LA RÉVOLUTION FRANÇAISE III - L’ORGANISATION DE LA NOUVELLE FRANCE - N°9 LA CHUTE DE LA MONARCHIE, LE 10 AOÛT 1792 PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN N’oubliez pas, sire, que c’est la faiblesse qui a mis la tête de Charles 1er sur un billot. Jacques Turgot Mise en garde à Louis XVI, 1776 I LA SITUATION DE CET ÉPISODE DANS LE CADRE DE LA RÉVOLUTION 1 - Un aspect largement mécompris de la Révolution, alors même qu’il en est emblématique 2 - Une floraison d’images d’Épinal et de simplifications 3 - La chute de la monarchie interviendra fin 1792, soit 4 ans après le début de la Révolution ! 4 - Non pas un événement, mais une série d’événements progressifs dont aucun n’est en soi décisif 5 - Le résultat des différentes “révolutions” : parlementaire, populaire, parisienne, provinciale 6 - Un événement d’autant plus étonnant que la Révolution paraissait finie II LE DÉROULEMENT DES ÉVÉNEMENTS ACTE I 1 - Le temps de l’impuissance volontaire, 1788-1789 ACTE II 2 - Le 6 octobre 1789, le roi est amené de force à Paris, ce qui le prive de pouvoir effectif 3 - Les différentes mesures adoptées par l’Assemblée limitent progressivement les pouvoirs du roi ACTE III 4 - La fuite du roi, arrêté à Varennes le 21 juin 1791 5 - L’Assemblée avance la fiction de l’enlèvement du roi pour sauver les apparences 6 - À son retour, le roi et sa famille sont assignés à résidence aux Tuileries 7 - Le discrédit du roi et de la reine est général dans l’opinion publique 8 - Provoquant la montée des violences entre radicaux, modérés et monarchistes durant l’été 1791 9 - La suspension du roi le 15 juillet 1791 10 - Le 16 juillet, la scission du club des jacobins, la majorité “monarchique constitutionnelle” va former le club des Feuillants 11 - Le 17 juillet, la fusillade du Champs-de-Mars entre radicaux et les autorités 12 - La situation est aggravée par le début de la coalition des rois à Pillnitz le 27 août 1791 13 - Les émigrés s’organisent et commencent à se faire menaçant 14 - L’entrée en vigueur de la constitution le 1er octobre 1791 et de la Législative ACTE IV 15 - Le roi mène une politique de double jeu et de veto quasi systématique (“M. Veto”) 16 - La montée des tensions de guerre, l’injonction aux princes étrangers le 14 décembre 1791 17 - Le 20 avril 1792, l’Assemblée déclare la guerre au “roi de Bohême et de Hongrie” 18 - Une guerre désastreuse qui fait craindre le pire, qui s’accompagne d’une instabilité politique 19 - Le 29 mai un décret entraîne le licenciement de la Garde constitutionnelle 20 - Le 12 juin, Louis XVI renvoie les ministres girondins, partisans de la guerre 21 - La guerre modifie l’équilibre politique, l’entrée en scène des fédérés et du “peuple en arme” ACTE V Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 213 22 - Le 20 juin 1792, les sans-culottes soupçonnent le roi de connivence et tentent un coup de force à l’assemblée et contre le roi 23 - Le 28 juin, la proposition de La Fayette de rétablir l’ordre et d’éliminer les jacobins est repoussée par la cour, qui le dénonce à l’Assemblée ! 24 - Début juillet, les radicaux réclament la déchéance du roi, rendu responsable des défaites 25 - Le 5 juillet 1792, la patrie est décrétée en danger, la peur de l’invasion 26 - Le 7 juillet le roi suspend Pétion, que l’assemblée rétablit le 13 juillet sous la pression de la rue 27 - L’arrivée croissante de fédérés à Paris, qui réclament la déchéance du roi 28 - Le 14 juillet 1792, lors de la fête de la fédération, le roi est insulté 29 - Le 29 juillet, les jacobins mobilisent les sections de Paris pour la déchéance du roi 30 - Le manifeste de Brunswick du 25 juillet est connu à Paris début août ACTE VI 31 - Le 10 août au matin, la création d’une “commune insurrectionnelle” à Paris 32 - La journée sanglante du 10 août, la prise des Tuileries 33 - Au terme de la journée, l’Assemblée ordonne la suspension du roi et son enfermement 34 - La victoire politique de Danton, qui