Santé Éducation L’ÉCHO DES COLLOQUES 29 et 30 novembre 2012, Montpellier Écho des 12es Journées régionales d’échanges sur l’éducation du patient Éducation thérapeutique du patient, psychothérapie, thérapie cognitivo-comportementale (TCC), psychoéducation : quels équilibres ? Marie-Pierre Pancrazi*, Esperanza Ortuno**, Christiane Delbosc***, Xavier de la Tribonnière**** Cela fait 12 années que des journées régionales d’échanges autour de la pratique sur l’éducation du patient ont lieu tous les 18 mois à Montpellier. Le thème choisi en 2012 portait sur les bénéfices, au sens large, de l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Une exploration des liens existant entre, d’une part, les pratiques d’accompagnement et de thérapie psychologique et, d’autre part, celles de l’éducation thérapeutique, a fait l’objet d’une rencontre au cours d’un atelier. Nous en retranscrivons les grandes lignes. Contexte * Psychiatre, chargée de mission à l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France. ** Psychologue clinicienne, service de dermatologie, CHRU de Montpellier. *** Correspondante en ETP, service de gastro-entérologie, CHRU de Montpellier. **** Coordonnateur de l’unité transversale d’éducation du patient (UTEP), CHRU de Montpellier. 32 L’accompagnement psychosocial dans la pratique de l’ETP implique une réflexion sur la façon de prendre en compte l’état psychique du patient. Différents référentiels théoriques se côtoient dans le quotidien du soin, et pas seulement dans les services de psychiatrie. La place de ces référentiels dans un cadre d’éducation du patient soulève quelques questions et nécessite une réflexion. Quelles sont leurs spécificités ? Leurs différences ? Où se situent leurs frontières ? Y a-t-il des intersections ? Quelles indications sont possibles ? Un questionnement auquel ont tenté de répondre 2 intervenantes invitées dans l’atelier sur ce thème, ainsi que le public constitué d’une quarantaine de professionnels de santé et acteurs sociaux impliqués dans l’ETP. Le choix des 2 oratrices s’est fait en fonction des pratiques de chacune et de leur complémentarité. Le Dr Marie-Pierre Pancrazi est psychiatre et psychothérapeute avec une approche intégrative. Elle a travaillé dans des philosophies de soins psychiatriques très différentes. Elle a porté plusieurs programmes d’éducation pour des patients souffrant de dépression, d’addiction ou des aidants de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Elle a récemment complété sa formation en ETP par un diplôme universitaire (DU) puis un Master. Elle travaille actuellement à l’ARS d’Île-de-France. Mme Esperanza Ortuno est psychologue clinicienne et psychothérapeute de formation psychanalytique. Elle pratique la psychothérapie individuelle, de groupe, ainsi que la relaxation psychanalytique à inductions variables. Elle a travaillé à l’hôpital de Ville-Évrard, secteur 13 de psychiatrie, et exerce maintenant au CHRU de Montpellier, dans les services de pédopsychiatrie et de dermatologie. Elle fait partie de l’équipe d’ETP sur la dermatite atopique, où elle anime des ateliers auprès d’enfants, d’adolescents et d’adultes, et reçoit des patients en entretien et en psychothérapie. Santé Éducation - 01 - Octobre-Novembre-Décembre 2013 Les différences et similitudes des approches psychologiques ont été présentées par le Dr Pancrazi, tandis que les bénéfices psychologiques ont été davantage abordés par Mme Ortuno par le biais du référentiel psychanalytique. Quelques définitions et différences entre les référentiels théoriques Nous ne reviendrons pas sur la définition de l’ETP, si ce n’est pour insister sur la nécessité du soutien psychosocial à apporter au patient et à son entourage afin qu’il soit en capacité de gérer sa maladie et de vivre au mieux avec elle. Psychothérapie psychanalytique Elle s’intéresse au vécu de la personne, à l’expression de son/ses traumatismes, à la recherche de liens entre son état actuel et son histoire de vie. En utilisant la parole, l’analyse des associations libres, du transfert et du contre-transfert, elle tente d’offrir au patient la possibilité de trouver un dénouement de ses conflits internes, un appui sur ses propres ressources, une analyse de sa vie, sa façon de fonctionner, ses désirs, son inconscient, sa place de sujet… Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) Elle repose sur le postulat que le comportement de santé peut être modifié en agissant sur les déterminants cognitifs (connaissances, représentations), émotionnels et physiques. Dans la maladie chronique, l’objectif est d’amener le patient à réussir des changements de Santé Éducation comportement afin de mieux vivre au quotidien. Le patient peut apprendre à mieux gérer sa maladie et à en rendre