LE COMITE D’ÉTHIQUE AU LIT DU MALADE
E. Ferrand
Service d’Anesthésie-Réanimation, Unité de Réanimation Chirurgicale et Traumatolo-
gique, CHU Henri-Mondor, 94010 Créteil.
INTRODUCTION
Les comités d’éthique clinique sont apparus dans les institutions hospitalières, dans
le but d’élargir la réflexion sur les pratiques, de favoriser l’expression des souhaits des
patients et de permettre la recherche d’un consensus dans des situations problématiques.
Ces structures se sont développées à partir des années soixante-dix aux Etats-Unis et se
sont par la suite progressivement implantées dans une grande majorité des hôpitaux en
Amérique du Nord, ainsi que dans l’ensemble des pays occidentalisés, dont la France,
où l’expérience est encore récente.
L’apparition des comités d’éthique clinique correspond à l’évolution de la médecine
observée ces dernières dizaines d’années dans la plupart des pays occidentalisés, qui a
amené à une large remise en question de la responsabilité et de la conscience morale
des professionnels. Les médecins ont longtemps considéré qu’ils disposaient, de part
leur engagement et une longue tradition culturelle, d’une culture éthique suffisante pour
prendre des décisions moralement acceptables. Désormais, pour ce qui concerne les
questions touchant au droit des malades, il leur est imposé de ne plus juger leurs actes
selon leur propre conscience, mais en fonction du Droit ou de l’opinion de la société
civile [1]. Cette volonté de la société, de ne pas laisser à tout un chacun l’entière respon-
sabilité de décider de son sort ou de celui d’un de ses proches, a fait émerger la nécessité
d’espaces de valeurs communes. Le comité d’éthique clinique apparaît comme l’une de
ses représentations [1].
1. NÉCESSITÉ DES COMITÉS D’ÉTHIQUE CLINIQUE
La décision d’arrêt des thérapeutiques représente un exemple de ces situations difficiles
auxquelles sont confrontés les comités d’éthique. Les études épidémiologiques [2], la
médiatisation de cas judiciarisés [3] ou la mise en place de recommandations des sociétés
savantes [4], sont venues, ces dernières années, révéler, nourrir ou exacerber le débat
sur cette question. La notion d’acharnement sous-entend un abus des médecins, dont les
intérêts et les motivations pourraient conduire à faire des choix à l’encontre des intérêts
de leur patient. Elle a été forgée pour critiquer et remettre en cause certaines pratiques
MAPAR 2004
574
médicales, en faisant valoir que l’intérêt du patient ne se confond pas toujours avec son
maintien en vie. Dans ces situations, il est ainsi apparu comme légitime et moralement
justifié de soustraire aux médecins une partie de leur responsabilité, en leur rappelant
certaines réalités et valeurs à respecter. La réflexion s’est déplacée du choix du type de
stratégie thérapeutique vers le choix de la personne apte ou autorisée à juger et décider.
Il n’est donc pas surprenant que l’acharnement thérapeutique ait été le premier objet de
discussion des comités d’éthique clinique.
Le cas Quinlan a particulièrement contribué à la mise en place de ces comités aux
Etats-Unis, même si des comités d’éthique clinique existaient déjà dans quelques hôpitaux
catholiques américains [3]. Dans cette affaire, le juge de la «New Jersey Supreme Court»
avait décidé de soumettre l’arbitrage d’une décision à un comité hospitalier, devant le
refus du médecin de consentir à la requête de parents de faire cesser le maintien artificiel
de la vie de leur fille. Le gouvernement américain adopta ensuite une réglementation
pour que chaque cas soumis soit examiné par un comité. Afin de répondre à la question
de la responsabilité des comités et de la sécurité juridique de ses membres devant la Loi,
certains Etats ont proposé un statut proche de l’immunité judiciaire dans ces cas [5].