prend la tête d’un conseil exécutif à la place du roi 35 - La chute de la monarchie constitutionnelle oblige la convocation d’une Convention nationale 36 - La proclamation de la République le 21 septembre 1792, appuyée sur la “victoire” de Valmy ACTE VII - la mise à mort d’une monarchie déjà déchue 37 - La découverte de l’armoire de fer, rendue publique par le ministre de l’intérieur Roland le 20 novembre 1792 38 - Le début du procès de Louis XVI le 11 décembre 1792 39 - L’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793 sur la place de la Révolution 40 - Le 16 octobre 1793, l’exécution de Marie-Antoinette, puis en 1795 de Louis XVII III PARTICULARITÉS DE CET ÉPISODE DANS LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 1 - Un aboutissement imprévu, le dépassement du projet révolutionnaire de 1789 2 - Une spirale événementielle, qui a emporté les acteurs politiques plus qu’ils ne l’ont dirigé 3 - Le rôle du hasard et de la micro-histoire dans les embranchements historiques 4 - Une chute provoquée par les tensions intérieures autant qu’extérieures 5 - Autant le résultat de l’action des révolutionnaires que du roi lui-même 6 - La distinction entre l’affaiblissement de la monarchie et le renversement de la monarchie 7 - Une monarchie qui n’a jamais vraiment été défaite, puisqu’elle n’a jamais résisté ! 8 - Louis XVI n’a jamais voulu user de force, et il sera trop tard lorsqu’il le voudra 9 - Une chute due plus à la faiblesse du roi qu’à la force de la révolution 10 - Louis XVI, un chêne qui s’est fait roseau et qui s’est retrouvé à terre à force de vouloir plier 11 - En 1792, ce n’est pas la chute d’une monarchie, mais de l’exécutif royal 12 - Une chute finale de la monarchie qui est en réalité l’échec de la monarchie constitutionnelle 13 - Ce fut un coup d’état et non pas une révolution, le résultat des factions armées parisiennes 14 - Le résultat d’une guerre entre deux factions révolutionnaires, dont le roi est victime 15 - La monarchie était déjà défaite lors des événements du 10 août 1792 16 - La Révolution française, cause ou conséquence de la chute de la monarchie ? IV SES CONSÉQUENCES ET SES RÉPERCUSSIONS 1 - La fin d’une monarchie millénaire, la fin d’un monde 2 - La fin définitive de la première révolution, du premier régime révolutionnaire 3 - Ce sera le début d’une deuxième “révolution” française, mais qui n’aura plus grand chose de révolutionnaire 4 - La confrontation à un devenir totalement inconnu et imprévisible 5 - Désormais, l’an IV de la liberté sera remplacé par l’an I de la République 6 - La fin de la monarchie constitutionnelle entraînera la radicalisation du conflit au niveau européen 7 - Autant que la radicalisation du conflit intérieur, un déchaînement de violence et une dictature révolutionnaire 8 - Désormais, ce ne sera plus l’Assemblée qui fera la loi, mais la force et la terreur 9 - En raison de l’élimination de la dynastie, la restauration aidera paradoxalement le retour de révolutions ORA ET LABORA Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 214 Document 1 : Attention, image trompeuse ! Ce tableau était destiné à magnifier la monarchie constitutionnelle que le roi accepta le 14 septembre 1791, en jurant fidélité à la nation. Dans les faits, cette constitution l’a dépouillé de presque tous ses pouvoirs et de sa légitimité millénaire de droit divin, il n’est plus désormais que le roi des Français. Ce tableau de Jean-Baptiste-François Carteaux est une idéalisation du souverain représenté ici en citoyen garant de la Loi. Louis XVI est représenté sur ce portrait à la prussienne (en 1787 Carteaux avait réalisé le portait du roi de Prusse à Berlin) en tant que Roi officier de la Cavalerie parisienne, comme un roi militaire sur un cheval cabré, alors qu’il n’a jamais mené de guerre (si ce n’est la guerre d’Amérique). Il porte un habit rouge sur lequel on aperçoit les ordres du Saint-Esprit et de la Toison d’or. À son chapeau figure la cocarde tricolore, insigne unissant le blanc de la monarchie au bleu et au rouge de la ville de Paris, que le roi, dans un geste de prudente conciliation, avait accepté d’arborer, dès le 17 juillet 1789, à l’Hôtel de Ville. De la main droite, il tient une épée sur laquelle on lit : La Loi. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 215 Document 2 : Prisonnier de la capitale et de la révolution depuis les journées d’octobre 1789, il tenta vainement de s’opposer à l’inéluctable transformation de la Révolution et de la Constituante. Comme l’illustra sa fuite manquée en juin 1791 autant que la découverte des papiers de l’armoire de fer, il n’accepta cette constitution que forcé et contraint. Il n’a d’ailleurs jamais accepté la Constitution civile du clergé. Son arrestation à Varennes lui fait perdre définitivement la confiance du peuple comme le montre cette caricature le représentant sous la forme de Janus aux deux visages. Qui d'un côté prête serment aux représentants de la nation "Je soutiendrai la Constitution" et de l'autre affirme aux représentants de l'Église "Je détruirai la Constitution". Cette attitude dans une France en paix était déjà problématique, dans une situation de guerre elle était inacceptable. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 216 Document 3 : La journée du 20 juin 1792 fut une répétition mineure de celle du 10 août, autant qu’elle reprend la logique de celles d’octobre 1789. Journée du 20 juin 1792 aux Tuileries : Louis XVI et Marie-Antoinette voient arriver les sans-culottes en armes aux Tuileries. Pétion, maire de Paris est à la tête des manifestants. La presse ironisera sur cette journée avec de nombreuses caricatures, comme celle la présentant comme un “Nouveau pacte de Louis XVI avec son peuple”, coiffé du bonnet phrygien, Louis XVI boit du vin à la santé de la Nation. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 217 Document 4 : Le 28 juin 1792, La Fayette revenu rapidement des armées, se présente à l'Assemblée où il dénonce au nom de l'armée les fauteurs de troubles et les clubs : l'Assemblée l'applaudit. Avec le fort courant favorable au roi après les événements du 20 juin, il aurait pu tenter un coup de force militaire pour rétablir le roi dans son autorité, mais la cour et Marie-Antoinette s'y opposeront. Je supplie l'Assemblée nationale d'ordonner que les instigateurs des délits et des violences commises le 20 juin aux Tuileries seront poursuivis et punis comme criminels de lèse-nation, de détruire une secte qui envahit la souveraineté, tyrannise les citoyens, et dont les débats publics ne laissent aucun doute sur l'atrocité des projets de ceux qui les dirigent. La Fayette discours à l'Assemblée Législative, 28 juin 1792 Document 5 : À l’été 1792, les conflits intérieurs s’aggravent avec les défaites militaires : l’Assemblée veut créer un camp des Fédérés près de Paris, mais le roi y oppose son veto et ne cède pas à la pression populaire. Lorsque Paris prend connaissance de la déclaration du duc de Brunswick, généralissime de l’armée coalisée, qui menace Paris de répression totale pour le cas où le roi et sa famille seraient menacés, les sans-culottes et les Fédérés s’enflamment. En réaction, ils proposent la déchéance du roi et l’élection d’une Convention au suffrage universel. Le 9 août, les sections parisiennes lancent un ultimatum à l’assemblée, si aucune décision n’était prise par l’Assemblée, le peuple s’insurgerait. Le 10 août, à 8 heures, commence alors l’une des journées les plus emblématiques de la Révolution française : la commune insurrectionnelle de Paris, la prise du palais des Tuileries, puis l’emprisonnement de Louis XVI et de sa famille au Temple qui vont mettre fin à la monarchie constitutionnelle. La Prise du palais des Tuileries, cour du Carrousel, 10 août 1792, par Jacques Bertaux. Ce tableau fut présenté au Salon de 1793, il représente la cour du Carrousel où se déroula le combat opposant les Sections aux gardes suisses. Au premier plan un garde suisse (en habit rouge) est passé à la baïonnette par deux sans-culottes, pendant que l’on tire au canon sur la porte du palais d’où font feu d’autres gardes, héroïques ultimes défenseurs de la monarchie. À droite, sur la porte de la cour du Carrousel flotte l’étendard révolutionnaire accroché à une pique coiffée du bonnet phrygien. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 218 Document 6 : Dessin à la plume avec rehauts de gouache François Gérard (1770-1837), réalisé en 1794, représentant la famille royale réfugiée dans la salle du Manège où siège l'Assemblée, le 10 Août 1792. L’atmosphère est lourde, portés par les invectives des tribunes, des manifestants crient "plus de roi !" au visage des représentants du peuple en état de choc. L'Assemblée nationale s'expose elle-même à la colère du peuple en donnant asile à la famille royale. Comme la Constitution défend de délibérer en présence du roi, Louis XVI doit se réfugier avec les siens dans la loge du logotachygraphe et non du logographe comme on l'appelle habituellement. Il s'agissait d'un réduit de 12 pieds carrés sur 6 d'élévation, situé derrière le fauteuil du président. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 219 Document 7 : Le nouvel homme fort politique fut Danton. Le grand esprit du coup d’état du 10 août 1792 fut Danton, un avocat âgé de 32 ans seulement, qui ne siégeait pas à l'Assemblée mais dirigeait le club des Cordeliers et disposait d'un grand ascendant sur le petit peuple parisien. Aidé par Robespierre, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine, Jean-Paul Marat, il va prendre le pouvoir en créant un Conseil exécutif, remplaçant le roi, dont il sera le premier membre, élu par 222 sur 285 votants. Il prendre le poste de ministre de la justice. Danton devient le successeur de Mirabeau pour le peuple de Paris. Par les vertus de sa voix, par la force que dégage sa stature de géant et jusqu'à sa fascinante laideur, il incarne la Révolution en marche. Portrait de Danton en 1792 de Constance-Marie Charpentier (1767-1849) “Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie ! Pour les vaincre, messieurs, il nous faut de l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace, et la France est sauvée !“ Discours du 2 septembre 1792 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 220 Document 8 : Le premier décret rendu par la Convention nationale fut d’abolir la royauté le 21 septembre 1792. Les députés de la Convention étaient mandatés pour mettre un terme à la crise institutionnelle qui couvait depuis la tentative de fuite de Louis XVI en 1791. La “victoire” de Valmy le 20 septembre 1792, premier succès militaire de la République intervenu le jour même de leur réunion, les confortait dans leur conviction. Le décret fut pris sur la proposition du député de Paris, Collot-d'Herbois, et de l’abbé Grégoire. Lorsque Collot d'Herbois proposa l'abolition de la royauté, il ne rencontra aucune résistance. Tout au plus Claude Basire recommanda une discussion mais l'abbé Grégoire lui répondit aussitôt “Qu'est-il besoin de discuter quand tout le monde est d'accord ? Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique. Les cours sont l'atelier du crime, le foyer de la corruption et la tanière des tyrans. L'histoire des rois est le martyrologe des nations !”. Le député Ducos l'appuya en affirmant que toute explication serait inutile “après les lumières répandues le 10 août”. La décision fut prise par acclamation à l'unanimité, la République était née. Le décret fut signé par le président Pétion et ses secrétaires Brissot et Lasource. À gauche, en travers, on peut lire la mention exécutoire signée par Monge et par Danton, membres du Comité exécutif, en date du 22 septembre 1792. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 221 Document 9 : Procès-verbal de la proclamation de l’abolition de la royauté Convention nationale, 21 septembre 1792 [...] Le Président. Une compagnie de chasseurs, organisée en compagnie franche, demande à prêter serment devant l’Assemblée et à défiler dans son sein. Je consulte la Convention sur son admission. Collot-d’Herbois. Je demande la parole pour une motion d’ordre. Le Président. La parole est à M. Collot-d’Herbois. Collot-d’Herbois. Vous venez de prendre une délibération sage ; mais il en est une grande, une salutaire, une indispensable ; il en est une que vous ne pouvez remettre à demain, que vous ne pouvez remettre à ce soir, que vous ne pouvez différer un seul instant, sans être infidèles au vœu de la nation ; c’est l’abolition de la royauté. (Applaudissements unanimes.) Je demande que la Convention nationale déclare que la base immuable de toutes ses opérations sera l’abolissement de la royauté. (Nouveaux applaudissements.) Quinette. Il ne s’agit pas de faire des serments, il ne s’agit pas de faire des déclarations, ce n’est pas nous qui sommes juges de la royauté, c’est le peuple, et, si quelqu’un de nous osait encore proposer une telle institution, c’est nous que le peuple jugerait encore ! Cette déclaration ne signifierait absolument rien dans la naissance d’une société : déjà nous avons fait le serment de combattre jusqu’à la mort les rois et la royauté ; ce serment doit suffire. Nous n’avons la mission que de faire un gouvernement positif et le peuple optera ensuite entre l’ancien où se trouvait une royauté et celui que nous lui présenterons. Quant à moi, comme représentant du peuple français, je ne songe ni au roi ni à la royauté ; je m’occupe tout entier de ma mission, sans songer qu’une pareille institution ait jamais pu exister. Ce n’est donc pas la royauté que nous avons à juger, c’est Louis XVI, qui a été un instant sur le trône et qui a manqué de faire périr la nation, la liberté et l’égalité ; c’est Louis XVI qu’il faut punir. Je pense donc qu’il est inutile de s’occuper en ce moment de la proposition du préopinant. (Murmures.) Grégoire. Certes, personne de nous ne proposera jamais de conserver en France la race funeste des rois ; nous savons trop bien que toutes les dynasties n’ont jamais été que des races dévorantes qui ne vivaient que du sang des peuples ; mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté ; il faut détruire ce mot de roi, qui est encore un talisman dont la force magique serait propre à stupéfier bien des hommes. Je demande donc que, par une loi solennelle, vous consacriez l’abolition de la royauté. Le Président veut mettre la proposition aux voix. (Tous les membres de l’Assemblée se lèvent par un mouvement spontané ; et, par des acclamations unanimes, ils protestent leur haine contre une forme de gouvernement qui a causé tant de maux à la patrie.) Basire. Je demande à faire une motion d’ordre. L’Assemblée vient de manifester, par l’unanimité de ses acclamations, sa haine profonde pour les rois. On ne peut qu’applaudir à ce sentiment si concordant avec celui de l’universalité du peuple français ; mais il serait d’un exemple effrayant pour le peuple de voir une Assemblée de philosophes, chargée de ses plus chers intérêts, délibérer dans un moment d’enthousiasme. Je demande que la question soit discutée. Plusieurs membres : À l’ordre ! à l’ordre ! Basire. Je ne crains pas que l’on m’accuse d’aimer les rois ; le premier, j’ai élevé la voix contre Louis XVI, et certes je ne serai pas le dernier à prononcer l’abolition de la royauté ; mais, citoyens, ce que je crains, ce que je redoute, c’est l’enthousiasme. Certes, il faut abolir la royauté ! Le peuple veut cette abolition ; il le faut ! Mais une décision de cette importance, que sans doute tous les peuples d’Europe prendront avec vous, mérite d’être précédée d’une discussion solennelle. (Murmures prolongés.) Grégoire. Eh ! qu’est-il besoin de discuter quand tout le monde est d’accord ? Les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique. Les Cours