L’amour et l’amitié s’excluent l’un l’autre.
Celui qui a eu l’expérience d’un grand amour néglige l’amitié ; et celui qui est épuisé sur
l’amitié n’a encore rien fait pour l’amour.
L’amour commence par l’amour ; et l’on ne saurait passer de la plus forte amitié qu’à un
amour faible.
Rien ne ressemble mieux à une vive amitié, que ces liaisons que l’intérêt de notre amour
nous fait cultiver.
Il n’y a pas si loin de la haine à l’amitié que de l’antipathie.
Il semble qu’il est moins rare de passer de l’antipathie à l’amour qu’à l’amitié.
L’on confie son secret dans l’amitié ; mais il échappe dans l’amour.
L’on peut avoir la confiance de quelqu’un sans en avoir le coeur. Celui qui a le coeur n’a
pas besoin de révélation ou de confiance ; tout lui est ouvert.
L’on ne voit dans l’amitié que les défauts qui peuvent nuire à nos amis. L’on ne voit en
amour de défauts dans ce qu’on aime que ceux dont on souffre soi-même.
Il n’y a qu’un premier dépit en amour, comme la première faute dans l’amitié, dont on
puisse faire bon usage.
On a dit en latin qu’il coûte moins cher de haïr que d’aimer, ou si l’on veut, que l’amitié est
plus à charge que la haine. Il est vrai qu’on est dispensé de donner à ses ennemis ; mais
ne coûte-t-il rien de s’en venger ? Ou s’il est doux et naturel de faire du mal à ce que l’on
hait, l’est-il moins de faire du bien à ce qu’on aime ? Ne serait-il pas dur et pénible de ne
lui en point faire ?
Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui l’on vient de donner.
Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et ainsi sur un indigne, ne change pas
de nom, et s’il méritait plus de reconnaissance.
La libéralité consiste moins à donner beaucoup qu’à donner à propos...
Vivre avec ses ennemis comme s’ils devaient un jour être nos amis, et vivre avec nos
amis comme s’ils pouvaient devenir nos ennemis, n’est ni selon la nature de la haine, ni
selon les règles de l’amitié ; ce n’est point une maxime morale, mais politique.
Jean de La Bruyère (1645-1696)
Les caractères
Document 6 : L’amour a sa force émotionnelle adverse, la haine. De ce fait, s’il y a des cultures de fraternité
et d’humanisme, il y a aussi des cultures de haine et de violence. Autant la haine est un obstacle au pilier de
l’amour, qui oblige à travailler sur elle pour s’en libérer, autant le Pilier de l’amour implique le devoir de lutter
contre ses expressions sociales, politiques, culturelles ou idéologiques.
Pourquoi ces pogromes ? Pourquoi les Turcs tuaient-ils les Arméniens ? Pourquoi le chat
arrache-t-il les yeux du chien ? Parce que la race parle plus haut que l'humanité. Un
Slave a toujours un Hébreu sur l'estomac. La longue vie en commun ne les a pas
rapprochés. Un Polonais, un Russe chassent un Juif du trottoir comme si le Juif, en
passant, leur volait une part d'air. Un Juif, pour un Européen oriental, est l'incarnation du
parasite.
Les malheurs ont des causes. Ailleurs, on recherche ces causes en toute indépendance
d'esprit. Ici, quel que soit le malheur, la première cause qui se présente à l'esprit est le
Juif. On ne pense pas sans saisissement que les Juifs sont les inventeurs du bouc
émissaire. Leurs prêtres chargeaient l'animal de tous les péchés et le chassaient devant
eux. Les peuples de l'Est ont retenu l'idée. Ils ont remplacé le bouc par le Juif !
La cause fondamentale des pogromes est l'horreur du Juif.
Après viennent les prétextes. Ils sont multiples. Dans le cas des pogromes d'Ukraine, le
prétexte était le bolchevisme. Les cosaques de Petlioura étant antibolcheviks, les Juifs,
par le jeu même et de tous temps admis, devaient être bolcheviks.
Voyez le ton différent. Prenons par exemple cet ordre du jour signé Semossenko, affiché
à Prokourov la veille des massacres :
«J'engage la population à cesser ses manifestations anarchiques. J'attire là-dessus
l'attention des youpins. Sachez que vous êtes un peuple que toutes les nations détestent.
Vous semez le trouble parmi le peuple chrétien. Est-ce que vous ne voulez pas vivre ? Et
n'avez-vous pas pitié de votre nation ? Si on vous laisse tranquilles, eh bien ! restez
tranquilles. Peuple malheureux, vous ne cessez de faire régner l'inquiétude dans les
esprits du pauvre peuple ukrainien.»
Et si la grêle hache les moissons, c'est aussi, sachez-le bien, la faute d'Israël !
Voilà ce que l'on est quand on est Juif, dans les pays où nous arrivons !Albert Londres (1884-1931)
Le juif errant est arrivé, 1930
Association ALDÉRAN © - Cycle de cours N°1403 100 : “Les sept piliers de la sagesse” - 08/02/2004 - page 24