Romains 15.15-33 : Le combat de l'intercession Depuis le président Kennedy, l’éducation physique a une place assez importante dans le programme scolaire des États-Unis. La lutte faisait partie du programme au collège et au lycée, et je me rappelle encore l’intensité de l’effort qu’il fallait fournir, même si cela ne durait pas très longtemps. Et puisque nous parlons des sports, un autre élément sportif a un rapport direct avec notre sujet du combat d’intercession. Il est très rare qu’un athlète « gagne par accident ». La victoire est en très grande partie dû au dur travail de préparation, de mise en forme, de perfectionnement des gestes et des techniques, qui exigent de longues heures. Il y a quelques semaines, nous avons déjà vu que la prière est un combat. Considérons tout particulièrement ce matin la prière d’intercession, que Paul qualifie en Rom 15.30 de combat. Et c’est un combat intense. Dans ce verset, le verbe traduit « combattre » vient du mot grec « sunagonizomai » (sunagonizomai). Même si vous ne connaissez pas le grec, vous avez peut-être reconnu la racine, qui nous donne « agoniser » en français ! C’est cette même racine de verbe qui est utilisée pour décrire le temps de prière de Jésus dans le jardin de Gethsémané, juste avant sa mort sur la croix. L’idée ici est donc forte, non seulement parce que la prière peut être parfois « agonisante », mais parce que le verbe a, en plus, un préfixe – « sun » qui signifie « avec ». Paul demande donc aux chrétiens de Rome de participer, avec lui, dans cette lutte dans la prière. Selon son usage en général au premier siècle, ce mot parle du combat de la lutte. Ainsi, Paul nous dit que la prière est non seulement un combat, mais c’est un combat « au corps à corps », comme les lutteurs ! C’est cette même racine de verbe qui est utilisé dans notre texte en Col 4.12, où Paul souligne justement qu’Épaphras « lutte » dans la prière pour les Colossiens. Lorsqu’on parle en même temps de lutte et de prière, une idée qui vous vient à l’esprit, c’est Jacob et sa lutte acharnée avec l’ange, en Genèse 32.2529, où, à la fin, Dieu lui a donné un nouveau nom, Israël. Si ce passage-là nous montre l’intensité de la lutte nécessaire dans la prière, il faut tout de même préciser que nous ne luttons pas contre Dieu, pour obtenir ce que nous demandons de lui. Au contraire, notre lutte est ensemble avec Dieu, à ses côtés, pour que sa volonté s’accomplisse dans la vie de ceux pour lesquels nous intercédons. Avant de développer davantage le combat qu’est la prière d’intercession, prenons quelques instants pour situer ce passage de Romains dans son contexte. Paul a écrit à ces chrétiens, parce qu’il n’avait pas encore pu aller chez eux. Il voulait tout de même leur partager le contenu de l’Évangile qu’il annonçait, ce qui nous donne les 11 premiers chapitres de cette épître. Les chapitres 12 à 15 sont, en grande partie, les applications pratiques de l’Évangile. Et à partir de notre lecture de ce matin, jusqu’à la fin de l’épître, ce sont des conseils, des explications plus personnelles et les salutations de Paul. C’est ainsi qu’il reparle de son désir d’aller à Rome, mais en précisant qu’il a une tâche importante à faire, avant cela : apporter à Jérusalem l’offrande des Églises dont il était le fondateur, pour aider ces chrétiens, mais aussi, de cette manière, manifester la véritable unité de l’Église, partout où elle existe dans le monde. Et il arrive à l’élément de notre passage qui nous concerne le plus ce matin – il veut impliquer les romains dans ce projet, non pas 1 par une offrande supplémentaire, mais les associant très directement à son ministère par leur intercession pour lui. Et c’est cette intercession-là qu’il appelle une lutte soutenue ! Si je vous demandais de me nommer un chrétien – de toutes les époques – qui était très fort dans sa foi, je pense que l’apôtre Paul figurerait facilement parmi les réponses, n’est-ce