les conséquences moins négatives. L’approche est fondée sur une norme intérieure au sujet. Thérapie rogérienne Elle est fondée sur l’empathie qui sous-tend la communication entre le thérapeute et le patient, le thérapeute étant considéré comme un miroir. La thérapie rogérienne se veut centrée sur la personne dans sa globalité et non pas sur le problème. Il s’agit d’une approche non directive, située dans le présent, qui vise à aider le sujet à mettre en œuvre ses ressources personnelles pour s’ajuster à la situation et faire face à ses difficultés. Elle s’adapte aux capacités de changement de la personne pour l’aider à aller vers son mieux-être et son développement personnel. Ces principes de communication et d’ajustement de la relation sont largement utilisés en ETP. Psychoéducation La psychoéducation est utilisée dans les domaines des pathologies mentales et comportementales. L’objectif est d’acquérir des compétences pour faire face à la maladie : mieux connaître la maladie et les traitements, ainsi que les signes d’alerte. La démarche est voisine de celle de l’ETP, mais il n’y a ici pas de bilan d’éducation personnalisé. La psychoéducation relève d’une norme extérieure. Le tableau ci-dessous présente les principales différences entre l’éducation thérapeutique, la TCC et la psychoéducation. Le référentiel psychanalytique est davantage abordé dans le paragraphe suivant. Approche clinique du patient souffrant d’une maladie chronique au regard du référentiel psychanalytique Le patient se présente au soignant dans toute sa complexité. Atteint d’une maladie chronique, il fait part non seulement des souffrances liées à ses symptômes mais aussi de la façon dont il vit sa maladie, du sens qu’il lui donne, de ses interrogations, de ses croyances… La maladie marque un temps : celui d’avant la maladie et celui d’après. Avec la survenue de la maladie, la personne est confrontée à une réorganisation de sa vie, tant physique que psychique. Pour elle, le vécu émotionnel de la maladie chronique et celui de sa douleur physique ne font qu’un. Elle ne sépare pas son corps de son esprit. Tableau. Différences entre ETP, TCC et psychoéducation. ETP TCC Psychoéducation Domaine d’intervention Maladies chroniques Conduites addictives (alcool, tabac, toxicomanies), troubles du comportement alimentaire, dépression, anxiété sociale, phobies, obésité… Pathologies comportementales (jeunes et adolescents) Conduites addictives, schizophrénie, troubles bipolaires… Équipe Multidisciplinaire Médecin, psychologue Psychiatre, psychologue ± infirmière Formation Formation spécifique (> 40 h) Diplôme universitaire Formation spécifique Incluse dans le processus du soin Oui Pas toujours Oui Processus d’analyse Bilan d’éducation partagé (ou diagnostic éducatif) Analyse fonctionnelle 0 Projet Éducatif et thérapeutique Thérapeutique Thérapeutique Norme Intérieure Intérieure Extérieure Coconstruction +++++ +++ + Évaluation initiale Ligne de base* Ligne de base* (+ humeur et anxiété) Ligne de base* (+ humeur et anxiété) Intervention Individuelle et collective Individuelle ++ ou collective Collective Entourage Patient et entourage Pairs Patient Patient et/ou entourage Pairs Partage de l’information ++++ + + Évaluation finale Objectifs atteints, empowerment, suivi au long cours Objectifs atteints, empowerment, Objectifs atteints, arrêt de prise en charge (fin de cycle) empowerment, arrêt de prise en charge (fin de cycle) Si objectifs non ou partiellement atteints, nouvelle analyse Si objectifs non ou partiellement fonctionnelle atteints, nouveau cycle * La ligne de base (ou de référence) apprécie l’état d’être ou de comportement avant tout traitement. Santé Éducation - 01 - Octobre-Novembre-Décembre 2013 33 Santé Éducation L’ÉCHO DES COLLOQUES Tout symptôme peut être accompagné d’un sentiment ou d’une émotion qui envahit tout le champ de la pensée, réduisant le patient à la seule expression de sa maladie. Face à cela, la personne montre sa souffrance et l’impuissance à laquelle elle est confrontée. Les équipes soignantes sont parfois démunies face à un tel envahissement et ont besoin de mieux comprendre le vécu émotionnel du patient afin de pouvoir lui apporter le soutien nécessaire. La question de l’origine psychologique d’une maladie chronique est évoquée. Elle est facilement mise en avant par l’entourage du patient, le patient lui-même, et parfois le corps soignant (stress, difficulté à gérer les problèmes, etc.). Apparaît alors la prééminence du psychique (réduit à son expression comportementale) sur le somatique (expression de la douleur) mettant en avant des liens de causalité fort réducteurs, qui contribuent à l’augmentation du sentiment de culpabilité, car le patient ne saurait pas “gérer” son