2. MISSIONS DES COMITÉS D’ÉTHIQUE DANS LA PRATIQUE
En Amérique de Nord, sont développés les comités d’éthique clinique, leur
fonction essentielle est d’améliorer la qualité des soins des patients par l’identification,
l’analyse et la résolution des problèmes liés à leur prise en charge [1]. Dans la pratique,
cette fonction s’exprime au travers de trois activités reconnues [1] : l’aide à la décision,
l’établissement de procédures et la formation des personnels.
Les comités d’éthique clinique n’ont donc pas vocation à se substituer à un organe
de contrôle de la qualité des soins ou d’évaluation des compétences des personnels, ni
à devenir un organisme de conciliation en cas de conflits [6].
2.1. AIDE À LA DÉCISION
L’aide à la décision se manifeste par des consultations ou par l’analyse de cas.
En 1995, une conférence de consensus a proposé aux Etats-Unis une définition de la
consultation d’éthique, comme l’intervention d’un consultant éthicien ou d’une équipe,
sur la demande spécifique des services, des patients ou de leurs proches [7]. En pratique,
le motif d’intervention apparaît variable et la consultation peut même consister en une
intervention préventive [8].
2.2. PROCÉDURES
Le comité propose à l’institution des recommandations ou des études cliniques, qui
permettent d’enrichir le débat, au sein du comité comme de l’institution et, également,
par le biais des publications, de contribuer à la crédibilité des comités vis-à-vis des
professionnels des services et de valider leur approche de l’éthique médicale dans un
cadre plus large [1].
2.3. FORMATION
La formation en Ethique est une mission essentielle des comités. Elle doit concerner
les personnels des services comme les membres des comités. Les souhaits de formation
dans ce domaine sont largement exprimés par les acteurs de soins, en particulier dans
les services de réanimation [9]. La formation des membres du comité s’appuie sur des
programmes de formation et de travaux bibliographiques. Sur ce point, il est intéressant
de noter la prise de position récente de la «Bioethics Consultation Task Force on Stan-
Questions pour un champion en réanimation 575
dards for Bioethics Consultation», rejetant le principe de programmes d’accréditation
concernant les membres des comités d’éthique clinique, afin de ne pas «professionnaliser»
l’Ethique [10].
3. PRINCIPES DU COMITÉ D’ÉTHIQUE CLINIQUE
3.1. ENJEUX DES COMITÉS D’ÉTHIQUE CLINIQUE
La perception du comité par les services est dictée par le type d’approche privilégié par le
comité, entre l’aspect purement professionnel, juridique ou éthique de sa mission [11] :
• L’aspect professionnel est représenté par le personnel médical et réside en la compé-
tence technique. Il s’exprime en termes d’objectivité, d’exactitude et d’efficacité.
• L’aspect juridique pose le cadre de la discussion éthique et offre par le biais de la Loi,
des représentations sociales partagées, qui sont susceptibles de s’opposer aux normes
professionnelles. Les règles de Droit devant toujours être interprétées, la normativité
juridique n’offre pas de réponses absolues et univoques, ce qui suggère des limites,
qui ne sont pas toujours assez perçues en pratique.
• L’aspect éthique procède d’une mise à distance et d’un détachement à l’égard des
attentes et des pressions exercées de l’extérieur. Sa particularité et son handicap majeurs
sont l’absence d’encadrement institutionnel.
3.2. DIFFÉRENTS MODÈLES DE COMITÉ D’ÉTHIQUE CLINIQUE
Il existe trois modèles de comité d’éthique clinique, qui s’individualisent selon le sens
donné à l’éthique, vers la notion de vérité, d’expertise ou de la discussion [11].
3.2.1. ETHIQUE COMME VÉRITÉ
Dans ce modèle, sont recherchés des principes et des valeurs, basés sur des critères
universels et intangibles, qui permettent d’émettre un jugement moral sur ce qui est
bien ou mal. La limite de cette approche est la prise en compte des valeurs personnelles
des membres du comité, uniquement au sein d’un cadre rigide et normatif. Ce type de
comité est susceptible d’évoluer vers un comité décisionnel qui laisse peu de place à la
multidisciplinarité.
