MEI "médias et information" n°1- 1993
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NOUVELLES TENDANCES
EN COMMUNICATION POLITIQUE
Marlène COULOMB-GULLY
Maître de Conférences
Université de Toulouse 2
Résumé
Se fondant sur une analyse des dernières campagnes électorales, l’étude qui
suit avance l’hypothèse d’une profonde mutation de la communication poli-
tique. Après des années d’impérialisme télévisuel, s’ouvre aujourd’hui une
ère nouvelle caractérisée par la mise en cause du postulat tout télé ainsi que par
l’exploitation de médias plus diversifiés dans leurs supports et plus sélectifs
quant à leur cible. Parallèlement, on assisterait à un retour de la «substance»
politique, de l’idéologie au sens traditionnel du terme. La période actuelle
marquerait alors le passage de la «vidéosphère» (R.Debray) à une médiasphère
nouvelle.
Les mutations de notre environnement
médiologique, pour reprendre la ter-
minologie de R.Debray1, nous ont fait
passer en quelques années de la
«graphosphère» où l’écriture consti-
tuait le premier mode de communica-
tion, à la «vidéosphère», caractérisée
par la prééminence de l’image et de la
télévision comme support privilégié.
Cette mutation a profondément bou-
leversé l’ensemble de nos pratiques
quotidiennes et de nos savoir-faire
généraux. En politique comme
ailleurs, où scène politique et scène
télévisuelle ont souvent été confon-
dues.
Or il semble qu’après des années
d’impérialisme télévisuel, on voit se
dessiner aujourd’hui l’amorce d’une
ère nouvelle : la télévision perdrait sa
suprématie et serait concurrencée par
d’autres formes médiatiques, entraî-
nant un renouveau de la communica-
tion politique.
Ce mouvement peut être analysé sur
deux plans : à un niveau médiatique
et à un niveau politique.
Sur le plan médiatique, ce modèle se
caractérise par une remise en cause
du postulat «tout-télé» qui constitue
le vade mecum de la communication
politique actuelle et préconise
parallèlement une forte
diversification des outils médiatiques.
La dernière campagne présidentielle
de F.Mitterrand nous paraît présenter
les premiers signes de cette évolution.
Un de ses traits marquants en a été,
rappelons-le, le retrait du candidat
socialiste par rapport au média
télévisuel, alors que ses concurrents,
J.Chirac en tête, saturaient l’espace
télévisé. Le candidat du R.P.R. en
effet, capitalisant son privilège
institutionnel, a amplement utilisé
l’ambiguité de sa position de Premier
Ministre-candidat pour saisir toutes
les occasions de passer à l’antenne. Il
a de surcroît soumis sa campagne aux
impératifs télévisuels, faisant de celle-
ci un véritable feuilleton télévisé : sa
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déclaration de candidature a été enre-
gistrée de sorte à faire l’ouverture des
journaux de 13h ; il a avancé l’horaire
de ses meetings pour que les
rédactions des chaînes puissent en
diffuser des extraits dès le 20h ; il a
remplacé les harangues traditionnel-
les de l’art oratoire des meetings par
des «causeries-débats» plus en accord
avec le style intimiste de la télévi-
sion, etc.
Par opposition, F. Mitterrand a été
d’une relative discrétion, optant sur
ce plan pour une campagne a minima.
Son absence des écrans est d’ailleurs
à l’origine d’une situation tout à fait
remarquable : les chaînes télévisées
sont, on le sait, tenues au respect de
l’équilibre du temps de parole entre
les différents candidats durant une
campagne électorale ; or la présence
sur les antennes de F. Mitterrand était
si faible, par rapport à celle de son
principal concurrent notamment,
qu’une des chaînes, T.F.1, a été
obligée d’accorder au candidat
socialiste, une longue interview à la
veille du premier tour, afin d’équili-
brer les situations des deux princi-
paux protagonistes.
Ce retrait télévisuel a eu pour
corollaire une opération de
diversification médiatique. F.
Mitterrand a joué de tous les médias,
faisant alterner ses apparitions à la
télévision, avec des déclarations ra-
diodiffusées et des communications
à la presse. Sa «Lettre à tous les
Français», parue dans les principaux
quotidiens nationaux mérite une
attention particulière dans la mesure
où le Président-candidat a fait là le
choix d’un média qui, par opposition
à la télévision, est lent, traditionnel et
très fortement légitimé.