pas ? Mais soulignons donc que Paul a demandé très souvent la prière des autres chrétiens. C’est une première vérité à retenir lorsque nous considérons notre combat dans l’intercession : nous avons tous besoin que d’autres prient pour nous – même – et peut-être encore plus – lorsqu’on pense que nous sommes forts dans la foi ! La force de Paul consistait justement à reconnaître, dans l’humilité, qu’il avait un tel besoin, lui aussi ! Alors, que devrions-nous dire, nous, pour ce même besoin ?! C’est l’orgueil, et pas la foi, qui nous empêche de demander la prière des autres ! Et c’est une mauvaise compréhension de ce qu’est la prière, de ne pas prier pour les autres, dans l’intercession – pas seulement ceux et celles qui nous semblent faibles dans leur foi, mais aussi pour chaque autre chrétien, y compris ceux qui semblent forts, et tout spécialement ceux qui œuvrent directement à l’annonce de l’Évangile et à l’enseignement de la Parole ! Considérons aussi le contenu des trois ou quatre requêtes de Paul dans ce passage. Il sait, avant même d’y aller, qu’il a beaucoup d’ennemis à Jérusalem, et il avait été averti de cela tout en s’y rendant. Sa première requête donc, est qu’il en soit délivré. (Sans trop l’approfondir, cela répond aussi à une question que nous avons posée dans l’étude des Actes. Malgré les risques et difficultés, il était donc visiblement la volonté de Dieu que Paul aille à Jérusalem). Ainsi il demande aux chrétiens de Rome d’œuvrer et de lutter avec lui, par avance, face aux dangers qu’il allait rencontrer. Sa deuxième requête peut paraître plus surprenante : que les chrétiens d’origines juives à Jérusalem « reçoivent » bien cette offrande ! Paul savait que beaucoup d’entre eux n’avaient pas encore compris leur liberté en Christ, et qu’ils restaient très attachés au respect de la loi, tout en sachant que Paul n’exigeait pas un respect de cette loi de la part des chrétiens d’origines païennes. La collecte était ainsi plus qu’une aide pratique, mais une manière de consolider la véritable unité de l’Église universelle, si les chrétiens de Jérusalem acceptaient bien cette aide de leurs frères d’origines non-juives. Ce n’était pas gagné d’avance – voilà pourquoi il était important que les romains aussi prient pour cela ! La troisième requête est plus facile à comprendre, car il leur demande de prier, afin qu’il arrive chez eux, dans la joie, et pour un temps de repos. La quatrième requête est liée à cette troisième. Comme Paul avait déjà parlé de ses projets aux v.23-24 d’apporter l’Évangile jusqu’en Espagne, en passant par Rome, c’est sous-entendu que s’il arrive jusqu’à Rome, que cela fera partie de ses projets, et du besoin d’intercession des romains, pour la suite. Nous ne savons pas avec certitude si Paul a atteint ce dernier but. Selon l’épître de Clément de Rome aux Corinthiens, (5.5-7) lettre écrite de Rome vers la fin du 1er siècle, cela semble être le cas. Clément parle de Paul : « C’est par suite de la jalousie et de la discorde que Paul a montré quel est le prix de la patience : chargé sept fois de chaînes, exilé, lapidé, il devint héraut du Seigneur au levant et au couchant, et reçut pour prix de sa foi une gloire éclatante. Après avoir enseigné la justice au monde entier, jusqu’aux bornes du couchant, il a rendu son témoignage devant les autorités et c’est ainsi qu’il a quitté ce monde pour 2 gagner le lieu saint, demeurant pour tous un illustre modèle de patience ». Voilà donc le combat intense que Paul demande aux romains dans leurs prières. Considérons maintenant en quoi consiste ce combat intense qu’est la prière d’intercession. Et là aussi il faut commencer, non pas par les éléments pratiques, mais par les raisons qui nous poussent à prier. Qu’est-ce qui doit motiver notre combat dans la prière ? Paul souligne qu’il faut prier à cause de, et par Jésus-Christ – ce qu’il a fait pour nous, et tout ce que nous avons donc en commun