3.2.2. ETHIQUE COMME EXPERTISE
Dans ce modèle, les membres du comité exercent une approche analytique, basée sur
des connaissances théoriques, sans prendre réellement position. Un premier risque est
d’amener à réduire une question éthique à une question purement technique, où l’enjeu
de la discussion serait la seule validation de la décision médicale, sans la remettre en
question sur le plan éthique. Un autre risque serait que la formation spécifique en éthique
devienne facultative, au risque de créer une déresponsabilisation éthique individuelle.
3.2.3. ETHIQUE COMME ÉTHIQUE DE LA DISCUSSION
L’éthique de la discussion provient de la théorie développée par Jürgen Habermas.
Ce modèle se distingue des précédents par l’utilisation de procédures faisant appel à la
discussion et à la réflexion. Dans le but de trouver un consensus acceptable pour tous
et dans une situation idéale d’échanges, la compétence éthique est partagée par tous et
la résolution des problèmes éthiques passe par une discussion argumentée de manière
rationnelle basée sur une réflexion collégiale, consensuelle et argumentée. L’expert en
éthique se présente dans ce modèle comme un médiateur, avec une fonction d’enseignant
au premier plan, qui met en valeur la responsabilisation éthique individuelle.
MAPAR 2004
576
4. SITUATION EN FRANCE
Comme aux Etats-Unis, la volonté de retirer aux médecins l’entière responsabilité de
certaines décisions s’était également manifestée en France dans le domaine de la recherche
et de l’expérimentation médicale. Cette démarche avait abouti en France, à la création de
comités d’éthique de la recherche, qui ont vu leurs missions disparaître avec l’apparition
des CPPRB. Et ce n’est qu’en 1991, que le rapport Lenoir a recommandé la création de
comités d’éthique clinique, sous l’égide du Comité Consultatif National d’Ethique. Ces
comités semblent avoir pour fonction première, l’élaboration de recommandations. En
2001, dans une enquête menée par le Ministère de la Santé, seuls 7 des 19 CHU (parmi
27 sollicités à répondre) avaient développé un modèle de comité d’éthique clinique et 8
CHU en discutaient l’implantation. Seulement 3 des comités en place discutaient l’ana-
lyse au cas par cas. Actuellement, le comité de Cochin apparaît comme le seul comité en
France, fonctionnant réellement sur les principes des comités d’éthique clinique.
5. MODE DE FONCTIONNEMENT D’UN COMITÉ D’ÉTHIQUE CLINIQUE
Un certain nombre de conditions semblent indispensables au fonctionnement et à la
reconnaissance des comités d’éthique clinique. Elles tiennent compte de la nature inci-
tative et non obligatoire de la réflexion éthique et de leur nature multidisciplinaire.
5.1. NATURE INCITATIVE DE LA RÉFLEXION ÉTHIQUE
Le comité d’éthique clinique représente un espace de délibération, le caractère
facultatif, dans son mode de saisie ou ses avis, favorise la mise à distance, qui seule
permet l’évaluation des conflits et des valeurs en présence. La nature incitative de la
réflexion éthique est donc indispensable et un caractère d’obligation offrirait le risque de
transformer la nature du comité en comidécisionnel par rapport à un pouvoir particulier,
qu’il soit médical, administratif ou juridique.
5.2. STRUCTURES
Un comité doit se structurer en respectant un certain nombre de principes. Il est ainsi
recommandé :
• D’assurer la multidisciplinarité par l’équilibre dans la composition de ses membres,
entre équipes de soins et tiers extérieurs, qu’ils soient spécialistes, juristes, éthiciens,
ou représentants de la vie civile [11].
• D’établir clairement des procédures de délibération qui conditionneront la qualité du
travail de réflexion.
• De prévoir la consultation la plus élargie entre les personnes concernées et les experts
dans le domaine.
• D’expliciter les procédures entourant la recherche du consensus.
• De baser le consensus sur l’assentiment de tous les individus concernés participant
réellement à la discussion.
• De permettre à chaque membre d’exprimer son point de vue ainsi que les dissensions
sans contrainte ni rapport de force.