La méthode n’était pas totalement
nouvelle puisque le Général de Gaulle
en 1965, comme A.Poher en 1969
avaient eux aussi tenté de se
démarquer ainsi de leurs concurrents
et, arguant du fait qu’un Président
sortant (serait-ce par intérim) est au-
dessus de la mêlée, refusé de trop se
commettre dans l’arène médiatique.
La différence avec la campagne de F.
Mitterrand, c’est que si cette straté-
gie a conduit -ou failli conduire- ses
adeptes à l’échec dans les années
soixante (A. Poher a été battu et le
Général de Gaulle mis en ballottage),
elle a parfaitement fonctionné en
1988. J. Chirac en revanche a eu beau
bénéficier d’une télévision qui lui
était globalement favorable, ou à tout
le moins largement ouverte, il n’en a
pas moins échoué.
D’autres signes de cette désaffection
sont perceptibles, nous semble-t-il,
dans les mises en garde de plus en
plus fréquentes de la classe politique
à l’égard des médias. «La décennie
ne s’écoulera pas sans une profonde
remise en cause du pouvoir
journalistique» déclarait il y a quelues
temps L .Jospin. Le quotidien Libé-
ration titrait récemment «Médias et
politique : je t’aime, moi non plus»
(Libération du 9 avril 1992), ou encore
«Médias et politique : le nouveau
désordre amoureux» (Libération du
9 juin 1992). Ces deux articles font
état d’un changement d’attitude des
hommes politiques à l’égard des
médias : après une période où la
plupart d’entre eux n’hésitait devant
aucun sacrifice pour avoir droit à
quelques minutes d’antenne2, tous
semblent revenir aujourd’hui à plus
de mesure, adoptant un regard
beaucoup plus critique à l’égard de la
télévision et des médias en général.
Ils s’insurgent ainsi contre la «prime
à la dissidence» qu’offrent les médias
et le handicap qui, à la télévision,
s’attache à toute parole d’organisa-
tion : «les médias recherchent les
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atypiques» (J.J. Queyranne); la télé-
vision a contribué à convertir la
politique en «un art mineur» (H. de
Wavrin), les émissions satiriques
devenant le prisme dominant de la
perception de la politique par le
citoyen, et sa seule grille de compré-
hension. Jusqu’à F. Léotard qui dit
regretter d’avoir participé à Tournez
Manège : «Je ne me suis pas grandi»,
admet-il .
Parallèlement, le public semble lui
aussi, depuis quelques mois, se lasser
des grands shows politiques télévi-
sés. La campagne pour les élections
régionales et cantonales de mars 1992
est révélatrice sur ce plan, puisque
n’a été organisé qu’un seul et unique
débat sur la question : le Grand débat
du 5 mars sur T.F.1, au cours duquel
les représentants des principaux partis
politiques étaient invités à exposer
leur point de vue. L’émission a, de
l’aveu même des organisateurs, cons-
titué un échec total : «Ce qui est
inquiétant, souligne J.L. Mano, chef
du service politique sur T.F.1, c’est
que les télespectateurs n’ont pas
décroché au cours de l’émission :
d’emblée, ils n’y sont pas venus.» (in
Libération du 22 mars 1992). S’agis-
sant de la même campagne, les gran-
des soirées électorales
traditionnellement programmées sur
toutes les chaînes à l’issue des scrutins
ont été réduites à la portion congrue.
Notons d’ailleurs que ces dix derniè-
res années ont vu disparaître du petit
écran nombre de grandes émissions
politiques. Aujourd’hui, toutes
chaînes confondues, un seul des
grands classiques a survécu : l’Heure
de Vérité. Encore s’est-il vu
successivement relégué en fin de
soirée, puis à la tranche de midi. Il est
vrai que depuis son lancement en
1982, le nombre de ses fidèles a
considérablement diminué, étant
passé de 10 à 2 millions.