psychisme. L’approche psychosomatique ne fait pas prévaloir le psychique sur le somatique, mais nous apporte une autre explication sur la façon de comprendre certaines maladies somatiques où la “conflictualisation” psychique utilise davantage le corps comme lieu d’expression. C’est une question complexe qu’il importe de traiter en respectant le mode de fonctionnement et l’organisation psychique du patient. Que l’origine de la maladie soit génétique, environnementale et/ou psychique, il importe de prendre soin du patient dans son unité constitutionnelle, dans sa façon de fonctionner, dans ce qui lui est propre. La théorie psychanalytique reconnaît à l’individu sa place de sujet unique, avec une organisation psychique singulière et complexe. Elle peut aider le patient, son entourage et les équipes soignantes à une meilleure compréhension des problématiques auxquelles la maladie les confronte. Elle porte un éclairage qui permet une analyse plus fine des difficultés. Le psychiatre ou le psychologue peut participer, avec son savoir-faire, à un programme d’ETP et contribuer à une meilleure prise en charge. Rôles et compétences des différents professionnels intervenant en ETP dans la prise en charge psychologique du patient Face à la complexité de l’être humain, la prise en soins en général, et éducative en particulier, doit prendre en considération plusieurs dimensions. La complexité en miroir devient alors celle de l’équipe soignante. Celle-ci en tant qu’entité recèle nombre de compétences, biomédicales, psychologiques et sociales, qui sont nécessaires pour répondre aux besoins du patient. L’interdisciplinarité qui prévaut alors dans l’équipe, qui se définit par le fait de travailler ensemble en échangeant de façon intense dans un but commun, devient un principe fondateur de l’équipe. Dans ce cadre, on perçoit la complémentarité qui existe entre tous les professionnels de santé, intégrant le psychiatre et/ou le psychologue. 34 Santé Éducation - 01 - Octobre-Novembre-Décembre 2013 Le psychologue, ou le psychiatre, accueille au travers des consultations, ponctuelles ou régulières, l’expression du patient, de sa souffrance, de ses représentations... Il tente de lui offrir un étayage relationnel servant d’assise à l’expression de son vécu et de ses difficultés. Une attitude bienveillante et soignante permet de renforcer l’alliance thérapeutique et offre au patient une contenance rassurante, sur laquelle il peut prendre appui. Si la maladie tend à l’isoler et à le réduire à son unique expression, le suivi psychologique s’orientera vers une ouverture, un élargissement perceptif et une prise de conscience de sa place de sujet. Un travail d’élaboration psychique se met à l’œuvre et permet une dynamique psychique davantage porteuse d’actions et de perspectives. Le psychologue ou le psychiatre participe au travail de l’équipe, par la mise en commun de sa spécificité (éclairage sur les aspects psychologiques) mais aussi par sa capacité à soutenir et à prendre en compte la parole de chacun, à “prendre soin” de l’équipe dans son ensemble… Par ailleurs, il peut être utile de mettre en place une supervision avec un intervenant extérieur différent qui consiste en une analyse des pratiques et un soutien des équipes afin, entre autres, de repérer un risque de burnout. L’abord psychologique du patient relève également des autres professionnels de l’équipe. Dans l’ETP, les intervenants sont majoritairement des paramédicaux (infirmier, aide-soignant, diététicien, masseur-kinésithérapeute, etc.). Leurs compétences professionnelles, issues de leur formation (professions réglementées), leur donnent une légitimité pour participer à la prise en charge psychologique du patient. Tous, à des degrés divers, ont des compétences en soin et/ou en accompagnement psychosocial. Plusieurs sont ainsi nécessaires : • construire une relation, une alliance thérapeutique ; • pratiquer une écoute active ; • favoriser l’émergence d’une demande de la part du patient et/ou de l’entourage ; • repérer et respecter la temporalité du patient ; • chercher les complémentarités en équipe ; • rester ouvert ; • gérer ses propres émotions ; • recourir à plusieurs outils (ETP, approches psychosociales, autres…) ; • assurer une continuité dans l’accompagnement ; • garder une position d’humilité : on n’est pas là pour trop faire et faire trop vite. L’un des indicateurs permettant de savoir si l’on est juste face au patient en ETP consiste à sentir si l’on est en résonance avec lui. L’accompagnement réalisé par les associations de patients est un complément important à cette prise en soins psychologique du patient. Il aide aussi à faire le lien entre l’hôpital et la ville. Même si les compétences psychologiques des professionnels de santé