AGONE
Philosophie, Critique & Littérature
numéro 16, 1996
Misère de la mondialisation
Le libéralisme est cette utopie qui, pensant le
marché sans penser le pouvoir, ne sert qu’à
masquer le pouvoir inscrit dans le marché ; il n’est
qu’un des éléments du spectacle, dont le rôle, avec
la mise en scène médiatique du divertissement, est
d’installer l’omission du pouvoir dans un présent
perpétuel. Dénoncer le spectacle n’a en ce sens
d’autre but que de donner à voir ce qui voudrait
rester dans l’ombre.
9. Éditorial. Mondialisation de la misère.
Jacques Luzi
15. Mondialisation du capital & régime daccumulation à
domination financière.
François Chesnais
Le terme «mondialisation du capital » désigne le cadre politique et
institutionnel dans lequel a émergé un mode de fonctionnement
spécifique du capitalisme. Celui-ci est-il «irréversible » comme on
le prétend si souvent ? Doit-il déboucher sur une vraie crise dont
l’épicentre serait le système financier ? Ses limites sont-elles
simplement politiques ? Dépendent-elles de la capacité de la
bourgeoisie financière à réprimer les expressions de révolte ?
Combien de temps faudra-t-il à la classe ouvrière pour «digérer »
les leçons du «socialisme réel » et se reposer la question du
dépassement nécessaire du capitalisme ?
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43. Démocratie & marché dans le nouvel ordre mondial.
Noam Chomsky
Traduit de langlais par Solange Hollard
Dans la majeure partie du monde, la démocratie, les marchés et les
droits de lhomme font lobjet de sérieuses attaques, y compris dans
les démocraties industrielles dominantes la plus puissante
dentre elles, les États-Unis, dirigeant lattaque. Contrairement à
bien des illusions, les États-Unis nont, en réalité, jamais soutenu les
marchés libres, et ce depuis leur naissance jusquaux années Reagan,
où furent mis en place de nouveaux standards de protectionnisme
et dinterventionnisme.
75. Mondialisation & conflits.
Alain Arnaud
À chaque zone ses conflits spécifiques. Le capitalisme semble
rationaliser la guerre : ses dispendieuses préparations offrent un
espace privilégié de valorisation du capital tandis que la logique
dengagement guerrier est subordonnée à la défense des intérêts
marchands. Les champs pétroliers du golfe Persique mobilisent
immédiatement larmée américaine et une formidable coalition
internationale ; les montagnes bosniaques, une indécise Forpronu
sans aucun GI ; le Rwanda ou le Burundi exsangue, à peine
quelques États africains.
95. Lhomme & la nature dans la «fabrique du diable ».
Michel Barrillon
La question de la régulation des tensions socio-écologiques
planétaires est surdéterminée par des enjeux géopolitiques. Si
lOMC finissait un jour par étendre aux procédés les restrictions
commerciales appliquées aux produits en vertu de normes
environnementales, il ne faudra voir dans cette mesure,
apparemment inspirée par le bon sens écologique, quune décision
visant à réduire la compétitivité des pays qui fondent le dynamisme
de leur économie sur le dumping écologique et social : ni plus ni
moins quune forme déguisée dimpérialisme écologique.
129. Dialectique de la dépendance.
Jacques Luzi
Dépendance : désocialisation et exploitation. Comment nommer
autrement cette union entre le détournement des capacités sociales
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dans le leurre de la marchandise et leur confiscation par les groupes
dominants ? Est-il possible, malgré cela, de traiter les déchets
sociaux de lexpansion capitaliste ? de reconstituer les débris de
solidarité quelle laisse traîner derrière elle, négligemment ? Ne
peut-on, en clair, réformer la dépendance dans la dépendance ?