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas
limité à la France. La 41ème Conven-
tion démocrate s’est tenue à New-
York au mois d’août dernier, réunis-
sant plus de 5000 délégués venus des
56 Etats du pays et constituant un
événement politico-médiatique de
première importance. Or, en dépit du
caractère majeur de cet événement, la
plupart des grand networks télévisés
n’ont prévu que des résumés tardifs
des débats de la Convention. Au total,
affirme F. Fillioux, «Les principaux
networks (ABC, CBS et NBC) ont
prévu moins de quinze heures de re-
portages sur cet événement, contre
trente-quatre en 1988. On est loin des
quatre-vingt-dix heures de diffusion
pour les quatre jours de la Convention
démocrate de 1972.» ( in Libération
du 13 juillet 1992).
Il semble donc bien que s’opère
aujourd’hui un divorce entre
télévision et politique, et ce après des
années de frénésie
communicationnelle, frénésie qui
semble avoir conduit le public à
saturation, ce dont les hommes poli-
tiques prennent acte.
Cette profonde mutation dans le
champ de la communication politi-
que est aussi perceptible dans un autre
secteur de la communication, celui
de la publicité. Un numéro de la revue
l’Expansion (décembre 1990-janvier
1991) titrait «Vive le hors médias».
La thèse soutenue était la suivante :
l’encombrement actuel de l’espace
médiatique en général et télévisuel
en particulier entraîne la saturation
du public et la banalisation des mes-
sages, perdus dans le no man’s land
de l’inattention. Ce constat, ajouté à
l’incertitude concernant les effets
réels de la publicité télévisée sur la
vente effective des produits, conduit
un nombre de plus en plus important
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de publicitaires à considérer qu’une
stratégie below the line, c’est-à-dire
d’utilisation moins intensive des
médias de masse, constitue une alter-
native plus judicieuse au «tout
médias".3
Après le marketing de masse, on en
viendrait donc à un marketing sur
mesure beaucoup plus développé, ce-
lui-ci permettant une approche plus
individualisée de la communication.
C’est ainsi que se développeraient
l’usage du minitel, les relations presse
avec la création de rumeurs, les mes-
sages téléphoniques à domicile, mais
aussi tout un matériau «lourd»
individualisé ; ainsi du mailing, qui
se développe en s’adjoignant la for-
mule roman-photos : pour présenter
ses vœux de nouvelle année (1992),
J. Toubon propose aux habitants du
13ème arrondissement de Paris, dont
il est maire, un dépliant de 14 photos
qui le suivent depuis son «lever ma-
tinal» jusqu’à la «soirée de gala» qui
clôture sa journée, en passant par une
cérémonie républicaine, une visite de
chantier et un tête-à-tête avec un
saucisse-frites pour son déjeuner de
midi.
J. Dray, député socialiste de
l’Essonne, propose pour ces mêmes
vœux une version B.D. et raconte «la
journée d’un élu» sous forme de
bulles…
Pour ce qui est de la campagne de
Maastricht, en septembre 1992, V.
Giscard d’Estaing quant à lui rem-
place le traditionnel tract qu’il juge
inefficace par le «pin’s intelligent» :
à peine plus grand qu’une carte de
crédit, ce tract nouvelle formule
développe sur 65 cm2 les principales
étapes de la construction européenne,
sans oublier le portrait et la signature
du Député du Puy-de-Dôme…
«L’observatoire de la démocratie»,
organisation où coexistent des repré-
sentants de nombreuses tendances po-
litiques (comme R. Barre, J.P.
Soisson, A. Devaquet, etc.), propose
à ses adhérents d’organiser des «réu-
nions de voisinage» : on invite chez
soi des amis, des relations, des voisins,
et on enseigne la démocratie «à
domicile». La démocratie à la mode
Tupperware, en quelque sorte.
Se développent ainsi toutes sortes de
nouvelles techniques «fragmentées»,
par opposition à la télévision qui reste
fondamentalement un média généra-
liste et le plus «mass-média» de tous
les médias. On passerait donc d’une
société de consommation à une
société de consommateurs.
Ce mouvement de retrait des mass-
médias paraît significatif d’un chan-
gement autrement plus profond qu’un
simple retournement de stratégie
communicationnelle. «Quand on est
perdu, on en revient en désespoir de
cause à la substance, c’est-à-dire pour
la publicité, au produit», écrit J.