sont Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 222 l’atelier du crime, le foyer de la corruption et la tanière des tyrans. L’histoire des rois est le martyrologe des nations. Dès que nous sommes tous également pénétrés de cette vérité, qu’est-il besoin de discuter ? Je demande que ma proposition soit mise aux voix, sauf à la rédiger ensuite avec un considérant digne de la solennité de ce décret. (Double salve d’applaudissements.) Ducos, l’aîné. Le considérant de votre décret, ce sera l’histoire des crimes de Louis XVI, histoire déjà trop bien connue du peuple français. Nous devons le prononcer dans notre première séance ; le peuple l’a prononcé avant nous. (Applaudissements.) Je demande donc qu’il soit rédigé dans les termes les plus simples ; il n’a pas besoin d’explication après les lumières qu’a répandues la journée du 10 août. Billaud-Varenne et plusieurs autres membres : Appuyé ! appuyé ! Manuel. Le pacte social commence aujourd’hui ; quand le peuple commence un pacte social, il n’a pas de roi, puisque c’est lui qui les fait. Vous ne pouvez pas abolir la royauté ; elle n’existe pas. Mais vous pouvez déclarer que la nation ne veut pas de roi ; que la nation ne reconnaît pas de royauté. Ainsi, substituons au mot d’abolition un mot qui soit d’accord, et avec les principes, et avec nos sentiments profonds de haine. (Applaudissements.) Un membre : Je demande que le premier qui sera assez lâche pour proposer un roi à sa patrie, soit condamné à mort. D’autres membres : La clôture ! la clôture ! (L’Assemblée ferme la discussion.) (Il se fait un profond silence.) Le Président. Je mets aux voix la proposition de M. l’abbé Grégoire : «La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France.» (L’Assemblée décrète cette proposition à l’unanimité.) (Des acclamations de joie, des cris de : Vive la nation ! répétés par tous les spectateurs se prolongent pendant plusieurs instants.) Thuriot. Je demande de décréter que le procès-verbal de la séance sera envoyé aux départements et aux armées, par des courriers extraordinaires, et que le décret qui prononce l’abolition de la royauté sera proclamé solennellement demain par la municipalité de Paris, et, dans toutes les municipalités, le lendemain de la réception. (L’Assemblée adopte la proposition de Thuriot.) Rabaut de Saint-Étienne. Je propose pour célébrer un si mémorable événement que le canon soit tiré et que ce soir on illumine les rues de Paris. Basire. Le peuple français aime trop ardemment la liberté pour qu’il soit nécessaire de l’exciter à témoigner sa joie lorsqu’on prononce la destruction de la tyrannie. Je réclame l’ordre du jour. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur la proposition de Rabaut de Saint-Étienne.) La compagnie de chasseurs, qui avait sollicité son admission, est admise à la barre. Elle entre au son de la trompe militaire et jure, sur ses armes, de ne revenir qu’après avoir triomphé de tous les ennemis de la liberté et de l’égalité. Le chef qui les commande offre, en leur nom, une journée de paye montant à 225 livres, pour les veuves et les orphelins des héros de l’égalité. (Applaudissements.) Le Président. Citoyens, l’Assemblée nationale, confiante en votre courage, reçoit vos serments. La liberté de votre patrie sera la récompense de vos efforts. Pendant que vous la défendrez par la force de vos armes, la Convention nationale la défendra par la force des lois. La royauté est abolie... (Il s’élève des applaudissements universels.) Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 223 Les jeunes guerriers républicains réitèrent avec une nouvelle énergie le serment de défendre jusqu’à la mort la liberté et l’égalité. Ils offrent, par un mouvement spontané, deux journées de leur solde. (L’Assemblée reçoit leur hommage et leur permet de défiler.) - Vive la Nation ! s’écrient-ils aussitôt ; ils mettent leurs casques au bout de leurs fusils, et, élevant en l’air cet emblème, ils traversent la salle. - Chasseurs, pas de roule ! leur dit le commandant. Au chant du Ça ira, ils s’éloignent vers l’armée. Thuriot. Je demande l’impression du discours prononcé au bâtiment national des Tuileries par l’orateur des citoyens qui composaient l’Assemblée nationale législative et celle de la réponse du Président de la Convention nationale, d’en ordonner l’insertion au procès-verbal et l’envoi aux départements. (L’Assemblée adopte la proposition de Thuriot et s’ajourne à sept heures du soir.) (La séance est levée à quatre heures.) Sources : Archives parlementaires de 1787 à 1860 (1897) Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 224 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS Cycle I - La montée des tensions 1 - Qu’est-ce qu’une révolution ? 2 - Introduction générale à la Révolution française, la décade révolutionnaire 3 - La Révolution française, enjeux philosophiques et enjeux politiques 4 - Les structures de l’Ancien Régime 5 - Le couple royal, personnification du régime 6 - L’évolution des mentalités, les conséquences des Lumières 7 - La guerre d’indépendance américaine et ses influences sur la Révolution française 8 - L'état de la France à la veille de la Révolution française 9 - Le système fiscal de l'Ancien Régime 10 - 1774-1788, l'impasse constitutionnelle 11 - La crise du royaume et la journée des tuiles de 1788 1507 3011-01 1507 3011-02 1507 3011-03 1507 3011-04 1507 3011-05 1507 3011-06 1507 3011-07 1507 3011-08 1507 3011-09 1507 3011-10 1507 3011-11 Cycle II - 1789, année révolutionnaire 1 - Les cahiers de doléance, radioscopie du royaume 2 - Les états généraux, l’éveil politique du peuple 3 - Le serment du jeu de Paume 4 - L'assemblée constituante, nature et œuvre 5 - La prise de la Bastille 6 - La grande peur de l’été 1789 7 - La nuit du 4 août 1789, l’abolition des privilèges 8 - Le 26 août 1789, le vote de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen 9 - Les journées d'octobre, le retour du roi à Paris 10 - Journaux et gazettes, le rôle de la presse dans la Révolution française 1507 3012-01 1507 3012-02 1507 3012-03 1507 3012-04 1507 3012-05 1507 3012-06 1507 3012-07 1507 3012-08 1507 3012-09 1507 3012-10 Cycle III - L’organisation de la nouvelle France 1 - La nationalisation des biens du clergé 2 - La constitution civile du clergé 3 - La création des départements et des communes 4 - Le 14 juillet 1790, fête de la Fédération 5 - L'émancipation des juifs, le 28 septembre 1791 6 - L'invention du système métrique 7 - Le 3 septembre 1791 : l’espoir d’une monarchie constitutionnelle 8 - L’adoption de la Guillotine et la réforme du système pénal 9 - La chute de la monarchie, le 10 août 1792 et l’exécution de Louis XVI 10 - L’internationale révolutionnaire de la Révolution française 1507 3013-01 1507 3013-02 1507 3013-03 1507 3013-04 1507 3013-05 1507 3013-06 1507 3013-07 1507 3013-08 1507 3013-09 1507 3013-10 Livres généraux sur la chute de la monarchie - L’échec au roi, 1791-1792, Michel Winock, Éditions Olivier Orban, 2006 - Le roi s'enfuit : Varennes et l'origine de la Terreur, Timothy Tackett, La Découverte, 2004 - La Chute de la Monarchie (1787-1792), Michel Vovelle, Seuil, 1999 - Histoire de l'émigration, 1789-1814, Ghislain de Diesbach, Perrin, 1998 - La Révolution française déclare la guerre à l'Europe : 1792, l'embrasement de l'Europe à la fin du XVIIIème siècle, Frank Attar, Éditions Complexe, 1992 Livres sur la prise des Tuileries - 10 août 1792, les tuileries, l’été tragique des relations franco-suisses, Alain Jacques Czouz Tornare, PPUR, 2012 - Le Louvre et les Tuileries : huit siècles d’histoire, Michel Carmona, 2004 - La chute de la Royauté : le 10 août 1972, Marcel Reinhard, Gallimard, 1970 Livres sur les procès de Louis XVI et de Marie-Antoinette - Le Procès du Roi, Albert Soboul, Julliard, 1966 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “L’organisation de la nouvelle France” - Code 1507 3013 - 04/05/2012 - page 225