Une perspective éthique de la gestion des équipes de projet

Cahier de recherche exploratoire du cours d’Instrument de recherche en gestion de projet, Vol. 1 No. 1, 2001, 76-98
Une perspective éthique de la gestion des équipes de projet : une
analyse relationnelle et exploratoire des facteurs humains.
Andrée Bertrand
Programme de maîtrise en gestion de projet, UQAH
RÉSUMÉ
Le but fondamental de la présente recherche est de situer, de façon générale, la place de
l’éthique en gestion et plus spécifiquement, situer l’éthique en gestion de projet. La
méthodologie utilisée pour les fins de cette étude a combiné un outil de mesure quantitatif,
un questionnaire, et un outil de mesure qualitatif, soit une grille d’entrevue. Quatre
hypothèses ont été formulées à partir des concepts suivants : éthique-responsabilité,
axiologie, devoir et rapport à l’Autre. Bref, les résultats indiquent que, du moins en
gestion de projet, l’éthique-responsabilité entretient une relation avec l’axiologie et le
rapport à l’Autre. Selon les mêmes résultats, le devoir n’a qu’une infime influence sur
l’éthique-responsabilité.
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L’éthique n’est pas une nouvelle discipline. Elle se définit très tôt dans l’histoire de
l’humanité à partir des coutumes et des croyances qu’elle entretient avec sa collectivité,
tout en évoluant avec celle-ci, c’est-à-dire avec son contexte, elle a su se définir par
l’action. De nos jours, on s’entend à dire que l’éthique est la « science ayant pour objet le
jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du bien et du mal »
(Lalande ,1999, P. 305) qui se détermine dans un contexte spécifique et dynamique. Cette
recherche porte sur l’éthique et tente de la situer dans le domaine de la gestion de projet.
Si l’éthique se révèle au travers l’action alors pourquoi ne pas la situer dans le domaine de
la gestion pour tenter de la définir et de la comprendre. La perspective de la présente
recherche s’articule autour du concept de l’éthique en gestion, plus particulièrement la
place qu’elle occupe chez l’individu, dans un contexte organisationnel, soit dans un
contexte d’équipe de projet.
Si la gestion est l’art de gérer, il est clair qu’elle ne peut être mesurée que par l’action.
Mais pour l’essentiel, on remarque que la notion d’éthique s’applique particulièrement en
sciences de la gestion, elle porte le nom d’éthique des affaires et se centre autour de trois
grands courants en matière d’éthique : les théories théologiques, déontologiques et
utilitaires.
Les théories théologiques intègrent principalement « la justification rationnelle des dogmes
et des rites de la religion » en se fondant sur les écrits bibliques et la foi (Larousse, 1995,
P. 280). Ces théories soutiennent le postulat de base suivant : « (…) L’acte doit être bon en
lui-même indépendamment de ses conséquences » (Racine, 1991, P. 52). Dans le même
courant, nous retrouvons la version améliorée de Kant qui se veut comme suit : « Agis de
telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de
tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un
moyen » (Doucet, 1991, P. 70). Sauf que Kant se limite à la théologie et à la liberté et
affirme : « j’ai limité le savoir pour faire place à la foi » (Larousse, 1995, P. 143) Il n’est
pas évident de conclure de par ces affirmations que la place d’autrui est réellement au cœur
de telles théories, par contre elles englobent le principe de transcendance permettant à
l’individu de considérer son prochain et d’établir le rapport à l’Autre.
Les théories déontologiques se structurent autour de « l’ensemble des règles et des devoirs
qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci
et leurs clients ou le public » contrairement aux théories théologiques ayant comme pivot
le concept de Dieu (Larousse, 1995, P. 309). La plupart des auteurs s’entendent à dire que
les théories déontologiques découlent principalement de l’affirmation suivante : « l’acte,
c’est-à-dire le moyen utilisé, doit être bon en lui-même et que sa valeur tient au fait qu’il
correspond à un devoir qui s’impose à la conscience » (Doucet, 1991, P. 70). Ce n’est pas
que le devoir qui nous commande de faire le bien mais également le sentiment qui se
dégage de l’être. Depuis le début des temps, plusieurs personnes ont formulé de grandes
théories en matière d’éthique : Platon, Aristote, Épicure, St-Thomas d’Aquin, Kant,
Tocqueville, Mill, Nietzsche, Arendt, etc. Tous ces auteurs ont tenté de comprendre et
d’appliquer le principe d’éthique à l’aide de dogmes. Cette matière demeure encore de nos
jours très difficile à cerner et à appliquer en raison de la nature de l’être. Pouvons-nous
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exploratoire des facteurs humains.