Séguéla qui ajoute : «Moins de
contenant, plus de contenu, moins de
signe, plus de sens, moins de forme,
plus de fond. Tout ce qui a représenté
la frénésie des années quatre-vingt ne
peut plus être crédible.»4 (Challenge,
juillet-août 1989). Le retrait
médiatique observé chez certains
hommes politiques aurait donc pour
corollaire le retour de la «substance»
politique, de l’idéologie au sens
traditionnel du terme.
De fait, si l’on a pu considérer que la
succession idéologique était en
déshérence, il semble que l’on puisse
là aussi distinguer l’amorce d’un pro-
cessus nouveau et parler, peut-être,
d’une «re-idéologisation» de la sphère
politique française.
A droite de l’échiquier politique, les
forces non-démocratiques restent vi-
ves en dépit d’un mode de scrutin qui
les pénalise. Comme le note A.
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51
Duhamel, «L’hexagone est devenu la
démocratie occidentale la plus ac-
cueillante à l’extrême-droite». (in Les
habits neufs de la politique, Paris,
Flammarion, 1989, p.9).
A gauche, le parti communiste s’offre
le luxe d’une progression à contre-
courant de l’histoire puisque son score
lors des dernières élections régiona-
les et cantonales est en progression
par rapport aux scrutins antérieurs.
La faillite des systèmes socialistes
avec la perte des repères idéologiques
qu’elle a entraîné, contraint le Parti
socialiste à repenser ses bases
doctrinales afin d’assurer son
aggiornamento idéologique. Sa
«refondation» trouverait ses bases
ailleurs que dans Marx. Nombreux
sont les nouveaux théoriciens appelés
à la rescousse, mais trois d’entre eux
semblent particulièrement aptes à
assurer ce renouveau de la pensée de
gauche : E. Morin, dont les socialistes
retiennent surtout la réflexion sur la
notion de «complexité», l’Américain
J. Rawls, l’auteur d’une célèbre
théorie de la justice et J. Habermas
dont la thèse sur l’espace public
servirait de base à une réflexion sur
l’organisation de la société politique.
La gauche socialiste travaille donc à
un ressourcement idéologique de sa
pensée.
Le repositionnement de la droite mo-
dérée, où les problèmes suscités par
les divergences au niveau d’un
leadership unique absorbent actuel-
lement l’essentiel des énergies, est
plus difficile à percevoir. Son
principal problème est d’avoir perdu
sa spécificité par rapport à la gauche,
c’est à dire sa capacité «naturelle» à
diriger l’économie, la gauche ayant,
depuis 1983, démontré qu’elle aussi
était capable de gérer, quelque critique
que l’on puisse se montrer par rapport
à cette gestion. Comme l’observe
G.Mermet, «Il lui faudra beaucoup
d’imagination pour trouver un
nouveau positionnement idéologique,
entre l’économique et le social, entre
la dictature du marché et le rôle mo-
dérateur et redistributeur de l’Etat.»
(in Francoscopie, ed. Larousse, Paris,
1991, p.230)
L’importance prise récemment par
les mouvements écologistes dans le
paysage politique français reste le
fait le plus marquant de la période
actuelle. Cantonnés jusqu’à il y a peu
à des prises de position concernant
essentiellement l’environnement, ils
s’efforcent de plus en plus d’intégrer
à leur réflexion des questions d’ordre
plus général, passant ainsi au stade de
la maturité politique.
De façon plus ponctuelle, les élec-
tions cantonales et régionales de mars
1992 ont pu être analysées comme
des élections très politiques, marquant
un net retour de l’idéologie, avec des
résultats qui font de l’extrême-droite
le parti le plus puissant d’Europe,
deux partis écologistes aux scores
remarquables, un parti communiste
qui progresse de façon paradoxale et
enfin un taux de participation record,
alors même que cette campagne s’est
déroulée sans affiches ni spots
audiovisuels, dans le plus pur style
du minimalisme électoral. «La
politique se venge, écrit S. July. (…)
La politique française évolue à contre-
courant de tous les calculs socialis-
tes. Ils pariaient sur l’abandon des
valeurs, les désintérêts pour la politi-
que, le caractère désuet de la solida-
rité, l’impossibilité des réformes : les
échos que renvoient cette campagne
battent en brèche la vision désespéré-
ment administrative qu’ils avaient de
la société française. On annonçait le
retour de la politique : il approche. Et
mieux vaut ne pas rater le rendez-
vous.» (in Libération du 22 mars
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