parce que nous sommes un en lui, membres d’un seul et même corps, puis, notre attente qu’il réponde, qu’il agisse pour accomplir sa volonté. Puis, si nous avons l’Esprit de Dieu qui nous habite, il devrait générer en nous cet amour qui nous rend désireux de participer dans de tels combats, pour voir s’accomplir la volonté de Dieu, et, chose encourageante, non seulement demander que Dieu aide les autres dans leur travail pour lui, mais que nous en devenions littéralement partenaires dans l’œuvre, par la prière. Paul souligne en effet que les romains devenaient ainsi littéralement des participants dans son œuvre pour le Seigneur ! Comme nous l’avons déjà vu il y a quelques dimanches, nous devons nous battre contre notre chair pour persévérer dans la prière. Mais nous devons aussi nous battre, ensemble avec Dieu, et avec les autres chrétiens. La prière n’est pas une option facultative pour le chrétien – même pas la prière d’intercession. Ce n’est pas non plus une activité de « loisir », ni quelque chose de facile – il faut y mettre tout notre cœur, et toutes nos forces, si nous voulons vraiment « combattre » dans la prière en intercédant pour d’autres. Nous devrions prier comme le lutteur se bat lorsqu’il est sur le tapis ! Paul n’hésitait jamais à demander la prière des autres. Il l’a demandé des Corinthiens,1 des Éphésiens (Éph 6.19-20 : « … Priez pour tous les saints et aussi pour moi : que la parole, quand j’ouvre la bouche, me soit donné pour faire connaître avec hardiesse le mystère de l’Évangile, pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes ; et que j’en parle hardiment comme je dois en parler ».), des Philippiens (Phil 1.25-26, 30) ; des Colossiens (Col 4.2-4), et plusieurs fois des Thessaloniciens (1 Thess 5.25 ; 2 Thess 3.1-2). Il faut également constater que ces requêtes – comme les autres prières de Paul dans ses épîtres – ne sont ni « générales », ni vagues. Et tout ce que nous avons récemment vu dans le livre des Actes montre non seulement l’importance de telles prières, mais leur véritable rôle dans ce qui est arrivé à Paul et à sa délivrance ! Nous savons que Paul n’est pas arrivé à Rome comme il pensait le faire – mais nous pouvons être certains que les prières ont joué un rôle important dans sa protection à Jérusalem, et à sa délivrance de ses ennemis, même si c’était en chaînes qu’il est arrivé à Rome. Cela souligne encore l’importance de la prière, car si nous pouvons penser de certaines manières, c’est Dieu qui accomplit sa volonté, souverainement. Plus nous nous en remettons à lui, plus nous confions les autres à son action souveraine, plus nous pouvons être certains que son nom sera glorifié, peu importe comment ! 1 2 Cor 1.10-11 : « C’est lui qui nous a délivrés et nous délivrera d’une telle mort. Oui, nous espérons qu’il nous délivrera encore, vous-mêmes aussi nous assistant par la prière ; ainsi plusieurs personnes auront obtenu pour nous cette grâce, et plusieurs en rendront grâces à notre sujet ». 3 Paul n’est pas le seul exemple du combat d’intercession. Comme nous l’avons aussi lu dans notre texte, Col 4.12, Épaphras « combatte » lui aussi (c’est le même mot qu’en Rom 15.30), dans ses prières, pour les chrétiens de Colosses : Col 4.12 : « Épaphras, votre compatriote, vous salue : serviteur du Christ-Jésus, il ne cesse de combattre pour vous dans ses prières, afin que, parfaits et pleinement convaincus de la volonté de Dieu, vous teniez ferme ». Épaphras avait été l’évangéliste de Colosses, probablement l’un des fondateurs de cette Église (selon Col 1.7), et peut-être aussi des Églises voisines (selon Col 4.13) ; de plus, il était lui-même originaire de Colosses (des vôtres). Voilà des raisons qui expliquent son combat d’intercession, pour que ses compatriotes et ses frères, convertis par son moyen à Jésus-Christ, ne soient pas séduits par les faux docteurs, mais restent fermes au milieu des séductions et des dangers, parfaits