147. Colonisateurs & colonisés.
Philippe Thureau-Dangin
Dire que la mondialisation est le faux nez du capital ne suffit pas. La
meilleure leçon à donner aux capitalistes serait de pousser à bout la
logique de la mondialisation. Que cette colonisation du monde par le
capital devienne invivable pour le capital lui-même. Que partout le
risque soit plus important que lespoir de profit, que la compétition
soit féroce au point de manger ses champions Ainsi verrait-on
enfin de plus en plus dexperts et de capitalistes battre en retraite.
159. La mondialisation contre l’éthique.
Serge Latouche
La question éthique de la mondialisation pose la très ancienne
question de l’éthique de l’économie vue comme lentrée dans la
sphère des échanges marchands de la totalité de la vie sans restriction
aucune despace ni de domaines. La question éthique de l’économie
est tout simplement de savoir si l’économie est une bonne chose.
L’économie, cest la vie économique, la division du travail, l’échange
national et international, la concurrence et la loi du marché, la
croissance et lexploitation illimitée des richesses naturelles et des
capacités humaines. Est-ce que tout cela participe du bien ?
211. Les défis de la mondialisation.
Samir Amin
La «compétitivité» en question est le produit dun condition-
nement complexe opérant sur tout le champs de la réalité
économique, politique et sociale. Dans ce combat inégal, les centres
mettent en œuvre ce que jappelle leur «cinq monopoles »: la
technologie, le contrôle des système financiers à l’échelle mondiale,
laccès aux ressources naturelles de la planète, le contrôle des
moyens dinformation et de communication et les armements de
destruction massive.
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183. La restructuration capitaliste & le système-monde.
Immanuel Wallerstein
Traduit de lespagnol par M. Mouton & J. Vialle
La période qui arrive les trente à quarante prochaines années
sera le moment de la désintégration du système historique
capitaliste. Ce ne sera pas un moment agréable à vivre. Ce sera une
période noire, forte dinsécurités personnelles, de doutes sur le futur
et de haines perverses. Ce sera, en même temps, une période de
transition massive vers quelque chose dautre ; un système (ou des
systèmes) nouveau(x).
FICTIONS & DICTIONS
229. Les slogans de pierre.Ylljet Alicka
Traduit de lalbanais par
Donina Paco
Un slogan doit être maintenu en bon état, et pour cela il faut sen
occuper dune manière systématique. Il est impensable de le
négliger ou de labandonner, sans quoi il se détériore. Il faut aller le
contrôler au moins une fois par semaine, parce que la première
pluie emporte avec elle tout le charme du slogan, creuse des sillons
autour des lettres, les couvre de taches de boue et salit le bel éclat
des pierres à peine blanchies à la chaux. Sans parler du bétail qui se
fiche éperdument de lendroit où il passe. Et puis il y a aussi tous
ces dégâts prémédités
245. Je reste sur ce versant. Journal.
Samuel Autexier
Posté toujours dans la même tendresse. Le changement des saisons
me fait mettre genoux à terre. Malade, je reste tendu vers le même
but. Faire venir à moi cette réserve deau que je pressens chez
lautre. Travail de sape. Infinie patience des gestes amoureux. Une
toile tissée pour cueillir le soleil dun visage. Prisonnier de la fièvre,
poumons bouffés par les cigarettes. Le lit est défait, lhumidité
insolente des cabanes mencrasse le cœur.
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251. La clé de Jérusalem.
Miljenko Jergovic
Traduit du serbo-croate par Mireille Robin
Pendant des années, Tomo s’était débattu avec les poignées et les
clés ou bien les dents étaient trop écartées et la clé tournait dans
le vide, ou bien elles étaient trop acérées, et la serrure était fichue au
bout de trois jours. Les habitants de Fojnica savaient que Tomo était
un piètre artisan. Mais ils sen accommodaient : c’était un gars de
chez eux et il ne faisait jamais payer les réparations rendues
nécessaires par son mauvais travail. Cela se passa ainsi jusquau
moment où apparut dans les magasins de Sarajevo une petite
merveille de la technique, le verrou de sécurité.
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