les dysfonctionnements des organisations lors de la

DOSS
I ER
LES
DYSFONCTIONNEMENTS
DES
ORGANISATIONS
LORS DE
LA RÉALISATION DE
PROJETS
A
l'heure
le
management
par
projet devient
de
plus
en
plus
en
vogue dans
l'industrie,
il
convient, pour
ne pas
être victime
des
effets
de
mode, d'analyser
les dysfonctionnements
des
organisations
qui
sont amenées
à
réaliser
des
projets.
La connaissance
des
dysfonctionnements
et de
leurs causalités premières conduit
à
retenir
de
nouvelles formes d'organisation.
Ces nouvelles formes d'organisation,
en
particulier l'organisation cellulaire
par
projet
et
les
nouveaux rapports avec l'ensemble
des
entreprises intervenant pour
un
projet
donné, doivent être replacés dans
le
contexte
de
beaucoup
d'entreprises industrielles
qui
doivent désormais faire
face
à un
environnement incertain, turbulent
et
différencié.
« Le sommet de la connaissance
est de savoir que quelque chose ne marche pas ».
H. VON VOERSTER
I
l n'est
pas
d'usage d'évoquer dans
les
entreprises
et
administrations,
les
dys-
fonctionnements
de
l'organisation,
en
particulier quand
on
réalise
un
projet nou-
veau.
Parler des dysfonctionnements
est
souvent
perçu comme
une
attaque
des
personnes
ou
un
dénigrement
de
l'entreprise.
Beaucoup
de
conférences
et
articles
sur le
management de projet traitent des solutions
sans jamais clairement analyser
les
pro-
blèmes.
Pourrait-on taire progresser
la qualité
d'un
produit
en
ignorant
ses
défauts
et la
cause
de
ceux-ci
?
Non, alors pourquoi
n'en
est-il
pas de
même
en ce
qui concerne
la
qualité
du ma-
nagement
de
l'entreprise
?
Paul Watzlawick,
le
célèbre représentant
de
l'école
de
Palo Alto (école
qui
étudie
la
communication entre humains), fournit une
explication
:
François JOLIVET
A dirigé d'importants
projets de BTP dans
le monde (centrales
nucléaires, grandes
opérations de
bâtiments, tunnel
sous la Manche).
Est actuellement
conseiller du
président
de Fougerolle
pour les orientations
de progrès.
PCM
LE
PONT MAI
1993
38
DOSS E R
« Dans une
organisation,
on
recherche
un individu comme la
cause
de
queique
chose,
or ia
cause
d'une difficulté
découle
souvent d'un
système
qui
génère
le
problème.
»
Alors que le management de projet se-
pand dans toute l'industrie, il est souhai-
table de se consacrer à la connaissance de
l'origine des dysfonctionnements avant
d'aborder les différentes méthodologies de
conduite de projet. Faute de quoi on ado-
ptera des solutions non performantes quel-
quefois contraires à l'objectif recherché.
Recueillir l'opinion des
« acteurs projets ».
Ecoutons les « acteurs projets », c'est-à-
dire les personnes qui participent à la réa-
lisation du projet (dans l'entreprise et à
l'extérieur de celle-ci).
Supposons qu'une coordination par projet
ait été mise en place (figure 1). Voici une
situation simulée :
Le chef d'entreprise :
« Je constate un dérapage continu du
bud-
get et du délai de réalisation ».
« Trop de problèmes me sont soumis, cha-
que service et département se renvoient la
balle ».
Les chefs de service et de département :
« Les métiers amont (ceux qui intervien-
nent en premier) ont pris du retard dans
leur travail ».
« Les métiers aval ont modifié ce qui avait
été décidé à l'amont ».
« La technologie retenue n'était pas éprou-
vée ».
Figure 1.
Les ingénieurs et techniciens d'étude :
« On refait 3 fois le travail ; on ne
comprend pas les décisions ; on est dé-
couragés ; on est impuissants à maîtriser
la situation ».
Les techniciens de la réalisation :
« Les gens d'étude ne connaissent pas no-
tre façon de travailler Ce qu 'ils demandent
n'est pas réaliste ».
L'entreprise contractante :
« On me donne des objectifs à atteindre
et en même temps on m'impose la façon
de travailler avec des spécifications irréa-
listes et lourdes. Je ne peux être à
la.
fois
exécutant et responsable ».
« On me demande de rattraper les retards
des autres. On modifie le projet ».
Le client (futur exploitant ou destinataire
du projet) :
« Je n 'ai pas d'interlocuteur ayant le pou-
voir de décider ».
« Le projet est en
retard,
la qualité du tra-
vail réalisé ne correspond pas à ce que
j'attends
».
Un observateur qui analyserait plusieurs
entreprises constaterait que les dysfonc-
tionnements sont importants, si le projet
est complexe et comporte une part de nou-
veauté pour l'entreprise.
Ceci est confirmé par le fait que lorsqu'on
réalise un deuxième projet, similaire au
premier, on obtient une amélioration spec-
taculaire des performances, tant sur le plan
de la qualité, des délais et des coûts. Par
coûts,
on entend aussi bien les coûts de
développement du projet que le coût du
projet (ou produit) proprement dit.
COORDINATION PAR PROJET
o
Coordinateur
de projet
Client
+
J, } +
4
o
1 o
1 o
1 0
1
G-
1
(
o - 1
o - o -- o - 1
o --
Directions
"métiers"
Acteurs projet
dans structure
métier
"Correspondants"
métier/projet
O o Sous-traitants
Redécouvrir le
fonctionnement de
l'entreprise
Le fonctionnement de l'entreprise est fon-
dé sur un fractionnement et une attribution
des tâches aux différents services et-
partements « métiers » de l'entreprise.
Ces tâches sont réalisées en travail séquen-
tiel,
le métier amont, par exemple les
études, transférant son travail terminé au
métier suivant, par exemple les méthodes
ou les achats, etc.
Dans cette séquence, chaque département
décide et optimise le projet selon ses pro-
pres critères de métier.
Pour un métier donné, les tâches sont réa-
lisées selon des procédures standard
communes à tous les projets.
Les entreprises contractantes ne sont
consultées que lorsque les études et les ca-
hiers des charges sont figés.
On observe que dans la pratique, le métier
amont après avoir effectué sa tâche doit
refaire son travail par suite du métier aval,
qui demande des modifications, (figure 2)
Tout se passe comme si le métier amont
avait fait des suppositions concernant les
critères aval sans les expliciter, le plus sou-
vent en se référant mentalement à un projet
précédent.
Quand un grand nombre de métiers ou
d'entreprises interviennent sur un projet,
les modifications abondent, les décisions
sont remises en cause, les conflits internes
et externes grandissent, les retards s'accu-
mulent.
La confusion devient grandissante, les réu-
nions se multiplient, les notes écrites de-
viennent de plus en plus volumineuses, les
actions deviennent contradictoires ou non
cohérentes.
La somme des retards cumulés est très im-
portante. Elle peut doubler le temps initial
imparti. L'exemple de l'automobile japo-
naise des années 80 a montré qu'on pouvait
réduire de moitié les délais de conception
et de lancement en fabrication d'un nou-
veau modèle, sans pour autant augmenter
les moyens.
Qui est le PPCD ?
La recherche d'un consensus (sans arbi-
trage) entre métiers conduit souvent à des
solutions chères qui font l'enveloppe des
exigences.
Contrairement à l'opinion la plus répan-
due,
ce sont des miUiers de décisions qui
font la qualité technique, le délai et le coût
d'un projet (quand celui-ci dure quelques
années).
PCM —LE PONT—MAI 1993
39
DOSS I ER
LE TRAVAIL SEQUENTIEL
tUidM
Théorique
'' iOaia
Observé
I
"1 11
' .
L
.'
1 '
, 7
.,„1 ' , "
<
retard retard retard
Figure 2,
Chacune des décisions concerne plusieurs
métiers. Or dans une structure métier, les
arbitrages ne peuvent être rendus que par
la Direction Générale (qui est le « PPCD »,
plus petit commun décideur). Celle-ci se
trouve dans l'impossibilité de le faire.
Identifier les causalités
premières
L'identification des dysfonctionnements et
de leurs causalités premières met en évi-
dence en général 4 natures de dysfonction-
nements primaires, par exemple :
1) Processus décisionnel médiocre :
Décisions non prises, remises en cause,-
cisions tardives, qualité médiocre des-
cisions. Décideur trop loin du client et des
problèmes. Décisions ne prenant pas
suf-
fisamment en compte les spécificités du
projet. Pouvoir de décision dilué.
2) Processus d'optimisation du projet mé-
diocre :
La somme des optimisations successives
faite par les métiers ne conduit pas à l'op-
timisation globale. Les sous-traitants et les
personnes chargées de la réalisation ne par-
ticipent pas à l'optimisation du projet (in-
tervention trop tardive).
3) Le processus de travail sont trop rigides
et trop figés :
Les procédures métier (souvent stan-
dardisées) ne permettent pas de travailler
avec souplesse et efficacité. Elles imposent
le travail en séquence. Ces procédures ne per-
mettent pas de s'adapter aux exigences du
client, du projet et à son évolution.
4) L'environnement évolue pendant la vie
du projet sans que les conséquences soient
prises en compte correctement :
Le client apporte des modifications, la-
glementation évolue, les concurrents réa-
gissent.
D'autres natures de dysfonctionnements
peuvent être identifiées, par exemple :
- des objectifs de projet irréalistes,
- la confusion des rôles et manque de
confiance entre les multiples interve-
nants au projet (investisseurs, prêteurs,
exploitants, concepteurs et réalisateurs).
La majorité des dysfonctionnements in-
ternes à l'entreprise proviennent de
l'or-
ganisation même de l'entreprise et du frac-
tionnement du travail qui vise à regrouper
les tâches identiques par métier.
Si l'on regarde objectivement le
fonctionnement d'une entreprise
on s'aperçoit que les prétendues
économies d'échelle générées par
un regroupement des tâches
identiques sont ridiculement
petites par rapport aux surcoûts
et retards générés par les
dysfonctionnements dûs à
l'absence d'intégration des tâches
par projet Dès lors qu'on aborde
des projets complexes et
nouveaux pour l'entreprise, les
nouvelles formes d'organisation
peuvent conduire à des gains de
productivité de l'ordre de 30 à
50 %.
Attention aux effets de
mode
Le management par projet n'est plus-
sormais l'exclusivité de certains secteurs
d'activité tels que l'aéronautique, la
construction, le spatial.
Déjà beaucoup d'autres industriels ressen-
tent la nécessité d'un fonctionnement
« transversal » de leur entreprise. Le ma-
nagement de projet, sous ses différentes
formes va devenir à la fois une nécessité
et une mode.
Beaucoup d'entreprises vont essuyer des
échecs en voulant se lancer dans des so-
lutions ou en adoptant des outils sans avoir
identifié et compris l'origine des dysfonc-
tionnements.
Le thermomètre ne guérit
pas le malade
Beaucoup de chefs d'entreprise croient que
la mise en place de la planification et du
contrôle budgétaire par projet vont résou-
dre les problèmes, or tout le monde sait
que « le thermomètre ne guérit pas le ma-
lade ! ».
Ponce Pilate
a fait son temps
D'autres entreprises vont avoir recours à
une organisation matricielle « à consen-
sus ». Dans cette forme d'organisation, on
garde une structuration de l'entreprise par
métier, mais les décisions doivent être
prises en commun entre les directions-
tier et la direction de projet.
Le fonctionnement d'une telle organisation
est désormais assez bien connu ; il est sa-
tisfaisant dans des entreprises à taille hu-
maine (où la direction générale peut inter-
venir fréquemment).
Par contre, pour les grands projets l'orga-
nisation matricielle conduit à un processus
décisionnel très médiocre amplifié par les
conflits de pouvoir entrte métier et projet,
conflits résultant d'une double ligne déci-
sionnelle. Le PPCD (plus petit commun-
cideur) reste la Direction Générale.
Un contrat de mariage est
fait pour gérer le divorce
Dans certaines entreprises apparaît une au-
tre forme de relations métier/projet : la no-
tion de client-fournisseur. Les métiers doi-
vent fournir un service à leur client :
l'équipe de Projet.
Sur le plan des principes, cela paraît inté-
PCM LE PONT MAI 1993
40
DOSS I ER
ressant. Mais on voit souvent les directions
métiers et projet vouloir gérer leurs rela-
tions sur une base contractuelle. Cette
contractualisation interne est très difficile
à définir, car les métiers par essence très
interdépendants pour un projet donné. Pire
encore, cette contractualisation est souvent
conçue comme un outil de recherche des
culpabilités.
Pour rendre l'entreprise
plus souple et plus
réactive, il ne faut pas la
rigidifier verticalennent et
horizontalement
Dans les organisations ci-dessus (organi-
sation matricielle, relation client-fournis-
seur),
l'entreprise peut être amenée à of-
ficialiser le fonctionnement transversal de
l'entreprise.
Cela se traduit souvent par un volumineux
manuel d'entreprise qui définit les rapports
réciproques entre métiers et projets à partir
de procédures figées, applicables à tous les
projets. Ceci rigidifie encore plus l'entre-
prise ce qui amplifie les dysfonctionne-
ments !
Une organisation
biologique :
l'auto-organisation par
cellules temporaires de
projet
Une nouvelle forme d'organisation se-
vèle être la plus performante tout en étant
la plus délicate à mettre en œuvre :
l'or-
ganisation cellulaire temporaire ou « task
force », dans laquelle les compétences sont
rassemblées.
Le chef d'entreprise sera d'autant plus ten-
té par cette formule que le projet a un ca-
ractère singulier et qu'il est complexe.