par le développement de la vie chrétienne, et pleinement persuadés (vrai texte, au lieu de « accomplis »). Et il a donc continué à intercéder pour eux, même quand il se trouvait ailleurs, et avec ses propres difficultés. De là le témoignage que l’apôtre rend à Épaphras (Col 4.13). Paul souligne que même quand Épaphras se trouve prisonnier comme Paul, qu’il continue, sans cesse, à « combattre », à lutter pour les Colossiens dans ses prières. On peut constater qu’Épaphras n’a pas seulement prié quand les conditions étaient agréables, ni quand il en avait envie, mais il priait en permanence ! Pour Épaphras, comme pour Paul, la prière était quelque chose de très sérieux – puisqu’il s’impliquait si pleinement dans la prière. Épaphras, comme Paul, priait très concrètement. Il ne demandait pas simplement « Seigneur, béni mes frères et sœurs à Colosses ». Comme Paul le souligne, Épaphras demandait qu’ils deviennent « accomplis » (parfaits), et pleinement convaincus de la volonté de Dieu, qu’ils « tiennent ferme » ! Imaginons ce que Dieu accomplirait, si nous tous, nous mettions autant d’effort et de force dans la prière, que ce que nous mettons à nos loisirs, notre travail, etc. ! Mais, pour conclure, il y a une raison plus importante que toutes les autres pour combattre dans la prière. C’est Dieu qui est souverain, c’est Dieu qui agit, c’est Dieu qui amène les âmes à la foi, qui nous protège, qui nous fait persévérer. Considérons juste quelques affirmations dans ce sens que nous avons vu dans notre étude de l’Évangile de Jean. Nous lisons en Jean 6.37 : « Tous ce que le Père me donne viendra à moi, et je ne jetterai point dehors celui qui vient à moi ». Jean 6.39-40 : « Or, voici la volonté de celui qui m’a envoyé : que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. Voici, en effet, la volonté de mon Père : que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour ». Jean 6.44 : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire ; et je le ressusciterai au dernier jour… ». Rien que ces quelques versets soulignent combien le salut est l’œuvre de Dieu – et si nous voulons voir d’autres personnes venir à Christ, le moyen principal que nous avons pour répondre à ce désir, c’est la lutte dans la prière d’intercession, jusqu’à ce que Dieu les appelle ! Un exemple très clair et pratique de cette vérité vient de la vie de G. Müller, au sujet de la conversion de plusieurs personnes pour lesquelles il a prié : « En 1880, Müller écrit dans son journal : En novembre 1844, j’ai commencé à prier pour cinq jeunes gens. J’ai prié pour eux chaque jour, sans une seule interruption, que je sois malade ou en bonne santé, sur mer comme sur terre et quel que soit le poids de tous les engagements auxquels je devais 4 répondre. Au bout de dix-huit mois, l’un d’eux se convertit. Je remerciai Dieu et continuai à prier pour les autres. Cinq ans plus tard, un second se convertit. Je remerciai Dieu pour le second et continuai à prier pour les trois autres. Six ans plus tard, le troisième se convertit. Je remerciai Dieu pour les trois et continuai à prier pour les deux autres. L’homme auquel Dieu, dans sa grâce infinie, a accordé des dizaines de milliers d’exaucements à l’heure même ou le jour même où la prière était faite, a été trente-six ans en prière chaque jour pour la conversion de ces deux hommes, et cependant ils restent non convertis. Mais j’espère en Dieu, je continue à prier et j’attends une réponse. G. Müller a continué à prier encore pendant dix-sept ans. L’un d’eux, au moins, s’est converti après la mort de son intercesseur ».2 Je crois que je n’ai pas besoin d’en dire plus. Prions, prions les uns pour les autres, et engageons-nous sérieusement à lutter dans la prière, pour que Dieu agisse et qu’il soit glorifié en nous, dans son Église, par la conversion d’autres personnes ! 2 A. Kuen, L’audace de la foi, (Saint Légier, Suisse, Éditions Emmaüs, 1982), p.173. 5