Nous pouvons dire qu'une doctrine écrite a le même degré d'utilité qu'une photographie :
elle nous rappelle le modèle. On peut la considérer comme un enseignement exotérique, tandis
que le processus de l'éveil intérieur déclenché par l'initiation et le contact direct de maitre à
disciple est l'enseignement ésotérique. Dans les traditions bouddhique et Védântique, il y a deux
modes d'initiation : d'une part, un processus de maturation graduel qui aboutit finalement à
l'Illumination ; d'autre part, un mode d'initiation appelé l'Illumination abrupte, ce que la tradition
Zen et Mahayaniste nomme sambodhi ou satori ; il est dit que le Maitre Zen donne l'éveil du
satori en un instant plus bref encore que la durée d'un clignement d'œil. Dans les monastères
Védântique il y a également un mode d'initiation, extrêmement rare, qui confère l'éveil de la
Connaissance, jnâna, à l'instant où le guru prononce le mahâvakhya, c'est-à-dire la formule
upanishadique qui évoque pleinement et instantanément la Conscience advaitique en l'aspirant.
L'Illumination est immédiate et totale.
L'initiation que le Seigneur Bouddha conféra à Mahâ-Kâshyapa lui donna la réalisation
soudaine, elle fut transmise à toute une lignée de maîtres, le document que nous avons sous les
yeux est le récit des enseignements reçus de l'un d'eux : Hsi Yun, qui vécut au 9e siècle.
Lorsque mon ami, Aloys Lombard, de Lausanne, m'envoya la traduction anglaise de ce
petit livre, je fus saisi en trouvant dans ce texte chinois le résumé de tout ce que j'estimais être
l'enseignement Védântique le plus élevé, contenu dans les kârikâs de Çri Gaudapâda et la
philosophie de Çri Çamkara. Pour moi qui appartiens à la tradition Védântique et qui, de plus, ai
connu personnellement le Sage de Tiruvannamalaï, je perçois à travers ces lignes le profil du
jnânin que fut Ramana Maharshi. L'enseignement que nous donna le Maharshi s'achève dans la
réalisation du SILENCE, Mauna. Le Silence de la tradition Védântique, exprimé dans la vie du
Maharshi, est l'état de Conscience Advaitique, sahaja sthiti, c'est l'état de nirvikalpa samâdhi
expérimenté « les yeux ouverts » ; il reste constant à travers l'état de veille, de rêve et de sommeil
profond. Ce même état est désigné par les Maîtres Zen comme éternellement présent ; en
marchant, assis ou couché, la Conscience de la Non-dualité est immuable. La doctrine Zen du
Mental cosmique met tout particulièrement en valeur un aspect de la Vérité que le Maharshi n'a
pas expressément développé ; c'est l'aspect dynamique de la Réalité en tant que Mental
cosmique. La pensée indienne, dans le vedânta classique, a négligé cet aspect ou l'a relégué sur
un plan inférieur, le considérant en tant que « réalité empirique », vyavahârika satta. Le Zen, au
contraire, lui accorde une importance primordiale. Après le satori il n'existe évidemment pas de
« degrés » dans la Vérité. L'expérience de la manifestation dans le cadre espace-temps-causalité
est l'expérience de la dualité, elle appartient à l'ignorance, avidyâ. Tant que nous sommes
plongés dans l'ignorance, nous voyons la multiplicité, mais il n'y a aucun rapport causal entre
l'ignorance et la connaissance. La Réalité conçue en tant que mouvement ou Énergie est, certes,
une notion familière à l'école des çakta du vedânta, mais l'enseignement Zen nous en exprime
toute la beauté par ces lignes de Pen-Hsien (9411008) : « Si vous souhaitez réellement pénétrer
la Vérité du Zen, faites-le en marchant, en restant debout, en dormant, en vous asseyant, tandis
que vous parlez ou que vous gardez le silence, ou pendant que vous êtes engagés dans vos
travaux journaliers ». Ce même Maitre, répartissant différentes occupations entre les moines,
demandait ironiquement : « Ainsi, nous sommes constamment en mouvement, où est donc ce que
vous appelez l'immuable (c'est nous qui mettons en italiques) ou bien, ce qui demeure
éternellement dans le samâdhi de Naga... ? (The Zen Doctrine of No MIND, Prof. Suzuki, p. 110
de l'édition anglaise). Par la Doctrine de Huang Po le lecteur est directement mis en présence du
silence du Maharshi et du dynamisme de la doctrine çakta de l'Énergie cosmique.