et acteurs sociaux sont réelles, ceux-ci doivent pour autant connaître leurs limites. Il s’agit d’écouter l’autre de sa place et de ne pas traiter autre chose que ce pourquoi on est là. Parfois, il convient de passer la main au psychologue ou au psychiatre lorsque émergent des ressentis tels qu’un sentiment d’impuissance face au patient, l’impression de ne plus être assez Santé Éducation compétent, le manque de disponibilité, une distance qui ne paraît plus adéquate ou, chez le patient, un deuil pathologique, une pathologie psychiatrique… Passer la main n’est pas toujours possible, notamment dans le cadre des soins à domicile : certaines infirmières pratiquant l’ETP seules en libéral, font état de difficultés fréquentes pour gérer des problèmes d’ordre psychologique survenus dans le déroulement d’une séance, et d’un sentiment d’isolement. Parallèlement aux formations spécifiques en ETP, les professionnels de santé pourraient tirer profit de formations pour augmenter leur niveau de compétence dans l’accompagnement psychologique. Acquérir une posture éducative et soutenante s’apprend. Des formations d’équipe autour de l’ETP permettent également à ses membres de mieux se connaître, se comprendre, s’accepter dans le champs de ses compétences respectives et de reconnaître ses limites. Synthèse et perspectives Nous avons tenté de dessiner en quelques traits les différences et les complémentarités entre l’ETP et différentes approches psychologiques de la personne malade, comme l’approche psychanalytique, la TCC et la psychoéducation. En tant que professionnel, il convient donc de savoir où l’on se situe et de faire évoluer le curseur de sa position face au patient, en fonction de ce qu’il demande ou de ce qu’exige la situation, mais aussi en fonction de ses propres compétences issues de l’expérience et de formations. Il n’en reste pas moins que la place du psychologue ou du psychiatre est essentielle, tant pour le patient que pour l’équipe. Si les pratiques psychanalytiques et psychothérapeutiques s’appliquent à soulager la souffrance des personnes, l’ETP a pour objectif de soutenir le patient dans sa quête d’un mieux-être avec la maladie, suivant ses propres critères. Pour en savoir plus • Site de l’Association française des thérapies cognitivo-comportementales (AFTCC), ainsi que lien vers le rapport INSERM sur les psychothérapies et leur efficacité : www.aftcc.org • Site de la fondation FondaMental (psychoéducation) : http://www.fondation-fondamental.org • Authier J. The psychoeducation model: Definition, contemporary roots and content. Canadian Counsellor 1977;12(1):15-22. • Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Paris : Payot, 2003. • Célerier MC. Psychothérapie des troubles somatiques. Paris : Dunod, 1998. • Chambon O, Marie-Cardine M. Les bases de la psychothérapie. Approche intégrative et éclectique. Paris : Dunod, 3e édition, 2010. • Colom F, Vieta E. Manuel de psychoéducation pour les troubles bipolaires. Marseille : Solal, 2006. • Colom F, Vieta E, Martinez-Aran A et al. A randomized trial on the efficacy of group psychoeducation in the prophylaxis of recurrences in bipolar patients whose disease is in remission. Arch Gen Psychiatry 2003;60(4):402-7. • Cottraux J. Les thérapies comportementales et cognitives. Paris : Elsevier-Masson, 4e édition, 2004. • Lacroix A. Quels fondements théoriques pour l’éducation thérapeutique. Santé Publique 2007;19(4):271-81. • Léger P, Garnier PH, Bauer D et al. Expériences de psychologues cliniciens en éducation thérapeutique. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ 2012;4(1):23-8. • Rogers C. Le développement de la personne. Paris : Dunod, 2005. • Rogers C. La relation d’aide et la psychothérapie. Paris : ESF, 1994. • Xia J, Merinder LB, Belgamwar MR. Psychoeducation for schizophrenia. Cochrane Database of System Rev 2011 CD002831. Bourse de recherche Afdet Pour une éducation thérapeutique du patient intégrée aux soins et fondée sur la qualité de la relation L’Afdet organise le présent concours afin de favoriser le développement de la recherche sur l’éducation thérapeutique du patient (ETP), dans le but d’approfondir les connaissances existantes sur les questions ayant trait à l’éducation thérapeutique du patient, à l’intégration de la démarche éducative aux soins et à la qualité de la relation soignant-soigné. Cette bourse, d’un montant de 10 000 €, pourra être accordée à des projets de recherche s’intéressant à tous les types de maladie chronique, éventuellement à plusieurs maladies concomitamment. La date limite de réception des dossiers est le 16 décembre 2013. Règlement disponible en ligne : http://www.afdet.net/AFDET_fichup/afdet-congres-611.pdf Santé Éducation - 01 - Octobre-Novembre-Décembre 2013 35