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Quand je méditai alors sur cette incertitude des mathématiques traditionnelles dans
l'arrangement des mouvements des sphères de l'univers, j'eus la déception de trouver
qu'aucune explication plus certaine du mécanisme de l'Univers, fondée sur notre exposé
par le meilleur et le plus régulier de tous les architectes, n'a été établie par les
philosophes qui ont fouillé avec tant de minutie les autres détails délicats relatifs à
l'univers. C'est pour cela que j'ai pris à tâche de relire les livres de tous les philosophes
que j'ai pu me procurer, examinant si aucun d'eux avait supposé que le mouvement des
sphères du monde était différent de ceux qu'adoptaient les mathématiciens universitaires
[...].
À la suite de cela, je commençai aussi à penser à un mouvement de la terre, et bien que
l'idée parût absurde, pourtant, comme d'autres avant moi avaient eu la possibilité de
supposer certains cercles afin d'expliquer les mouvements des étoiles j'ai cru qu'il me
serait aisément possible de voir si, en admettant un mouvement de la terre, on ne
pourrait trouver de meilleures explications aux révolutions des sphères célestes. Et ainsi,
en assumant les mouvements que, dans l'ouvrage suivant, j'attribue à la terre, j'ai
finalement trouvé, après de longues et soigneuses recherches, que, lorsqu'on rapporte
les mouvements des autres planètes à la circulation de la terre, et qu'on les calcule pour la
révolution de chaque étoile, non seulement les phénomènes s'ensuivent nécessairement
de là, mais encore l'ordre et la grandeur des étoiles et tous leurs orbes et le ciel lui-même
sont si liés ensemble que dans aucune partie on ne peut rien transposer sans confusion
pour le reste et tout l'univers. [...]
C'est pourquoi nous n'avons pas honte de soutenir que tout ce qui est au-dessous de la
lune, avec le centre de la terre, décrit parmi les autres planètes une grande orbite autour
du soleil, qui est le centre du monde ; et que ce qui paraît être un mouvement du soleil
est en réalité un mouvement de la terre ; mais que la dimension du monde est si grande,
que la distance du soleil à la terre, bien qu'appréciable en comparaison des orbites des
autres planètes est comme un rien lorsqu'on la compare à la sphère des étoiles fixes. Et
je prétends qu'il est plus facile d'admettre ceci que de laisser l'esprit être effaré par une
multitude presque infinie de cercles, ce que sont obligés de faire ceux qui retiennent la
terre au centre du monde. La sagesse de la nature est telle qu'elle ne produit rien de
superflu ou d'inutile, mais elle produit souvent des effets multiples à partir d'une seule
cause. Si tout ceci est difficile et presque incompréhensible ou contraire à l'opinion de
bien des gens, nous le rendrons, s'il plaît à Dieu, plus clair que le soleil, au moins pour
ceux qui ont quelque connaissance des mathématiques. Le premier principe reste donc
indiscuté, que la dimension des orbites se mesure par la période de révolution, et l'ordre
des sphères est alors comme suit, en commençant par la plus haute. La première et la
plus haute sphère est celle des étoiles fixes, qui se contient elle-même et tout le reste, et
est par conséquent immobile, étant le lieu de l'univers auquel se rapportent le
mouvement et les lieux des autres astres. Car, alors que certains pensent qu'elle change
aussi quelque peu, nous attribuerons, en déduisant le mouvement de la terre, une autre
cause à ce phénomène. Vient ensuite la première planète Saturne, qui achève son circuit
en trente ans, puis Jupiter, avec une révolution de douze ans, puis Mars qui fait le tour en
deux ans. La quatrième place dans cet ordre est celle de la révolution annuelle, où nous
avons dit que la terre est contenue, avec l'orbite lunaire comme épicycle. À la cinquième
place, Vénus fait le tour en neuf mois, à la sixième Mercure avec une révolution de
quatre-vingts jours. Mais au milieu de tout cela se tient le soleil. Car qui pourrait, dans ce
temple magnifique, placer cette lampe en un autre ou meilleur endroit qu'en celui d'où en
même temps elle peut illuminer l'ensemble ? Certains l'appellent assez justement la
lumière du monde, d'autres l'âme ou le gouverneur. Trismégiste l'appelle le Dieu visible,
et l'Électre de Sophocle «celui qui voit tout». Ainsi en vérité le soleil, assis sur le trône
royal, dirige la ronde de la famille des astres. Nicolas Copernic (1473-1543)
De Revolutionibus orbium coelestium..., 1543
trad. de Alexandre Koyré, Éditions Blanchard
Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie de la Renaissance” - Code 4310 - 10/01/2011 - page 227