La Grande France - Michel Guénaire - 4 avril 2016
valeur (chiffre d’affaires) et leur prix unitaire, et on en déduit, par une division, la production en
volume et donc son évolution dans le temps.
Aujourd’hui, 70 à 80 % du PIB d’un pays comme le nôtre, c’est-à-dire les services qui y sont produits,
sont ainsi calculés. Et le niveau de la croissance en est par conséquent déduit. Pour l’essentiel, le
niveau de la croissance en volume dépend donc de la façon de mesurer l’évolution du prix des
services, mais on sait que l’évolution d’un prix, qu’il s’agisse d’un bien ou d’un service, doit se
calculer à qualité constante. Il est cependant difficile de donner un caractère objectif à l’évolution de la
qualité d’un service. La mesure de la croissance en volume de l’économie des pays développés s’avère
donc au total de plus en plus difficile et fragile. Le constat fait depuis une vingtaine d’années, selon
lequel, en tendance moyenne, cette croissance se ralentirait, est donc lui-même sujet à caution. Est-ce
vraiment le cas ?
Prenons un exemple : celui des abonnements télécom. La baisse des coûts de production des services
de communications électroniques, notamment des équipements, associée à une concurrence élevée
entre opérateurs, a fait baisser le prix des abonnements proposés par les opérateurs. Le chiffre
d’affaires des opérateurs (c’est-à-dire leur production en valeur) a ainsi baissé. Qu’en est-il de la
production en volume de ces services ? Elle est calculée, comme indiqué ci-dessus, en divisant le
chiffre d’affaires par le prix des abonnements. Cet indice était traditionnellement calculé par l’INSEE
pour quelques abonnements-types, mais le contenu des abonnements a rapidement évolué : pour le
même prix, un opérateur mobile propose aujourd’hui 10 giga octets de données sur internet à très haut
débit là où il proposait il y a quelques années 1 giga octet d’internet à haut débit. Cette augmentation
massive de la qualité n’est qu’imparfaitement prise en compte pour corriger l’indice du prix de
l’abonnement qui, à qualité constante, devrait donc baisser beaucoup plus qu’il ne le fait. Et
l’augmentation de la production en volume est ainsi fortement sous-estimée. Le cas des télécoms est
certes l’un des plus marqués, mais, dans l’économie tertiaire numérisée qui se généralise, cette sous-
estimation de l’évolution de la qualité comme du niveau de la production sera croissante.
On objectera que la notion de services est très large et disparate : qu’y a-t-il, a priori, de commun
entre les services de communications électroniques (c’est-à-dire désormais, pour l’essentiel, les
services d’accès à internet), les services de contenus accessibles via internet (le commerce et les jeux
en ligne ou les contenus audiovisuels, par exemple), les services financiers, les services de transport,
les services d’enseignement ou de soins hospitaliers ? Dans la plupart des cas, coexistent des services
classiques, ayant ou pas une dimension matérielle, et des services partiellement ou essentiellement en
ligne ; mais la part des services en ligne s’accroît inexorablement. D’ores et déjà, l’e-éducation ou l’e-
médecine se développe rapidement. La surveillance des enfants à domicile ou des personnes âgées
dépendantes, via internet, s’accroît aussi, de même pour des applications de « services intellectuels »
en ligne, comme le conseil juridique. Ces activités s’ajoutent mais surtout se substituent aux services
traditionnels. Tous les services de tous les secteurs, qu’ils soient marchands ou pas, sont donc, à des
degrés divers, concernés par la numérisation.
Autrement dit, avant de savoir comment retrouver la croissance, il convient de vérifier qu’elle n’est
pas déjà là. Nous avons une croissance, et nous ne le savons pas. Et si cette croissance est actuellement
pauvre en emplois, parce que la révolution numérique en supprime, pour l’instant, plus qu’elle n’en
crée, comme cela a été le cas au commencement des révolutions économiques antérieures, il faut
accélérer la phase de transition actuelle pour faciliter l’émergence de nouvelles activités avec les
nouveaux emplois qui y sont attachés.