• De ne pas valoriser la cohésion interne et l’objectif de consensus au point d’éviter les
débats.
• D’appuyer les avis par un travail rigoureux de documentation.
Questions pour un champion en réanimation 577
6. LIMITES STRUCTURELLES DES COMITÉS D’ÉTHIQUE CLINIQUE
6.1. FACTEURS DE DYSFONCTIONNEMENTS DES COMITÉS
Des ambiguïtés, dans la nature même des comités, sont susceptibles de les faire
apparaître comme des comités «à l’essai», selon que les missions sont imprécises, non
précisées, ou encore non identiques pour tous. Un certain nombre de facteurs, générant des
difficultés dans le fonctionnement, ont ainsi été individualisés dans la littérature [11] :
• L’ambiguïté sur la fonction d’aide à la décision du comité entre position directive ou
incitative.
• La conception contradictoire et problématique de la compétence éthique.
• La difficulté à appréhender la validité des avis proposés.
• L’indisponibilité des membres des comités.
• La tentation du recours à la fausse sécurité des normes juridiques.
Les comités apparaissent comme un moyen de changer les comportements, de
modifier la réflexion, de convaincre et de contraindre à des changements de pratique. Le
risque est leur perception trop bureaucratique [1], ou venant bouleverser l’autorité sur
laquelle reposent les normes de l’institution hospitalière [12]. Il peut ainsi s’agir, pour les
infirmières, d’utiliser les comités pour exercer des pressions sur les médecins, pour les
médecins, de les utiliser contre les demandes de patients, ou encore, pour le comité, de
s’opposer ou de décourager les demandes par les proches de cessation de traitement, qui
seraient estimées prématurées ou injustifiées. Ainsi, en 1999, dans une étude européenne
par questionnaire, moins de la moitié des réanimateurs d’Europe du sud se disaient
favorables à une consultation d’éthique [13]. Récemment, seul le tiers des infirmières
et médecins interrogés étaient favorables à l’intervention d’un tiers extérieur dans les
décisions d’arrêt thérapeutique dans une étude concernant 133 centres de réanimation
français [19]. Dans la même étude, une minorité des interrogés préférait l’intervention
d’un comité à celle d’un psychologue ou d’un autre médecin non éthicien. En 2000,
29 % parmi 301 réanimateurs français interrogés sur leur approche de la consultation
d’éthique étaient favorables au principe et seulement 34 % d’entre eux l’avaient déjà
sollicitée [14]. Le comité d’éthique local n’était souhaité comme intervenant que pour
43 % et le motif d’intervention le plus souvent relevé était l’existence d’un conflit avec
les proches pour 69 %, une décision de fin de vie médicalisée pour 56 % et une partici-
pation à un protocole de recherche clinique pour 23 %. Les réticences les plus souvent
notées à une telle intervention étaient le manque de formation spécifique de l’intervenant
pour 88 % des interrogés, son indisponibilité pour 84 % et l’incapacité pour l’équipe à
désigner un tel intervenant pour 75 % [14].
6.2. CAS PARTICULIER DU MANQUE D’ÉVALUATION DES COMITÉS
Le manque d’évaluation des comités reste problématique pour assurer leur légitimité
et la validité de leurs actions auprès des services [15]. Ainsi, trente ans après la mise
en place des premiers comités d’éthique aux Etats-Unis, un récent «position paper» de
la «Bioethics Consultation Task Force on Standards for Bioethics Consultation» a du
réaffirmer le besoin de formation spécifique des membres des comités et d’évaluation
de leurs activités [10].
La littérature concernant l’évaluation des comités contient essentiellement des études
rétrospectives. Les résultats sont généralement favorables aux consultations d’éthique,
mais essentiellement en termes de satisfaction médicale plutôt que de celles des patients
ou de leurs proches [16].
Parmi les activités des comités évaluées prospectivement, deux domaines d’inter-
vention ont plus particulièrement été étudiés, en particulier en réanimation : la question
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !