre le pouvoir de l’Islam le plus possible en affirmant « Le Coran est notre constitution ». La fin des années 20 marque le triomphe d’Ibn Séoud et de la dynastie des Saoudiens, wahhabite, en Arabie qui refoulent la dynastie hachémite dont le seul représentant actuel est le roi de Jordanie. Deuxième période : après 1945 En 1945, les Etats-Unis signent le Pacte du Cuincy (un croiseur américain) avec Ibn Seoud (Arabie Saoudite), alliance entre USA et Arabie saoudite, alliance toujours en vigueur. Création de l’Etat d’Israël Essor du nationalisme arabe dans les ex-territoires français et britanniques, avec la création du parti Baas (c’est-à-dire « résurrection » arabe, laïc et socialiste non marxiste) par un arabe chrétien orthodoxe (Michel Aflak), un arabe alaouite (Zaki al Arzaoui) et un arabe sunnite (Salah al-Din al-Bitar). Ce parti dépasse les différences religieuses. Irak, Syrie et Egypte sont dirigés par des laïcs (baasistes et Nasser). Arrivent ensuite les évènements de Suez, les guerres Israëlo-Arabes. israélienne prend une importance croissante au Moyen-Orient. La « question » Troisième période : 1979, montée de l’islamisme Avec l’arrivée de Khomeiny en Iran (1979), l’islamisme fait irruption au Moyen-Orient en remettant la religion au premier plan politique et géopolitique (par exemple, rivalité sanglante entre Iran chiite d’une part et Iraq et Arabie sunnites d’autre part). Les « printemps arabes » sont appelés ainsi, en souvenir des révolutions de 1848 qui ont débuté par un « printemps des peuples » mais ces « printemps » ont débouché sur le chaos. Dès sa création, le califat de l’Etat Islamique a procédé à l’élimination des Chrétiens, des Yazidis comme les Turcs l’avaient fait avec les Arméniens, en commençant par tuer les hommes ; les femmes jeunes, jolies sont devenues esclaves vendues dans des marchés aux esclaves fréquentés par des Saoudiens, Qataris et Turcs (voir, écrit par Jinan, Esclave de Daesh, Fayard, 2014, témoignage écrit par une Yazedi, Jinan, qui fut esclave de Daesh). Les très jeunes enfants sont éduqués dans l’islam – comme l’ont été bon nombre d’enfants arméniens en 1915 - dans des familles musulmanes. Le califat islamique a la volonté d’effacer les frontières de 1916-1924. Quelques remarques : Manque de cohérence de l’attitude occidentale. Les Etats-Unis, et en particulier Obama, ont conseillé aux Chrétiens d’orient d’émigrer, faute d’avenir au Moyen-Orient ; c’est exactement ce que veut l’Etat Islamique : chasser d’Orient tous les chrétiens (et tous les juifs). Les Kurdes sont, actuellement, tolérants avec les Chrétiens orientaux qui combattent loyalement à leur côté contre l’Etat islamique. Dès 2013 l’historien André Kaspi dit que vouloir agir contre El-Assad en Syrie, c’est favoriser les djihadistes, les mêmes que, par ailleurs la France combat au Mali… Prendre le poids de la « real politik » et tenir compte du principe « Un Etat n’a pas d’amis, il a des intérêts » (de Gaulle). La Russie, orthodoxe est un soutien actif et efficace pour les Chrétiens orientaux. En Syrie, bon nombre de chrétiens sont des orthodoxes. D’une certaine manière Poutine agit auprès des Chrétiens d’Orient comme le firent Saint Louis et les Franciscains. En conclusion : - L’affrontement sunnites-chiites est un élément majeur et capital ; il existe depuis le VII° siècle. et n’a jamais connu de répit (les sunnites considèrent que les chiites ne sont pas de vrais musulmans). D’un point de vue « réal politik », cette division (en arabe la fitna) est une chance pour l’Occident. - Le problème kurde, né à la fin du XIX° siècle lors de la montée des nationalismes non réglé par le traité de Sèvres, de par la volonté des Turcs, est toujours posé ; il concerne au premier chef la Turquie (environ 30 millions de kurdes, dont les 2/3 vivent en Turquie, et qui n’ont pas d’Etat). Dans le nord de l’Irak existe un Kurdistan très autonome. Ce problème kurde explique en grande partie la politique d’Erdogan. Ces problèmes vont rester posés. Croissance du poids de la Russie : La Russie revient dans le jeu international… dans la filiation stalinienne … et, grâce à son passé orthodoxe. Les Russes ont des intérêts à défendre.