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parler d’universalité d’un but commun en proclamant l’amélioration continue de la
condition humaine par la prise en charge de sa responsabilité ? L’humain représente donc
un sujet qui mérite d’être étudié puisqu’à ce jour « une chose existe, mais dont le caractère
infini échappe à tout savoir, c’est l’humain : la foi en l’humain peut se définir comme un
espoir dans les progrès de la civilisation, dans l’élévation du niveau de vie et la vocation
pacifique des humains » (Larousse, 1995, P. 95).
Racine (1991) nous résume qu’une valeur économique existe en gestion des affaires et elle
doit être gérée de façon à produire le plus grand bien pour le plus grand nombre de
personnes. Il faut accentuer et miser sur l’impact positif du bien au détriment du mal, les
conséquences sont évaluées en fonction du plus grand bien plutôt que du plus grand mal.
Pourtant, la finalité des théories utilitaires est de maximiser les effets positifs tout en
cherchant à diminuer les effets négatifs pour la majorité. Que fait-on pour les minorités
avec un tel raisonnement ? Est-ce juste pour les minorités et est-ce responsable de la part
de la majorité ? Où se situent vraiment nos valeurs dans un tel contexte ? Est il possible
pour un système de favoriser tout le monde ? L’individu n’est-il pas lui-même responsable
de son propre bonheur ? L’éthique se définit comme étant la discipline qui comprend
« l’ensemble des principes purement humains qui devraient permettre au plus grand
nombre d’accéder à une existence pleinement satisfaisante et pleinement significative,
c’est-à-dire à une réalisation heureuse de la personnalité » (Encyclopédie Encarta
électronique, 2000). Voilà, pour l’essentiel, à quoi s’intéresse les théories utilitaires en
éthique. On a tendance à y recourir en gestion malgré le fait qu’elles sont limitées dans
l’application car dans ce domaine, « l’utile ou ce qui peut apporter le plus grand bonheur
doit être le principe suprême de notre action » (Larousse, 1995, P. 288).
Je le redis, ces dernières années, l’éthique fut abordée en sciences de la gestion sous l’angle
utilitaire. Ainsi, il existe deux catégories d’éthique : l’éthique « pure » dite philosophique
et l’éthique des affaires dite utilitaire. D’une part, Maas (2000) croit que l’éthique
demeure un sujet très problématique en affaires puisqu’elle ne s’inscrit pas dans
l’accomplissement des buts de l’organisation, c’est-à-dire que les affaires sont les affaires
et de ce fait, on se soucie que des résultats et non des moyens utilisés pour réaliser les dits
buts organisationnels. C’est le cas également pour Combe et Deschamps (1996), ces
derniers prétendent que l’éthique gêne continuellement le management (P. 14) Ces points
de vue illustrent parfaitement l’aberration que constitue une expression telle que
« l’éthique des affaires » D’autre part, je partage avec Williams (1992) l’idée que l’éthique
des affaires n’existe pas car les principes éthiques s’appliquent aux circonstances, aux
conditions et à l’évolution humaines. De plus, Boisvert (1997) prétend que « l’éthique du
milieu des affaires ressemble davantage à une stratégie de marketing ou de réglementation
du personnel qu’à une réelle volonté éthique » (P. 33). Les travaux parallèles et les
publications en gestion sont pour l’essentiel prescrits, par exemple Jacobs (1999) propose
une série de commandements portant sur des règles de conduite, plus précisément elle nous
dicte un code déontologique en gestion, par exemple, contribuer au bien-être de la société
et des personnes, ne pas nuire à autrui, faire preuve d’honnêteté et de responsabilité, être
juste et équitable, honorer la propriété d’autrui, etc. À mes yeux, l’éthique n’est pas que
prescrite, elle est pensée, discursive et axiologique et ne peut s’allier à l’utilitarisme qui
n’est nulle autre qu’une « doctrine philosophique qui fait de l'utilité le seul critère de la
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moralité. »1 Autrement dit, l’éthique ne peut être prescrite puisqu’elle origine de la
réflexion, du discours et de l’action contrairement à ce que peuvent penser certains en
prétendant l’inverse, on ne peut que se contredire en prétendant que l’éthique est prescrite
car il est clair qu’en gestion, elle est ponctuée par l’action.
