Noailles… et son opinion évolue. Barrès changera d’attitude du tout au tout avec la guerre de
1914 et il rendra un hommage sans pareil aux juifs engagés pour la France.
Barrès écrit énormément : son œuvre représente en volume la moitié de celle de
Victor Hugo, alors qu’il vécut 20 ans de moins ; il écrit sur des sujets très différents (même le
Liban). Je conseille souvent Du sang, de la volupté et de la mort. Sa pensée est typiquement
éclectique. Il est aussi critique d’art. Il aime l’Italie, mais l’Espagne l’emporte dans son estime
et il parle avec enthousiasme du secret de Tolède. Pour lui l’islam commence en Espagne et
les carmélites le font penser au Coran !
Ses ouvrages sont étonnants, comme Les jardins sur l’Oronte qui fait scandale dans
les milieux catholiques. S’il considère L’Eglise Romaine comme le pilier de la civilisation
occidentale, il n’a pas lui-même la foi. Barrès est pour moi en même temps un penseur
politique ; c’est le véritable inspirateur du général de Gaulle, qui a beaucoup lu Barrès.
Maurras vient voir Barrès et ne le reconnaît pas à cause de son apparente jeunesse –
Julien Benda, communiste juif, dit qu’à 60 ans Barrès avait encore l’aspect d’un étudiant –
Maurras, très brillant, grand écrivain, était tourné vers le passé : réclamant pour l’Eglise la
restitution de tous les droits d’avant 1789. Inspirateur des intégristes, il n’était pas croyant non
plus, même s’il a eu les derniers sacrements, comme une assurance tous risques. Maurras est
très éloigné de Barrès. Barrès est un rationaliste républicain : il admire la Commune, il aime
Louise Michel, « la Jeanne d’Arc de la Commune », comme il l’appelait. Barrès n’est pas
maurrassien et n’adhère pas à l’Action Française.
Au fil de ses écrits, notamment ses Cahiers, on voit se dessiner une doctrine
politique ; il note tous les soirs ses idées de 1884 à 1923 ; cela donnera 15 volumes qui vont
être réédités prochainement. J’ai pérégriné avec lui pendant 2 ans ! Ses idées seront celles de
de Gaulle. Il est boulangiste au départ : Boulanger, ministre de la guerre, était ami de
Clémenceau ; il a modernisé l’état-major, amélioré la situation des soldats, aligné les prêtres
et les étudiants sur la règle commune en matière de service militaire. Mais il n’avait pas la
stature d’un homme d’Etat et ce n’était d’ailleurs pas son ambition. Il mourra sur la tombe de
sa maîtresse, en se suicidant.
Barrès est inspirateur de de Gaulle en ce qu’il veut la réforme de la République :
- renforcement de l’exécutif ; il ira jusqu’à dire – comme par anticipation, - « il nous faut un
général » !
- il ne met pas en cause le régime parlementaire ;
- il veut une grande indépendance de la justice ;
- il veut le recours au référendum (ou plébiscite), à l’inverse de Maurras ;
- il veut une politique publique
- de la science,
- de l’Europe,
- de la Défense.
Il est donc le véritable inspirateur de la 5
ième
République et de ses Institutions.
De Gaulle ne s’est pas recommandé de Barrès à cause de sa réputation antisémite et
aujourd’hui encore on tourne le dos au passé, or on ne peut pas comprendre le présent sans
connaître le passé. Je n’ai pas trouvé de libraire à Strasbourg pour présenter mon livre !
Pourtant Barrès voulait le Rhin comme artère européenne, voulait une Allemagne
fédérale… ; il fait connaissance en 1923 de K. Adenauer, alors maire de Cologne ; il aime
l’Allemagne ; Goethe est pour lui le plus grand écrivain de l’Europe et la philosophie
importante est la philosophie allemande ; il va souvent à Bayreuth et admire Wagner. Il
est lucide, fondamentalement.
Sur le traité de Versailles et les nouveaux pays crées en Europe centrale il voit
d’avance l’instabilité et perçoit la volonté de revanche ; il décèle l’influence russe dès
1923.