Ce type d'organisation consiste, chaque
fois que la taille et la durée du projet le
permettent, à « sortir » le projet de
l'or-
ganisation permanente de l'entreprise en
regroupant le personnel nécessaire des
dif-
férents métiers sous les ordres d'un direc-
teur de projet.
Seuls les métiers nouveaux ou à ressources
rares resteront dans les structures perma-
nentes de l'entreprise, alors que les compé-
tences des métiers éprouvés seront répar-
ties dans les « talk force ».
L'organisation cellulaire pour être immé-
diatement opérationnelle, pourra s'appuyer
sur des processus d'auto-organisation à
partir de « meta règles ». Chaque grand
projet se subdivisera lui-même en cellules
multifonctionnelles.
De même, l'entreprise sous traitante consti-
tuera sa cellule de projet qui participera à
l'optimisation d'ensemble de l'activité.
Un danger :
transformer l'entreprise
en champ de bataille
Si une entreprise veut se lancer dans le
management par projet, les dangers sont
grands. Le plus grave découle d'une « évi-
dence » qui met cependant un certain
temps à s'imposer : chaque projet doit
avoir son propre patron (pour permettre un
processus décisionnel correct, une vérita-
ble optimisation du projet et pour décider
des processus de travail).
Ceci conduit à introduire un nouveau pou-
voir dans l'entreprise.
C'est à la direction générale d'établir sans
ambiguïté ce nouveau pouvoir, faute de
quoi l'entreprise sera transformée en
champ de bataille entre direction projet et
directions métiers. L'affrontement sera sté-
rile, car fondé sur une logique « gagnant
perdant ». (Figure 3).
La conduite de projets complexes et à fort
caractère de nouveauté, affecte le fonction-
nement de toute l'entreprise, ses habitudes,
sa culture. Adopter le management par pro-
jet ce n'est pas introduire un nouveau-
tier dans l'entreprise. Il ne
s'agit
pas d'une
réorganisation parmi d'autres. C'est pour
l'entreprise toute entière apprendre à tra-
vailler différemment.
Le management des projets complexes et
peu répétitifs va accélérer la « détaylori-
sation » des entreprises et administrations,
dont le fondement principal de l'organisa-
tion était le regroupement des tâches par
nature, métier ou fonction et le perfection-
nement des règles et procédures.
Changer la façon de travailler, changer les
comportements, cela génère du stress, des
résistances, cela demande de bâtir un sys-
tème cohérent, cela prend du temps.
// faut plus d'une
dizaine
d'années
pour passer d'une
organisation taylorienne
à une
organisation « biologique ».
Les industriels en auront-ils le temps ? Ce-
la dépend de la situation de leurs concur-
rents.
Désormais, face à un environnement évo-
lutif instable, incertain et inconnu, il nous
faudra subordonner notre organisation, nos
régies, nos certitudes au client et au mar-
ché.
Mais attention, si ce qui précède conduit à
de nouveaux repères conceptuels qui sont
utiles,
il faut cependant s'en méfier : un pro-
jet aussi bien organisé que possible, présen-
tera toujours des dysfonctionnements, qu'il
conviendra de résorber avec beaucoup d'hu-
milité et de pragmatisme.
PCM
LE PONT
MAI 1993
41
ü U b b I b k
LE
MANAGEMENT
D'UNE
ORGANISATION
our répondre aux évolutions du « grand maiv
sont amenées à revoir profondément leurs or^
européen », les entreprises
anisations. Cela ne se fait pas
sans difficulté et nécessite
des qualités et des compétences
compétences que nos systèmes
de formation ne stimulent
pas forcément.
Le
siège de
PPG
à Pittsburg.
Le verre Plat de PPG en
Europe
Description
PPG est une multinationale américaine, basée à
Pittsburgh (Pennsylvanie), qui réalise 6 Milliards
de dollars de chiffre d'affaires. L'activité est-
partie entre quatre métiers : le verre, la peinture,
la chimie de base et le biomédical. Au cours des
dix dernières années, le groupe a augmenté la
part de son chiffre d'affaires en Europe qui en
représente aujourd'hui près d'un tiers.
Dans le secteur du verre, PPG est le troisième
mondial, derrière Pilkington (UK) et très proche
de St-Gobain (France). En Europe, PPG est nu-
méro 4, derrière St-Gobain, Pilkington et Gla-
verbel (ASAHI), alors qu'il est clairement leader
aux États-Unis.
Sa présence en Europe
s'est
faite historiquement
sentir en Italie, au travers de la Société Vernante
Pennitalia et en France lors du rachat en 1982
de la société BOUSSOIS SA dans le cadre du
retrait du groupe BSN de ce secteur.
PCM LE PONT MAI 1993
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