« Enfin, apprendre c'est réfléchir, juger, évaluer. Quel est le sens des nouvelles valeurs
que nous tentons d'insuffler dans le mode de vie de nos semblables ? Les nouvelles
pratiques d'excellence que nous voudrions bien voir s'exercer au quotidien dans notre
entreprise correspondent-elles à nos valeurs fondamentales personnelles ? Si les autres
doivent apprendre par l'expérience, nous ne pouvons, de notre côté, leur enseigner que
par l'exemple. C'est la vérité de notre exemple qu'ils vont évaluer à sa juste valeur
avant de l'adopter librement. » (Davoine, LR19-10.90)
L’éthique se manifeste à travers de notre façon de penser et d’agir, cette relation
dialectique sera relevée à la page 14 de la présente recherche. Comment l’éthique peut-elle
être utilitaire comme on le conçoit en gestion lorsqu’elle nous renvoie à la philosophie ?
Cette question illustre ce qui se dégage en gestion, un dualisme portant sur la conception de
l’éthique. J’insiste sur le point suivant, à mes yeux comme à ceux de Williams, il n’y a pas
deux catégories d’éthique, il y en a qu’une seule, l’éthique tirant sa source à partir de la
philosophie, étude de la réflexion et de l’action, et non en fonction de l’utilitarisme
véhiculé dans la documentation.
Si l’éthique occupe une place ambiguë en gestion et que les publications sont pour autant
prescrites, elle semble être un sujet oublié en gestion de projet. Pourtant la gestion de
projet se structure autour d’individus et d’équipes qui établissent par conséquent un rapport
à l’Autre. La gestion de projet est un système complexe d’interactions humaines, c’est-à-
dire un système qui « vise à concilier, par un double regroupement, la spécialisation
fonctionnelle et l’intégration par produits ou marchés » (Le Duff, 1999, P. 984). Selon
Poulin (2000), la gestion de projet interpelle une démarche systémique et structurée se
définissant comme étant « l’art de diriger et de coordonner des ressources humaines et
matérielles tout au long de la vie d’un projet en utilisant des techniques de gestion
modernes pour atteindre des objectifs prédéfinis d’envergure, de temps, de qualité et de
satisfaction des participants » (P. 1). À la lumière de ces quelques définitions, il est
surprenant de constater que la gestion de projet charpente le rapport à l’Autre qui se dégage
dans un tel système. Quelle est alors la place de l’éthique dans le contexte de la gestion de
projet ?
J’entends par une équipe de gestion de projet un ensemble d’individus visant la réalisation
d’objectifs communs. La gestion d’équipe est devenue un fonctionnement en vogue et
tend à prendre de l’importance dans les organisations. Si la gestion de projet s’organise
autour d’une équipe, comment s’articule-t-elle autour du rapport à l’Autre ? Le rapport à
l’Autre est un « premier contact avec le monde » (Larousse, 1995, P. 24) car « autrui n’a
donc aucun rapport avec la connaissance d’un objet » (Larousse, 1995, P. 24), il peut
s’établir par la sympathie, par la discussion, l’action, le conflit, le regard, etc. Il est clair
que nous ne pouvons plus parler d’une simple dialectique en gestion et encore moins en
1 http://www.webencyclo.com/Base/GA/1Q/GA1QXK00.htm
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gestion de projet. Le rapport à l’Autre se définit en fonction des nombreuses relations
dialectiques car « la réalisation de soi passe par la reconnaissance par les autres »
(Larousse, 1995, P. 24). La responsabilité découle de l’action et se manifeste à partir du
rapport à l’Autre. Considérant le contexte de la gestion de projet et la complexité des
relations dialectiques qui en découlent, sans aucun doute, la responsabilité se dégage à
travers l’accomplissement des tâches quotidiennes car elle est une « situation ou un
caractère de celui qui peut être appelé à ‘répondre’ d’un fait » (Lalande, 1999, P. 927) car
« la responsabilité est la solidarité de la personne humaine avec ses actes (…) qui accepte
les conséquences » (Lalande, 1999, P. 927)
En 1999, De Leede, Nijhof et Fisscher relevaient que la structuration du travail
organisationnel en équipe s’élèverait à environ 50% pour l’an 2000. On recense plusieurs
modèles de gestion d’une équipe de projet mais très peu d’entre eux traitent de l’éthique.
Par conséquent, j’ai retenu un article qui traite de la responsabilité en contexte
organisationnel, soit celui de De Leede et al (1999) illustré à la Figure 1.
NIVEAU ORGANISATIONNEL
Facteurs organisationnels
Normes et valeurs de l’organisation
Procédure de prise de décision
Formation et sélection
Disponibilité des ressources
NIVEAU DE L’ÉQUIPE
Pensée collective
Caractéristiques d’une pensée collective :
Engagement envers une tâche collective de nature critique
Prudence et vigilance dans les relations interpersonnelles
Harmoniser les comportements et l’improvisation
FACTEURS INDIVIDUELS
Figure 1. Cadre conceptuel de De Leede et
al
(1999)
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